L'infirmière Magazine n° 345 du 15/05/2014

 

CONDITIONS DE TRAVAIL

ACTUALITÉ

CAROLE TYMEN  

Manque d’effectifs, insécurité au travail, glissement des tâches… Depuis plusieurs semaines, les mobilisations fleurissent. Les IDE de nuit font-elles les frais des restrictions budgétaires ?

Le monde du silence a décidé de faire du bruit. » C’est le mot d’ordre lancé par le personnel de l’hôpital du Mans (Sarthe), qui a manifesté le 24 février. Après deux ans à tenter d’améliorer les conditions de travail du personnel de nuit, l’intersyndicale a claqué la porte du groupe de travail mis en place par la direction en 2011. « Hormis une plaquette créée à destination des nouveaux personnels et la diminution du pool de nuit, ça n’a mené à rien », lâche Céline, IDE. Rebelote le 14 avril, où quelque 80 infirmières et aides-soignantes de nuit de l’hôpital ont donné de la voix dans les rues de la ville. Reçues par l’ARS, elles ont exprimé leur « ras-le-bol » : agressions envers le personnel et les biens, impossibilité d’assister aux réunions programmées entre deux nuits, équipe restreinte pour gérer le flux saturé des entrées de nuit, où elles sont deux pour 24 patients, voire 40 en gériatrie. Un ratio insuffisant pour assurer la sécurité des malades, estiment-elles. Elles réclament aussi une revalorisation de leur prime (voir encadré).

Des tensions ont également éclaté en région parisienne. Fin mars, une vingtaine d’infirmières du CH Cour­bevoie-Neuilly-Puteaux (Hauts-de-Seine) ont lancé une grève illimitée, à la suite de la suppression d’un poste infirmier de nuit aux urgences du site de Neuilly, fin février, sonnant la fin de la période hivernale et de ses pics d’épimédies. Les quatre infirmiers gérant les urgences adultes, l’unité d’hospitalisation de courte durée (5 « lits-portes ») et les urgences pédiatriques (5 box) sont passés à trois équivalents temps-plein après 22 heures. Pourtant, assure le personnel gréviste, « la période hivernale se poursuit bien après février ». Ils ont été entendus : le passage en effectifs d’été a été repoussé au 31 avril et les horaires des soins paramédicaux ont été redéfinis. Un quatrième infirmier a été intégré à l’équipe de nuit en fin de semaine (du vendredi au dimanche) en période estivale.

Le 1er avril, c’était au tour du personnel soignant des hôpitaux de Saint-Maurice (Val-de-Marne) de se mobiliser : dénonçant la présence d’une seule infirmière la nuit pour trois unités fonctionnelles, ils ont organisé un flash-mob « zombie ».

Le sens du travail de nuit

L’infirmière de nuit est-elle la cible privilégiée des politiques d’économie ? À Neuilly, la direction assure que non et met en avant la fin du pic d’épidémies pédiatriques, comme en 2013. Elle parle d’une harmonisation du temps de travail sur l’année et justifie d’adapter les effectifs à la charge de travail. Pour Olivier, IDE de nuit à l’AP-HP et membre du collectif de nuit CGT, le manque d’effectifs, jusqu’à des ratios de 1 IDE pour 60 patients dans certains services (SSR et gériatrie), est l’unique responsable de ces tensions sociales. « Les heures supplémentaires, les intérims et les comptes épargne-temps atteignent des sommets. » Le mal-être est généralisé à l’ensemble des services. Le droit au repos et l’accès à la formation des personnels de nuit en font les frais. « Les agents se voient refuser leurs congés à la dernière minute pour diverses raisons et ne peuvent se rendre, de jour, à leur formation. En descente de veille (1), personne ne les remplace. »

Navettes entre équipes de jour et de nuit, changement d’horaires, turn-over, réduction des pools de renfort… À l’AP-HP, le collectif lutte pour la réhabilitation du travail de nuit, « pour qu’il retrouve du sens ». Céline, IDE de nuit au Mans, confirme : « Le fait de ne pas toujours avoir d’équipe de nuit autonome implique que les équipes tournent de plus en plus ; la notion de binôme n’est plus la même. Si mutuellement nous ne nous faisons pas confiance ou nous ne nous connaissons pas, c’est moins facile de gérer les urgences. »

La question de la sécurité

Autre source de tensions, le transfert des tâches entre équipes de jour et de nuit, qui tend à s’institutionnaliser : traitement administratif des dossiers, ménage des salles, préparation des commandes et des médicaments. De l’aveu de l’ARS des Pays de la Loire, « les équipes de jour comptent là-dessus. Or, les équipes de nuit doivent faire face à la vague d’affluence de 15-16 heures, puis à celle du soir. Le retard s’accumule vite. » En réponse à la mobilisation du 14 avril, l’ARS a annoncé un plan de gestion des entrées de nuit, pour savoir « comment mieux réguler les flux ». Sans proposer de solution concrète, elle appelle la direction de l’hôpital à lancer un audit.

Au-delà des conflits sociaux, beaucoup s’inquiètent de la sécurité au travail : celle des soins, des patients et du personnel. Partout, les équipes dénoncent des agressions envers les agents et leurs biens mais aussi des intrusions dans les services, la nuit. « La montée en puissance de la violence dans notre société est exacerbée dans les lieux publics », constate la direction de l’hôpital de Neuilly, qui prend la question très au sérieux. Opposée à la présence de « gros bras » aux urgences la nuit, elle souhaite redéfinir le profil de poste d’agent d’accueil, afin que ses compétences en gestion des comportements psychiques et addictifs soient renforcées.

Pour Olivier, à l’AP-HP, la sécurité nocturne passe aussi par la surveillance des patients, notamment âgés, qui ont tendance à fuguer. Il propose les bracelets anti-fugues qui pourraient éviter des issues tragiques. Au Mans aussi, les infirmières ont été entendues à ce sujet. En 2014, une enveloppe de 400 000 euros servira à sécuriser trois bâtiments.

1- La descente de veille est un repos singulier accordé la nuit qui précède le jour où a lieu une formation ou l’exercice d’une activité syndicale.

PRIME DE NUIT

La revalorisation sera nationale ou ne sera pas

Si les infirmières du centre hospitalier du Mans veulent bénéficier d’une revalorisation de leur prime de nuit, elles devront obtenir une modification des textes de loi. Le montant de la majoration, applicable entre 21 heures et 6 heures du matin, a été fixé par les arrêtés du 20 avril et du 30 août 2001. Depuis le 1er janvier 2002, elle s’élève à 1,07 € brut de l’heure : à l’indemnité pour le travail normal de nuit (0,17 €), s’ajoute une majoration pour travail intensif (0,90 €). « C’est à peine le prix d’une baguette », compare la Coordination nationale infirmière, qui en appelle à tout le person­nel de nuit concerné par la modification de la grille. « Ces primes ne sont pas de nature à motiver et, surtout, elles ne répondent pas aux réalités économiques (frais de garde…) », estime le syndicat, qui réclame son triplement.