Du diagnostic à la réparation | Espace Infirmier
 

L'infirmière Magazine n° 265 du 20/10/2010

 

DOSSIER

L’ESSENTIEL

Malgré une augmentation constante de l’incidence du cancer du sein, la mortalité liée à ce cancer diminue grâce aux effets combinés du dépistage organisé, de l’amélioration des traitements disponibles et de l’accompagnement personnalisé des patientes.

En outre, plus le diagnostic est précoce, plus les chances de guérison et de respect de l’intégrité corporelle par des traitements conservateurs sont importantes. Une prise en charge médico-technique et soignante lourde mais valorisante pour les infirmiers car, au-delà de l’efficacité des traitements, leur écoute, leur investissement et leur disponibilité pour mettre en œuvre et expliquer les traitements, prévenir leurs effets secondaires, calmer l’anxiété, vérifier la qualité du sommeil, prendre en compte les difficultés posées au quotidien par la maladie, assurer une présence rassurante… contribuent à améliorer le vécu et la qualité de vie des patientes.

1. DIAGNOSTIC

Une tumeur cancéreuse du sein d’un à deux centimètres se forme en plusieurs années et suit, lorsqu’elle n’est pas diagnostiquée, un processus évolutif conduisant à l’envahissement plus ou moins important des tissus voisins (voir encadré p. 38). Souvent asymptomatique, ce temps de formation de la tumeur constitue une fenêtre de dépistage dont il faut profiter pour poser le diagnostic et mettre en place un traitement dont l’efficacité sera d’autant plus importante qu’il est mis en œuvre précocement. Il repose sur deux principes indissociables : la surveillance individuelle et le programme de dépistage systématique.

La surveillance individuelle

Elle concerne toutes les femmes, quel que soit leur âge, et repose en premier lieu sur un suivi gynécologique régulier comprenant, entre autres, une palpation des seins systématique que les femmes peuvent également pratiquer à distance. 2 à 3 % des cancers du sein sont détectés de cette manière. Par ailleurs, un avis médical doit être demandé en présence de toute anomalie externe observée au niveau des seins : déformation du sein, survenue d’une fossette, d’une cupule ou d’une ride creusant la surface du sein, mamelon qui « louche » (orienté différemment de l’autre), épaississement de la peau (aspect peau d’orange), rétraction du mamelon, rougeur, aspect eczémateux, écoulement mamelonnaire sanglant unilatéral spontané. De même, une douleur persistante peut constituer un signe d’alerte. Dans ce contexte ou sur un terrain à risque, des examens (mammographie/échographie) pourront être prescrits ponctuellement ou de façon systématique par le gynécologue ou le médecin traitant, y compris avant l’âge du dépistage systématique.

Le dépistage systématique

La France dispose, depuis mars 2004, d’un programme national de dépistage organisé systématique pour les femmes âgées de 50 à 74 ans (plus de 75 % des cancers du sein sont diagnostiqués dans cette tranche d’âge). Celles-ci sont invitées, tous les deux ans, à bénéficier, sans avance de frais, d’un examen clinique des seins et d’une mammographie bilatérale. Le protocole prévoit également une vérification (deuxième lecture) de chaque mammographie normale en première lecture. Toutes les modalités du dispositif sont détaillées sur le site dédié de l’Institut national du cancer(1). En 2009, le taux de participation était de 53 % sur l’ensemble de la France, contre 40 % en 2004. Cette évolution montre que la perception du dépistage organisé s’améliore et que les freins reculent, favorisant la détection précoce de nombreuses lésions. En 2006, le dépistage organisé du cancer du sein a permis la découverte de 12 989 cancers, soit un taux de 6,4 pour 1 000 femmes dépistées(2). Concernant l’impact sur la mortalité, les indicateurs d’efficacité du dispositif (BEH N°04/2003)(3) montraient une baisse de 8 % dans les 10 départements tests du programme par rapport aux autres départements. « Grâce au dépistage, indique le Dr Delaloge, oncologue médicale, coordinatrice du comité de pathologie mammaire (Institut Gustave-Roussy), la taille moyenne des tumeurs est inférieure à 2 cm, et moins de 30 % présentent un envahissement ganglionnaire au diagnostic. Les études internationales sur le dépistage mammographique ont montré que la précocité de la prise en charge induite par le dépistage systématique permet d’éviter 20 à 30 % des décès. » Le plan cancer 2009-2013 a d’ailleurs fait de l’augmentation de 15 % de la participation au dépistage organisé une de ses ambitions phares, en particulier dans les départements où la participation est la plus faible (Ile-de-France, Corse).

2. EXAMENS

Examens de repérage diagnostique

→ La mammographie bilatérale, la référence (voir p. 40) : elle peut être réalisée dans le cadre du dépistage individuel ou organisé. Quel que soit le contexte, elle comprend un minimum de deux incidences par sein (face et oblique externe).

→ L’échographie, en soutien : en cas d’image douteuse ou d’examen clinique anormal associé à une mammographie non informative, la mammographie est associée à une échographie mammaire bilatérale comprenant l’examen des aires axillaires.

→ L’IRM, dans certains cas : en raison de son coût et de ses difficultés d’interprétation, l’IRM n’est pas un examen de première intention. Elle est réservée au diagnostic de certaines lésions difficiles et peut permettre d’évaluer l’extension locale de certaines tumeurs. Son utilisation en dépistage est néanmoins systématique chez les femmes à très haut risque génétique, soit celles présentant une altération des gènes BRCA1 (Breast Cancer1) ou BRCA2(4).

Examen de confirmation diagnostique

Toute suspicion de tumeur cancéreuse doit être confirmée par un examen anatomopathologique. Il repose sur le prélèvement de cellules et de tissu de la lésion suspecte. Les techniques percutanées (cytoponction, microbiopsie ou macro-biopsie stéréotaxique), peu invasives, sont aujourd’hui préférées aux exérèses chirurgicales lorsqu’elles sont techniquement possibles, pour poser le diagnostic. « Dans notre service, explique le Dr Delaloge, nous confirmons huit fois sur dix le diagnostic par la cytoponction de nodules guidée par échographie, dans le cadre d’un système de diagnostic rapide en une journée. L’analyse complète de la tumeur (grade, expression des récepteurs hormonaux et de Her2) peut être faite par une biopsie sous échographie ou lors de la chirurgie définitive. Lorsqu’il s’agit de micro-calcifications, nous devons recourir au prélèvement d’un fragment de tissu sous anesthésie locale. Ce prélèvement est réalisé par macro-biopsie stéréotaxique (repérage de la lésion en trois dimensions) radiologiquement guidée. »

3. TRAITEMENTS

Les objectifs sont le traitement du cancer, la prévention des récidives et des complications dans une démarche globale assurant le maintien de la qualité de vie des patientes grâce aux soins de support.

La chirurgie de la tumeur

C’est le traitement de première intention pour tous les cancers non métastasés (plus de 90 % des cas). La technique proposée dépend de la taille de la tumeur, de la taille des seins de la patiente et de sa préférence. Elle peut être conservatrice (tumorectomie) lorsque la tumeur est inférieure à 3 cm unifocale, bien localisée et que la taille des seins permet l’ablation d’une marge de sécurité (tissu sain) suffisante autour de la tumeur. Dans le cas contraire (tumeur plurifocale diffuse par exemple) ou lorsque la tumeur mesure d’emblée plus de 5 cm, une mastectomie totale (ablation du sein, de l’aréole et du mamelon) est réalisée. Certaines tumeurs a priori non accessibles à la chirurgie conservatrice en raison de leur taille peuvent faire l’objet d’un traitement néo-adjuvant (préalable au traitement chirurgical) dans le but de réduire la taille de la tumeur et de permettre une chirurgie conservatrice. « Actuellement, précise le Dr Delaloge, 10 à 15 % des femmes présentent des tumeurs nécessitant un traitement néo-adjuvant par chimiothérapie ou hormonothérapie. Toutefois, l’indication de ces traitements devrait se développer pour des tumeurs de petite taille car ils permettent d’évaluer la sensibilité aux médicaments. »

La chirurgie des ganglions

Qu’elle soit radicale ou conservatrice, la chirurgie des cancers infiltrants (cancers ayant franchi la membrane basale) est associée à un prélèvement ganglionnaire systématique au niveau de l’aisselle. Ce curage axillaire a pour but d’évaluer l’évolution régionale de la maladie. En fonction du contexte, il peut être étendu ou limité à quelques ganglions pour éviter les conséquences fonctionnelles du curage axillaire standard (lymphocèles, troubles sensitifs du bras, lymphoedème plus communément appelés « gros bras »). « Un curage doit comporter au moins 6 à 7 ganglions, en particulier s’il est négatif, précisent les spécialistes(5). La “technique du ganglion sentinelle”, dépourvue d’effets secondaires, est acceptable pour les tumeurs de moins de 2 à 2,5 cm. Dans les autres cas, ou si le ganglion sentinelle est positif, même microscopique, un curage standard s’impose. » La technique « sentinelle » consiste à repérer, enlever et analyser le (ou les) premier(s) ganglion(s) recevant le drainage lymphatique axillaire du sein (ganglion sentinelle(s)). Si ce ou ces ganglions sont envahis, un curage axillaire plus large est réalisé. Cette technique est également utilisée pour des cancers in situ notamment lorsque la lésion est palpable ou que l’on suspecte une micro-invasion. « L’existence d’un envahissement ganglionnaire ne signifie pas qu’il existe obligatoirement des métastases disséminées, explique le Dr Espié, directeur du Centre des maladies du sein (Hôpital Saint-Louis-AP-HP). Il permet d’estimer la probabilité que ces métastases se développent. Celle-ci est de 50 % dans les cinq ans en présence d’un envahissement et se limite à 30 % dans les dix ans si les ganglions ne sont pas atteints. Son évaluation précise est donc indispensable pour déterminer le pronostic de la maladie et adapter les traitements. »

La radiothérapie

Ce traitement peut être associé à la chirurgie ou à la chimiothérapie en fonction du contexte. Il a pour but de diminuer les risques de récidive au niveau de la paroi du thorax, de la cicatrice, du sein et de certains ganglions. Il est le plus souvent réalisé trois à six semaines après la chirurgie ou après la fin de la chimiothérapie. Il peut être administré par voie externe après détermination de la zone à irradier, de la dose de rayons et du nombre de séances par le radiothérapeute, mais peut aussi être partiellement administré sous forme de billes, petits fils ou grains radioactifs implantés directement au contact de la tumeur (curiethérapie). Bien que les progrès réalisés dans les modalités d’irradiation et les appareils permettent de réduire les effets secondaires de la radiothérapie (œdème du sein, inflammation de la peau, oesophagite), ceux-ci restent possibles en fonction de la sensibilité propre de chaque patiente aux irradiations. Ils doivent faire l’objet d’une surveillance rapprochée et d’un traitement spécifique (anti-inflammatoires locaux, crèmes apaisantes, anti-sécrétoires et anti-acides).

La chimiothérapie

C’est le traitement médical systémique de référence chez les femmes jeunes dont la tumeur ne présente pas de récepteurs hormonaux et risque de développer des métastases. Il est débuté dans les trois à six semaines après la chirurgie via une voie veineuse centrale avec ou sans chambre implantable. Les polychimiothérapies étant plus efficaces que les monochimiothérapies, les protocoles de chimiothérapies comportent généralement deux ou trois médicaments. Les plus courants sont les anthracyclines (doxorubicine, épirubicine), en association avec le cyclophosphamide et le 5 FU (fluoro-uracile) (protocole FEC), avec en séquentiel des taxanes (docetaxel ou paclitaxel). Les schémas d’administration comprennent généralement 4 à 6 cures, le plus souvent espacées de 21 jours. Leurs effets secondaires immédiats sont fréquents mais temporaires et non systématiques. Ils sont directement liés aux médicaments administrés, à la dose, à l’état général et à la tolérance individuelle de chaque patiente. Variables d’une cure à l’autre, ils peuvent être évités ou bien minimisés grâce à des traitements symptomatiques adaptés.

L’hormonothérapie

Le cancer du sein est un cancer potentiellement « hormonodépendant »: dans environ 70 à 80 % des cas, la tumeur a gardé une caractéristique de cellules mammaires normales qui est l’expression protéique des récepteurs aux hormones stéroides œstrogènes et progestérone. L’hormonothérapie est un traitement général qui vise à empêcher soit la sécrétion, soit l’action stimulante des hormones féminines sur les cellules cancéreuses, afin d’en ralentir, voire d’en stopper la croissance. Pour réagir à l’hormonothérapie, un cancer doit donc exprimer des récepteurs hormonaux. Le dosage de ces récepteurs fait partie de l’examen anatomo-cytopathologique initial de la tumeur. L’hormonothérapie est fixée en fonction du statut ménopausique de la patiente. Chez la femme non ménopausée, elle repose sur les anti-estrogènes (tamoxifène) au long cours (5 ans, selon l’HAS), avec ajout optionnel d’une castration ovarienne chimique, préférée à la castration chirurgicale par ovariectomie bilatérale, car transitoire. Cette castration chimique est réalisée avec les antagonistes de la LHRH, hormone naturelle produite par l’hypothalamus pour stimuler la fonction ovarienne. Chez la femme ménopausée, un inhibiteur de l’aromatase sera administré sur une durée de 5 ans minimum, soit seul, soit en alternance avec le tamoxifène sur la même durée.

Cas des cancers métastasés

Le traitement des stades métastatiques repose sur l’hormonothérapie et/ou la chimiothérapie, qui peut être suivie, en cas de rémission de l’envahissement métastatique, d’un traitement locorégional du sein par chirurgie et/ou radiothérapie(6). Le choix du traitement systémique dépend des caractéristiques histologiques de la tumeur, des facteurs prédictifs de réponse aux traitements, des traitements antérieurement reçus et de leur tolérance, de la présentation de la maladie métastatique et du délai avant la rechute. Les métastases cérébrales peuvent être traitées localement par radiothérapie et les métastases osseuses douloureuses par une irradiation à visée antalgique.

Les thérapies ciblées

De nouveaux médicaments, développés pour cibler spécifiquement un composé des cellules tumorales, ont permis de renforcer la prise en charge dès 2005 en apportant un bénéfice important sur la survie sans rechute (source INCa). Le premier médicament disponible a été le trastuzumab (Herceptin®). Initialement étudié dans les cancers métastatiques il a ensuite montré son intérêt en traitement adjuvant du cancer du sein. En juin 2008, le lapatinib (Tyverb®) a obtenu l’AMM comme thérapeutique ciblée dans le traitement des formes métastatiques en association avec des médicaments de chimiothérapie standard.

1 – www.e-cancer.fr/depistage/depistage-par-organe/cancer-du-sein.

2 – Source : www.invs.sante.fr/ surveillance/cancers_depistage/evaluation_sein_programme. htm.

3 – BEH N°04/2003 – 21 janvier 2003 – dépistage organisé du cancer du sein, Tendances des indicateurs de qualité et d’efficacité précoces www.invs.sante.fr/ beh/2003/04/beh_ 04_2003.pdf.

4 – 90 % des prédispositions génétiques au cancer du sein sont liées à ces gènes respectivement localisés sur les chromosomes 17 et 13.

5 – Critères de décision thérapeutique en adjuvant – Module cancers du sein 2009 – Dr Delaloge.

6 – Source : HAS « Guide affection longue durée, cancer du sein », janvier 2010.

CHIFFRES*

+ 50 000 nouveaux cas en 2008, 1 femme sur 8 concernée au cours de sa vie.

17 % des personnes en ALD.

61 ans est l’âge médian au moment du diagnostic.

85 % c’est le taux de survie moyenne à 5 ans.

11 201 décès par cancer du sein ont été dénombrés en France en 2005.

+ 2,1 % est le taux annuel d’évolution de l’incidence du cancer du sein entre 2000 et 2005.

– 1,3 % c’est l’évolution annuelle de la mortalité par cancer du sein entre 2000 et 2005.

* Données France.

POINT DE VUE

« L’autopalpation ne doit pas être imposée »

DR SUZETTE DELALOGE oncologue médicale, coordinatrice du comité de pathologie mammaire, à l’Institut Gustave-Roussy

Aujourd’hui, avec les facilités d’accès aux soins et aux examens de dépistage et de diagnostic il est important que les femmes privilégient la surveillance médicale, ce qui ne les empêche pas de pratiquer l’autopalpation de leurs seins lorsqu’elles en maîtrisent la technique et que cette autosurveillance ne génère pas de stress. Dès lors qu’elles sont consentantes, l’apprentissage de l’autopalpation présente un intérêt mais il ne faut en aucun cas l’imposer. D’autant qu’aucune étude positive n’a montré un gain de survie lié à cette pratique, qui ne peut absolument pas se substituer au contrôle mammographique dans le cadre du dépistage individuel ou organisé.

EXTENSION DE LA MALADIE

Les différents stades

L’invasion du cancer par rapport à la tumeur primitive permet de distinguer plusieurs stades d’extension caractérisés par l’étendue et le volume de la tumeur et définis par la classification TNM : T pour tumeur primitive ; N pour tumeur associée à un envahissement ganglionnaire ; M pour tumeur métastasée. Chaque lettre est indicée en fonction de la gravité de la lésion. La combinaison des trois lettres détermine le stade du cancer de I à IV, son pronostic et sa prise en charge. Les cancers de stade I à III sont des cancers curables (cancers lobulaires ou canalaires in situ, cancers infiltrants plus ou moins associés à un envahissement ganglionnaire), les cancers de stade IV sont les cancers métastatiques incurables.