L'accès à l'exercice infirmier en pratique avancée pour les professionnels des établissements de santé - Objectif Soins & Management n° 270 du 01/09/2019 | Espace Infirmier
 

Objectif Soins n° 270 du 01/09/2019

 

Management des soins

Dossier

Marie-Annick Quéau  

Ce mois de juillet 2019 voit les « un an » de la parution des textes relatifs aux infirmiers en pratique avancée (IPA) en France. Attendue par les uns et déjà décriée par d'autres, cette évolution de l'exercice professionnel infirmier ne laisse pas indifférentes les communautés, qu'elles soient paramédicales ou médicales. Au centre hospitalier de Cornouailles de Quimper (CHIC), le dispositif d'installation de ce nouveau métier est coordonné par une cadre supérieure de santé, qui accompagne les professionnels depuis leur entrée en formation et les suivra jusqu'à leur prise de poste, en 2021.

Contrairement aux CHRU, les établissements comme le CHIC ne sont pas entrés dans des expérimentations de la fonction d'IPA. Ils ont de ce fait dû rapidement clarifier leurs besoins réels, et faire le choix des domaines pour lesquels ils positionnaient ces postes.

enjeux et stratégie de déploiement

Faire face à une démographie médicale en baisse oblige à définir des organisations de plus en plus efficientes et à faire preuve d'originalité... Dans ce contexte, la piste du déploiement d'IPA peut tout naturellement être envisagée. C'est d'ailleurs le premier élément qui a guidé notre réflexion. Cela a permis de cibler le domaine d'intervention des futurs IPA au centre hospitalier de Cornouaille de Quimper (CHIC) – l'oncologie et l'hématologie – dans le but de renforcer l'offre de soins dans ces deux disciplines.

Parallèlement, « embarquer » (terme marin qui convient bien à notre région de Bretagne et qui traduit bien – pour poursuivre la métaphore – notre souhait de naviguer tous ensemble sur le même bateau, avec un cap !) la communauté médicale était un prérequis autant qu'un enjeu, la réussite d'un tel projet dépendant également de l'adhésion et de l'implication des praticiens. Dans la perspective du futur travail en collaboration entre IPA et médecins, nous avons pris le parti de les associer au processus de recrutement interne des infirmiers candidats à l'exercice en pratique avancée. Ainsi un oncologue et un hématologue sont les référents médicaux du projet et également les tuteurs des stagiaires IPA du CHIC depuis leur entrée en formation.

Élément non négligeable, l'établissement a d'emblée affiché son soutien à la démarche en engageant un financement pour deux professionnels au titre de la formation professionnelle.

Modalités de recrutement : Un dispositif tripartite

Comment faire converger le projet de l'établissement et celui d'infirmiers intéressés par la fonction d'IPA, tout en préservant l'autonomie de recrutement de l'université partenaire ?

Le dispositif se devait de proposer des modalités qui permettent au plus grand nombre de professionnels de porter leur projet, tout en s'assurant des compétences indispensables à l'exercice en pratique avancée et en évitant le piège du téléguidage de certains infirmiers déjà installés dans une fonction d'expert.

Les domaines d'intervention de l'oncologie et de l'hématologie ont été affichés comme ceux faits pour le futur exercice au sein du CHIC. Par ailleurs la prise en charge de la formation par l'établissement ainsi que les modalités de recrutement ont été communiquées.

Deux épreuves ont été proposées : l'une, sous la forme d'entretiens menés par la direction des soins, explorait le projet professionnel, dont les motivations, les aptitudes, capacités et compétences. Des critères avaient été définis, notamment l'expérience professionnelle dans le(s) domaine(s) d'intervention, l'implication au niveau de l'unité d'affectation, du pôle et/ou de l'établissement, l'engagement dans des travaux professionnels, les activités pédagogiques et d'évaluation, les responsabilités ; l'autre, théorique – sur table et anonyme –, proposée par les deux praticiens référents, a permis d'explorer les connaissances cliniques des postulants.

Huit professionnels ont répondu à la proposition ; au final trois se sont démarqués et ont présenté leur candidature à l'université partenaire.

Dans le même temps, la faculté de Brest – le CHRU de référence – organisait sa sélection, pour une rentrée en janvier 2019. Nous avons informé le référent pédagogique des domaines d'intervention que nous avions choisis et du fait qu'ils seraient assortis de financement institutionnel de la formation.

Au final cinq agents de l'établissement ont été retenus par le jury universitaire : les trois infirmiers présents dans le dispositif interne du CHIC – dont un sur liste complémentaire – et deux autres infirmiers qui avaient présenté leur candidature dans le domaine de la « maladie rénale chronique, dialyse, transplantation rénale », ces candidats devant rechercher un financement par eux-mêmes.

Préparation des apprenants à leur futur rôle

La première étape du processus de déploiement d'IPA dans l'établissement a été d'accompagner l'entrée en formation des professionnels ce début d'année. Concomitamment, nous avons aussi pris le parti de préparer leur prise de fonction, prévue en janvier 2021.

Ainsi, durant leurs semaines de présence dans l'établissement, les IPA apprenants sont présentés comme tels auprès de l'ensemble des interlocuteurs du CHIC. Ils sont extraits de leurs unités d'affectation et bénéficient d'un bureau dédié, avec ligne téléphonique et équipement informatique. Pour les deux premiers semestres de formation, ils travaillent sur trois objectifs :

• se faire connaître ;

• approfondir leurs connaissances de la filière oncologique et hématologique intra-établissement, au plan du territoire (hospitalisation à domicile, réseau, secteur libéral) ;

• développer leurs connaissances dans les domaines oncologique et hématologique (immersion en radiothérapie, imagerie, imagerie interventionnelle, bloc opératoire...).

La seconde année de formation sera – entre autres – dédiée à la rédaction des protocoles d'organisation dans le cadre du travail en équipe entre les médecins et eux-mêmes (décret no 2018-629 du 18 juillet 2018 relatif à l'exercice infirmier en pratique avancée, art. R. 4301-4) et à caler un dispositif le plus opérationnel possible, permettant aux IPA d'endosser leur rôle sans délai dès la fin de la formation.

Nous sommes déjà au second semestre de la formation et de nombreuses interrogations n'ont pas encore trouvé de réponses... Nous ne développerons pas le sujet de la reconnaissance statutaire, qui devrait aboutir, souhaitons-le.

Dans un contexte de tension budgétaire pour de nombreux établissements de santé, des recettes issues de la cotation de l'activité des IPA semblent incontournables.

Au CHIC, les futurs IPA ont été positionnés sous l'autorité hiérarchique de la direction des soins, représentée par un cadre supérieur de santé. Ces professionnels revendiquent leur appartenance au corps infirmier, mettant en avant leur attachement à défendre les valeurs du soin, une approche globale du patient... Qu'en sera-t-il une fois le diplôme obtenu ?

Bilan à mi-parcours

Il est évidement trop tôt pour évaluer le processus que nous avons déployé. Pourtant les options qui ont été retenues nous apparaissent comme bonnes dans la mesure où les apprenants IPA expriment une grande satisfaction quant à leurs conditions d'apprentissage. Le bilan du premier trimestre montre l'atteinte des objectifs fixés. Par ailleurs la communication intra-établissement, qui avait fait l'objet d'un point d'attention particulier, semble avoir porté ses fruits puisque le métier d'IPA paraît connu des professionnels. Enfin un indicateur important est au « vert » : ainsi la communauté médicale des pôles cliniques de référence des IPA qui, au départ du projet, leur avait réservé un accueil poli a progressivement montré son intérêt pour l'activité de pratique avancée. À ce jour plusieurs praticiens (autres que les tuteurs) ont proposé aux deux infirmiers des encadrements de pratique clinique qui ont été concrétisés.

Cette expérience amène aussi à poser la question – à laquelle il faudra trouver réponse – de la ligne hiérarchique pour ces infirmiers. De manière quelque peu intuitive nous avions choisi au démarrage du projet une référence cadre supérieur, choix qui s'est avéré satisfaisant. Pour autant, l'activité d'IPA va les conduire à exercer en collaboration étroite avec les praticiens qui légitimement souhaiteront contribuer à leur évaluation... Outre le travail de construction d'un dispositif interne, espérons que des textes statutaires puissent aider au cadrage du sujet.

En conclusion

S'il y a de fortes attentes vis-à-vis de ces nouveaux professionnels, il est illusoire de penser qu'ils résoudront tous les dysfonctionnements que les établissements de santé connaissent bien : déficit de praticiens, parcours patients manquant de fluidité et aux interfaces fragiles, filières de soins incomplètes... La direction des soins se doit d'être attentive à poser des garde-fous pour que l'exercice en pratique avancée soit une vraie plus-value pour les patients et leur sécurité ; c'est ce qui a guidé et qui continuera à guider l'accompagnement des apprenants IPA au CHIC de Quimper.

Place du cadre dans le processus d'installation des IPA au centre hospitalier de Cornouaille (CHIC)

Je suis chargée de l'accompagnement du projet de soins et j'exerce mes activités en relation directe avec la coordonnatrice générale des soins du CHIC. C'est dans le cadre de ma mission transversale que j'ai contribué à installer un nouveau métier dans l'établissement, opportunité tout à fait inédite pour moi et enthousiasmante.

Mon rôle peut se décrire en quatre axes essentiels :

• le calage et la mise en œuvre du processus de sélection « interne » des futurs IPA de l'établissement, qui ont été mes premières actions, avec en parallèle la prospection relative aux conditions de formation des universités, dont celle de référence, à savoir l'université de Bretagne occidentale (UBO). Ces activités ont nécessairement été accomplies en concertation avec la coordinatrice générale des soins et le directeur des ressources humaines. Cette étape a inclus également la préparation et l'organisation des épreuves, entretiens et épreuves écrites (travail sur les critères de l'entretien, sollicitation des praticiens, préparation des supports, logistique, communication...) ;

• la préparation de la communication et sa diffusion, auprès de la communauté hospitalière ;

• penser et prévoir les conditions matérielles et très pragmatiques d'installation des nouveaux professionnels : chacun sait combien il peut être difficile d'obtenir un bureau, de l'équipement informatique, un téléphone... je laisse imaginer le lecteur des difficultés qui ont été les miennes pour mener à bien ces actions ;

• l'accompagnement des professionnels depuis leur entrée en formation et jusqu'à leur prise de poste en janvier 2021. Nommée référente, je suis l'interlocutrice institutionnelle des futurs IPA. Cette responsabilité inclut la gestion RH (plannings, congés, absentéisme...), mais est surtout une activité pédagogique. Il s'agit de créer et de garantir les conditions favorables à l'atteinte des objectifs fixés avec les apprenants pendant les semaines de présence au centre hospitalier, puisque la formation est organisée en discontinu et que le choix de l'établissement a été d'extraire les professionnels de leur activité habituelle. Des temps de bilan sont programmés à chaque période des IPA au CHIC, incluant le reporting au directeur de soins.

Pour la seconde année de la formation, au regard des objectifs relatifs à l'écriture des protocoles d'organisation, cet accompagnement pédagogique sera essentiel. Mon expérience de formatrice s'avérera une véritable plus-value pour conduire cet axe majeur du projet.