La béquille pour reprendre pied - L'Infirmière Magazine n° 415 du 01/05/2020 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Magazine n° 415 du 01/05/2020

 

INFIRMIÈRE EN CMP

CARRIÈRE

PARCOURS

ÉLÉONORE DE VAUMAS  

Accueillir, orienter, soutenir, éduquer. Telles sont les missions des IDE en CMP, pour améliorer la qualité de vie des patients atteints de troubles psychiques. Un rôle qui requiert une bonne capacité d’écoute et une grande autonomie.

Qu’il s’agisse d’accueillir une personne souffrant de troubles psychiques transitoires, de coordonner la prise en charge psycho-médicosociale de patients atteints de pathologies psychotiques avérées ou d’organiser des actions d’intervention et de prévention à domicile, les centres médico-psychologiques (CMP) sont les lieux privilégiés pour recevoir les signalements, consulter, orienter, accompagner, prévenir et coordonner les soins de la population concernée. Service public, ils constituent, dans leur territoire, le pivot du dispositif de prévention et de soins de la santé mentale de proximité(1).

En leur sein, la place des infirmières y est prééminente, auprès des médecins psychiatres, psychologues, assistantes sociales ou encore art-thérapeutes et ergothérapeutes. Une place qui peut varier selon les centres : ruraux ou urbains, excentrés ou pas par rapport à l’hôpital, regroupés avec d’autres CMP… « En tant que structure extrahospitalière publique, nous sommes tenus de recevoir tous les publics. Il peut s’agir de personnes souffrant d’une névrose sévère, d’un alcoolisme envahissant, de troubles alimentaires handicapants ou ayant des envies suicidaires, comme de gens en recherche d’appui parce qu’ils traversent une période difficile (deuil, chômage, séparation, etc.). Quant à l’âge, nous accueillons les adultes dès 18 ans. En deçà, les patients sont dirigés vers les CMPP, qui s’adressent aux enfants et adolescents », décrit Catherine Dejoie, IDE et art-thérapeute au CMP Boncenne du CH Henri-Laborit de Poitiers (86).

UN PREMIER CONTACT DÉTERMINANT

Le premier contact avec le personnel soignant du CMP est semblable d’un centre à l’autre. Après un bref passage par le secrétariat, les personnes, qui se présentent spontanément ou sont adressées par un médecin traitant ou par un travailleur social, sont dirigées vers une infirmière du centre qui les reçoit pour un entretien dit « d’accueil et d’orientation ». « Ce rendez-vous, qui dure environ une heure, est crucial, fait savoir Stellina Abdelouahed, infirmière d’un CMP urbain de l’établissement public de santé mentale (EPSM) de la Sarthe depuis deux ans. Certains patients sont bien connus du CMP car ils le fréquentent depuis des années. D’autres n’ont jamais vu un professionnel auparavant. Pour ceuxlà, il est important de prendre le temps nécessaire pour apprendre à les connaître. »

Il s’agit, en effet, de bien repérer leurs difficultés, leurs envies et leurs besoins, en procédant à un recueil de données précis, de façon à pouvoir réaliser un diagnostic des besoins biologiques, psychologiques et sociaux et, en fonction de la situation clinique, envisager un projet de soins. Ces informations, qui sont systématiquement retranscrites dans un dossier de soins informatisé, servent également à l’équipe soignante de la structure pour évaluer les signes évocateurs d’une éventuelle décompensation. « Une part importante de notre patientèle est composée de personnes souffrant de pathologies psychotiques connues. Si elles sont normalement stabilisées lorsqu’elles se rendent en centre médico-psychologique, leur venue au CMP est un bon moyen de surveiller l’évolution de leur état et de s’assurer de leur bonne conformité au traitement le cas échéant », complète Nathalie Basire, infirmière cadre de santé de structures extrahospitalières dans le XVe arrondissement de Paris.

Certains centres, comme le CMP Signes au CH Henri-Laborit de Poitiers ou le centre Javel-Eugène Millon à Paris, se sont spécialisés dans l’accueil et les consultations en langue des signes pour offrir une prise en charge aux usagers sourds. Un peu partout en France, les CMP doivent également faire face à une augmentation du nombre de personnes allophones, nécessitant le recours à des interprètes, généralement financés par les hôpitaux. « Cela demande une autre organisation », avertit Valérie Rocco, infirmière au CMP de la Villa-Albert, attaché au centre hospitalier Gérard-Marchant de Toulouse (31). « C’est souvent un intervenant social qui appelle pour eux avant de nous les adresser. Ensuite, pour leur permettre d’assister à nos consultations, nous travaillons en partenariat avec une association qui détache des interprètes. »

DES SOINS SUR-MESURE

Malgré une file active de patients qui compte généralement entre 40 et 50 patients, les infirmières du CMP s’attachent à proposer un suivi et un accompagnement adaptés à chacun. Après le premier entretien, chaque nouvelle demande est présentée par l’IDE qui en a la charge, et discutée collégialement avec le médecin psychiatre, l’ensemble de l’équipe infirmière, les psychologues et les assistantes sociales. Mise en place d’activités à visée thérapeutique, éducation aux règles d’hygiène, surveillance de la conformité au traitement, rendez-vous médicaux… ces réunions cliniques, qui peuvent avoir lieu chaque matin ou une fois par semaine, visent à construire des programmes de soins sur-mesure. « Nous avons parfois affaire à des situations complexes qui nous obligent à aménager en continu notre suivi. La prise en compte de la personne, de l’environnement dans lequel elle vit : tous ces éléments sont des indicateurs qui nous aident à ajuster notre prise en charge à leurs besoins », expose Valérie Rocco. Pour faciliter l’accès à leur public, les CMP sont ouverts du lundi au vendredi, de 9 à 17 h pour un accueil physique, et de 17 à 19 h pour des permanences téléphoniques, durant lesquelles les IDE se relaient à tour de rôle, deux par deux. Parfois, cependant, l’équipe peut décider d’orienter une personne vers un autre CMP, des professionnels libéraux, une autre structure psychiatrique en milieu ouvert (CATTP(2)), l’hôpital ou une consultation médicale en urgence. Ces choix s’opèrent selon le secteur géographique, les revenus, mais aussi l’état du patient au moment où il se présente au CMP.

LA VISITE À DOMICILE, UNE SPÉCIFICITÉ

Spécificité de l’exercice en CMP : les IDE sont souvent amenées à se déplacer avec leurs patients dans la cité. Pour un rendez-vous médical, pour faire des courses… dès lors que l’équipe soignante estime que la maladie entrave les déplacements en solo, l’IDE référente s’organise pour être présente aux côtés du patient. Un suivi renforcé, dont le succès repose entièrement sur la qualité du lien soignant/soigné. « Tout est dans la relation qu’on va réussir à tisser avec le patient. C’est une question de confiance ! D’où l’intérêt d’avoir des soignants qui les connaissent et qui, en cas d’alerte, peuvent organiser un rendez-vous médical en urgence », appuie Catherine Dejoie. Confiance qui, une fois gagnée, permet aussi de mettre en place un service de visites à domicile (VAD), une autre des composantes de l’exercice infirmier en CMP. Bien qu’elles ne soient pas systématiques, ces visites, effectuées sur prescription médicale, participent d’une meilleure connaissance du patient et d’une évaluation précise de son autonomie. Le tout en vue de maintenir la personne psychotique loin de l’hôpital aussi longtemps que possible. Une indication que Stellina Abdelouahed juge incontournable dans le contexte d’une pathologie au long cours : « Si, lors d’une visite, nous constatons que le logement d’un patient est mal tenu ou insalubre, on peut décider, avec l’aval du médecin, d’intervenir rapidement, en binôme avec un assistant social par exemple, pour lui faire reprendre pied », illustre l’IDE sarthoise, dont le quotidien est rythmé par les VAD. Ces visites sont aussi prétexte à éduquer. « Au-delà du suivi thérapeutique, nous avons une fonction plus large d’éducation à la santé auprès du patient, qui balaie la connaissance de la maladie, de l’hygiène et de l’organisation à domicile. Tout cela rentre dans le grand chapeau de la réhabilitation médicosociale, qui vise à éviter les rechutes », abonde Nathalie Basire.

RÔLE DE COORDINATION

Pour garantir la continuité des soins, les CMP nouent, dans et hors les murs, des partenariats avec les acteurs médicosociaux et sanitaires, qui leur permet un accès prioritaire si besoin : CCAS (centres communaux d’action sociale), SSAD (services de soins à domicile), Idel, Maia (maisons pour l’autonomie et l’intégration des malades d’Alzheimer), médecins du travail, travailleurs et bailleurs sociaux… Maillon fort de cette chaîne pluridisciplinaire, les IDE orchestrent, avec autant de flexibilité que possible, l’ensemble de ces intervenants professionnels avec leurs patients. « On coordonne, on fait du lien, on s’occupe des traitements, des papiers de nos patients, on connaît leur famille, on leur rend visite, etc. Étant souvent en première ligne, nous sommes un repère important pour les usagers, mais aussi pour tous nos partenaires qui savent à qui s’adresser pour obtenir des informations », étaye Morena Souza, IDE au CMP Villa-Albert de Toulouse. Pas question pour autant de se substituer aux autres professionnels. « Nous ne sommes ni psy ni assistante sociale ni médecin. Notre excellente connaissance du réseau nous permet cependant de savoir vers qui nous tourner lorsque les besoins dépassent nos compétences », signale Stellina Abdelouahed. Toute décision concernant l’orientation des usagers est prise en étroite collaboration avec le médecin-chef du CMP. De même, bien que souvent seules en entretien, les IDE sont loin d’être isolées sur le terrain. « Tous les matins, nous assistons à un temps d’échange en visioconférence avec l’hôpital de jour, le service d’hospitalisation et les deux autres CMP. On est au courant des entrées et sorties de patients, de ceux qui vont moins bien. On sait aussi qu’on peut passer une tête dans le bureau de nos collègues pour demander un coup de main », poursuit l’infirmière.

AUTONOMIE, SANG-FROID ET ÉCOUTE

Cette solidarité est d’autant plus précieuse que le personnel exerçant en CMP est parfois confronté à des situations d’agressivité ou de violence, bien que moins fréquentes en ambulatoire qu’en intra-hospitalier. La force de l’équipe, une bonne ration de sang-froid et quelques années d’expérience s’avèrent alors nécessaires pour y faire face. « Il faut avoir un peu de bouteille pour pouvoir appréhender cela », certifie Catherine Dejoie. Savoir dédramatiser et rassurer en utilisant un vocabulaire adapté à la personne et aux situations sont aussi des compétences indispensables dans ces momentslà. Aptitudes qui s’accompagnent au jour le jour d’une grande capacité d’autonomie. « On a le devoir professionnellement d’être très autonomes, afin de pouvoir réagir vite s’il le faut. En outre, si la clinique le nécessite, on peut décider de rapprocher la fréquence des entretiens individuels, en laissant une trace dans le dossier du patient, voire d’amorcer une orientation vers une structure ou un autre professionnel plus spécifique (urgences, service d’admission, addictologie, soins somatiques) », illustre Valérie Rocco. Ce qui suppose d’excellentes qualités d’écoute, de sorte qu’un climat de confiance s’instaure. « Au CMP, les gens déposent les choses. C’est souvent la première fois qu’ils parlent à quelqu’un. Il faut pouvoir les écouter et être capable d’entendre des histoires de vie parfois très difficiles », estime Stellina Abdelouahed. En fait, résume Nathalie Basire, « la part du relationnel est fondamentale. Dans notre fonction d’infirmière, cela doit faire partie d’une écoute à la fois attentive, bienveillante, qui nécessite parfois de réinterroger le sens du soin ambulatoire, mais c’est tout l’intérêt de faire de l’extrahospitalier. »

1 - Pour en savoir plus, lire les « Dix commandements du CMP » sur : bit.ly/2JrzXPo

2 - Centre d’activité thérapeutique à temps partiel.

JURIDIQUE

Un cahier des charges spécifique

→ L’exercice infirmier en CMP n’est défini par aucun texte juridique spécifique. Sa législation suit les mêmes règles que les IDE en soins somatiques. Il comporte ainsi la réalisation d’actes et soins infirmiers, le recueil de données cliniques et épidémiologiques, la participation à des actions de prévention, de dépistage et d’éducation à la santé et la mise en relation avec les institutions du secteur sanitaire et médico-social. L’IDE travaille dans un secteur géographique donné tel que la psychiatrie de secteur l’a défini(1).

→ Dans le cadre de leur rôle propre en santé mentale, cependant, les IDE doivent assurer une permanence et un accueil de la personne et de son entourage(2). Selon le projet défini dans la structure, elles peuvent aussi être sollicitées pour conduire des entretiens individuels, afin d’évaluer l’état clinique du patient, d’assurer un soutien ou d’initier un projet de soin. C’est aussi à elles que revient la mission d’aider les patients dans leurs démarches administratives et professionnelles. Il peut leur être demandé, en outre, d’animer des activités à visée socio-thérapeutique, individuelles ou en groupe. Tous ces gestes font l’objet d’un compte-rendu d’exécution transcrit dans le dossier de soins infirmiers, accessible aux professionnels de la structure concernés par la prise en charge.

→ En l’absence d’un médecin, l’IDE en santé mentale est aussi habilitée, après avoir reconnu une situation comme relevant de l’urgence ou de la détresse psychologique, à mettre en œuvre des protocoles de soins, en attendant qu’un médecin puisse intervenir. Elle peut ainsi prendre toutes les mesures afin d’amorcer l’orientation d’une personne vers la structure de soins appropriée à son état. La visite à domicile, quant à elle, est un soin sur prescription médicale. Pour des personnes psychotiques, elle représente un mode de prise en charge à visée d’évaluation, d’urgence, curative ou préventive.

C’est un acte qui nécessite la dissipation des craintes de la personne. L’intentionnalité de l’infirmière est d’être acceptée par et dans sa mission.

1 - Loi n° 85-1468 du 31 décembre 1985 relative à la sectorisation psychiatrique.

2 - Décret du 29 juillet 2004 relatif à l’exercice infirmier.

FORMATION

Un approfondissement bienvenu

→ Aucun diplôme spécifique n’est requis pour exercer en CMP. En pratique, toutefois, rares sont les jeunes diplômées affectées dès la fin de leurs études vers ces structures. Sur ce poste, ce sont souvent des IDE qui ont bénéficié d’abord d’une première expérience intra-hospitalière. L’affectation en milieu ouvert intervient, en général, à partir de la 4e année de pratique professionnelle. Une certaine connaissance des pathologies psychiatriques est un plus. Dans ce contexte, une formation complétant les savoir-faire acquis durant le cursus universitaire et les premières années d’exercice est utile.

→ À titre d’exemple, le DU santé mentale à l’université Paris-Est Créteil (Upec) propose d’acquérir les fondamentaux du secteur. À l’université Paris-Diderot, le DU de psychothérapie institutionnelle et psychiatrie de secteur retrace l’histoire de la psychiatrie et est accessible, entre autres, aux personnels de soins infirmiers(1). Les universités de Lyon, Nantes ou Toulouse dispensent aussi des DU/DIU en santé mentale, psychoéducation, Case management.

→ D’autres organismes assurent des formations continues pour qui voudrait approfondir des compétences comme « urgence et crise en psychiatrie », « approches de l’ethnopsychiatrie », « violence et agressivité en psychiatrie », « l’entretien solutionniste et Palo Alto »….

1 - Voir sur : bit.ly/2R4qfXz