L’IDE, vigie face à la iatrogénie - L'Infirmière Magazine n° 356 du 01/01/2015 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Magazine n° 356 du 01/01/2015

 

FORMATION

EN ÉQUIPE

A. S.  

Parce qu’elles ont la responsabilité de l’administration des médicaments, les infirmières sont les soignantes les plus directement confrontées à l’apparition d’effets indésirables. Leur vigilance est cruciale, surtout en Ehpad, où les résidents sont fragilisés par plusieurs maladies et polymédiqués.

Selon une estimation de l’Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé, en 2008, 40 % des erreurs médicamenteuses étaient liées à l’administration à tort d’un produit. Les deux situations les plus fréquentes sont une confusion entre deux médicaments (Coversyl et Corvasal, Préviscan et Primpéran…) ou une erreur de retranscription après une prescription orale. En charge de l’administration des médicaments, les infirmières ont « une vraie responsabilité à cet égard, chacune de nous en a bien conscience. On vérifie les prescriptions dans les transmissions écrites, dans le classeur des prescriptions et les choses sont redites à l’oral. On multiplie les sécurités », témoigne une IDE de l’Ehpad Anselme-Payen, à Paris.

Vigilance collective

La problématique est en effet encore plus aiguë en Ehpad du fait de la fragilité des personnes âgées. La prévalence des démences et des troubles de la déglutition complique l’administration des traitements. L’ordonnance moyenne d’un résident comporte huit médicaments, selon une étude menée en 2012 en Pays de la Loire. Or, au-delà de cinq médicaments, le risque de présenter au moins un effet indésirable est multiplié par deux. « Les effets indésirables font partie des informations très régulièrement abordées en transmission. Le médecin informe qu’il donne un nouveau médicament à tel résident et demande aux infirmières de surveiller l’apparition de tel ou tel effet secondaire. Inversement, si l’équipe constate quelque chose d’anormal, elle le mentionne au médecin qui peut faire le lien avec tel ou tel traitement, l’ajuster ou changer de médicament. On est vraiment dans une vigilance collective », souligne Anne Lozachmeur, cadre de santé de cet Ehpad parisien. La lutte contre la iatrogénie ne peut en effet se concevoir que comme une mission d’équipe, où chacun prend sa part en fonction de ses compétences. « J’ai besoin des retours que me font les infirmières, car ce sont elles qui sont aux premières loges. C’est très important qu’elles tracent bien si les médicaments sont pris ou pas pour éviter d’augmenter les doses inutilement, si la forme galénique en comprimé ne convient pas et qu’il faut passer aux sachets ou au sirop. En termes de sécurité, c’est très important que je sache si Mme Unetelle a pris par accident les médicaments d’un autre résident pour pouvoir réagir rapidement. Je compte beaucoup sur les infirmières pour ce type d’informations », explique le Dr Véronique Villemur, médecin coordonnateur et gériatre.

Traçabilité et informatique

Les Ehpad se sont souvent mobilisés pour sécuriser au maximum l’administration des médicaments. Informatisation des prescriptions, double contrôle lors de l’élaboration des piluliers, traçabilité de l’administration, chaque étape est concernée. « Les modifications de traitement, les effets indésirables, les erreurs de dispensation, les refus par les résidents, tout doit être entré dans le logiciel. L’informatique est vraiment une aide précieuse. L’idée n’est pas de juger qui a mal fait mais d’être vigilants ensemble. La iatrogénie est un bon sujet pour faire comprendre aux équipes que l’intérêt de l’informatisation n’est pas le flicage mais l’amélioration de nos pratiques au bénéfice de tous et surtout du résident », souligne Anita Rossi, cadre supérieure de santé et adjointe à la direction de l’Ehpad Anselme-Payen. Mais en dépit de la bonne volonté des équipes, certaines mauvaises pratiques peuvent persister, souvent par méconnaissance. De nombreux traitements sous forme de gélule ou de comprimé sont dilués ou écrasés par les infirmières dans des boissons ou des aliments sans qu’elles se soient assurées de la faisabilité ni d’une éventuelle modification importante de l’efficacité du traitement ainsi administré (lire p. 45). Enfin, une étude menée en 2012 dans 80 Ehpad volontaires des Pays de la Loire a révélé que l’indice de masse corporelle et la clairance rénale des résidents étaient trop rarement réactualisés ou tracés dans les dossiers, alors que ces deux valeurs sont cruciales pour le choix des doses de médicaments, leur absorption et leur efficacité.