La prise en charge en Ehpad - L'Infirmière Magazine n° 362 du 01/07/2015 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Magazine n° 362 du 01/07/2015

 

FORMATION

LA PATHOLOGIE

VIRGINIE RUGLIO  

En cas de troubles de la déglutition, plus la prise en charge est adaptée aux capacités du patient, moins le risque de complications est important. Une approche qui nécessite une collaboration au quotidien entre médecins, rééducateurs et soignants.

Dans la majorité des cas de troubles de la déglutition en gériatrie, il n’existe pas de traitement curatif. Le but de nos actions conjointes est de permettre, au plus tôt et sans effort inutile de la part du patient, une (ré)alimentation orale à moindre risque d’inhalation et d’asphyxie, l’optimisation des ingesta et la préservation de certaine qualité de vie pour le patient et ses aidants.

Approche pluriprofessionnelle

→ Les troubles de la déglutition se situent au carrefour de plusieurs disciplines médicales (gériatrie, ORL et neurologie, mais également en partie gastro-entérologie, endocrinologie et pneumologie) et appellent une collaboration quotidienne entre médecins,rééducateurs (notamment orthophoniste entraîné) et soignants(1).

→ En établissement de santé, l’orthophoniste et le diététicien travaillent en étroite collaboration pour proposer un régime et des modalités alimentaires qui tiennent compte des capacités de déglutition (orthophoniste), des besoins nutritionnels et des goûts (diététicien) du patient. Le kinésithérapeute (positionnement, posture, désencombrement), l’ergothérapeute (autonomie, positionnement, installation, aides techniques), ainsi que d’autres intervenants auprès du patient âgé, comme les psychologues et psychomotriciens (détente, réassurance, soutien) et les animateurs et agents hôteliers, apportent leur vision du patient et agissent de concert pour participer à la prise en charge et à l’éducation de l’entourage au quotidien. Les équipes de cuisine élaborent des textures et régimes adaptés.

→ En Ehpad, l’équipe au complet gagne à être fédérée par un projet d’établissement autour des troubles de la déglutition, avec notamment un travail sur :

– la formation des équipes ;

– les textures alimentaires ;

– les modalités de transmission des données paramédicales ;

– le recours à des affichages en chambre (logo, fiche de consignes alimentaires personnalisées) ;

– le mobilier ainsi que l’aménagement, la vaisselle, les ustensiles…

Prise en charge orthophonique

Réadaptation

→ La prise en charge orthophonique est rarement rééducative, mais toujours réadaptative et compensatoire auprès des sujets âgés et a fortiori chez le dément(2). Elle repose sur des actions hautement personnalisées concernant le choix des aliments et boissons (texture, température, saveur, volume), ustensiles d’alimentation, installation, postures compensatoires et techniques d’aide ou d’accompagnement au repas ; la forme galénique des médicaments oraux est également prise en compte, ainsi que les modalités de la toilette buccodentaire.

?→ Sur les suggestions de l’orthophoniste, le médecin prescrit ou conseille les adaptations qu’il juge pertinentes. En situation palliative et en fin de vie, des décisions éthiques sont prises en collégialité avec le patient et sa famille. La sécurité n’est jamais seule en jeu. Plus les adaptations sont personnalisées selon les capacités du patient à un moment donné, plus les risques de complications en termes de nutrition et qualité de vie seront réduits : ainsi, le « tout mixé » avec eau gélifiée, anorexigène et pauvre en stimulations fonctionnelles, n’est pas une solution toujours adaptée.

Des réévaluations orthophoniques, espacées selon l’évolution de l’état général et neurologique du patient, permettent l’ajustement des aménagements alimentaires à ses besoins précis.

Éducation des aidants, formation des équipes

→ L’intervention orthophonique comprend une large part d’éducation thérapeutique des aidants familiaux et professionnels, incluant le patient si possible, et des actions de formation des équipes en institution. Quel que soit le lieu de vie du patient, son entourage reçoit des informations précises concernant les troubles, les principes de la prise en charge, les aménagements alimentaires, ainsi que des conseils, de préférence en situation écologique. Le compte rendu de bilan orthophonique, enrichi d’une fiche de conseils alimentaires personnalisés(3), est un outil d’éducation thérapeutique en soi (voir l’exemple de fiche ci-contre).

→ En Ehpad, la formation des équipes est la clef d’une meilleure prise en charge en déglutition(4). Les sessions de formation, élaborées et animées par l’orthophoniste ou en collaboration, doivent cibler et veiller à inclure la totalité des professionnels (médicaux, paramédicaux et de rééducation, mais également de cuisine, de service et d’animation). Il existe également des supports complémentaires de sensibilisation des équipes.

Conduites préventives généralistes

Voici, pour la pratique préventive quotidienne, des conseils généraux et des illustrations extraits du livret-guide Vivre au quotidien avec des troubles de la déglutition(5).

Conditions générales

Il convient de :

– s’assurer que le patient est bien éveillé, et s’abstenir de le nourrir, de le faire boire ou de lui donner un médicament tant que ce n’est pas le cas ;

– limiter les distractions et perturbations (nombre de personnes en mouvement autour de la personne, bruits…), surtout lorsque la personne a des troubles cognitifs (distractibilité) ;

– assurer des bases saines : hygiène bucco-dentaire, appareils dentaires propres et parfaitement adaptés.

Positionnement et installation

Il est important de bien positionner le patient pour le repas, la boisson ou la prise de médicament : assis dos droit à 90°, même au lit ; les bras posés sur les accoudoirs ou sur la table ; les pieds posés à plat (au sol ou sur repose-pieds) ; le menton légèrement fléchi en avant.

Postures de tête et techniques d’aide

→ Certaines postures de tête peuvent limiter les fausses routes par compensation(6) ; en pratique, on exploite préférentiellement l’environnement et les actions des aidants pour induire les postures compensatoires et éviter les postures à risque. Par exemple, la légère flexion antérieure de tête peut améliorer la protection des voies aériennes ; elle s’oppose à l’hyperextension de tête (menton levé : position d’intubation), qui facilite l’ouverture des voies aériennes, augmentant le risque de fausse route. En général, pour l’obtenir, on conseille aux aidants de s’asseoir systématiquement pour aider ou accompagner un patient âgé au repas, à la prise de médicaments et à la toilette orale (voir figure page suivante).

→ En cas de déficit sensitivomoteur latéral (hémiplégie, syndrome parkinsonien dominant d’un côté), la rotation de la tête vers le côté déficitaire induit le passage du bolus du côté sain et peut permettre de limiter les fausses routes. La flexion-rotation de tête (« menton vers la clavicule ») du côté déficitaire rassemble les bénéfices des deux postures compensatoires. On conseille alors aux aidants de se présenter du côté déficitaire et en bas, pour aider ou accompagner un patient à l’alimentation, de manière à induire sa flexion-rotation de tête vers ce côté.

→ Le placement à table doit également s’adapter aux besoins du patient : il est utile de lui proposer une place qui facilite la compensation par rotation de tête ; par exemple, un patient hémiplégique gauche, dépendant ou non, sera placé de préférence avec la vie du salon (et son aidant) à sa gauche et un mur à sa droite (voir figure ci-contre).

→ Il convient de respecter un rythme lent : les durées minimales conseillées pour les repas des sujets âgés sont de 30 minutes pour le petit déjeuner, 60 minutes pour le déjeuner et 45 minutes pour le dîner.

→ Il est possible de fractionner les prises alimentaires pour limiter la fatigue qui augmente les risques de fausse route : proposer des collations tout au long de la journée voire de la nuit permet de maintenir et même d’augmenter les ingesta. Dans tous les cas, le repas doit rester un moment de plaisir.

Ustensiles

→ On utilisera le plus longtemps possible des objets courants auxquels la personne a été habituée, avec une préférence pour les ustensiles suivants :

– pour les liquides, le verre normal plutôt évasé et bien rempli (permet de boire menton légèrement fléchi en avant) ;

– pour le fond de verre (boisson ou médicament dilué), la petite cuillère (évite la prise du fond de verre qui encourage à lever le menton) ;

– pour les solides et mixés, la cuillère à entremets (volume limité, taille bien adaptée à la bouche d’un adulte, manche facile à manier)

→ Il convient d’éviter les ustensiles suivants :

– le verre étroit, le fond de verre ou le goulot, qui in?citent à lever le menton ;

– le biberon (infantilisant) ou le bouchon sport, qui encouragent à lever le menton et stimulent la succion, qui est inutile voire déconseillée ;

– le verre à bec (« pipette » ou « canard »), qui incite à lever le menton, indiqué en cas de tremblement des membres supérieurs et non pour dysphagie ;

– la paille, qui permet de boire couché (déconseillé), ne limite pas le volume de liquide avalé, voire l’augmente chez le sujet âgé, encourage la succion ;

– la seringue de gavage, qui permet de donner à manger à une personne qui garde la bouche toujours ouverte, ou toujours fermée (déconseillé).

Boissons, aliments

→ Préférer les liquides stimulants qui facilitent le déclenchement du réflexe de déglutition :

– boissons froides ou glacées plutôt que chaudes et tièdes (effet stimulant de la différence de température de la boisson par rapport à celle du corps humain) ;

– eaux pétillantes ou sodas plutôt qu’eaux plates (effet stimulant des grosses bulles) ;

– mélanges de jus de fruits sans pulpe et d’eau gazeuse froids.

→ Épaissir les liquides sans les gélifier (ralentissement de la vitesse d’écoulement dans le carrefour aérodigestif), pour obtenir une consistance glissante et homogène, sans grumeau :

– utiliser pour cela des épaississants alimentaires spécifiques (poudres vendues en pharmacie), ou de la gélatine alimentaire ;

– tous les degrés d’épaississement peuvent être obtenus par mélange (depuis le type nectar de fruit jusqu’au type compote) ;

– ne pas épaissir un liquide avec du pain ou des gâteaux qui font des grumeaux, éviter les mélanges hétérogènes (textures à risque augmenté) ;

– opter pour des boissons naturellement épaisses : nectars de fruits, smoothies, yaourts à boire.

→ Solides :

– éviter les aliments fragmentés (petits pois, semoule, riz, émiettés, pâtes feuilletées…) au profit des textures homogènes (solides mixés, moulinés) ;

– lier les aliments par des sauces et des corps gras (lubrifier pour faciliter l’écoulement et éviter les adhérences) ;

– éviter les textures collantes épaisses (certains gels ou crèmes, difficiles à propulser) ;

– si la personne peut mâcher, on peut parfois proposer des aliments normaux, tendres et lubrifiés, en évitant les fragments ;

– éviter les mélanges solide-liquide (tartines trempées dans la boisson, soupes avec morceaux même petits, fruits juteux…) ;

– éviter les saveurs fades au profit des goûts prononcés, notamment sucrés (perçus et appréciés plus longtemps au cours du vieillissement).

→ Plusieurs hôpitaux neurologiques ont mis en place un régime supplémentaire dit régime « déglutition ». Ce régime s’ajoute aux classiques repas en texture mixée, hachée et normale : il s’agit d’une texture normale (solides tendres à mastiquer) dont on exclut les aliments à risque augmenté de fausse route (petits pois, semoule, riz, pâtes feuilletées, mélanges solide/liquide…) et à laquelle on ajoute une lubrification (corps gras, sauces épaisses) ; ce menu est adapté à certains patients dysphagiques pouvant mastiquer et ne présentant pas de trouble du comportement marqué.

Le rôle infirmier

L’infirmier est un acteur particulièrement important au quotidien en milieu médicalisé, mais également au domicile. Nous développons ici certaines de ses actions touchant la déglutition.

Dépistage infirmier

Un test de dépistage au verre d’eau est recommandé(7), il peut être pratiqué par le médecin ou par un infirmier formé (voir encadré page suivante) :

– le test de dépistage des troubles de la déglutition consiste à faire boire un bon demi verre (90 ml) d’eau plate à température ambiante sans interruption ;

– s’il y a difficulté, toux ou modification de la voix dans la minute qui suit, la dysphagie est probable, et une évaluation détaillée est indiquée(8) ;

– en pratique, il est fréquent que le grand vieillard boive spontanément par gorgées entrecoupées de pauses : on essaiera de lui faire finir le verre dans la mesure du possible.

Administration des médicaments

La prise de médicaments per os est un moment à considérer avec attention : les comprimés et gélules entiers, même petits ou en morceaux, donnés avec un liquide même stimulant, sont des textures à risque augmenté (mélange solide/liquide). L’infirmier devra donc veiller à ce que la galénique soit adaptée systématiquement autant que possible aux troubles du patient. La HAS préconise(9) la modification de la prescription médicale au profit de formes adaptées disponibles sur le marché : poudres, gouttes, comprimés dispersibles. En cas de troubles de la déglutition, il faut les mélanger avec un petit volume d’eau gélifiée, ou selon les cas, de compote ou yaourt, mais pas avec un liquide, même stimulant (eau pétillante). Lorsque un médicament n’est pas disponible sous une forme adaptée, l’infirmier exploite autant que possible des référentiels pharmaceutiques pour la modification des formes médicamenteuses(10). Dans tous les cas, l’adaptation est faite avec accord du médecin et/ou du pharmacien.

Surveillance alimentaire et générale

L’infirmier participe au dépistage de la dénutrition ; il relève le poids, la température, apprécie l’état général, observe les repas, et participe au relevé des consommations alimentaires (ingesta).

Notons que dans cette population, les courbes de température et de poids seules ne permettent pas de conclure qu’il existe ou non des troubles de la déglutition et des inhalations : la fièvre est souvent absente chez le sujet âgé, et les variations de poids sont plurifactorielles. L’état respiratoire reste un élément important : il est souvent le seul signe d’alerte d’inhalations chroniques à bas bruit.

Surveillance de l’hygiène orale

Comme on l’a vu plus haut, l’hygiène buccodentaire et le bon état des muqueuses est une base saine nécessaire et également une prévention des complications infectieuses pulmonaires, via une limitation de la charge bactérienne salivaire. La bouche doit être propre et humide avant le repas, et après.

L’autonomie nécessite souvent un accompagnement ou vérification de la qualité de l’hygiène. Chez le patient dépendant, la toilette orale doit être effectuée de manière adaptée à chaque patient : avec peu ou pas de liquide (bâtonnets glycérinés, compresses), ou avec liquide, mais en maintenant le tronc du patient en avant, au-dessus d’un récipient de manière à limiter les risques d’écoulement passif postérieur des liquides. Une attention est portée au traitement de la sécheresse buccale et des mycoses.

Aspirations trachéales

Lorsqu’elles sont nécessaires, elles sont à faire avant les repas de préférence. Le désencombrement, en parallèle à la kinésithérapie respiratoire, est utile pour obtenir des bases saines avant le moment du repas, de la boisson ou de la prise de médicaments.

Traçabilité des actions et observations

Une attention particulière gagne à être portée aux modalités de transmission des données paramédicales. En institution, il convient d’investir par exemple une cible « déglutition » (et non seulement « fausse route »), et de former les acteurs à utiliser une terminologie commune et à noter tous les signes (ou absence de signes) pertinents qui pourront être analysés par le médecin et l’orthophoniste. L’exploitation des dossiers de soins informatisés permet la contribution et la communication de plusieurs professionnels autour d’une même cible, et un suivi précis au cours du temps.

Attention toutefois à transmettre avec soin les signes observés : par exemple, « le patient a bu sans toux » et non « le patient a bu sans fausse route » ; cette démarche maintient aiguisée la vision de l’infirmier et de l’ensemble de l’équipe à ce sujet, en n’écartant pas la possibilité de fausses routes silencieuses.

L’infirmier note toutes les données contributives corollaires : résultats du dépistage des troubles de la déglutition et de la dénutrition, type d’alimentation spécifique mise en place…

Participation à l’éducation du patient et de son entourage

L’infirmier y est également un acteur de choix, au moins de manière informelle, au quotidien et en situation : il est un garant de l’application des recommandations orthophoniques une fois établies, et il participe à la diffusion des bonnes pratiques préventives, à l’information et à l’éducation et de l’ensemble des intervenants auprès du patient âgé, qu’ils soient familiaux ou professionnels.

1- « Prise en charge initiale des patients adultes atteints d’AVC.

Recommandations pour la pratique clinique », Anaes, juin 2002. ; Rosenvinge S.-K., Starke I.-D., « Improving care for patients with dysphagia », Age Ageing, 2005, novembre, n° 34 (6) : 587-93.

2- Jacquot J.-M., Pouderoux P., Piat C., Strubel D., « Les troubles de la déglutition du sujet âgé. Prise en charge » La Presse médicale, 2001, n° 33 : 1645-56.

3- Ruglio V., « Comment dépister et prendre en charge les troubles de la déglutition en Ehpad », Journal du médecin coordonnateur, 2010, 39 : 15-17.

4- Id. note 1.

5- Vivre au quotidien avec des troubles de la déglutition : un guide pratique pour la personne âgée et son entourage, V. Ruglio, Solal Eds, 2012.

6- Jeri A. Logemann, « Medical and rehabilitative therapy of oral, pharyngeal motor disorders », GI Motility online, 16 mai 2006, doi:10.1038/gimo50.

7- Anaes 2002, voir note 1.

8- De Pippo K.-L., Holas M.-A., Reding MJ, Mandel F.-S., Lesser M.-L., « Dysphagia therapy following stroke: a controlled trial », Neurology, 1994, septembre, 44 (9) : 1655-60.

9- « Outils de sécurisation et d’auto-évaluation de l’administration des médicaments », HAS, 2011.

10- « Bonnes pratiques d’administration des médicaments par sonde de nutrition ou pour les patients ayant des difficultés à avaler », Omedit Poitou-Charentes, 2013.