Le brûlot à nouveau sur le tapis - L'Infirmière Libérale Magazine n° 368 du 01/04/2020 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Libérale Magazine n° 368 du 01/04/2020

 

ACCÈS À LA SEXUALITÉ DES PERSONNES HANDICAPÉES

ACTUALITÉ

Sandrine Lana  

En février, le gouvernement a annoncé vouloir relancer la réflexion sur l’accompagnement sexuel des personnes handicapées et réfléchir au statut d’aidant (e) sexuel (le) en saisissant le Conseil consultatif national d’éthique (CCNE) qui, en 2012, s’était exprimé contre.

Vivre sa sexualité, est-ce un droit inaliénable ? En étant assisté, est-ce de la prostitution ? L’accompagnement sexuel des personnes handicapées physiques et/ou mentales sera au cœur des débats au cours des prochains mois. Dans la pratique, il existe, et les demandes sont très diverses de la part des premiers et premières intéressées : découvrir un corps nu, aider un couple dans sa sexualité, être mis en position pour pouvoir se caresser ou être caressé, etc.

Une question clivante

Sophie Cluzel, la secrétaire d’État en charge des personnes handicapées, s’est déclarée « très favorable » à cet accompagnement : « C’était tabou dans notre société. La société a mûri », a-t-elle estimé sur Europe 1 lors de la semaine de la Conférence nationale sur le handicap. Pour faire avancer le débat, elle demande au Comité consultatif national d’éthique (CCNE) et au Comité national consultatif des personnes handicapées (CNCPH) de se pencher sur cette question. De son côté, le Haut conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes (HCE) est vent debout contre l’idée de légaliser le statut d’aidant(e) sexuel(le), vu comme une entrave à l’interdiction du proxénétisme en France. Dans un communiqué, le HCE « exhorte le gouvernement à ne pas dissocier la légitime aspiration de toute personne, quel que soit son état de santé ou de handicap, à une vie affective et sexuelle dans le respect, de l’autre combat contre l’exploitation des êtres humains et la marchandisation des corps. (…) Légaliser l’achat de services sexuels serait contraire à notre législation contre l’achat de prostitution ».

Dépénaliser la pratique

Le sujet divise et mérite le débat. En France, il n’est pas interdit d’être assistant sexuel, ni de se prostituer. C’est le proxénétisme et l’achat de prostitution qui sont prohibés (1). Plusieurs associations militent pour la reconnaissance et la formation d’aidants et d’aidantes sexuels en France. C’est le cas de l’Association pour la promotion de l’accompagnement sexuel (Appas), de CH (S) OSE et de l’APF France handicap qui misent sur une dépénalisation de la pratique et veulent l’ériger en exception à la prostitution.

« Nous ne pouvons que nous réjouir de voir la question rouverte, puisqu’elle n’a pas été abordée par les différents gouvernements depuis 2012. Nous sommes favorables à une dépénalisation du recours à l’accompagnement à la vie affective et sexuelle », explique Aude Bourden, conseillère nationale santé et médicosociale d’APF France handicap, qui porte ces propositions depuis 2009. En collaboration avec CH (S) OSE, les deux associations organisent des formations d’accompagnement à la vie affective et sexuelle en France, avec des formateurs suisses ou allemands. Dans ce domaine, les pays où la prostitution n’est pas illégale, tels que la Suisse, l’Allemagne et la Belgique, reconnaissent déjà l’accompagnement sexuel. « Pourtant, en France, nous formons des professionnels de l’accompagnement et des professionnels de santé, comme des ergothérapeutes. Au cours de leur parcours, ils sont témoins de la souffrance des patients et sont interpellés. Notre objectif est d’offrir davantage d’autonomie aux personnes handicapées dans la découverte de leur sexualité », poursuit-elle. Des prostitué (e) s se forment également à cet accompagnement.

Peur de la prostitution

Le HCE redoute d’augmenter la traite des femmes en permettant cette exception. Pour APF France handicap, le fait que la pratique existe, sans être légale mais sans être condamnée, rend difficile d’avoir une vue d’ensemble : « Selon ma vision, il y a des personnes des deux sexes qui suivent la formation et nous voulons un engagement éthique des deux parties en cas d’accompagnement sexuel », ajoute Aude Bourden. Cela devrait se faire via un organisme de mise en relation, ce qui, pour l’heure, est considéré comme du proxénétisme.

Le président de l’Association pour adultes et jeunes handicapés (Apajh), qui gère 700 établissements spécialisés, reconnaît une situation hypocrite : « Il faut sortir de l’idée de prostitution et aller vers un acte qui relève du soin », estime ainsi Jean-Louis Garcia, tout en reconnaissant qu’il faudra une régulation pour « pour ne pas installer une relation affective achetée ».

S’il faut effectivement débattre de cette question, Jean-Louis Garcia dénonce « une manœuvre de diversion » pour ne pas aborder des thèmes plus urgents tels que la dilution de l’aide adulte handicapé (AAH) dans le revenu universel d’activité (RUA), envisagée par le gouvernement. « L’astuce a plutôt bien fonctionné, puisque les médias se sont emparés du sujet… »

(1) Voir l’interview du sociologue Pierre Brasseur dans la revue de l’Association pour adultes et jeunes handicapés (Apajh) de septembre 2017. Disponible en ligne à l’adresse https://www.societe-inclusive.org/wp-content/uploads/2018/12/Revue-APAJH-numero-116-Septembre-2017-BD.pdf

UNE PRATIQUE RECONNUE EN SUISSE

En Europe, 10 % de la population est porteuse d’un handicap et, « en dépit d’une large reconnaissance des droits de ces personnes, la question de la santé et du bien-être sexuels sont toujours négligés », pointait l’Organisation mondiale de la santé (OMS) en 2011. Depuis, la situation a peu évolué.

En Suisse, l’association Corps étrangers propose une formation certifiante reconnue à une « approche de la sexualité chez les personnes en situation de handicap physique, psychique, sensoriel, mental, ou de multihandicap ». Elle met également en relation des personnes handicapées avec les aidants et aidantes sexuels formés. Une charte définit les règles communes à respecter afin de protéger les deux parties du non-consentement, d’un côté comme de l’autre. Ainsi, « les assistantes et assistants sexuels ont la liberté de fixer une limite à leurs interventions auprès de chaque bénéficiaire. Aucun acte allant contre leur conscience ou leur pudeur ne pourra être exigé ». L’association a déjà formé, en 2016 et 2017, plusieurs professionnels français.