Quels sont les besoins et attentes des femmes prises en charge pour hyperémèse gravidique ? - L'Infirmière Magazine n° 415 du 01/05/2020 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Magazine n° 415 du 01/05/2020

 

FORMATION

REVUE DE LA LITTÉRATURE

L’hyperémèse gravidique (hG) est la forme la plus grave des nausées et vomissements gravidiques (1) et nécessite, la plupart du temps, une hospitalisation. Elle touche 0,3 à 3 % des femmes dans le monde (2). En France, en septembre 2019, sur 63 201 femmes prises en charge en maternité, 7 753 l’étaient pour un diagnostic principal en lien avec des vomissements gravidiques, soit plus de 12 %, dont 6,1 % pour une HG bénigne et 3,1 % pour une HG avec troubles métaboliques (3).

À notre connaissance, aucun critère diagnostique ni traitement ne fait actuellement consensus (4) et aucune étude n’a pu démontrer l’efficacité d’une thérapeutique avec un haut niveau de scientificité sur cette pathologie. L’hypothèse étiologique actuelle est que cette entité nosologique est d’origine multi-factorielle (5).

À l’heure actuelle, les conséquences de l’HG sur la santé mentale de la femme sont connues et alertent : 46,2 % des femmes qui en souffrent présentent un trouble de l’humeur (dépression) ou un trouble anxieux, contre 14,4 % chez les femmes enceintes en général (6). L’HG est la première cause d’hospitalisation des femmes enceintes au cours du premier trimestre et la deuxième cause d’hospitalisation après la menace d’accouchement prématuré (1), et 4,3 % de ces femmes mettent fin à leur grossesse désignant pour motif leurs vomissements incoercibles (7).

Le taux de réhospitalisation lors d’une même grossesse atteint 28 % et la récurrence lors d’une future grossesse est de 26 % (1). Cette pathologie représente donc un coût non négligeable pour la société. Compte-tenu des comorbidités psychiatriques, des difficultés que rencontre le corps médical à soulager les symptômes des femmes atteintes d’HG, des hospitalisations à répétition pendant leur grossesse, que ressentent ces patientes ? Quels sont leurs besoins et leurs attentes lors de leur accompagnement par des professionnels de santé ?

Cet article vise à présenter la méthodologie de la revue de littérature et ses résultats.

MÉTHODOLOGIE

afin de formuler et préciser notre question de recherche et de réaliser une recherche bibliographique efficace et systématique, nous avons utilisé la méthode Pico. Cet acronyme définit les quatre éléments d’une question clinique (Patient, Intervention, Comparaison, Outcomes) pour réaliser une revue de littérature (8). nous avons, pour cela, utilisé la base de données PubMed.

→ Ainsi, nous avons converti nos mots-clés en termes MeSH (Medical Subject Headings), grâce au site hetop (Health Terminology/Ontology Portal, voir tableau ci-dessous). MeSh est une liste normalisée de termes utilisés pour l’analyse documentaire dans le domaine biomédical qui permet de formuler une équation de recherche.

→ Plusieurs équations de recherche ont été élaborées et testées :

(((« hyperemesis gravidarum » [MeSH] OR (« hyperemesis » [All Fields] AND « gravidarum » [All Fields]) OR « hyperemesis gravidarum » [All Fields]) AND « experience » [All Fields]) AND (« health services needs and demand » [MeSH] OR (« health » [All Fields] AND « services » [All Fields] AND « needs » [All Fields] AND « demand » [All Fields]) OR « health services needs and demand » [All Fields] OR « needs » [All Fields])) AND « partnership » [All Fields] ((« hyperemesis gravidarum » [MeSH] OR (« hyperemesis » [All Fields] AND « gravidarum » [All Fields]) OR « hyperemesis gravidarum » [All Fields]) AND « experience » [All Fields]) AND (« health services needs and demand » [MeSH] OR (« health » [All Fields] AND « services » [All Fields] AND « needs » [All Fields] AND « demand » [All Fields]) OR « health services needs and demand » [All Fields] OR « needs » [All Fields])

(« hyperemesis gravidarum » [MeSH] OR (« hyperemesis » [All Fields] AND « gravidarum » [All Fields]) OR « hyperemesis gravidarum » [All Fields]) AND « experience » [All Fields]

Les deux premières équations testées, trop restrictives, ont respectivement donné aucun résultat et cinq résultats. La dernière équation, quant à elle, a identifié 73 références bibliographiques, c’est donc celle que nous avons choisie.

→ Les critères de sélection des articles étaient :

- articles datant de moins de vingt ans ;

- articles disponibles en texte intégral.

RÉSULTATS

après sélection des articles à partir de la lecture du titre puis du résumé, trois articles ont été retenus, puis deux après lecture du texte intégral (voir Diagramme de flux ci-contre). En effet, ces deux articles concernaient spécifiquement les femmes enceintes atteintes d’HG, alors que le troisième comportait dans ses critères de non-inclusion de sa population le diagnostic d’HG.

À notre connaissance, il existe peu de littérature scientifique sur le thème de l’expérience des femmes souffrant d’HG. La plupart des études sur les femmes enceintes concernées sont quantitatives et centrées sur son étiologie, ses traitements ou ses conséquences dans une population occidentale. Les données provenant de ces articles ne s’intéressent pas au vécu et à l’expérience de ces femmes atteintes d’hG pendant leur grossesse.

Deux études se sont intéressées à ce sujet. il s’agit d’études qualitatives. L’une a été réalisée au Canada en 2019 par l’équipe de d. Groleau (Groleau D. et al. (9)) et la seconde, au royaume Uni en 2010 par l’équipe de Z. Power (Power Z. et al. (10)). nous n’avons pas recensé d’étude française.

DISCUSSION

Les deux études identifiées s’intéressent au vécu des femmes atteintes d’hG. La première étude, canadienne, menée par d. Groleau et al., compare le sens et l’expérience de l’hG des femmes natives du Canada et dans un contexte de migration. dans l’article, il n’est pas relaté si le degré d’immigration a été interrogé. La seconde étude, anglaise, menée par Z. Power et al., compare l’expérience de l’hG du point de vue des femmes affectées et les obstacles et facilitateurs à leur prise en charge du point de vue des professionnels de santé.

Ces deux études ont en commun la description de l’expérience de l’hG du point de vue des femmes atteintes, en menant une étude qualitative. La population recrutée vivait, pour les deux études, dans un milieu urbain, avait un profil multiculturel et, pour chacune, un service d’interprétariat était à disposition. De plus, la plupart des femmes interrogées étaient des primipares (première grossesse).

→ À l’inverse, la description de la population interrogée et la méthodologie utilisée sont différentes.

La population interrogée dans l’étude de d. Groleau se composait de 15 femmes entre 20 et 35 ans et vivant en couple. Pour plus de la moitié, elles étaient arrivées au Canada au cours des cinq dernières années. alors que la population interrogée dans l’étude de Z. Power se composait de 18 femmes entre 18 et 40 ans dont le statut marital n’était pas précisé. La méthodologie lors des entretiens diffère également dans les deux études retenues. L’étude canadienne s’appuie sur la passation d’une échelle EPDS (échelle de dépression périnatale d’Edimbourg) et d’un protocole d’entrevue semi-structuré : le Mini (McGill Illness Narrative Interview). Le Mini permet d’obtenir l’expérience des symptômes, le récit de la maladie et la recherche d’aide dans le domaine de la recherche en santé. il vise à recueillir un riche matériel narratif qui peut être utilisé pour l’analyse de données qualitatives et quantitatives. il se compose de 38 questions rassemblées en cinq sections relatives à l’enchaînement des événements liés au problème de santé ; le récit des prototypes (raisonnement analogique) ; le récit des modèles explicatifs (raisonnement causal) ; le récit de l’utilisation des services et de l’adhésion aux traitements et l’impact sur la vie. il a été traduit et utilisé dans la recherche interculturelle dans de nombreuses cultures et contextes, pour explorer diverses questions et conditions de santé. L’étude anglaise a utilisé l’entretien semistructuré mais l’article ne mentionne pas les questions posées, l’auteur les dit relatives à l’expérience de la condition et sur l’effet physique, social et psychologique de cette expérience, sur l’expérience de l’hospitalisation et sur l’effet du traitement à l’hôpital et dans la communauté.

→ Les thèmes abordés par les femmes dans ces deux études sont :

- dans l’étude canadienne, un sentiment personnel de méconnaissance concernant l’HG, la minimisation des symptômes par l’entourage, et le fardeau de l’HG (anxiété, dépression, isolement social, entrave dans l’investissement de la grossesse), le manque de connaissance médicale des professionnels de santé, l’importance du soutien social. Cette étude souligne que le contexte de migration augmente le fardeau.

- dans l’étude anglaise, la fatigue, l’anxiété, les troubles émotionnels que représente l’HG, sa gestion (tentative de développement de stratégies de gestion de symptômes) et le sentiment d’impopularité auprès des professionnels de santé rencontrés lors de leur parcours de soins. Les thèmes abordés par les professionnels de santé étaient l’invalidité des hospitalisations pour les femmes affectées (admissions vues comme une perte de temps et de ressources) et la dimension psychologique et sociale de l’HG.

Les deux études s’accordent donc, dans leurs résultats, sur le fardeau que représente l’HG dans la vie des femmes et leurs difficultés dans leurs relations avec les professionnels de santé. Qu’en est-il en France ? Quelles sont leurs attentes dans leurs parcours de soin ? Ces attentes évoluent-elles au fil de leur grossesse ? aucune étude française, à notre connaissance, ne s’est intéressée à ce thème.

CONCLUSION

Cette revue de littérature a été importante car elle a mis en exergue le manque d’études scientifiques s’intéressant à l’expérience des femmes ayant été atteintes d’HG pendant leur grossesse, particulièrement en France. Cette méthode d’approche a permis de formuler la question de recherche d’un mémoire de master sciences cliniques en soins infirmiers : « Quelle expérience vivent les femmes enceintes atteintes d’HG en France ? » et dont l’objectif principal est de décrire, de manière longitudinale, l’expérience des femmes enceintes atteintes d’HG dans le contexte français.

Dans les suites des résultats de l’étude qualitative rétrospective pilote en cours d’analyse, nous envisageons la perspective de réaliser une recherche de plus grande envergure dans le cadre d’un Programme hospitalier de recherche infirmière et paramédicale.

BIBLIOGRAPHIE

  • 1. Fiaschi L., Nelson-Piercy C., Tata L. J., « Hospital admission for Hyperemesis Gravidarum : a nationwide study of occurence, reoccurrence and risk factors among 8.2 million pregnancies », Human reproduction, n° 31, vol. 8, août 2016, pp. 1 675-1 684.
  • 2. Campbell K. et al., « SOGC Clinical Practice Guideline. The management of Nausea and Vomiting of pregnancy », Journal of obstetrics and gynecology Canada, n° 38, vol. 12, décembre 2016, pp. 1 127-1 137.
  • 3. Scan santé, « Affection de l’ante partum sans intervention chirurgicale. Répartition par diagnostics principaux pour l’ensemble des établissements, France entière », septembre 2019. À voir en ligne sur : bit.ly/39SxhVI
  • 4. Bustos M., Venkataramanan R., Caritis S. « Nausea and vomiting of pregnancy : what’s new ? », Autonomic Neuroscience : Basic and Clinical, n° 202, janvier 2017, pp. 62-72.
  • 5. Campbell K., Rowe H., Azzam H., Lane C.A., « The Management of Nausea and Vomiting of Pregnancy », Journal of Obstetrics and Gynaecology Canada, n° 38, vol. 12, décembre 2016, pp. 1 127-1 137.
  • 6. Ducarme G., Dochez V., « Vomissements incoercibles de la grossesse : mise au point », La Presse médicale, n° 44, vol. 12, décembre 2015, pp. 1 226-1 234.
  • 7. London V., Grube S., Sherer D.M., Abulafia O., « Hyperemesis Gravidarum : A Review of Recent Literature », Pharmacology, n° 100, vol. 3-4, 2017, pp. 161-171.
  • 8. Van Den Bruel A., Chevalier P., Vermeire E., Aertgeerts B., Butinx F., « Du Pico aux termes de recherche par Internet : comment accéder à l’information pertinente ? Les nouveaux Coxibs : ont-ils réellement une meilleure sécurité digestive ? », Revue médicale de Liège, n° 59, vol. 11, 2005, pp. 671-675.
  • 9. Groleau D. et al., « Hyperemesis Gravidarum in the context of migration : when the absence of cultural meaning gives rise to “blaming the victim” », BMC Pregnancy and Childbirth, n° 19, vol. 197, 2019.
  • 10. Power Z. et al., « Understanding the Stigma of Hyperemesis Gravidarum : Qualitative Findings from an Action Research Study », Birth, n° 37, vol. 3, septembre 2010, pp. 237-244.

CHAQUE MOIS, UNE INFIRMIÈRE RÉALISE UNE REVUE DE LA LITTÉRATURE À PARTIR D’UN QUESTIONNEMENT SUR SA PRATIQUE ET VOUS LIVRE LE RÉSULTAT DE SES RECHERCHES.

EN PARTENARIAT AVEC : LA COMMISSION NATIONALE DES COORDONNATEURS PARAMÉDICAUX DE LA RECHERCHE

ARTICLE RÉALISÉ PAR :

AUDE SIBERT infirmière de l’équipe mobile du réseau de psychiatrie périnatale, pôle Univa, au centre hospitalier Charles-Perrens à Bordeaux, étudiante en Master 2 sciences cliniques en soins infirmiers dispensé par Sainte-Anne formation et l’université Versailles-Saint-Quentinen-Yvelines sibert.

aude@gmail.com

L’auteure déclare ne pas avoir de liens d’intérêts

COORDINATION :

VALÉRIE BERGER IDE, Ph. D., cadre supérieure de santé, coordonnatrice de la recherche en soins CHU de Bordeaux, membre de la CNCPR, maître de conférences associé temporaire, université de Bordeaux.

valerie.berger@chu-bordeaux.fr

EMMANUELLE CARTRON IDE, Ph. Ds., coordonnatrice de la recherche en soins CHU de Nantes, membre de la CNCPR.

emmanuelle.cartron@chu-nantes.fr