LE CANCER DE LA PROSTATE - L'Infirmière Magazine n° 320 du 01/04/2013 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Magazine n° 320 du 01/04/2013

 

DOSSIER

L’ESSENTIEL

Premier cancer masculin, le cancer de la prostate est diagnostiqué en moyenne à l’âge de 70 ans, rarement avant 50 ans. Détecté à un stade encore localisé – 84 % des cas –, il n’a que peu d’incidence sur l’espérance de vie. Un dépistage ­systématique auprès de la population n’est toutefois pas à l’ordre du jour, son efficacité n’étant pas prouvée. Si le pronostic est souvent bon, les effets secondaires et complications engendrés par les ­traitements, notamment les troubles sexuels, restent fréquents et difficiles à vivre pour les patients. De nouvelles thérapies locales en cours de validation, permettant de mieux cibler les zones à détruire, offrent à cet égard des perspectives intéressantes. Pour l’heure, un accompagnement infirmier spécifique est essentiel dans la prise en charge du patient en pré et post-opératoire afin de préparer aux effets secondaires et d’évoquer les solutions face aux troubles de l’érection, si besoin.

1. ÉPIDÉMIOLOGIE

Par sa fréquence, le cancer de la prostate, une glande sexuelle accessoire impliquée dans la production d’une partie du sperme, pose un problème de santé publique majeur dans les pays occidentaux : il représente 390 000 cas/an et 90 000 décès en Europe. Il est plus commun en Suède, en Finlande et aux Pays-Bas.

En France, il est le plus fréquent des cancers masculins (environ 71 000 cas sur 206 000). Avec environ 8 700 décès/an, il constitue la deuxième cause de décès par cancer chez l’homme et la quatrième cause de l’ensemble des décès. Toutefois, la mortalité, d’environ 13,5/10 000, est en régression depuis les années 1980 en raison d’un dépistage plus précoce, expliquant aussi que son le nombre de cas idéntifiés se soit fortement accru depuis (moyenne de variation annuelle d’environ + 8 %) pour atteindre 121/100 000. La prévalence du cancer de la prostate est si élevée qu’il est considéré par certains auteurs comme un phénomène physiologique lié à l’âge. Ce cancer affecte avant tout les sujets âgés : il est très rare avant 50 ans et l’âge moyen lors de son diagnostic est de 70-71 ans.

2. PHYSIOPATHOLOGIE

Les hormones androgènes sont dominées par la testostérone circulante, essentiellement produite par les cellules de Leydig des testicules (accessoirement, par les glandes corticosurrénales). Captée par les cellules prostatiques, cette hormone y est transformée en dihydrotestotérone (DHT) par la 5-alpha-réductase. La DHT se fixe sur un récepteur cytoplasmique. Le complexe récepteur-DHT se lie lui-même ensuite à des gènes dans le noyau cellulaire, entraînant des réactions permettant le contrôle de la croissance, de la survie et de la prolifération des cellules prostatiques. La prostate est donc totalement dépendante des androgènes : cela explique que les traitements entraînant une privation androgénique provoquent la mort des cellules prostatiques normales comme celle des cellules tumorales (cet effet s’épuise après quelques années : la tumeur devient alors résistante).

Evolution tumorale

Le cancer de la prostate est généralement un adénocarcinome d’évolution souvent lente. Contrairement à l’adénome prostatique (qui est, lui, bénin), la tumeur se développe progressivement dans la zone périphérique de la glande (75% des cas), ce qui explique qu’elle soit aisément détectable au toucher rectal, mais tardivement symptomatique. Un cancer se développant dans la zone de transition de la glande, plus en profondeur, est souvent difficile à détecter au toucher : il est diagnostiqué après biopsie réalisée au vu d’un taux de PSA (cf. encadré ci-contre) élevé, ou sur des copeaux de résection transurétrale réalisée pour hyperplasie bénigne.

→ La tumeur envahit progressivement la capsule prostatique, l’urètre et les vésicules séminales, puis enfin le trigone vésical ou le col vésical (avec alors dysurie et rétention urinaire). Lorsqu’il franchit la capsule prostatique, le cancer colonise les vaisseaux lymphatiques avec développement d’adénopathies métastatiques susceptibles de comprimer les vaisseaux (et d’induire une thrombophlébite d’un membre inférieur) ou un urètre (avec urétéro-hydronéphrose).

→ Le cancer touche ensuite des parties distantes. Son extension métastatique est généralement osseuse (vertèbres, bassin, côtes, os longs, crâne). Plus de 80 % des patients décédant de ce cancer ont développé des métastases osseuses. Les métastases pulmonaires et hépatiques, d’apparition tardive, restent plus rares.

De l’hormonosensibilité à l’hormonorésistance

À partir d’un certain stade, la plupart des tumeurs prostatiques ne sont plus hormonodépendantes : les cellules tumorales n’ont plus besoin des androgènes pour se multiplier car elles développent des mécanismes leur permettant de survivre dans un environnement réduit en androgènes. Deux théories non exclusives expliquent la progression tumorale dans un environnement faible en testostérone : l’existence de clones cellulaires résistants, sélectionnés par le traitement anticancéreux (anti-androgènes), et la probable existence de phénomène de régulation permettant au cancer de s’adapter pour survivre. Le pronostic de la maladie devient péjoratif à ce stade : la médiane de survie est en général comprise entre neuf et dix-huit mois.

3. CLINIQUE ET DIAGNOSTIC

Le cancer de la prostate est généralement découvert fortuitement, chez un patient asymptomatique, ayant un toucher rectal normal, mais un taux de PSA élevé (voir encadré). Demeurant longtemps asymptomatique ce cancer ne modifie pas, ou très peu, l’espérance de vie chez le sujet âgé présentant une tumeur localisée et peu évolutive.

Symptômes

Le cancer de la prostate ne donne de signes urinaires que tardivement, lorsque son développement entraîne des compressions pelviennes (urétrale, vésicale voire rectale). Il est révélé, dans environ 10 % des cas, par les signes cliniques liés aux métastases : thrombose veineuse, hydronéphrose, métastases osseuses avec douleurs, fractures spontanées, tassement vertébral. L’altération de l’état général ou l’amaigrissement du patient sont désormais rarement révélateurs de la maladie car le diagnostic est porté plus précocement.

Examen clinique

Un toucher rectal normal n’élimine pas l’existence d’un cancer : le dosage du PSA reste indispensable. Inversement, un PSA normal ne dispense pas d’un toucher rectal. Les deux examens sont donc complémentaires.

Diagnostic de certitude

Le diagnostic de certitude du cancer de la prostate est posé après biopsie prostatique échoguidée, ou biopsie d’une métastase.

→ La biopsie permet de déterminer le type histologique et un indice d’évolution de la tumeur : le score de Gleason. Toute anomalie du toucher rectal évoquant un cancer doit motiver une échographie endorectale avec biopsie.

 Le pronostic du cancer est apprécié au regard de l’extension tumorale, du score de Gleason et du taux de PSA. La notion de « haut risque » varie selon les critères d’inclusion dans les essais cliniques. Pour s’en tenir à un exemple représentatif, l’Association américaine d’urologie considère qu’il y a haut risque lorsque le taux initial de PSA est > 20ng/mL, ou lorsque le score de Gleason ≥ 8, ou encore si le stade d’évolution ≥ T2c : un décès des suites du cancer est alors observé dans 25 % des cas dans les cinq ans suivant le diagnostic.

→ Le bilan paraclinique n’est pas réalisé dans les formes de bon pronostic (PSA < 10ng/mL, tumeur de grade T1-T2, score de Gleason < 7) car le risque métastatique est alors faible. Ce bilan porte sur l’extension locale et l’extension à distance (scanner abdomino-pelvien, scintigraphie osseuse, radiographies standards).

→ On estime que 84 % des cancers de la prostate sont diagnostiqués à un stade encore localisé, 3 % à un stade localement avancé et 10 % à un stade métastatique. Au moment du diagnostic, les tumeurs, généralement peu évoluées, peuvent bénéficier d’un traitement curateur, d’où une amélioration de la survie des patients par rapport à ce qu’elle était dans les années 1980-1990.

→ L’un des défis actuels consiste à différencier précocement les cancers indolents des cancers rapidement agressifs. La classification de Gleason, le meilleur des indicateurs pronostics, pose des problèmes d’interprétation délicats. Les progrès réalisés dans la génétique intratumorale ont permis des avancées dans l’étude des cancers de la prostate familiaux. Des réarrangement de gènes, liés à un promoteur intervenant dans les voies de signalisation régulant la croissance et la différenciation cellulaires, semblent avoir une signification pronostic et ouvrent des perspectives aux thérapies ciblées.

On note 5 % de présentation familiale, 15 % d’antécédent familial unique de cancer de la prostate et plus de 80 % de présentation sporadique. Le taux de concordance entre jumeaux monozygotes, d’environ 20 % (vs 4 % chez les dizygotes), témoigne d’une part assez faible de la génétique germinale dans ce cancer.

Divers variants de gènes de susceptibilité ont été étudiés : les patients mutés BRCA2 ont des cancers plus précoces et de moins bon pronostic.

Ces progrès dans la génomique des cancers permettront à terme d’éviter ­d’imposer des traitements agressifs à des patients chez lesquels la tumeur a peu de chance d’évoluer rapidement.

4. DÉPISTAGE INDIVIDUEL

Le dépistage individuel du cancer de la prostate repose sur le dosage du PSA associé au toucher rectal. Toutefois, l’intérêt de réaliser de façon systématique ce dépistage en population générale reste objet de controverse.

Deux importantes méta-analyses ayant inclus respectivement quelque 340 000 et 390 000 hommes suivis neuf à quinze ans n’ont pas montré que le dépistage réduit efficacement la mortalité par cancer de la prostate et d’ailleurs un comité d’experts américains s’est prononcé en 2011 contre le recours au dosage du PSA pour la détection de masse de cette affection (1).

Effectivement, 70 % des hommes dont le taux de PSA est > 4ng/L n’ont pas de cancer de la prostate : les biopsies réalisées à la suite de ce dosage faussement positif les exposent à une iatrogénie parfois handicapante (hématurie, hémospermie, douleurs, rétention urinaire aiguë, infections, etc. sans parler de l’anxiété liée à l’incertitude sur le diagnostic).

L’évolution de 30 % à 80 % des cancers détectés n’aurait pas eu d’impact sur l’espérance ou la qualité de vie des patients. Ce surdiagnostic est ainsi à l’origine d’une iatrogénie importante résultant de la mise en œuvre des traitements (prostatectomie, radiothérapie, etc.) : anxiété et troubles psychiques, incontinence urinaire, dysérection, etc. voire même cancers de la vessie ou du rectum résultant de la radiothérapie.

Actuellement, l’intérêt d’un dépistage de masse par dosage du PSA associé au toucher rectal est donc loin d’être prouvé : des essais en cours modifieront peut-être cette tendance. En l’attente, l’Agence nationale de santé et du médicament (ANSM) a maintenu en 2010 puis en 2012 (2) ses recommandations de 2004 sur le dépistage du cancer de la prostate après évaluation (incluant notamment les études PLCO (3) et ERSPC (4), de 2009). Toutefois, des spécialistes français regrettent l’absence de positionnement des autorités de santé sur le dépistage individuel : les pratiques actuelles se rapprochent d’un dépistage de masse et devraient être, selon eux, récusées (le dosage du PSA ne devant plus être proposé systématiquement aux hommes en bonne santé).

Dans ce contexte peu consensuel, l’Institut national du cancer (InCa) et la HAS travaillent dans le cadre du Plan Cancer 2009-2013 à la clarification du message à délivrer aux hommes souhaitant bénéficier d’un dépistage du cancer de la prostate et à l’élaboration de préconisations destinées aux professionnels de la santé.

Il est important de souligner que, bien entendu, l’intérêt du dosage du PSA pour le suivi des patients chez lesquels un cancer de la prostate a été diagnostiqué et/ou pour le suivi du traitement d’un cancer de la prostate n’est pas remis en cause par cette controverse !

1 - www.uspreventiveservicestaskforce.org/uspstf/uspsprca.htm

2 - Haute Autorité de Santé (HAS) (2012), Rapport d’orientation – Cancer de la prostate : identification des facteurs de risque et pertinence d’un dépistage par dosage de l’antigène spécifique prostatique (PSA) de populations d’hommes à haut risque ? (79 pages) www.has-sante.fr

3 - Essai américain Prostate, Lung, Colorectal and Ovarian Cancer Screening Trial (PLCO)

4 - Essai européen European Randomized Study of Screening for Prostate Cancer (ERSPC)

REPÈRES

PSA : de quoi s’agit-il ?

→ Le PSA (Prostate Specific Antigen) est une glycoprotéine qui participe à la liquéfaction du sperme : son taux plasmatique normal est < 4ng/mL. Le PSA est un marqueur de pathologies prostatiques non spécifique (traumatisme comme un simple toucher rectal, prostatite, cancer). L’hypertrophie bénigne de la prostate produit un PSA libre, alors qu’une prostate normale ou cancéreuse libère un PSA lié aux protéines plasmatiques. Le taux de PSA s’interprète en fonction de l’âge : environ 2ng/mL avant 40-50 ans. Le rapport PSA libre/PSA total oriente le diagnostic lorsque le taux de PSA est supérieur à la normale : un rapport < 20 %, fait évoquer un cancer ou une prostatite, alors qu’un rapport élevé plaide en faveur d’une hypertrophie bénigne. Le PSA peut rester normal en cas de cancer indifférencié, d’où l’intérêt du toucher rectal. Le dépistage de masse par dosage du PSA n’est pas recommandé en France.

FACTEURS DE RISQUE

Hérédité et mode de vie

Le cancer de la prostate peut être héréditaire (5 % des cas) ou sporadique. De nombreux gènes de susceptibilité lui sont associés.

→ La majorité des tumeurs prostatiques, sporadiques, sont associées à un polymorphisme de diverses protéines, parmi lesquelles le récepteur aux androgènes, le CYP17 (enzyme impliquée dans la biosynthèse de la testostérone), le récepteur de la vitamine D, etc.

→ Une prostatite symptomatique affecte environ 9 % des hommes de plus de 40 ans (la prévalence des prostatites asymptomatiques restant inconnue) : les cellules inflammées libèrent des substances oxydantes susceptibles d’induire un dommage génétique cellulaire. L’épidémiologie montre a contrario que le risque de cancer de la prostate diminue avec l’usage d’antioxydants ou d’anti-inflammatoires non-stéroïdiens (AINS); inversement, le risque augmente en cas d’infections des voies urinaires ou génitales donnant lieu à inflammation.

→ Le mode de vie, l’exposition à des facteurs infectieux (virus) ou à des toxiques (ex : cadmium; chlordécone, un insecticide organochloré) le régime alimentaire jouent un rôle dans son développement (comme pour tout cancer), mais, avant tout, le cancer de la prostate est hormonodépendant : c’est ce paramètre qui conditionne la stratégie de sa prise en charge thérapeutique.