LE CONCEPT D’ATTACHEMENT CHEZ LA PERSONNE ÂGÉE - Ma revue n° 032 du 01/05/2023 | Espace Infirmier
 

L'infirmière n° 032 du 01/05/2023

 

JE ME FORME

SCIENCES HUMAINES

Pascale Wanquet-Thibault  

Développé au XXe par des psychologues, le concept d’attachement apporte des clés au professionnel de santé intervenant auprès de personnes âgées. Ainsi peut-il mieux appréhender leurs comportements et leurs besoins, en institution comme à domicile, et adapter sa posture professionnelle en fonction du type d’attachement de chacun.

Très souvent associé au développement de l’enfant, le concept d’attachement concerne en réalité tous les âges de la vie. Développé au cours de la seconde partie du XXe siècle grâce aux travaux du psychiatre et psychanalyste John Bowlby, sa transposition sur le sujet âgé a débuté dans les années 1990. Des études ont ainsi mis en évidence que l’attachement évolue chez le sujet âgé, comme chez les membres de son entourage. Le système d’attachement et ses incidences sont encore très peu enseignés aux professionnels de santé, médicaux comme non médicaux. Il est pourtant essentiel pour le soignant, en particulier lorsqu’il travaille auprès de personnes âgées, d’en connaître les principes à ce stade de l’existence. Cette connaissance permet de comprendre les réactions et les comportements, les demandes et les attentes des personnes soignées et de leurs proches. In fine, il s’agit pour le professionnel d’adapter ses attitudes et prises de position en fonction de la situation, pour les soins quotidiens comme lors de l’élaboration et de la mise en œuvre des règles de vie institutionnelles.

On doit à Mary Ainsworth, collaboratrice de Bowlby, d’avoir formalisé les différents types d’attachement (sécure, insécure-évitant, ambivalentrésistant). Ultérieurement, Main et Kaplan décrivent un autre type : l’attachement désorganisé(1). Dans ce cas, le sujet n’a plus aucune capacité d’adaptation. Ces différents types d’attachement, sans conséquence psychopathologique, amènent l’individu à développer des stratégies relationnelles variables, réactivées en particulier en situation de stress. Bowlby et ses collaborateurs avaient mis en évidence que plus l’enfant a un attachement sécure, mieux il explore son environnement, régule ses émotions et développe des stratégies adaptatives. Le mode d’attachement a donc une incidence sur l’adaptation de l’individu face au stress, aux séparations et attachements aux personnes tout au long de son existence (voir encadré « Le concept d’attachement tout au long de la vie » p. 27).

UN CONCEPT QUI ÉVOLUE AU COURS DE LA VIE

Après avoir mis en évidence les différents types d’attachement, Bowlby a emprunté à un autre psychologue, Kenneth Craik, le concept de modèle interne opérant (MIO)(2, 3). Il désigne des modèles mentaux élaborés par l’enfant et qui vont rester opérants chez le sujet au cours de sa vie. Ces modèles permettent l’élaboration des relations interpersonnelles établies par le sujet, et qui évoluent à différents moments clés de son existence (adolescence, âge adulte, avancée en âge). Ces modèles relationnels sont d’autant plus actifs que le sujet est en situation de stress.

LES SPÉCIFICITÉS DE L’AVANCÉE EN ÂGE

De façon conventionnelle, il est admis de considérer que la notion de « personne âgée » débute à 60 ans, âge qui en France permet d’entrer dans les institutions pour personnes âgées, dépendantes ou non. En réalité, les individus ne sont pas égaux face au vieillissement, en particulier en matière d’autonomie et de parcours de santé. De ce fait, plusieurs situations peuvent se rencontrer en lien avec le concept d’attachement, dans ce qu’il est aussi convenu d’appeler le troisième, puis le quatrième âge. On peut noter que le lien d’attachement et son corollaire, le détachement, évoluent en fonction de l’autonomie du sujet. Pour Ainsworth, citée par Guedeney(2) « le vieillissement amène des changements physiques et sociaux inéluctables qui sont susceptibles de modifier les styles d’attachement et de réveiller de nouveaux besoins de sécurité. » On peut schématiquement distinguer trois situations pour lesquelles l’attachement s’exprime de façon nuancée : l’adulte âgé en bonne santé et valide ; l’adulte âgé malade, à domicile ou en institution ; l’adulte âgé, présentant des troubles cognitifs.

L’ADULTE ÂGÉ EN BONNE SANTÉ ET VALIDE

Dans cette situation, le sujet souhaite maintenir son autonomie, tout en ayant conscience de l’évolution progressive de sa dépendance. Il peut développer de manière croissante un sentiment de crainte, de vulnérabilité, d’insécurité. Dans le même temps, il existe très souvent une diminution du nombre des figures d’attachement. Le principe de détachement s’installe progressivement, l’individu accorde moins d’importance aux relations sociales. Il se recentre sur les figures d’attachement principales, en général au nombre de cinq à six personnes de l’entourage proche, enfants, frères et sœurs, cousins et/ou le conjoint, lorsqu’il est encore présent. Il a été mis en évidence que les liens d’attachement, même quand les figures d’attachement ont disparu, ont une fonction protectrice maintenue, le sujet étant capable de les faire exister dans ses souvenirs. Cela contribue à la diminution de l’anxiété.

L’adulte âgé peut aussi avoir développé un attachement à d’autres éléments(3) : lieux, animaux, objets. Une recherche spirituelle, la croyance en un dieu peuvent également permettre de faire évoluer le besoin d’attachement-détachement. Dieu peut devenir une figure d’attachement à cette étape de la vie, la croyance en une vie au-delà de la vie terrestre favorisant le détachement.

Ces nouveaux besoins d’attachement sont, pour Guedeney(2), une réponse adaptative pour retrouver un sentiment de sécurité, alors qu’ils sont souvent vécus comme une régression par l’entourage et/ ou les professionnels de santé.

L’ADULTE ÂGÉ MALADE, À DOMICILE OU EN INSTITUTION

Plusieurs éléments concernant le type d’attachement sont à prendre en considération chez le sujet qui avance en âge, d’autant que son niveau de dépendance et ses besoins de soins augmentent, quel que soit son lieu de vie.

Il a été reconnu que les sujets présentant un attachement sécure acceptent les soins, un environnement standard et satisfaisant(3). Les sujets ayant un attachement de mode « préoccupé » acceptent assez facilement les liens. On note avec l’avancée en âge, une augmentation du besoin de contacts physiques réguliers, rappelant les premières étapes de la vie du bébé, un besoin de soutien affectif et relationnel plus marqué, à mettre en relation avec la perte progressive (mais pas systématique), de l’accès au symbolique. Toutefois, contrairement au bébé, le sujet âgé provoque moins les interactions, or, « sans stimulation externe, il risque de perdre sa capacité d’ouverture, de se retirer du monde et de la vie sociale »(3). Des questions relatives à la dignité, au sens de la vie à ce stade, et à la peur de la mort sont en général très présentes. Chez les sujets à l’attachement insécure, l’estime de soi est en général plus faible, et la question de l’intérêt de vivre se pose de façon plus aiguë, entraînant l’interrogation sous-jacente « est-ce que je vaux la peine d’être aimé ? » On retrouve également des liens entre les angoisses de mort et des problèmes physiques et psychologiques.

L’ADULTE ÂGÉ, PRÉSENTANT DES TROUBLES COGNITIFS

Dans les liens qu’elle fait entre la théorie de la Validation® et la théorie de l’attachement, Anne Bernot, ergothérapeute à Nancy (Meurtheet-Moselle), met en relation les troubles du comportement et l’attachement insécure des personnes âgées(4, 5). Elle note également que les patients âgés les plus agressifs et présentant des refus de soins ont des profils d’attachement « distants » et « craintifs ». Néanmoins, elle met en évidence qu’une connaissance de ces notions permet au soignant d’adapter son attitude et de faire évoluer la situation, le plus souvent favorablement.

LIENS LENTRE ATTACHEMENT ET ÉMOTIONS

Les études ont montré que le sujet âgé ayant bénéficié d’un attachement sécure dans l’enfance, a plus de chance de montrer de la joie, de la curiosité, de l’intérêt, ce qui favorise les liens sociaux(2).

Les sujets ayant un mode d’attachement insécure développent plus souvent un comportement anxieux, sont demandeurs de soin, de réassurance. Ces demandes difficiles à assouvir peuvent entraîner un désir d’éloignement de leur figure d’attachement : conjoint, enfant, frère ou sœur.

Les sujets ayant un mode d’attachement évitant sont moins demandeurs d’aide et de présence.

Concernant les caregivers - terme qui désigne les personnes de l’entourage de la personne âgée qui prennent soin d’elle (voir encadré « Comprendre le caregiver et le caregiving system  » p. 29) -, lorsqu’ils ont un mode d’attachement sécure, ils accordent plus aisément leur confiance à des professionnels. Les aidants ayant un mode d’attachement insécure se montrent plus anxieux, envahissants, voire agressifs envers les professionnels(3).

Sur le plan émotionnel, on note moins de soutien affectif, moins de sécurité dans les soins, chez les aidants ayant un style d’attachement insécure.

L’ATTACHEMENT AU SERVICE DES SOIGNANTS

Connaître et comprendre la théorie de l’attachement et son impact chez le sujet âgé permet de mieux identifier le fonctionnement de la personne, ses besoins, particulièrement la présence d’un tiers (caregiver), ses capacités à faire confiance, à gérer son stress.

Ces éléments lors d’une hospitalisation, de l’annonce d’une maladie, d’une intervention chirurgicale, ne résonneront pas de la même façon selon les modèles internes opérants de la personne. Ils dépendent en grande partie de son mode d’attachement, constitutif de son histoire. Il appartient au professionnel de santé d’être en capacité d’adapter son positionnement et ses prises de décision, en fonction de l’analyse des besoins de la personne en s’appuyant sur la prise en considération de ces données.

INCIDENCES POUR LES INSTITUTIONS

Connaître et comprendre la théorie de l’attachement et son impact, en particulier chez le sujet âgé permet aussi d’adapter les mesures institutionnelles prises à l’égard des personnes accueillies, particulièrement en ce qui concerne le besoin de présence du caregiver (voir cas clinique).

Autoriser la présence des proches, en dehors d’horaires de visites réglementés, uniquement dans la phase terminale d’une fin de vie relève d’une méconnaissance du type d’attachement des personnes, de la prise en considération de leurs besoins lors d’une hospitalisation.

Ainsi, si les choses ont nettement évolué dans les services de pédiatrie, elles demeurent figées dans d’autres secteurs d’hospitalisation. La récente crise sanitaire a mis en évidence les grandes différences d’acceptation de l’entourage des personnes âgées au sein des Ehpad. Le plus souvent, les règlements institutionnels sont très généralistes. Ils ne prennent pas suffisamment en considération les particularités des personnes soignées, et spécifiquement leurs besoins en fonction de leur âge, et surtout de leur type d’attachement.

LA PERDURANCE DE L’ATTACHEMENT

La théorie de l’attachement appliquée à tous les âges de la vie, met en évidence, qu’en situation de stress, l’individu réactive ses « modèles internes opérants », c’est-à-dire les modèles de relations interpersonnelles qui lui correspondent. Il paraît essentiel que ces connaissances soient transmises aux professionnels de santé. Les conséquences des séparations d’avec leur entourage des personnes en institution sont méconnues. Les modes de fonctionnement de ces institutions, hospitalières et médico-sociales, doivent s’appuyer sur la théorie de l’attachement pour permettre aux professionnels d’adapter leurs positionnements. Apporter une réponse aux problèmes de dépendance n’est pas suffisant, la prise en considération des besoins d’attachement de la personne est indispensable avec l’avancée en âge(6).

RÉFÉRENCES

1. George C., Kaplan N., Main M. Adult Attachement Interview (AAI), Unpublished manuscript Department of Psychology, University of California, Berkeley (third edition). April 1996. Disponible sur : bit.ly/3Ncvfaf. 2. Guedeney N., Guedeney A. L’attachement, approche théorique. Du bébé à la personne âgée. Elsevier Masson, coll. Les âges de la vie, 3e édition, 2010. 3. Freitas M., Rahioui H.. L’attachement chez le sujet âgé. Gériatrie et Psychologie Neuropsychiatrie du Vieillissement. 2017;15 (1):56-64. doi:10.1684/pnv.2017.0651. 4. Bernot A. « Liens entre attachement et validation® », synthèse d’intervention, 25 mai 2022 disponible sur : https://apvapa.org/conferences/validation-et-attachement. 5. Feil N. Validation® la méthode, Lamarre, 4e édition, 2018. 6. Nieto-Roulaud N. « Théorie de l’attachement appliquée au vieillissement normal et pathologique de la personne âgée », 30 octobre 2020, conférence disponible sur : bit.ly/3KmeXJ7.

Le concept d’attachement tout au long de la vie

Le concept d’attachement a été développé par John Bowlby, psychiatre, à partir des années 1950. L’Organisation mondiale de la Santé (OMS) lui avait alors confié l’étude des retentissements biologiques et psychologiques des carences en soins maternels liées à la Seconde Guerre mondiale chez les enfants séparés de leurs parents. À partir de ces études, il développera la théorie de l’attachement et son corollaire, le détachement chez l’être humain. Si Bowlby a centré ses recherches sur l’enfant puisque c’était la demande, il a toujours considéré que « les représentations de l’attachement sont actives depuis le berceau jusqu’à la tombe »(2). Des études aux autres âges de la vie ont été menées, plus particulièrement auprès de personnes âgées, c’est-à-dire, à partir de 60 ans. Les premiers résultats ont été diffusés dans les années 2000. Ils ont mis en évidence les similitudes qui existent concernant les problématiques d’attachement et leurs conséquences sur les comportements dans l’enfance et avec l’avancée en âge. Attachement et caregiving redeviennent des questions cruciales à cette étape de la vie.

CAS CLINIQUE

Monsieur V. est âgé de 81 ans. Porteur d’un handicap physique (déficit musculaire, difficultés de mouvements) lié à une maladie de Little, depuis sa naissance, il est dépendant d’une tierce personne pour les actes de la vie quotidienne (préparation des repas, habillage-déshabillage, installation au lit, au fauteuil, etc.) et ses déplacements.

Monsieur V. ne présente aucune altération cognitive et psychique. Il est admis aux urgences du centre hospitalier de sa ville, à la demande de son médecin traitant, pour une infection pulmonaire et bronchique, entraînant une altération rapide de son état général (fièvre, déshydratation, polypnée, etc.). En raison de sa pathologie, Monsieur V. a fait de nombreux séjours en milieu hospitalier. Il a dans son enfance et son adolescence été accompagné de sa mère, figure d’attachement principale. L’attachement de Monsieur V. est sécure.

Néanmoins, avec l’avancée en âge, l’évolution de son handicap, il est plus anxieux. Sa figure d’attachement actuelle est son épouse, qui l’accompagne à l’accueil de l’hôpital. L’entrée dans le service des urgences lui est refusée, le règlement n’autorisant la présence d’une tierce personne qu’auprès des enfants et des personnes présentant des signes de démence. L’hospitalisation génère pour Monsieur V. un stress qui est augmenté par sa pathologie et cette séparation. Le soignant argumente que « c’est le règlement, qui a été mis en place parce que les familles sont souvent agressives ».

Dans cette situation, la prise de décision est susceptible d’augmenter le stress du patient et d’aggraver son état clinique. Au-delà de la maladie, de la nécessité d’une hospitalisation, cette prise de position prive le patient de sa figure d’attachement principale, son caregiver, ce qui constitue un traumatisme supplémentaire, totalement inutile. Dans cette situation en outre, une lecture adaptée du règlement aurait permis de limiter la souffrance du patient et de sa femme.

Cette lecture aurait peut-être été possible grâce à une meilleure connaissance du concept d’attachement, du caregiving system et de leur importance : « Le trauma complexe altère plusieurs domaines du fonctionnement de la personne : les modes relationnels tels que la capacité d’attachement, le niveau des hormones de stress dans le sang, la régulation des émotions, la dissociation, la gestion des comportements, les cognitions et fonctions exécutives, ainsi que l’identité »(1).

1. Hélie S, Clément ME. « Effets à court et à long terme de la maltraitance infantile sur le développement de la personne », Bull. Épidémiol Hebd. 2019;(26-27):520-5. Consultable sur le lien : bit.ly/3miTiJO.

Comprendre le caregiver et le caregiving system

Le caregiver est la personne qui prend soin, protège, se soucie de l’autre. Pour mieux identifier le rôle du caregiver, on peut observer qu’il s’agit de la personne qui prend soin du sujet, sur le plan physique et émotionnel, de façon régulière et importante. Auprès de la personne âgée, en fonction de son degré de dépendance et d’autonomie, il s’agit dans la majorité des situations, du conjoint, lorsqu’il est encore en vie et en a les capacités, ou d’un enfant(2, 3). Le caregiving system est un système de classification des comportements d’attachement du caregiver. Sont pris en compte cinq éléments : le regard, l’organisation de la proximité et du contact, la qualité du discours, la régulation émotionnelle et la structuration du comportement du sujet âgé(2, 3).

Le caregiving system se met en place quand le caregiver sent la personne dont il s’occupe en danger : maladie, accident, fin de vie, autant de situations qui génèrent stress, anxiété, incertitude.

Le style de caregiving dépend du mode d’attachement du caregiver : avoir un attachement sécure est associé à une meilleure capacité à adopter un comportement de caregiver à l’égard du parent âgé(2).

Le caregiver bénéficie d’une meilleure confiance en lui, exprime moins d’anxiété. Le rôle de caregiver se fait sans obligation, comme une évidence, un désir de rendre la réciproque.