LE TRAITEMENT DES PLAIES CHRONIQUES - L'Infirmière Magazine n° 346 du 01/06/2014 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Magazine n° 346 du 01/06/2014

 

FORMATION CONTINUE

L’ESSENTIEL

THIERRY PENNABLE  

Les plaies chroniques affecteraient environ 2,5 millions de personnes en France (1). Le vieillissement de la population, la progression des maladies vasculaires durables et du diabète associée à un défaut de prévention en font un véritable problème de santé publique comparé parfois à une « épidémie silencieuse ». Les dépenses liées à ces lésions, en médecine de ville et en milieu hospitalier, représentent un véritable fardeau pour le système de santé. Dans ce domaine, encore mal maîtrisé par les médecins, les infirmières ont un rôle déterminant à jouer, à condition de connaître le processus de cicatrisation pour adapter la prise en charge à l’évolution de la blessure. La guérison d’une plaie chronique est aussi conditionnée par le traitement du problème de santé qui en est à l’origine. Dans les situations à risque, comme les escarres ou dans le cas du diabète, la prévention est de mise.

1. LES PLAIES CHRONIQUES : DÉFINITION

Une plaie se définit par une rupture de la cohérence anatomique et fonctionnelle du revêtement cutané ou d’un épithélium qui recouvre un organe. Elle est dite chronique lorsque le délai de cicatrisation est supérieur à 4 à 6 semaines, ce qui correspond au délai de cicatrisation d’une plaie aiguë. Ce retard du processus de guérison est lié à une défaillance des mécanismes naturels de réparation, soit à cause de l’état de la plaie (localisation, traitements antérieurs…), soit à cause de maladies sous-jacentes (diabète, insuffisance veineuse ou artérielle…). Les plaies chroniques regroupent notamment les escarres, les ulcères de jambe, les plaies du pied diabétique et les plaies oncologiques, auxquelles s’ajoutent les moignons d’amputation et les brûlures étendues en cas d’allongement des délais de cicatrisation.

Ces lésions difficiles représentent un motif fréquent de découragement pour les soignants et les patients pour lesquels c’est aussi un risque d’isolement voire de désociabilisation (2). Leur chronicisation peut être source de handicap, parfois sévère. Les complications infectieuses entraînent une augmentation de la morbidité et sont susceptibles de mettre en jeu le pronostic vital du patient.

2. LA CICATRISATION

La cicatrisation est un processus de réparation naturel et complexe, enclenché par l’organisme dès la survenue d’une blessure. Ses mécanismes ont pour but d’arrêter l’hémorragie, puis de protéger, d’assainir et de refermer la plaie jusqu’à reproduire le plus possible le tissu initial. La rapidité et la qualité de la cicatrisation dépendent de facteurs tels que la cause de la lésion, sa localisation ou l’état général du patient. Pour un même type de plaie, son déroulement sera différent d’un individu à l’autre.

Deux types de cicatrisations

→ La cicatrisation de première intention ou dite primaire, concerne les plaies plutôt minces et profondes, sans perte de substances significative, dont les bords sont nets et bien rapprochés l’un de l’autre, en l’absence d’infection. La surface de peau à réparer est réduite, ce qui facilite la réparation spontanée ou aidée par une suture.

→ La cicatrisation de seconde intention ou secondaire elle est nécessaire lorsque les pertes de substance ou une infection purulente empêchent la réunion directe des bords de la plaie, trop éloignés pour permettre une suture directe. Sans affrontement des bords, elle est alors secondaire à la formation d’un tissu de remplacement (tissu de granulation). Dans ce cadre, les soins infirmiers et l’utilisation de pansements adaptés à chaque phase peuvent influencer le processus de réparation. On parle alors de « cicatrisation dirigée ».

→ Un même processus de cicatrisation : la distinction classique entre cicatrisation primaire et secondaire ne repose que sur une appréciation quantitative des processus de réparation qui se déroulent toujours de la même façon (voir plus loin).

Les mécanismes de la cicatrisation

→ L’hémostase est l’ensemble des mécanismes biologiques qui contribuent à faire cesser l’hémorragie, tout en maintenant la fluidité du sang dans les vaisseaux. L’hémostase primaire débute par une vasoconstriction qui permet de réduire le débit sanguin et le regroupement des plaquettes qui adhèrent à la paroi lésée et forme un amas sanguin, appelé « clou plaquettaire ». Durant l’hémostase secondaire (coagulation), l’activation des facteurs plasmatiques permet la constitution d’un caillot de fibrine qui vient stabiliser le clou plaquettaire et forme un « bouchon » constitué de sang coagulé. Il joue le rôle d’une matrice provisoire de fibrine qui couvre la perte de substance et sert de support à la migration des cellules nécessaires à la cicatrisation, à partir des bords de la plaie.

→ L’inflammation est caractérisée par la formation d’un exsudat inflammatoire (ou granulome inflammatoire) dans la zone lésée. Il est composé de fibrine provenant de l’hémostase et de cellules inflammatoires (macrophages, lymphocytes). Durant cette phase :

– Les vaisseaux sanguins abîmés subissent une vasoconstriction pour réduire l’hémorragie ;

– Les vaisseaux intacts proches de la plaie connaissent une vasodilatation et une augmentation de la perméabilité capillaire qui permet l’arrivée, dans et autour du foyer lésionnel, de cellules inflammatoires qui traversent la paroi vasculaire.

Les signes cliniques de la phase inflammatoire sont :

– Un gonflement provoqué par la formation de l’exsudat inflammatoire ;

– Rougeur et chaleur, dues à la vasodilatation et à l’accroissement de la vascularisation ;

– Douleur causée par une pression exercée sur les fibres nerveuses.

→ La détersion est un phénomène physiologique lent, essentiellement dû à l’action enzymatique microbienne, qui permet l’élimination des divers débris nécrotiques et fragments de tissus dévitalisés issus de l’agression initiale ou du processus inflammatoire lui-même. Ce « nettoyage » du foyer lésionnel est nécessaire à la poursuite du processus de réparation. Une détersion incomplète fait évoluer l’inflammation aiguë normale vers une inflammation chronique. Dans ce cas, une détersion externe doit être mise en place par le soignant.

→ Le bourgeonnement : une fois les tissus nécrosés éliminés, le processus de cicatrisation se poursuit par la formation d’un nouveau tissu conjonctif appelé « bourgeon charnu » ou tissu de granulation qui va combler la perte de substance et remplacer les tissus détruits au cours de l’inflammation. Le bourgeon charnu, rouge vif, est constitué de cellules (fibroblastes) issues du tissu sous-cutané des bords de la plaie et de vaisseaux sanguins qui se développent également à partir de ses bords. Le bourgeon charnu est aussi constitué de myofibroblastes (sorte de fibroblastes « activés ») dotés de propriétés qui permettent la contraction du bourgeon charnu et une réduction considérable de la surface de perte de substance de la plaie.

→ L’épidermisation ou phase d’épithélialisation (appelée aussi ré-épidermisation ou ré-épithélialisation) peut débuter lorsque la perte de substance est comblée par le bourgeon charnu et que celui-ci a atteint le niveau des berges de la plaie. Cette phase termine le processus de cicatrisation en recouvrant le bourgeon charnu par un nouvel épiderme. Elle se fait par la prolifération de cellules épithéliales (kératinocytes) depuis la périphérie (berges de la plaie) jusqu’au centre du bourgeon. Lorsque celui-ci est entièrement recouvert, commence alors une phase de consolidation ou de remodelage durant laquelle la cicatrice évolue lentement et se rapproche le plus possible de la structure originelle des tissus lésés, identique à celle des tissus adjacents.

3. RETARDS DE CICATRISATION

Dans les plaies chroniques, le déroulement du processus cicatriciel normal est perturbé par des facteurs qui prolongent la phase inflammatoire.

Facteurs liés à la plaie

– Étendue de la perte de substance ;

– Profondeur, localisation et ancienneté de la lésion, récurrence ;

– Aspect du lit de la plaie : taux de fibrine supérieur à 50 %, taux de tissu nécrosé important, présence de calcifications ;

– Traitements locaux antérieurs, par exemple : absence de compression des ulcères veineux, absence de mise en décharge du pied diabétique ou de l’escarre ;

– Forte colonisation bactérienne.

Facteurs liés au patient

– Âge (cicatrisation plus rapide chez un jeune sujet), sédentarité, hygiène de vie insuffisante ;

– Stress important et répété (libération de substances vasoconstrictives) ;

– État de dénutrition qui altère toutes les phases de la cicatrisation et augmente le risque d’infection ;

– Déficits immunitaires : altération de la qualité de la phase inflammatoire et de la détersion, moindre résistance aux infections ;

– Niveau de précarité, non compliance aux traitements, état dépressif…

Facteurs liés aux traitements

– Les corticoïdes : leur impact est plus important s’ils sont administrés à forte dose et précocement car ils altèrent la phase inflammatoire initiale. En traitement local, ils inhibent la phase de bourgeonnement des lésions ;

– Les anti-inflammatoires non stéroïdiens entraînent une vasoconstriction et suppriment la réponse inflammatoire. Ils diminuent la contraction des plaies et augmentent le risque infectieux ;

– Les irradiations : le tissu irradié est hypoperfusé, l’atrophie de la peau et la fibrose s’accentuent ;

– La chimiothérapie anticancéreuse, surtout si elle est administrée en phase inflammatoire.

Retards liés à la vascularisation

Le vieillissement de la population s’accompagne d’une fréquence accrue des plaies chroniques d’origine vasculaire des membres inférieurs. Les ulcères veineux, les plus fréquents, sont liés à une insuffisance veineuse (varices, syndrome post-thrombotique), tandis que les ulcères artériels sont principalement liés à l’athérosclérose. Les ulcères mixtes associent artériopathie et insuffisance veineuse. Les ulcères veineux nécessitent la mise en place d’une compression veineuse. Pour être efficace, une contention doit être mise avant le lever, le matin. Lorsque ce n’est pas le cas, l’infirmière peut pallier cette difficulté en demandant au patient de s’allonger une heure et demie avant la pose de la compression avec les jambes surélevées pour « vider » à nouveau les jambes. « Dans l’ulcère artériel, si l’ulcération est distale au niveau de l’orteil, du cou-de-pied ou du bord externe du pied, il ne faut pas déterger sans avoir vérifié l’état vasculaire », avertit Sylvie Palmier infirmière experte Plaies et cicatrisation au CHRU de Montpellier (Hérault). « Il faudra peut-être momifier la plaie car il peut s’agir d’une gangrène et non plus d’un ulcère à décaper. »

DOSSIER REALISE AVEC L’AIMABLE PARTICIPATION DU DR BRIGITTE FAIVRE, dermatologue au centre de traitement ambulatoire des plaies chroniques (CTAPC) du CHRU Jean-Minjoz, à Besançon.

1- Selon l’enquête « Vulnus » réalisée à l’initiative de la Société française et francophone des plaies et cicatrisations (SFFPC).

2- Une filière spécialisée « Plaies chroniques pour l’accompagnement des patients sur le territoire de santé », quel intérêt de santé publique ?, Pierre-Yvon Courcoux, mémoire de l’École des hautes études en Santé publique (EHESP), 2011.