La garantie responsabilité civile pro - L'Infirmière Magazine n° 362 du 01/07/2015 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Magazine n° 362 du 01/07/2015

 

CARRIÈRE

GUIDE

ANNABELLE ALIX  

Pas uniquement réservée aux infirmières libérales, l’assurance en responsabilité civile professionnelle est un gage de sérénité qui couvre les rares fautes non assumées par l’établissement employeur.

Obligatoire pour les libérales, l’assurance en responsabilité civile professionnelle (RCP) s’adresse aussi aux infirmières salariées ou hospitalières. Mais peu souscrivent une telle garantie. Et pour cause, elle couvre l’indemnisation d’un patient victime d’une faute commise par l’assuré. Or, « la plupart de ces fautes sont assumées par l’employeur », rappelle David Simhon, avocat en droit de la santé chez Galien affaires. Certaines font toutefois exceptions. « Elles sont très rares, mais lorsque la situation se présente, les conséquences pour l’infirmière peuvent être dramatiques, reprend l’avocat. Le coût de l’assurance étant faible, celles-ci peuvent trouver un intérêt à l’adhésion. Il appartient à chacune d’en évaluer l’opportunité. »

Pas de doublons

• « Il n’y a pas de redondance entre le périmètre de la RCP et celui de l’assurance de l’établissement, assure Jean Vilanova, chargé des relations institutionnelles avec les marchés à La Médicale, filiale du Crédit agricole assurances. La RCP couvre exclusivement les fautes non couvertes par l’employeur. » Mais quelles sont-elles ? « Il y a celles commises au cours d’un soin réalisé en dehors des missions confiées par l’établissement : soin d’urgence dispensé dans la rue, petite activité libérale exercée en parallèle de l’emploi salarié…, répond David Simhon. Les fautes commises au cours de l’exercice professionnel et qui excèdent largement le cadre des missions imparties échappent aussi à la protection de l’employeur. »

• Ces fautes personnelles détachables des fonctions sont directement assumées par leur auteur en raison notamment de leur gravité. Il peut s’agir d’une erreur grossière d’administration, d’une violation du secret médical, d’une maltraitance envers une personne âgée ou encore d’un défaut de surveillance du patient. « Ces fautes révèlent parfois un sous-effectif dans le service ou une défaillance dans l’organisation de l’établissement », note Mathias Renaudin, responsable dommages du groupe Pasteur mutualité. « L’établissement peut alors être condamné par la justice aux côtés de l’infirmière, sans que cette dernière soit disculpée pour autant », précise Jean Vilanova. En effet, « quoi qu’il arrive, l’infirmière a pour obligation d’exercer son activité de manière appliquée, consciencieuse et conforme aux données acquises de la science. C’est sur la base de ce critère que les juges décideront de sa condamnation ou non », tranche Renaud de Laubier, avocat en droit de la santé au barreau de Marseille.

Protection juridique…

Les assurances RCP s’accompagnent souvent d’une protection juridique. « Il s’agit d’un conseil et d’un accompagnement dispensés par nos juristes spécialisés en responsabilité médicale, avec l’appui d’un comité de professionnels de santé en exercice qui connaissent les réalités du terrain », explique Mathias Renaudin. Cette protection juridique s’étend au-delà du champ de la responsabilité civile et « permet de désamorcer des situations complexes : conflit face à l’employeur au sujet d’un licenciement ou du paiement d’un congé payé, contestation d’une sanction disciplinaire, litige devant l’Ordre… Nous cherchons d’abord une solution amiable et en cas d’échec, nous assistons l’assuré au cours de la procédure judiciaire », ajoute l’assureur.

• Les frais de procédure et tout ou partie des frais d’avocat sont généralement inclus dans le forfait, tout comme la défense pénale. Un plus non négligeable, car « même si les condamnations sont rares, la procédure pénale est éprouvante, longue et coûteuse », note Nicolas Gombault, directeur général du Sou médical (groupe MACSF). L’intervention gratuite et immédiate d’un avocat tranquillise. Elle permet aussi de « soulever l’incompétence de la juridiction saisie lorsque les procédures sont engagées à tort par des victimes mal conseillées devant les tribunaux de l’ordre judiciaire », ajoute l’assureur.

• Le forfait annuel incluant RCP, défense pénale et protection juridique s’élève de 50 à 85 euros par an, en fonction des compagnies et du détail des garanties proposées.

… et fonctionnelle

• De leur côté, les agents du secteur public attaqués en justice pour une faute de service bénéficient d’un droit à la protection fonctionnelle. L’établissement est tenu de leur apporter une assistance juridique et d’assumer les frais de la procédure. Il peut aussi les aider dans le choix de leur avocat et prendre en charge tout ou partie des honoraires.

• À noter cependant que cette protection ne couvre que les poursuites civiles (dommages causés au tiers) ou pénales (infractions). Elle ne concerne pas les litiges disciplinaires ou prud’homaux, ou encore ordinaux. L’administration peut aussi la refuser à l’agent qu’elle estime coupable d’une faute personnelle.

• Par ailleurs, « la qualité du conseil et de l’accompagnement dispensés par l’établissement dépend en toute logique de la présence ou non d’un service juridique, et donc de sa taille, met en garde David Simhon. Dans les faits, l’accompagnement peut aussi varier selon la nature des rapports entre l’agent et sa hiérarchie… » Quant à l’avocat conseillé par l’établissement, « il s’agira peut-être de l’un de ses avocats habituels, ajoute-t-il. Celui-ci est tenu d’observer une attitude impartiale, mais il y a toujours un risque pour qu’il favorise les intérêts de l’établissement. »

Gare aux exclusions

« Avant de souscrire une assurance, il est très important de lire le détail de ce qu’elle prend en charge », conseille Renaud de Laubier. Certaines fautes sont formellement exclues des contrats d’assurance. Tel est le cas des fautes intentionnelles. Souvent de nature pénale (blessures volontaires, euthanasie, maltraitance jugée volontaire, etc), ces fautes sont jugées « incompatibles avec les missions habituelles de l’agent ou du salarié et, sont commises dans un intérêt personnel, avec malveillance ou en violant délibérément la loi », développe Maître David Simhon. L’auteur de la faute doit s’acquitter des peines d’amende ou d’emprisonnement éventuellement prononcées, et indemniser la victime à partir de ses deniers personnels.

• Les agissements illégaux échappent aussi à l’assurance, comme le délit d’exercice illégal de la médecine commis par une infirmière en cas de glissement de tâches. Celle-ci a le devoir de désobéir à un ordre illégal. Hors cas d’urgence, elle doit donc refuser d’exécuter un acte qui sort du champ de ses compétences, comme la régulation médicale par téléphone. Dans le cas contraire, en cas de préjudice subi par le patient, l’infirmière ne pourra pas se dégager de sa responsabilité en invoquant la confiance du médecin, l’aval de la direction ou encore la circonstance d’un effectif réduit dans le service.

Quid des frais

L’infirmière est présumée innocente tant qu’elle n’a pas été condamnée. Ainsi, les assureurs accompagnent généralement l’assuré durant la procédure. Ils en assument les frais et peuvent dispenser des conseils juridiques. Une fois l’infirmière condamnée, l’assureur ne peut en revanche indemniser le patient à sa place. Mais « il n’est pas d’usage de réclamer à l’infirmière le remboursement des frais engagés durant la procédure, confie Jean Vilanova. Le juge peut ordonner ce remboursement, mais ce n’est pas systématique. »

Courrier à la direction

Lettre recommandée avec AR

Objet : Demande d’application de l’article 11 de la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires

Monsieur le directeur,

Je prends connaissance à ce jour du différend qui m’oppose à M…….. et de la procédure judiciaire engagée à mon encontre.

Aussi, j’ai l’honneur, Monsieur le directeur, de solliciter le bénéfice des dispositions de l’article 11 de la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires

Je vous remercie de bien vouloir prendre ma demande en considération et vous prie d’agréer, Monsieur le directeur, l’expression de ma considération distinguée.

Signature

SAVOIR PLUS

→ La loi n° 2002-303 du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé impose aux établissements de santé de souscrire une assurance en responsabilité civile ou administrative (art. L. 1142-2 du code de la santé publique - CSP).

→ L’article L. 4161-1 du CSP définit l’exercice illégal de la médecine.

→ L’article L. 1142-1 du CSP établissant la responsabilité des professionnels et des établissements en cas de faute

→ L’article R. 4311-2 du CSP définit l’acte infirmier.

→ La loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires définit la protection fonctionnelle dans son article 11.

INTERVIEW

JOSÉPHINE COSSART INFIRMIÈRE, CADRE DE SANTÉ EN ONCOLOGIE MÉDICALE À L’ASSISTANCE PUBLIQUE - HÔPITAUX DE PARIS (AP-HP) ET EXPERTE AUPRÈS LA COUR D’APPEL DE PARIS

• Souscrire une assurance en responsabilité civile vous semble-t-il opportun pour une infirmière salariée ou hospitalière ?

Oui, je leur conseille vivement de souscrire cette assurance assortie d’une protection juridique. Les cas où la responsabilité juridique de ces infirmières est retenue restent rares. Mais avec la judiciarisation, l’employeur est de plus en plus tenté de se retourner contre les professionnels fautifs. Parfois, c’est le patient qui dirige directement son action en justice contre un professionnel qu’il souhaite voir sanctionné. Si ce professionnel n’est pas assuré, il doit alors se défendre à ses frais. Dans le cas contraire, il bénéficie d’un accompagnement immédiat et du conseil gratuit d’un avocat.

• Certaines ont-elles plus intérêt que d’autres à souscrire une telle garantie ?

Les infirmières de bloc opératoire, celles qui exercent en réanimation ou en endoscopie sont selon moi plus exposées au risque d’être inquiétées en justice. Dans ces services, le risque de mise en cause de professionnels y est plus fréquents et la chaîne des responsabilités est plus précisément recherchée. Mais les infirmières des autres services ne sont pas à l’abri de tout risque. Un exemple ? Conformément à l’arrêté du 6 avril 2011, un inventaire du coffre contenant les stupéfiants doit être effectué et tracé à chaque changement d’équipe dans les unités de soins stockant ces produits. En cas d’erreur ou de perte, une infirmière pourrait être inquiétée. Dans le pire des cas, elle pourrait être accusée de trafic de stupéfiants… une faute qui n’est pas couverte par l’employeur.

• La profession vous semble-t-elle bien sensibilisée à cette nécessité ?

Les infirmières l’ont été durant leurs études. L’inscription en Isfi est d’ailleurs conditionnée à la souscription d’une assurance couvrant l’activité réalisée en stage. Mais une grande majorité des infirmières diplômées ne sont pas assurées, soit parce qu’elles n’en voient pas l’intérêt, soit parce qu’en cas de problème, elles pensent être systématiquement couvertes par l’assurance de leur établissement.