RENCONTRE AVEC YANNICK TOLILA-HUET INFIRMIÈRE FAISANT FONCTION DE CADRE, RESPONSABLE DE LA CHAMBRE MORTUAIRE DU GROUPE HOSPITALIER BICHAT/CLAUDE-BERNARD (AP-HP), PARIS - L'Infirmière Magazine n° 360 du 01/05/2015 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Magazine n° 360 du 01/05/2015

 

CARRIÈRE

PARCOURS

F. V.  

“D’emblée, il s’est passé quelque chose qui tient de l’indicible. Puis, l’infirmière qui quittait son poste m’a confié qu’elle avait passé ici les plus belles années de sa carrière”

L’opportunité de diriger une chambre mortuaire s’est présentée à un moment de mon parcours où j’avais le désir de prendre en charge des patients qui ne souffraient plus », livre Yannick Tolila-Huet. Et de poursuivre : « En 1987, juste après mon diplôme d’État, j’ai intégré le service des maladies infectieuses et tropicales à l’hôpital Claude-Bernard. Nous étions en pleines “années sida”. Une période riche, professionnellement et humainement, mais rude. J’y suis restée douze ans. Ensuite, j’ai passé plus de dix ans en HAD, où j’ai été tour à tour sur le terrain, faisant fonction de cadre et enfin coordinatrice. Cependant, petit à petit, on finit par peiner à voir des patients et leurs familles remplis d’espoir alors que l’on sait la fin de l’histoire… Bref, psychologiquement, ces années ont été très “sollicitantes”. Alors, un jour, on se dit qu’il est peut-être temps d’aller explorer d’autres domaines du soin infirmier, sous peine de s’étioler et s’éteindre comme une petite chandelle. »

→ Dernier lieu de soins. Alors qu’en vingt ans, elle ne s’était rendue qu’à une seule occasion à la chambre mortuaire, Yannick Tolila-Huet tient à y passer une journée avant de prendre sa décision. « Sur le coup, j’ai été surprise qu’il y ait tant de patients mais, d’emblée, il s’est passé quelque chose qui tient encore de l’indicible. Puis, l’infirmière qui quittait son poste m’a confié qu’elle avait passé ici les plus belles années de sa carrière. » Nous sommes en 2012, elle se lance. « Je n’y connaissais rien mais m’en sentais capable », dit-elle. Du jour au lendemain, il lui faut donc tout apprendre de cet univers où les vivants voisinent continuellement avec les morts. Tout savoir « de ce denier lieu de soins où l’équipe prend en charge les patients pour leur ultime départ. Certains ne séjournent avec nous que quelques heures, d’autres quelques jours, d’autres encore plusieurs semaines, lorsque nous ne savons rien d’eux, pas même leur identité », explique-t-elle. Tout découvrir aussi des us, rites et coutumes funéraires religieux et profanes. Il lui faudra d’ailleurs « une bonne année » pour assimiler et maîtriser tous les arcanes du service(1) où se côtoient une multitude d’intervenants extérieurs et d’hospitaliers, qu’il faut savoir diriger à la manière d’un chef d’orchestre pour éviter toute fausse note. Son passé de coordinatrice est alors un atout précieux, tout comme son caractère bien trempé… « Les opérateurs funéraires, comme parfois la police, ont tendance à estimer qu’ils sont ici chez eux. Mon rôle est alors de rappeler la place de chacun et que nous sommes, avant toute autre chose, un service public hospitalier. La législation et le règlement de l’établissement sont stricts, et mon travail consiste à les faire appliquer », insiste-t-elle. Pour autant, la rectitude n’empêche pas la souplesse et encore moins l’humanité. « À condition que les règles soient respectées, toute l’équipe se mettra en quatre pour satisfaire les désidératas des familles. »

→ En toute liberté. Une équipe qu’elle décrit comme « rodée », « parfaitement formée », « disponible » et qui lui a « tout appris ». « Le compagnonnage et la transmission du savoir-faire, comme du savoir-être, sont essentiels en chambre mortuaire », souligne-t-elle. Tout comme l’est la polyvalence. Loin de raser les murs, Yannick Tolia-Huet parle « en toute liberté » de son univers professionnel et ne cesse de promouvoir le travail de son unité. Elle participe ainsi au groupe de recherche et de réflexion « Éthique et pratiques en chambre mortuaire » animé pas l’Espace éthique de l’AP-HP, à la Collégiale des professionnels des chambres mortuaires, intervient en Ifsi et accueille volontiers des étudiants. Elle n’hésite pas non plus à aller à la rencontre des soignants de l’hôpital pour les former et les informer. « Mon objectif est double : leur donner envie de venir nous voir et leur préciser ce que l’on attend d’eux avant qu’ils transfèrent leurs patients. Le contact est souvent très bon et nos collègues sont toujours étonnés de la variété de notre activité. » Ils ne sont pas les seuls…

1- Chaque année, la chambre mortuaire de l’hôpital Bichat accueille quelque 1 200 défunts, ainsi que les patients décédés à l’hôpital Bretonneau.

MOMENTS CLÉS

1986 Obtient son diplôme d’État.

1987 Prend son premier poste à l’hôpital Claude-Bernard, au service maladies infectieuses et tropicales.

1999 Rejoint l’équipe de HAD de l’établissement.

2012 Devient responsable de la chambre mortuaire du Groupe hospitalier Bichat/Claude-Bernard.