CRISE DE L’INTÉRIM MÉDICAL, LE POINT DE VUE DES SOIGNANTS - Ma revue n° 032 du 01/05/2023 | Espace Infirmier
 

L'infirmière n° 032 du 01/05/2023

 

HÔPITAL

JE DÉCRYPTE

SYSTÈME DE SANTÉ

Adrien Renaud  

Depuis début avril, les hôpitaux peinent à attirer les médecins intérimaires, dont les tarifs sont désormais plafonnés. La situation a entraîné des tensions croissantes, voire des fermetures de services. Les médecins ne sont néanmoins pas les seuls à pâtir de cette crise.

Une guerre des chiffres. Voilà la bataille que se livrent les médecins intérimaires et le ministère de la Santé avec l’entrée en vigueur, le 3 avril, du plafond du tarif des gardes (1 390 euros pour 24 heures) applicable aux médecins intérimaires. Depuis, le Syndicat national des médecins remplaçants des hôpitaux (SNMRH) comptabilise le nombre de services qui, ne pouvant proposer de rémunération suffisamment attractive aux praticiens, ont subi des fermetures totales ou partielles, des réductions d’activité ou de grandes difficultés : ils étaient d’après cette organisation 365, répartis dans 214 établissements, en date du 24 avril. Des chiffres récusés par François Braun qui, cité par nos confrères du Quotidien du Médecin, estimait lors d’un point presse organisé mi-avril qu’il est « matériellement impossible d’établir une cartographie précise et durable » des conséquences des nouvelles règles, car « la situation change au jour le jour ».

UN SUJET DÉJÀ ANCIEN

L’affaire remonte en fait à… 2016. La loi Touraine avait alors introduit un principe d’encadrement des tarifs de l’intérim médical. Le but : mettre fin à ce phénomène, dont Olivier Véran, à l’époque jeune député socialiste avait chiffré « le coût exorbitant » à 500 millions d’euros par an dans un rapport qui avait fait date. Depuis pourtant, les gouvernements successifs avaient les uns après les autres repoussé la mise en œuvre d’un plafond : la crainte de voir des services fermer, faute d’intérimaires, était trop forte. La dernière tentative, en 2021, s’était soldée par une énième reculade. En 2023 finalement, François Braun a décidé d’aller à la confrontation, au prix d’une concession notable, le plafond pour une garde de 24 heures a été relevé de 1 170 à 1 390 euros.

« En déclarant la guerre à ses propres médecins, c’est tout un peuple que ce gouvernement irresponsable a décidé de mettre en grave danger », avait alors estimé le SNMRH dans une lettre ouverte aux élus. Le syndicat se jugeait dans cette missive contraint « d’appeler à la grève l’ensemble des médecins remplaçants ». Dès lors s’est engagé un bras de fer entre les intérimaires et le gouvernement, les premiers demandant le retrait de la loi Rist, véhicule législatif de l’encadrement des tarifs, tandis que le ministre persistait à vouloir « pour des raisons éthiques » se battre contre une certaine « marchandisation de la santé », comme il l’a indiqué sur le plateau de BFMTV.

BIEN PLUS QU’UN DUEL

Reste que le face-à-face entre les intérimaires et le ministère est loin de se résumer à un duel. Partout en France, patients et soignants en sont les premières victimes. « Notre plateau technique tourne au ralenti, c’est-à-dire que cette semaine, par exemple, nous avons réussi à assurer bon an mal an un programme de journée car nous avons un anesthésiste en retraite qui accepte de venir, explique Christel Baldet, Iade au pôle Santé Sarthe et Loir à Bailleul (Sarthe). Mais nous n’avons personne pour les gardes, ce qui veut dire qu’on ne peut rien faire la nuit. » Et côté urgences, c’est encore pire. « Le Smur était fermé depuis trois ans, on avait réussi à le rouvrir bon an mal an avec des EPMU [équipes paramédicales d’urgence, NDLR], et là, c’est le coup de grâce », se désole celle qui est aussi vice-présidente du collectif « Santé en danger ». Même son de cloche du côté du Groupe hospitalier de territoire (GHT) du Mont-Saint-Michel à Granville (Manche). « Dans notre GHT, il y a trois services d’urgences : Saint-Hilaire du Harcouët, Granville et Avranches, énumère Cyril Thieulent, ambulancier et délégué syndical CGT. Depuis l’entrée en vigueur de la loi Rist, Saint-Hilaire est entièrement fermé, Granville n’est ouvert qu’en journée, et les trois services ne fonctionnent que sur régulation du centre 15. » Il faut dire que ces hôpitaux souffrent d’une dépendance particulièrement sévère à l’intérim. « Là où je travaille, à Avranches, il faut seize médecins en permanence aux urgences pour faire un planning correct, or on n’a que quatre titulaires », explique le responsable syndical. Et comme « quasiment tous les intérimaires refusent l’application de la loi », la réduction d’activité est inévitable. Le militant tient par ailleurs à préciser qu’il « est pour la loi Rist », qu’il a « toujours dénoncé les abus » de l’intérim médical, mais qu’il est obligé de le constater : ce texte « met nos hôpitaux dans une panade pas possible ».

AU JOUR LE JOUR

La montée en pression se répercute sur l’ensemble des équipes. « Les urgences des Sables-d’Olonne et de Fontenay-le-Comte [en Vendée, NDLR] ont dû fermer, ce qui a généré un afflux de patients aux urgences de La-Roche-sur-Yon, raconte Antony Touzeau, Ibode et secrétaire « Force Ouvrière » du CH de Vendée.

À tel point qu’il y a quelques jours, les urgences de La-Roche-sur-Yon, qui est pourtant le "vaisseau amiral" du département, ont dû fermer plusieurs heures pour absorber les patients qui étaient arrivés. » En revanche, note le représentant syndical, il n’y a pas eu de répercussions majeures sur les blocs opératoires de La-Roche-sur-Yon, contrairement à ce qui est mentionné dans le pointage du SNMRH. « Pour l’instant, on pallie, mais on est en période de vacances, et on ne sait pas du tout comment va se dérouler le mois de mai, insiste-t-il. On vit vraiment au jour le jour, et on sait que ça va être très compliqué. »

Reste une question. Même si la loi Rist ne les concerne pas directement, les infirmières sont nombreuses à travailler en intérim. Et selon le Dr Éric Reboli, président du SNMRH, elles feraient bien de garder un œil sur le mouvement mené par leurs homologues médecins : « La question, c’est de savoir quelle sera la prochaine profession impactée, prédit cet urgentiste. Si vous acceptez que les médecins soient plafonnés, qui vous dit que demain, ce ne seront pas les infirmières qui seront concernées ? » À méditer