« Une remise en cause des métiers » - L'Infirmière Magazine n° 359 du 01/04/2015 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Magazine_Hors série n° 359 du 01/04/2015

 

INTERVIEW : SYLVAIN PASQUIER, MAÎTRE DE CONFÉRENCES EN SOCIOLOGIE À L’UNIVERSITÉ DE CAEN.

DOSSIER

VÉRONIQUE HUNSINGER  

Sylvain Pasquier a coordonné un ouvrage sur la consultation d’annonce(1), une recherche-action formatrice encadrée par le réseau Onconord. Il nous livre sa réflexion.

L’INFIRMIÈRE MAGAZINE : À quelles difficultés se heurtent les expérimentations de consultations d’annonce relatées dans votre ouvrage ?

SYLVAIN PASQUIER : Elles sont liées aux questions générales du monde hospitalier et au soupçon qui pèse sur toute innovation dans un tel contexte. Le manque de ressources nourrit le sentiment d’une tâche s’ajoutant à d’autres et devant se réaliser sans moyens supplémentaires. La consultation d’annonce implique un repositionnement de chaque catégorie de personnel et une « renégociation » des places de chacun. Elle redéfinit les différents métiers de l’hôpital et les remet en cause, tant au sein de l’hôpital que de la société.

L’I. M. : Quelles en sont les conséquences sur les relations avec les médecins ?

S. P. : Le terme de « consultation » peut signifier l’accès à une tâche traditionnellement réservée aux médecins et susciter, soit l’attrait pour une tâche valorisante, soit la peur d’empiéter un domaine non autorisé jusqu’alors. L’attitude des médecins dans la mise en œuvre du dispositif est déterminante. Nous avons ainsi pu distinguer quatre grandes figures.

La première consiste à refuser d’en parler et semble indiquer le sentiment inavouable de la difficulté à l’exercer.

La deuxième se caractérise par la revendication qu’il est de la seule responsabilité du médecin d’assumer cette tâche. Cette attitude paternaliste se veut protectrice du malade, mais aussi des personnels paramédicaux. Une première figure d’acceptation se dessine avec des médecins heureux de se voir, en partie, soulagés d’une tâche ingrate. Enfin, l’acceptation pleine et entière se caractérise par la mise en valeur du travail d’équipe qui maintient la possibilité, pour le médecin, de valoriser sa responsabilité de chef d’équipe. Elle favorise les meilleures modalités de mise en œuvre du dispositif.

L’I. M. : Qui sont les infirmières volontaires pour cette démarche ?

S.P. : Les infirmières qui se sont engagées dans ce dispositif étaient confrontées à la maladie du cancer. Elles ont saisi, dans cette tâche de la consultation d’annonce, la pleine réalisation de leur métier. Derrière cela, se profile une conception du soin infirmier reposant sur l’attention au patient en tant que personne plutôt que sur sa maladie. Ces infirmières revendiquent donc une dimension relationnelle et humaniste de leur métier. Elles craignent de le voir réduit à des tâches purement techniques, pensées par d’autres collègues comme étant plus valorisantes.

L’I. M. : Quel est le rôle des cadres de santé ?

S.P. : Il est déterminant. Les cadres ont tout loisir d’intégrer cette consultation dans le projet de service. Cette mise en place peut les valoriser, mais il leur faut ensuite en assumer les contraintes en termes d’organisation du service. Enfin, leur position est cruciale dans la réappropriation des différents outils nécessaires au fonctionnement de la consultation d’annonce et dans une certaine formalisation, gage de reconnaissance institutionnelle.

L’I. M. : Faudrait-il davantage formaliser le dispositif ?

S. P. : La position des infirmières est ambivalente. D’un côté, plus de formalisation peut favoriser la généralisation d’un dispositif encore trop peu développé. Ce serait également le moyen de reconnaissance le plus efficace de cette activité difficilement identifiable et quantifiable qui semble souvent perçue commele simple « supplément d’âme » d’une activité venant s’ajouter quasi bénévolement aux autres. Cette formalisation se révèle aussi indispensable à travers l’instauration de temps et d’espaces dédiés à l’annonce. Elle peut apparaître comme le garde-fou d’une personnalisation captatrice et nocive de la relation au patient. De l’autre, trop de formalisation peut constituer un frein à la réappropriation par les différents services de cette mesure. L’annonce repose sur un engagement et des compétences expérientielles qui dépassent le cadre de toute procédure. Les membres de ce groupe d’infirmières en appellent davantage au développement d’une culture partagée de l’annonce qui débouche sur des formes de ritualisation au sein des services et des établissements.

1- Sylvain Pasquier, Marie-Thérèse Garnier, Regards d’infirmières sur le dispositif d’annonce d’un cancer, Éditions Lamarre, mai 2014, 153 pages.

Plan cancer 2014-2019

Selon l’objectif 7 du plan, le dispositif d’annonce doit être renforcé dans son contenu et sa mise en œuvre.