Les conséquences d’une IAS - L'Infirmière Magazine n° 360 du 01/05/2015 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Magazine n° 360 du 01/05/2015

 

CARRIÈRE

GUIDE

ANNABELLE ALIX  

En cas d’infection associée aux soins (IAS), l’indemnisation du patient sera versée par l’employeur, même si une faute a été commise par l’infirmière. Mais l’IDE peut être sanctionnée sur le plan pénal et disciplinaire.

L’infection associée aux soins (IAS) est celle qui survient au cours ou à la suite d’une prise en charge et qui n’était ni présente, ni en incubation au début de cette dernière. Une IAS (Escherichia coli, Staphylococcus aureus…) peut entraîner de graves préjudices (incapacité fonctionnelle, traitements supplémentaires, etc.). Le patient qui en est victime est en droit d’agir en justice afin d’être indemnisé.

• Si l’infirmière a commis une faute dans l’exercice de ses fonctions (non-respect d’une procédure d’hygiène, par exemple), elle a potentiellement provoqué ou précipité l’infection. Sa faute sera toutefois assumée par son employeur, lequel indemnisera la victime via son assurance, en raison du « principe de la responsabilité du commettant du fait de son préposé », développe maître David Simhon, avocat en droit de la santé au barreau de Paris.

• La responsabilité de l’infirmière peut en revanche être engagée sur le plan pénal et disciplinaire.

L’employeur indemnise…

• Le patient ayant contracté une IAS peut réclamer une indemnisation en justice dans les dix ans qui suivent la consolidation de son dommage (moment à partir duquel les conséquences de l’infection sur son état de santé n’évoluent plus). Le patient porte plainte contre l’établissement ou le service de soins concerné, sans avoir à prouver la faute qui est à l’origine de son infection. Un manque d’asepsie ou un défaut d’organisation de la structure sera présumé si l’infection a été contractée à l’occasion des soins qu’elle a dispensés. Cette condition est généralement remplie lorsque l’infection est déclarée au moins 48 heures après le début de la prise en charge. Les infections du site opératoire doivent, quant à elles, survenir dans les trente jours après l’inter?vention, ou dans l’année qui suit lorsqu’il y a eu pose d’implant, de prothèse ou de matériel prothétique. La plausibilité du lien entre l’intervention et l’infection doit toutefois être appréciée au cas par cas, en fonction no- tamment du type de germe en cause.

… la faute de l’infirmier

• « Il arrive que le patient souhaite diriger son action en indemnisation contre un professionnel qu’il estime fautif, mais nous tentons parfois de l’en dissuader », indique maître Arnaud de Lavaur, avocat en droit du dommage corporel aux barreaux de Paris et Bruxelles. La procédure en réparation du préjudice aurait moins de chances d’aboutir car, pour engager la responsabilité d’un professionnel (médecin, infirmière, etc.), le patient doit prouver la faute isolée du salarié ou du fonctionnaire et démontrer qu’elle a causé l’infection à elle seule, de façon certaine(1). Or « en matière d’infection associée aux soins, il est très difficile d’identifier avec certitude la porte d’entrée de l’infection », explique maître Arnaud de Lavaur. Même lorsqu’elle est établie, la faute d’un professionnel n’engage pas sa responsabilité civile (dans le privé) ou administrative (dans le public), si elle a été commise dans le cadre de ses fonctions. En d’autres termes, « si l’infirmière a négligé une mesure de sécurité ou si elle a pris une pause inopinée en laissant l’élève-infirmier pratiquer seul un soin dont il ne maîtrise pas toutes les précautions d’hygiène, c’est l’employeur qui indemnisera le patient en cas d’infection », développe maître Renaud de Laubier, avocat en droit de la santé au barreau de Marseille.

Responsabilité pénale

• « En revanche, si le patient porte plainte, la responsabilité de l’infirmière pourra être engagée sur le plan pénal », précise maître Renaud de Laubier. Le droit pénal sanctionne non seulement les fautes intentionnelles (notamment les coups et blessures volontaires, etc.), mais aussi les imprudences ou négligences (manquement à son devoir de vigilance, de surveillance, etc.) qui ont entraîné de graves conséquences. En cas d’homicide involontaire, par exemple, la peine maximale encourue s’élève à trois ans d’emprisonnement et à 45 000 euros d’amende. Ces sanctions pénales sont directement assumées par le professionnel fautif et l’amende doit être payée de sa poche.

• Lorsque la victime se porte partie civile à l’occasion du procès pénal, l’indemnisation est versée par l’infirmière si sa faute a largement excédé le cadre de ses fonctions. « Certaines mutuelles conseillent ainsi aux infirmiers de souscrire une assurance en responsabilité civile afin de pallier leur insolvabilité », observe maître Renaud de Laubier, qui n’est pas de cet avis. Maître David Simhon le rejoint : « Dans un tel cas, si l’infirmière est insolvable et que le dommage est important, l’État pourra prendre en charge l’indemnisation via le Fonds de garantie des victimes des actes de terrorisme et d’autres infractions avant de chercher à récupérer les montants déboursés, plus certainement auprès de l’employeur. En résumé, les situations dans lesquelles l’infirmière supporte seule l’indemnisation étant extrêmement rares, l’utilité de souscrire une assurance personnelle me semble très limitée. »

Sanctions disciplinaires

• Quelle qu’en soit la nature, la faute de l’IDE peut aussi se traduire par une sanction disciplinaire prononcée par l’employeur. Dans le privé, les erreurs ou négligences commises dans le travail peuvent notamment être invoquées à l’appui d’une telle sanction. Celle-ci doit être proportionnelle à la gravité de la faute : blâme, mise à pied disciplinaire (suspension sans maintien du salaire), rétrogradation, mutation, licenciement pour cause réelle et sérieuse, pour faute grave (qui rend impossible le maintien du salarié dans l’établissement) ou faute lourde (intention de nuire à l’employeur ou à l’établissement). Ces sanctions ne peuvent être prononcées que si elles figurent au règlement intérieur de l’établissement.

• Dans la fonction publique, la sanction peut aller de l’avertissement à la révocation, en passant par la radiation du tableau d’avancement, l’abaissement d’échelon, l’exclusion temporaire, la rétrogradation et la mise à la retraite d’office. « La révocation est très rarement prononcée en cas de faute ayant conduit à l’infection associée aux soins, assure maître Renaud de Laubier. Il faudrait pour cela que le préjudice soit directement et uniquement lié à un grave manquement de l’infirmière. Ce pourrait être le cas d’une infirmière de bloc opératoire qui se rend au travail en état d’ébriété et qui commettrait un manquement grave à une règle d’hygiène. »

Un procès devant l’Ordre ?

• L’IDE qui a manqué à son devoir professionnel est aussi susceptible de comparaître devant l’Ordre des infirmiers. Une procédure disciplinaire a été instaurée en 2009. Elle peut être lancée lorsqu’un patient a saisi l’Ordre par courrier et qu’une tentative de conciliation s’est soldée par un échec.

• À l’issue de la procédure, la Chambre disciplinaire du conseil régional de l’Ordre peut prononcer une sanction : avertissement, blâme, interdiction temporaire ou permanente d’exercer tout ou partie de la fonction d’infirmier. L’IDE peut faire appel devant la Chambre disciplinaire du conseil national de l’Ordre des infirmiers. Un pourvoi en cassation pourra alors être formé devant le Conseil d’État.

1- En cas de faute médicale identifiée, le patient peut opter pour une procédure accélérée et simplifiée devant la Commission régionale d’indemnisation et de conciliation (CRCI), si son infection a été contractée après le 5 septembre 2001 (voir schéma p. 68).

SAVOIR PLUS

→ Définition des infections associées aux soins, mai 2007 sur http://petitlien.fr/7ykp

→ Code de la santé publique :

– articles L 1142-1 et L 1142-28 sur la responsabilité et les délais d’action en matière d’IAS ;

– articles R 4312-1-1 et suivants sur les règles professionnelles des infirmières ;

– articles L 4123-2 et suivants sur les règles de procédures devant l’Ordre des infirmiers ;

– article L 4124-6 sur les peines prononçables par la Chambre disciplinaire.

INTERVIEW

RENAUD DE LAUBIER AVOCAT EN DROIT DE LA SANTÉ, DROIT PUBLIC ET GESTION DES RISQUES MÉDICAUX, ET ANCIEN DIRECTEUR DES AFFAIRES JURIDIQUES DE L’ASSISTANCE PUBLIQUE – HÔPITAUX DE MARSEILLE

La responsabilité de l’infirmière est-elle souvent recherchée en présence d’une infection associée aux soins ?

Non. Dans la majorité des cas, le patient adresse en premier lieu sa réclamation à l’établissement pour une issue amiable. S’il n’est pas satisfait, il orientera plutôt son action devant les tribunaux contre l’établissement. Celui-ci peut tenter de se dédouaner en invoquant une faute personnellede son agent. Il faudrait alors que le médecin-chef s’affranchisse à son tour, puis le cadre de santé devrait se décharger sur l’infirmière en prouvant la faute de cette dernière. La chaîne des responsabilités descend ainsi les strates de la hiérarchie hospitalière. Pour qu’elle se cristallise autour de la faute de l’infirmière et engage sa responsabilité personnelle, cette faute devrait largement excéder le cadre de ses fonctions. En revanche, une chose est sûre, plus l’affaire est médiatisée, plus la recherche de culpabilité sera précise !

Et, en matière pénale, une faute d’inattention grave est-elle suffisante pour engager la responsabilité de l’infirmière ?

Pas toujours car, souvent, cette inattention n’est pas une faute isolée. Prenons l’exemple d’une infirmière qui administre un traitement au dosage dix fois trop élevé. Elle peut être relaxée si l’instruction révèle que chaque acteur de la chaîne de soins a commis une erreur à son niveau, ou une faute d’inattention. Le médecin prescripteur peut avoir rédigé la prescription médicale de façon peu lisible et une virgule peut passer inaperçue sur le scan, sans que le médecin senior ni le pharmacien, qui vérifient puis délivrent le traitement, ne s’en aperçoivent. L’infirmière, qui manque à son tour d’attention au moment d’administrer le traitement, commet la faute ultime…

L’infirmière est-elle à l’abri de tout risque ?

Non, car tout acte de soins peut entraîner des conséquences juridiques. Si la faute de l’infirmière n’engage pas automatiquement sa responsabilité devant les tribunaux, elle peut déboucher sur une sanction disciplinaire ou ordinale. Par ailleurs, un procès, quel qu’il soit, est très éprouvant, même s’il aboutit finalement à la relaxe. La « sanction morale », en cas de procès pénal, ne doit pas être sous-estimée.