LES PATIENTS CHRONIQUES, L’AUTRE URGENCE - L'Infirmière Magazine n° 415 du 01/05/2020 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Magazine n° 415 du 01/05/2020

 

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LAURE MARTIN  

Cardiaques, diabétiques, cancéreux, insuffisants rénaux… Qu’advient-il de la prise en charge des patients chroniques durant la crise sanitaire ? Le suivi médical doit être assuré pour éviter des décompensations massives. Mais, dans certains cas, il semble faire défaut.

Nous minimisons les va-et-vient des patients afin de réduire les risques de contamination au Covid-19, explique Aurélie Geyer, infirmière de coordination en urologie à l’Institut de cancérologie de Strasbourg (Icans). Les consultations qui ne nécessitent pas de perfusion sont reportées ou faites par téléphone. Mais le risque de passer à côté de quelque chose est réel, car les patients ne savent pas toujours bien décrire leur ressenti par téléphone. » « Nous avons un souci majeur, poursuit Gérard Raymond, président de France assos santé. Certes, il faut être mobilisé contre le virus, mais les patients atteints de pathologies chroniques ne doivent pas être abandonnés. Ils méritent des soins et des traitements de qualité. »

Patients non prioritaires

Depuis le début de la crise sanitaire, les associations de patients et les professionnels de santé alertent sur la nécessité de continuer le suivi médical des patients chroniques. Report ou annulation des consultations, renvoi au domicile des patients pris en charge à l’hôpital… Priorité est donnée aux patients contaminés par le Covid-19. La situation inquiète. La Société française de cardiologie et la Société française neurovasculaire ont rappelé dans un communiqué que les affections cardio et neurovasculaires peuvent engager le pronostic vital et fonctionnel des patients si elles ne sont pas prises en charge en urgence en milieu hospitalier, ainsi de l’infarctus du myocarde, de l’AVC ou encore de l’accident ischémique transitoire. Elles rappellent également aux professionnels l’importance de ne pas négliger les symptômes d’alerte d’urgence cardiovasculaire et neurovasculaire et d’être vigilants à la poursuite des traitements prescrits au long cours. En néphrologie, « les greffes, notamment les greffes préemptives, n’ont plus lieu », informe le Dr Brigitte Thevenin-Lemoine, néphrologue et conseillère médicale de l’association France rein. « Les patients ayant besoin de suppléances et ne pouvant être greffés doivent donc être mis sous dialyse. » Mais un autre problème se pose. « Nous avons des difficultés à les opérer pour mettre en place leur fistule artério-veineuse, fait-elle savoir. Les anesthésistes étant mobilisés par les patients Covid-19, les blocs ne sont pas tous opérationnels. Nous réfléchissons donc à des collaborations avec les établissements ne recevant pas de patients Covid-19. »

Il faut surveiller les insuffisants rénaux diabétiques, hypertendus ou avec des problèmes vasculaires, qui peuvent à tout moment décompenser, surtout s’ils ne sont pas observants. « Ils doivent être suivis par leur médecin traitant ou leur diabétologue afin d’éviter des complications gravissimes de leur maladie, mais nous ne savons pas si ce suivi est possible », note le Dr Thevenin-Lemoine. Les médecins spécialistes libéraux s’inquiètent aussi de cette absence de suivi, qui vient parfois des patients eux-mêmes. Se sachant plus à risque d’être contaminés par le Covid-19, certains n’honorent pas leur rendez-vous. « Nous ne voyons plus nos patients, s’alarme le Dr Patrick Gasser, gastro-entérologue et président de l’Umespe (1). On leur a dit de se confiner, alors ils le font. Nous craignons de les perdre de vue et d’avoir, à terme, des effets collatéraux du Covid-19, de les retrouver en décompensation avec une aggravation de leur maladie. »

Bénéfices/risques et perte de chance

À l’Icans, c’est le médecin référent du service qui décide du maintien des consultations. « Les équipes médicales évaluent en termes de bénéfices/ risques l’intérêt de faire venir le patient à l’hôpital pour le protéger d’un risque d’infection au Covid et de ne pas perdre de chance par rapport au traitement de sa maladie », indique Laure Guéroult-Accolas, fondatrice de Patients en réseau. « Ces changements de prise en charge nous demandent un temps de travail conséquent car il faut tout prévoir en aval, rapporte Aurélie Geyer. Pour certains patients, nous sommes même amenés à envoyer le traitement au domicile pour éviter un déplacement. » Les patients récemment diagnostiqués pour un cancer sont toujours reçus afin de mettre en place le traitement. En revanche, sauf urgence, les scanners sont annulés, après une décision pluridisciplinaire, pour les patients devant se faire dépister, notamment car les scanners sont dédiés aux patients Covid. « Quelles seront les conséquences pour ces patients  ?, s’interroge Aurélie Geyer. Ils pâtissent de cette situation indirectement. En tant que soignant, c’est angoissant de ne pas pouvoir offrir de prise en charge optimale. » « Nous nous inquiétons de ce freinage sur les diagnostics, renchérit Laure Guéroult- Accolas. La situation risque d’être problématique dans quelques semaines car, pour certaines pathologies, il faut mettre en place un traitement adapté le plus vite possible. »

Des solutions alternatives

L’annulation des consultations ne signifie pas pour autant qu’aucun suivi n’est proposé aux patients chroniques. « Cette crise offre l’opportunité de regarder comment nous pouvons mieux nous organiser pour suivre les patients chroniques, qui ne nécessitent pas systématiquement de rendez-vous physique, en développant la téléconsultation ou les échanges par téléphone », soutient Gérard Raymond. « Aujourd’hui, la téléconsultation se met en place pour le suivi des pa tients transplantés, indique justement Didier Borniche, président de l’AFIDTN (2). Cela permet de conserver le contact avec le patient en lui évitant d’avoir à prendre la route pendant cette épidémie. C’est un moindre mal. » « Nous pouvons tout à fait gérer nos échanges avec nos patients de cette manière, poursuit le Dr Gasser. Nous appelons d’ailleurs l’État à inciter les patients chroniques à continuer leur consultation avec leur médecin par ordinateur ou téléphone. »

Autre solution qui prend de l’ampleur : des plateformes, des logiciels et des applications permettant le suivi des patients à distance. « On évaluera plus tard les meilleures solutions, lance Gérard Raymond. Pour le moment, il est important que les patients disposent d’un moyen de contacter leur professionnel de santé rapidement pour éviter une évolution des situations problématiques vers des situations d’urgence. »

À l’Icans, le service d’urologie utilise une plateforme qui permet aux patients de remplir un questionnaire afin d’informer les soignants de l’évolution de leur pathologie. « C’est indispensable que les professionnels de santé soient attentifs aux symptômes afin d’adapter les traitements, indique Laure Guéroult-Accolas. Certes, il faut éviter les déplacements mais il faut maintenir une vigilance. »

Les IDE à la rescousse

En ambulatoire, il est plus que jamais possible de compter sur les infirmières libérales ainsi que sur les infirmières de pratique avancée (IPA) ou Asalée pour le suivi des patients chroniques. « Elle peut jouer le rôle d’interface entre le médecin spécialiste et le patient, par exemple lorsqu’il faut équilibrer l’insuline », soutient le Dr Gasser.

« À la différence des médecins qui attendent l’appel des patients, de mon côté, je contacte tous les patients chroniques dont j’assure le suivi afin d’éviter les situations d’urgence », fait savoir Cécile Barrière, IPA dans une MSP (3) et une CPTS (4) en Pays d’Arles, expliquant demander par téléphone aux patients insuffisants cardiaques de se peser. En cette période de crise, elle est confrontée à des patients qui mettent leur pathologie au second plan, de peur de déranger le médecin ou d’être contaminés par le Covid-19. Il est rare que son appel ne débouche pas sur une action comme la prescription d’une prise de sang ou une modification du traitement, « peut-être même plus qu’avant, reconnaît-elle. J’ai un rôle à jouer pour éviter les décompensations. »

De son côté, Danielle Sené, infirmière Asalée au sein d’une MSP hors les murs à la Goutte-d’Or (Paris, XVIIIe), a réorganisé la prise en charge des patients chroniques, dans ce quartier marqué par une grande précarité sociale. « Généralement, j’organise des ateliers d’éducation thérapeutique mais nous les avons arrêtés », explique-t-elle. Pour les consultations, un roulement a été mis en place entre les patients asymptomatiques reçus le matin, et les autres l’après-midi. « J’incite les patients chroniques à ne plus venir au cabinet, indique-t-elle. J’ai mis en place des consultations téléphoniques avec une permanence pour qu’ils puissent me joindre à tout moment. Mais je n’ai plus de nouvelles de certains patients. Cela peut être lié à leur situation de précarité, peut-être n’ont-ils pas pu renouveler leur carte de téléphone. » Le problème, c’est que l’une des missions de Danielle Sené est de travailler sur la modification des modes de vie des patients, donc sur leur activité physique et leur alimentation. « Comme je ne les vois plus, j’imagine qu’ils mangent moins bien ou qu’ils ne font plus d’activité physique, craint-elle. Les risques sont donc majorés et les conséquences seront importantes pour la suite. »

« Dans notre pays, nous ne savons avancer et progresser que par crise, soutient Gérard Raymond. Il fallait celle-ci pour nous rendre compte que nous pouvons organiser notre système de santé en ambulatoire, particulièrement pour la prise en charge des pathologies chroniques. Les citoyens doivent adopter de nouveaux comportements vis-à-vis de l’offre de soins. Les infirmières sont un relai important et efficace sur ce sujet. »

1- Union nationale des médecins spécialistes confédérés.

2- Association française des infirmières de dialyse, transplantation et néphrologie.

3- Maison de santé pluriprofessionnelle.

4- Communauté professionnelle territoriale de santé.

SOURCES UTILES

La Haute Autorité de santé (HAS) a publié des recommandations à destination des professionnels de santé intitulées « Réponses rapides dans le cadre du Covid-19 ». Elles concernent neuf maladies chroniques pour lesquelles sont donnés des repères et outils pour la prise en charge, le suivi et le parcours de soins du patient. Ceci afin de garantir la continuité des soins de ces patients et éviter ainsi l’aggravation de leur état de santé.

bit.ly/3aprY0n