L'épreuve du refus - L'Infirmière Magazine n° 247 du 01/03/2009 | Espace Infirmier
 

L'Infirmière Magazine n° 247 du 01/03/2009

 

Jean-Charles Escribano

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Rencontre avec

Ancien infirmier libéral auprès d'un Ehpad de Marseille où il a dénoncé diverses formes de maltraitance à l'encontre des personnes âgées, l'auteur d'« On achève bien nos vieux » n'est toujours pas sorti de la tourmente.

La rencontre avec Jean-Charles Escribano n'aurait pas été possible sans ces poubelles qui n'existent pas dans cette maison de retraite des quartiers nord de Marseille et ces changes usagés que le personnel jette dans le couloir à même le sol. Impossible sans ce résident à moitié nu, mouillé de la nuit, assis dans un fauteuil en plein courant d'air à 7 heures du matin. Sans ce tutoiement quasi systématique de la part du personnel. Impossible sans cette dame installée faute de place dans un débarras...

La rencontre avec cet infirmier marseillais de 54 ans n'aurait pas non plus été possible sans sa « capacité d'indignation ». Un soir de novembre 2006, sa colère éclate lors d'une émission de grande écoute. La tournure que prend le contentieux qui oppose l'infirmier libéral aux responsables de la maison de retraite l'a incité à accepter la proposition d'interview d'un journaliste. « J'ai pensé à Christine Deviers-Joncour, qui a dû médiatiser à un moment donné son histoire pour se protéger. J'ai saisi cette occasion comme une bouée de sauvetage », explique celui qui est alors qualifié d'irresponsable, de maltraitant...

Il lui faut sortir de cette situation où celui qui dénonce est lui-même accusé, où la machine judiciaire se polarise, déplore-t-il, sur l'accessoire (le fait d'avoir rappelé aux familles une fermeture précédente de l'établissement pour non-respect des normes d'hygiène et de soins, qui lui a valu d'être poursuivi en diffamation) au mépris de l'essentiel (les cas de maltraitance signalés).

Années de tension

Fin 2006, trois ans de procédures judiciaires sont derrière l'infirmier libéral. Des menaces de mort ont été proférées contre lui et sa famille. On croit à un mauvais film. « Après l'émission de TF1, j'ai eu peur de la réaction des gens d'en face », se souvient-il. Mais, coup de théâtre, dans le mois qui suit la diffusion de son témoignage, les responsables de la maison de retraite sont arrêtés.

L'écho médiatique donne de l'ampleur à son cri. Des éditeurs le contactent pour lui proposer de mettre son témoignage sur papier. Il accepte. On achève bien nos vieux paraît en mars 2007 (1), le même jour que l'ouverture du procès d'une directrice de maison de retraite de Bordeaux largement médiatisé. Et le soir même, Philippe Bas, alors ministre délégué aux Personnes âgées, annonce son Plan contre la maltraitance. Pur hasard ou réponse précipitée de l'État ? Des demandes de rendez-vous avec le ministère sont restées lettre morte jusque-là... Et puis, les témoignages affluent. Les soignants et les familles lui écrivent pour raconter des histoires insupportables. Ces années de tension, de doutes, de découragement, auront au moins contribué à lever le voile sur la maltraitance subie par les personnes âgées.

Au-delà de l'enchaînement d'événements qui a placé Jean-Charles Escribano sous les projecteurs, on peut se demander comment l'homme en est venu à endosser ce rôle. Basque espagnol de naissance, Jean-Charles Escribano, a passé une partie de son enfance dans des pensions religieuses. « C'est peut-être là que j'ai vraiment absorbé de façon intense les valeurs qui, au-delà du catholicisme, sont des valeurs chétiennes, et au-delà du christianisme, des valeurs humaines, morales », écrit-il dans son livre. De parents séparés très tôt, il arrive en France à 11 ans avec sa mère et sa soeur. « J'ai toujours ressenti un vide, celui du déracinement, de cette période sans famille, en pension, de ces moments d'éternelle solitude, de vide. J'avais besoin aussi de me rapprocher du monde des anciens, par manque de racines, de référence paternelle probablement », explique-t-il.

Etablissement sous-doté

Après trois ans à l'hôpital Nord de Marseille et onze ans de domicile en tant que libéral, Jean-Charles Escribano commence à intervenir au sein d'établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes. En 2001, il est sollicité par un directeur désireux, prétend-il, d'améliorer la qualité de la prise en charge dans son établissement, situé dans un quartier socialement défavorisé et largement sous-doté en places d'hébergement. « C'était le début de la réforme de la tarification avec le conventionnement tripartite, se souvient l'infirmier. Les infirmières libérales anticipaient leur remplacement par des salariés et partaient. Dans l'Ehpad en question, deux venaient de démissionner. Moi, je trouvais utile de m'y investir, d'autant que j'avais des idées pour améliorer la prise en charge. » Accord pour recevoir des stagiaires d'un centre d'apprentissage aux métiers médico-sociaux où Jean-Charles Escribano était, de façon bénévole, tuteur ; partenariat de l'Ehpad avec un service de soins infirmiers à domicile ; accueil de jour pour malades d'Alzheimer...

Intimidation

La réalité qu'il découvre aura raison de cette dynamique. Manque de respect envers les résidents, absence d'hygiène, agressivité, manque de matériel de base, toute-puissance du médecin coordonnateur considérant les infirmières comme des distributeurs de médicaments... La liste des griefs est longue. Premier constat de Jean-Charles Escribano : le manque de formation du personnel. « Je vois encore aujourd'hui des agents de service hospitalier faire un travail d'aide-soignant sans avoir suivi de formation, ou des étudiants interrompre leur formation pour "faire fonction de". Cela engendre une exposition à des risques, et peut déboucher sur de la maltraitance. »

La suite se devine. Tentative de dialogue avec la direction, période de découragement, agressivité de la part de certains membres du personnel envers lui, qui ira jusqu'à l'intimidation, et enfin décision d'arrêter. C'est alors que tout s'emballe.

Au moment où il s'apprête à envoyer un courrier aux proches des résidents pour les prévenir de son départ, il apprend que la direction demande à des familles de rédiger des lettres pour se plaindre d'un comportement maltraitant de sa part. Il prend alors la décision d'informer ces dernières de la fermeture de l'établissement il y a quelques années. Il est poursuivi pour diffamation. Et depuis octobre 2003, cette procédure est ouverte. L'infirmier, jusqu'ici, a gagné à chaque fois, sauf lors de la première audience en appel, en juin 2005 (2). Mais les blessures sont là. Extraits tirés du livre : « J'ai déjà été agressé physiquement dans cette histoire, il me semble que je suis devenu l'homme à abattre. Un vrai roman noir » ; « J'assiste à un déferlement de témoignages affirmant que je suis malfaisant [...] - tous émanant de salariés de l'établissement et de familles, plus quelques infirmiers libéraux, dont celui qui m'avait agressé quelque temps auparavant. » Les procédures s'additionnent, s'éternisent. Celle déposée par l'infirmier pour agression est en cours d'instruction, de même qu'une autre contre les menaces de mort. Sans parler de celle lancée par quelques familles contre la maison de retraite, et pour laquelle il a été entendu.

« Casser l'impunité »

« J'attends que la justice me vienne en aide », réclame-t-il encore aujourd'hui. Ce qui ne l'empêche pas d'oeuvrer avec une parlementaire des Bouches-du-Rhône pour faire évoluer la législation relative à l'obligation pour un soignant (entre autres) de signaler tout cas de maltraitance. (3) « Si j'avais su à l'époque que je n'allais pas être protégé, peut-être n'aurais-je pas agi ainsi ! Aujourd'hui, c'est toujours à celui qui a l'obligation de signaler la maltraitance d'en apporter la preuve. Comme pour les cas de discrimination, des indices concordants devraient suffire à justifier un signalement. Cet aménagement serait un message fort lancé par la société. Il faut casser le sentiment d'impunité des agresseurs ! »

1- Chez Oh ! Éditions, 158 pages.

2- Le procès en diffamation est actuellement porté devant la Cour de cassation pour la seconde fois.

3- Le Code pénal ne donne pas de définition précise de la maltraitance des personnes âgées, mais impose de la dénoncer (articles 434-1 et 434-3). Voir aussi l'article 40 du Code de procédure pénale pour les fonctionnaires et les directeurs d'établissements privés.

moments clés

- 1951 : naissance à Bilbao, en Espagne.

- 1962 : arrivée en France.

- 1980 : diplôme d'État.

- 1980 à 1983 : services des urgences, ORL-stomatologie à l'hôpital Nord de Marseille.

- Depuis 1984 : infirmier libéral.

- Novembre 2006 : passage à l'émission « Sept à huit » sur TF1.

- Mars 2007 : parution du livre On achève bien nos vieux.

- Depuis 2007 : formateur dans le secteur sanitaire et médico-social (notamment sur le thème de la maltraitance).

- Mars 2008 : intervention devant la Commission européenne des personnes âgées sur la protection de la dignité des aînés.

- Aujourd'hui : s'investit dans la création d'un centre de formation en gérontologie.