La démission dans le secteur privé | Espace Infirmier
 

L'infirmière Magazine n° 371 du 01/05/2016

 

CARRIÈRE

GUIDE

Annabelle Alix  

La démission permet au salarié de quitter son emploi de manière simple et définitive. Mais attention, même si elle peut faire l’objet de négociations, la procédure doit respecter certaines règles.

Martine, infirmière, a trouvé un emploi mieux rémunéré. Quant à Valérie, sa collègue de service, elle a choisi de suivre son compagnon muté dans le sud de la France. L’une comme l’autre ont remis aujourd’hui leur démission au directeur. La démission est un acte de procédure enclenché à l’initiative du salarié, qui dépend de sa seule volonté… Mais qui ne lui donne pas toutes les libertés. Retour sur les droits et les devoirs du salarié.

Démission… ou rupture à l’amiable

• Inutile de fournir un motif. Chacun est libre de quitter son entreprise à sa guise. À condition, toutefois, d’être lié avec elle par contrat à durée indéterminée (CDI). Il est alors possible de démissionner à tout moment, même au cours d’un congé maternité ou d’une autre période durant laquelle le contrat est suspendu.

• Les salariés recrutés en contrat à durée déterminée (CDD) ne peuvent, eux, avoir recours à la démission. Ils ont toutefois la possibilité de rompre leur contrat de manière anticipée dans certains cas, listés par la loi : accord avec l’employeur, obtention d’un CDI par ailleurs, force majeure, faute grave de l’employeur ou inaptitude constatée par le médecin du travail. En pratique, « il est de plus en plus fréquent de voir un salarié demander à rompre un CDD… Et de nous voir accepter une rupture à l’amiable », observe Stéphanie Blazer, directrice des ressources humaines pour l’association d’aide, soins et hospitalisation à domicile Assad-HAD en Touraine. L’employeur n’est pas tenu d’accepter ce départ, mais d’un point de vue pratique, il peut y voir un avantage de taille. Maintenir dans l’entreprise un salarié contre son gré, alors qu’il a déjà mis un pied dehors, peut s’avérer peu productif…

Un préavis à respecter

• La démission peut être annoncée à l’oral ou par écrit. Elle ne doit pas être abusive (avoir pour but de nuire à l’employeur). « Il y a abus, par exemple, quand le salarié omet volontairement de respecter son préavis en période de grand rush dans l’entreprise, développe Éric Rocheblave, avocat en droit social au barreau de Montpellier (lire interview ci-contre). Le salarié pourrait alors se voir condamné à verser des dommages et intérêts à son employeur. »

• En cas de démission, le respect du préavis inscrit au contrat de travail ou dans la convention collective s’impose. Il offre à l’employeur un temps pour se préparer au départ du salarié et prévoir son remplacement.

• La durée de ce préavis est la même pour le salarié qui travaille à temps partiel et celui recruté à temps plein. « La convention collective de l’hospitalisation privée impose un préavis d’un mois aux non-cadres, de deux mois aux cadres, et de trois mois aux cadres administratifs de gestion ayant plus de deux ans d’ancienneté en tant que cadre et dont le coefficient de référence est au moins égal à 715 », précise Julien Pérony, juriste en droit social à l’Assad-HAD Touraine. Celle de la branche de l’aide, de l’accompagnement, des soins et des services à domicile (BAD) de 2010 prévoit un préavis d’un mois, avant deux ans de service dans la structure, et un préavis de deux mois au-delà (pour une infirmière classée parmi les agents de maîtrise, ou en catégorie E). « Il en va de même pour les cadres relevant de la BAD et qui sont rattachés à la catégorie F, ajoute Julien Pérony. Pour ceux des catégories suivantes, le préavis passe à deux mois, avant deux ans d’ancienneté, et il est porté à quatre mois au-delà. » Dans la branche de l’hospitalisation privée, il est de trois mois pour tous les cadres, sauf pour les cadres supérieurs ou dirigeants, qui doivent s’acquitter d’un préavis de six mois.

Dispenses possibles

• L’infirmière peut être dispensée de préavis si sa démission intervient pendant sa grossesse, à la suite d’un congé pour création d’entreprise, ou encore si elle a pour but d’élever un enfant.

• En dehors de ces situations, elle peut toujours formuler une demande de dispense à son employeur… Autre alternative : à défaut d’être supprimé, le préavis peut se voir réduit, toujours avec l’accord de l’employeur.

• La part de préavis non effectuée ne donnera lieu à aucune compensation financière si elle est demandée par le salarié. Il en est autrement quand cette proposition émane de l’employeur. Une indemnité compensatrice de préavis est alors versée au salarié démissionnaire, qui se trouve brusquement privé d’emploi. Son montant est celui du salaire que l’infirmière aurait perçu si elle avait effectué son préavis.

• À noter : Le salarié qui remet sa démission alors que son contrat est suspendu (congé maternité…) devra donc reprendre son activité à la date de retour prévue si le terme de son préavis n’est pas encore atteint.

Fin de contrat

• L’infirmière démissionnaire qui n’a pas soldé tous ses congés perçoit une indemnité compensatrice de congés payés. Elle peut aussi demander le déblocage anticipé de son épargne salariale.

• À noter : le salarié en CDD qui a négocié une rupture de contrat a l’amiable perçoit ses indemnité de congés payés et de fin de contrat. « Celles-ci sont calculées au prorata du temps passé dans l’entreprise, détaille Julien Pérony. En pratique, la rupture d’un CDD à l’amiable se traduit en fait par une simple avancée du terme du contrat dans le temps. »

• L’employeur remet au salarié démissionnaire un certificat de travail, une attestation dédiée à Pôle emploi et un reçu pour solde de tout compte qui signe la rupture du contrat.

• De façon générale, la démission ne donne pas droit au versement de l’aide au retour à l’emploi (ARE) par Pôle emploi (sauf exceptions : déménagement lié à un mariage, à un Pacs ; pour raison professionnelle du conjoint ou pour suivre un enfant handicapé admis dans une structure d’accueil ; faute de l’employeur comme le non-paiement des salaires, infraction prouvée par document de justice…).

• Dans la plupart des cas, l’IDE devra donc se passer d’allocations chômage pendant les premiers mois. Puis son dossier sera réexaminé, à sa demande, par Pôle emploi, quatre mois après sa démission. Avec, cette fois, le versement possible de l’ARE à la clé.

• À noter : plutôt que démissionner, de nombreux salariés préfèrent négocier une rupture conventionnelle. Seul hic, l’employeur doit alors leur verser des indemnités dont le montant atteint, au minimum, celui des indemnités de licenciement. « C’est un critère obligatoire, insiste Julien Pérony. S’il n’est pas respecté, la Direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l’emploi (Direccte) refusera d’homologuer la convention… » Et la rupture conventionnelle n’aura pas lieu.

Rétractation possible

• La démission est irrévocable à partir du moment où elle découle d’une volonté claire et non-équivoque du salarié. Toute réintégration dans l’entreprise ne pourra donc se passer de l’accord de l’employeur.

• Parfois, les conditions de la démission laissent planer un doute sur la volonté réelle du salarié de démissionner. Un exemple ? « Si l’IDE a remis sa démission dans un élan de colère, et même si elle a pris le temps de la formuler par écrit, l’employeur devra s’attacher à tenir compte d’une éventuelle rétractation qui interviendrait quelques heures ou quelques jours après, note Julien Pérony. Dans le cas contraire, en cas de contestation, la jurisprudence pourra considérer que la démission était équivoque et que c’est l’employeur qui a pris l’initiative de rompre le contrat en remettant les documents de fin de contrat au salarié. » Conclusion, « il devra assumer toutes les conséquences d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse ».

Modèle de lettre

Lettre adressée au directeur de votre établissement par courrier remis en main propre ou avec AR

Objet : Démission

Monsieur le Directeur d’établissement,

Je vous informe, par la présente, de ma décision de démissionner du poste d’infirmière occupé depuis le (date) dans votre entreprise.

Ma démission, qui vous est notifiée ce (date), prendra effet le (date de rupture du contrat de travail), à l’issue du préavis de (… mois) prévu (dans mon contrat de travail/par ma convention collective).

Je vous prie d’agréer, [Madame] / [Monsieur] / [Qualité], l’expression de ma considération distinguée.

Signature

SAVOIR PLUS

→ Durée de préavis en cas de démission :

– convention collective nationale de la branche de l’aide, de l’accompagnement, des soins et des services à domicile du 21 mai 2010, art. 27 ;

– convention collective nationale de l’hospitalisation privée du 18 avril 2002, art. 45 ;

– code du travail, art. L. 1237-1 (préavis).

→ Rupture abusive : art. L. 1237-2 du code du travail.

→ Prise d’acte : art. L. 1451-1 du code du travail.

→ Résiliation judiciaire du contrat de travail : art. 1184 du code civil.

INTERVIEW

ÉRIC ROCHEBLAVE AVOCAT EN DROIT SOCIAL AU BARREAU DE MONTPELLIER

La démission est-elle le meilleur moyen, pour un salarié, de rompre son contrat de travail ?

• Non, puisqu’elle ne lui permet pas de percevoir l’aide au retour à l’emploi (ARE) ! La démission est une solution pratique pour le salarié qui a trouvé un meilleur emploi ou qui déménage pour suivre son conjoint. Mais pas pour celui qui souhaite quitter l’entreprise parce qu’il a des choses graves à reprocher à son employeur. Dans ce cas, partir en se privant à la fois des indemnités de licenciement et des allocations chômage n’est pas la solution la plus juste.

Quelles sont les alternatives ?

• J’en vois deux. Elles relèvent du contentieux, ce qui implique un temps de procédure qui peut s’étaler sur des mois, voire des années. La première solution est de partir, et de se rendre aux prud’hommes en apportant la preuve des fautes reprochées à son employeur. Par ce départ brutal, sans préavis, le salarié prend acte de la rupture du contrat de travail du fait de la faute grave de son employeur : discrimination, harcèlement, non-paiement des salaires… Devant le conseil prud’homal, il doit rapporter la preuve de ce qu’il avance, par tous les moyens légaux : texto, courrier, mail, certificat médical, etc. La personne devra aussi prouver la gravité des fautes commises par l’employeur, qui justifie son départ précipité de l’entreprise. L’objectif est d’obtenir une requalification de la rupture de contrat en licenciement sans cause réelle et sérieuse et ainsi de pouvoir toucher des indemnités. Mais attention, une fois parti, l’ARE n’est pas toujours facile à obtenir. Et si la personne perd son procès, elle devra alors rembourser l’ARE perçue et indemniser son employeur pour le préavis qu’elle n’a pas effectué.

Quelle est la seconde solution ?

• L’autre alternative est de demander la résiliation judiciaire du contrat de travail. Là encore, le salarié se rend aux prud’hommes afin de prouver les fautes de son employeur. À une différence près : le contrat de travail n’est pas rompu. Le salarié est encore en poste (ou en arrêt). Cette solution est moins risquée, car si le salarié perd son procès, la seule conséquence est que son contrat de travail perdure. Mieux vaut dans tous les cas prendre le conseil d’un avocat avant d’engager ces procédures.

PROPOS RECUEILLIS PAR A. A.