Jurisprudence, novembre 2023 - Objectif Soins & Management n° 0296 du 14/12/2023 | Espace Infirmier
 

OBJECTIF SOINS n° 0296 du 14/12/2023

 

Pratique hospitalière

DROIT

Gilles Devers  

Avocat à la cour de Lyon

Sanction déguisée et refus de reconnaissance d’une maladie de service, qualification de faute pour justifier le licenciement d’une infirmière déléguée syndicale, prise en charge financière d’une formation de cadre de santé, lettre de démission marquée d’une ambiguïté ; survenance d’une asphyxie fœtale, choix thérapeutique inadaptée dans une chirurgie traumatique d’urgence : quelques éléments de jurisprudence en matière de statut et de responsabilité pour le mois de novembre 2023.

1/ Statut

Sanction déguisée et refus de reconnaissance d’une maladie de service

Alors qu’elle n’a pu réunir des preuves étayant un courrier anonyme de dénonciation collective d’un infirmier, l’administration qui décide un changement d’affection rend en réalité une sanction disciplinaire déguisée, qui doit être annulée (CAA de Bordeaux, 9 novembre 2023, n° 21BX03829).

Faits

Un infirmier diplômé d'État (IDE) exerçant au sein d’un centre hospitalier universitaire (CHU) a fait l'objet les 14 et 15 décembre 2015 de décisions de changement d'affectation, de retrait de ses fonctions de tutorat des élèves infirmiers et de suppression de la nouvelle bonification indiciaire. À la suite, il a été placé en arrêt maladie, que l’administration a refusé de reconnaître comme maladie de service.

Le changement d’affectation

Le CHU a été saisi d'un courrier anonyme du 18 novembre 2015 dénonçant des comportements inappropriés de cet IDE à l'égard des élèves infirmiers et des résidents de l'établissement d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad), notamment un non-respect des procédures médicales, une attitude peu coopérative, des pressions injustifiées exercées sur les élèves infirmiers et un manque d'investissement. La direction a diligenté une enquête interne concluant à la réalité de ces manquements professionnels, mais en réalité, elle s’est vu opposer le silence des équipes, et elle n'étaye pas ses allégations.

Sanctionnant de facto des fautes alléguées, la mesure constituait une sanction disciplinaire déguisée, édictée sans que l'agent ait été mis à même de se défendre dans le cadre d'une procédure disciplinaire.

De plus, selon les notations, l’IDE était considéré comme un « excellent infirmier », « consciencieux dans son travail », ayant une « très bonne implication au sein du service », un « bon esprit d'équipe », une « excellente relation avec les résidents » et qu’il était un « très bon tuteur auprès des étudiants infirmiers ». Dans ces conditions, et en l'absence de justification de leur bien-fondé, l'illégalité fautive des décisions de changement d'affectation et de retrait de fonctions de tuteur des élèves infirmiers est une faute de nature à engager la responsabilité du CHU.

La maladie de service

Le refus de reconnaissance de l'imputabilité de la maladie au service a été illégale du fait d'un vice de procédure, à savoir l'absence de consultation de la commission de réforme.

Lorsqu'elle a été saisie, la commission de réforme a, le 27 septembre 2018, émis un avis favorable à l'imputabilité au service de la pathologie de la façon suivante : « Les arrêts de travail sont justifiés à ce titre et jusqu'à ce jour. L'aptitude au travail devra être réévaluée », ce qui a conduit le CHU, par sa décision du 26 octobre 2018, à reconnaître expressément le caractère professionnel de l'accident dont l’IDE avait été victime le 8 décembre 2015, le régime des accidents de service et maladies professionnelles lui étant accordé pour ses congés maladie à compter du 9 décembre 2015.

Ainsi, le refus initial de reconnaissance d'imputabilité n'était pas justifié au fond, et l’IDE a dû attendre deux ans et huit mois après sa demande du 23 février 2016 pour que sa pathologie soit reconnue imputable au service. Dans ces conditions, l'illégalité fautive de refus de reconnaissance de cette imputabilité est de nature à engager la responsabilité du CHU.

Qualification de faute pour justifier le licenciement d’une IDE déléguée syndicale

Le licenciement d’une IDE par ailleurs déléguée syndicale suppose que l’administration prouve des fautes d’une gravité telle qu’elles imposent le licenciement (CAA de Toulouse, 7 novembre 2023, n° 21TL03835).

Faits

Une IDE a été recrutée en contrat à durée indéterminée (CDI) à compter du 14 mars 2013, et elle assurait la fonction de représentante d’une section syndicale de l’établissement. Le 29 juillet 2019, l'employeur a sollicité l'autorisation de la licencier pour motif disciplinaire, lui reprochant l'oubli de deux scalpels usagés dans la chambre d'un résident, la réalisation d'un acte prohibé par le décret de compétences des infirmières diplômées d'État, la transmission à ses collègues d'informations erronées et un comportement inadapté à l'égard de sa hiérarchie.

Droit applicable

Les salariés investis de fonctions représentatives bénéficient, dans l'intérêt de l'ensemble des salariés qu'ils représentent, d'une protection exceptionnelle. Lorsque le licenciement d'un de ces salariés est envisagé, il ne doit pas être en rapport avec les fonctions représentatives exercées ou l'appartenance syndicale.

Dans le cas où la demande de licenciement est motivée par un comportement fautif, il appartient à l'inspecteur du travail, et le cas échéant au ministre, de rechercher si les faits reprochés au salarié sont d'une gravité suffisante pour justifier son licenciement.

Il appartient à l'employeur d'apporter la preuve matérielle des manquements reprochés au salarié. Le juge forme sa conviction au vu des éléments fournis par les parties après avoir ordonné, au besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles. Si un doute subsiste, il profite au salarié (Code du travail, Art. L. 1235-1).

Scalpels laissé à portée du patient

Il est reproché à l’IDE de ne pas avoir rangé deux scalpels après leur utilisation le 17 juin et de les avoir laissés à portée de main d'un résident sur sa table. Le 18, une des infirmières a signalé, dans une fiche de déclaration des événements indésirables, la découverte, au moment de réaliser à 10 h 30 le pansement d'un résident, de deux scalpels usagés sans protection sur la table de ce dernier, ces scalpels ayant été utilisés la veille lors de la réfection du pansement de ce résident.

La feuille de pansements de la semaine fait apparaître que l’IDE a effectivement réalisé le pansement du résident le 17 juin, mais cette opération nécessite non pas l'utilisation de scalpels mais d'un set à pansements comprenant de petites lames. Par ailleurs, un praticien a procédé, le même jour, en présence de l’IDE et d'une élève infirmière, à l'incision d'un abcès purulent du résident au moyen d'un bistouri, laissant à l’IDE, après avoir reposé l'instrument sur le chariot de soin préparé par cette dernière, les tâches de désinfecter la plaie et de procéder au pansement.

Ainsi, il n’existe aucun lien entre l'intervention médicale du 17 juin et la découverte le 18 juin de deux scalpels usagés sur la table du résident. Plusieurs agents de l'établissement sont entrés dans la chambre du résident postérieurement à cette intervention et aucun, notamment pas ceux en charge des repas et de la distribution des médicaments, n'a constaté la présence des deux scalpels sur la table du résident. Aussi, l’employeur est défaillant dans la charge de la preuve.

Usage des opiacés

Il est fait grief à l’IDE d'avoir, le 24 juin 2019, fourni une information erronée au personnel soignant et aux stagiaires en indiquant dans le cahier de liaison que trois boîtes du médicament Codoliprane® ne devaient pas rester en chambre et devaient être rangées dans l'armoire à opiacés. Si l’employeur produit un extrait du cahier de liaison sur lequel figure la transmission de cette IDE du 24 juin 2019 comportant la mention selon laquelle « 3 boîtes mises dans coffre OPIACÉS », l'extrait du même cahier versé par l’IDE ne comprend pas cette mention. De plus, il ressort de la fiche de déclaration des événements indésirables du 24 juin 2019 rédigée par l’IDE que celle-ci y indique avoir récupéré une seule boîte de Codoliprane® et l'avoir rangée à l'infirmerie. Ces éléments font naître un doute sur la réalité du grief, et ce doute profite à l’IDE.

Sondage vésical

CSP, Art. R. 4312-42 : « L'infirmier applique et respecte la prescription médicale qui, sauf urgence, est écrite, quantitative et qualitative, datée et signée. Il demande au prescripteur un complément d'information chaque fois qu'il le juge utile, notamment s'il estime être insuffisamment éclairé. Si l'infirmier a un doute sur la prescription, il la vérifie auprès de son auteur ou, en cas d'impossibilité, auprès d'un autre membre de la profession concernée. En cas d'impossibilité de vérification et de risques manifestes et imminents pour la santé du patient, il adopte, en vertu de ses compétences propres, l'attitude qui permet de préserver au mieux la santé du patient, et ne fait prendre à ce dernier aucun risque injustifié ».

CSP, Art. R. 4311-7 : « L'infirmier ou l'infirmière est habilité à pratiquer les actes suivants soit en application d'une prescription médicale ou de son renouvellement par un infirmier exerçant en pratique avancée dans les conditions prévues à l'article R. 4301-3 qui, sauf urgence, est écrite, qualitative et quantitative, datée et signée, soit en application d'un protocole écrit, qualitatif et quantitatif, préalablement établi, daté et signé par un médecin : [...] (15°) Pose de sondes vésicales en vue de prélèvement d'urines, de lavage, d'instillation, d'irrigation ou de drainage de la vessie, sous réserve des dispositions du troisième alinéa de l'article R. 4311-10 ».

Aux termes de ce texte : « L'infirmier ou l'infirmière participe à la mise en œuvre par le médecin des techniques suivantes : [...] (2°) Premier sondage vésical chez l'homme en cas de rétention ».

Ces dispositions autorisent l'infirmière à pratiquer, en application d'une prescription médicale qui sauf urgence, est écrite, datée et signée, la pose de sondes vésicales. Lorsqu'il s'agit d'un premier sondage vésical chez l'homme en cas de rétention, l'infirmier ou l'infirmière assiste le médecin en participant à la mise en œuvre de cette technique médicale.

Le 20 juin 2019, l’IDE et sa collègue infirmière ont contacté les services d'urgence pour prendre en charge un résident de l'établissement pris de tremblements et s'opposant aux soins. Dans son témoignage, le médecin du service des urgences indique qu'avant de quitter l'établissement, il a prescrit aux infirmières présentes de réaliser un sondage sur ce résident et que, selon lui, il ne s'agissait pas pour cette personne d'un premier sondage. En présence de sa collègue infirmière, l’IDE a tenté à deux reprises de réaliser cet acte mais, n'y parvenant pas en raison de la présence d'un caillot de sang, elle a rappelé le service des urgences, qui a conduit le résident dans un CHU où il a pu être sondé et traité par antibiotiques. Si l'employeur soutient qu'à sa connaissance, l'acte qu'a tenté de réaliser cette infirmière correspondait à un premier sondage vésical nécessitant l'intervention d'un médecin pour sa réalisation, elle n'apporte toutefois aucun élément médical précis de nature à contredire l'appréciation contraire du médecin du service des urgences. Ainsi, il n'est pas établi que l'acte prescrit par ce médecin ne pouvait pas être réalisé par l’IDE.

En outre, il ne ressort pas des pièces du dossier que l’IDE n'aurait pas transmis le dossier médical du résident au médecin, lequel a pu ainsi, en toute connaissance de cause, établir son diagnostic et leur adresser ses prescriptions.

L’IDE a appliqué, en conformité avec le CSP, les prescriptions du médecin qui, eu égard au contexte d'urgence de son intervention, pouvaient être seulement orales. Dès lors, les faits de tentatives de sondage vésical ne présentaient pas un caractère fautif.

Lors de la réunion du 20 juin 2019, sur le déroulement de la pose de cette sonde vésicale à un résident dans la matinée, l’IDE a haussé le ton et a répondu sèchement à sa supérieure hiérarchique. Par cette conduite, elle a fait preuve d'un comportement excessif et inadapté, mais ses propos ne présentaient toutefois aucun caractère insultant ou injurieux. De plus, cette attitude s'inscrivait dans un contexte de tensions relationnelles et de nervosité en lien avec les difficultés rencontrées la matinée même, par elle, au cours du sondage du résident qu'elle a dû affronter sans le soutien de sa supérieure, qu'elle a prévenue et qui ne s'est pas déplacée. Dans ces conditions, les faits reprochés ne présentent pas un caractère de gravité suffisant pour justifier le licenciement.

Prise en charge financière d’une formation de cadre de santé

La prise en charge financière d’une formation de cadre de santé ne dépend pas des mérites de l’agent mais des besoins du centre hospitalier (CAA de Lyon, 31 octobre 2023, n° 21LY01541).

Faits

Une IDE employée dans un établissement public depuis novembre 2011, a demandé à celui-ci la prise en charge financière de sa scolarité dans un institut de formation de cadres de santé (IFCS), où elle avait été admise en mai 2017, mais elle s’est vue opposer un refus.

Droit applicable

Code général de la fonction publique, Art. L. 421-1 : « Le droit à la formation professionnelle tout au long de la vie est reconnu aux fonctionnaires ». Selon l’article 1er du décret du 21 août 2008, la formation professionnelle tout au long de la vie comprend principalement les actions ayant pour objet : (3°) de proposer aux agents des actions de préparation aux examens et concours et autres procédures de promotion interne et (4°) de permettre aux agents de suivre des études favorisant la promotion professionnelle, débouchant sur les diplômes ou certificats du secteur sanitaire et social. Selon l'article 7, les agents bénéficient des actions du plan de formation sous réserve des nécessités de fonctionnement du service.

L'existence d'un plan de formation au sein d'un établissement hospitalier implique que ses agents disposent d'un droit à suivre les actions de formation qui y sont inscrites. Ce droit s'exerce sous réserve, d’une part, de l'adéquation de la demande de l'agent avec les objectifs et moyens du plan et, d'autre part, de l'intérêt du service à la date où est formulée la demande.

Analyse

Les mérites de l’IDE, sa manière satisfaisante de servir et les conditions de sa réussite au concours d'entrée à l'IFCS sont sans incidence sur l'appréciation portée par le centre hospitalier sur l'opportunité de prendre en charge les frais de scolarité en litige, dès lors qu'une telle formation n'était pas inscrite au plan de formation de l'établissement. Aucun des plans de formations établis entre 2017 et 2019 ne prévoit l'inscription d'une formation de cadre de santé en l'absence de nécessité de procéder à de tels recrutements.

L’IDE expose que le centre hospitalier a recruté des cadres de santé par contrat, mais ces recrutements, qui ont été ponctuels, ne répondaient pas à un besoin permanent. Par suite, en estimant qu'il ne pouvait prendre en charge le financement de ses études, en raison notamment de ce qu'il ne serait pas en mesure de proposer à cet agent un poste de cadre de santé à l'issue de sa formation, le centre hospitalier n'a entaché sa décision d'aucune erreur manifeste d'appréciation.

Lettre de démission marquée d’une ambiguïté

Une lettre de démission doit être sans équivoque, et son acceptation hâtive par l’administration conduit le juge à requalifier en licenciement abusif (CAA de Bordeaux, 16 novembre 2023, n° 21BX0205).

Faits

Une psychologue été recrutée en contrat à durée indéterminée (CDI) à temps partiel par un centre hospitalier le 8 février 2010. Par courrier du 18 décembre 2017, le centre hospitalier l’a informée d'une modification de son affectation et de la répartition de travail à compter du 1er janvier 2018. Par un courrier reçu le 17 janvier 2017, la psychologue a informé son employeur de sa démission au sein de l'établissement, en indiquant qu'elle souhaitait « pour ce faire bénéficier de l'indemnité de départ volontaire ». Le centre hospitalier a accepté sa démission le 8 février 2018, avec effet au 1er février précédent, sans répondre sur l'indemnité de départ.

Analyse

Si, par son courrier, la psychologue a informé l’employeur de sa démission à compter du 1er février 2018, elle a demandé également le versement de l'indemnité de départ volontaire. Le centre hospitalier ne pouvait dès lors regarder la psychologue comme ayant exprimé de manière non équivoque sa volonté de démissionner, alors que sa décision était conditionnée par une réponse sur l'indemnité de départ volontaire. Il a en outre accepté sa démission par courrier du 8 février 2018 sans attendre la réponse de l'agence régionale de santé (ARS) à laquelle il avait transmis, le 24 janvier, la demande, afin de savoir si elle remplissait les conditions pour en bénéficier.

Dans ces conditions, en acceptant la démission sans avoir répondu à la demande concernant l'indemnité de départ volontaire, le centre hospitalier a commis une faute de nature à engager sa responsabilité.

L'agent public irrégulièrement évincé a droit à la réparation intégrale du préjudice qu'il a effectivement subi du fait de la mesure illégalement prise à son encontre, y compris au titre de la perte des rémunérations auxquelles il aurait pu prétendre s'il était resté en fonction. Lorsque l'agent ne demande pas l'annulation de cette mesure mais se borne à solliciter le versement d'une indemnité en réparation de l'illégalité dont elle est entachée, il appartient au juge, forgeant sa conviction au vu de l'ensemble des éléments produits par les parties, de lui accorder une indemnité déterminée en tenant compte de la nature et de la gravité des illégalités affectant la mesure d'éviction, de l'ancienneté de l'intéressé, de sa rémunération antérieure ainsi que, le cas échéant, des fautes qu'il a commises.

2/ Responsabilité

Survenance d’une asphyxie fœtale

La survenance d’une asphyxie fœtale, due à un mauvais usage du Syntocinon® et à des retards dans la prise en charge, révèle des fautes qui engage la responsabilité, alors que le nouveau-né reste atteint d’une tétraplégie spastique et dystonique (CAA de Bordeaux, 16 novembre 2023, n° 20BX0241).

Faits

Une femme a été admise dans un CHU le 10 juillet 1998 à 22 h 35 en vue de son accouchement. Le lendemain à partir de 11 h, de l'ocytocine de synthèse (Syntocinon®) lui a été administrée en cours de travail afin d'augmenter les contractions utérines. Un premier ralentissement du rythme cardiaque fœtal est survenu à 11 h 50, suivi d'une récupération, puis une bradycardie profonde sans variabilité s'est installée à partir de 12 h 35. La décision de réaliser une césarienne d'urgence a été prise à 13 h, et l'enfant est née à 13 h 23, avec un score d'Apgar de 4 à une minute et un poids de 2 440 g. Après intubation, elle a recouvré une autonomie respiratoire au bout de 30 minutes et a pu sortir de la maternité le 28 juillet, mais l'évolution ultérieure a révélé qu'elle était atteinte d'une tétraplégie spastique et dystonique en lien avec une asphyxie fœtale.

Droit applicable

La responsabilité administrative à raison d'actes médicaux accomplis dans des établissements hospitaliers publics est engagée en cas de faute simple. Dans le cas où la faute commise a compromis ses chances d'obtenir une amélioration de son état de santé ou d'échapper à son aggravation, le préjudice résultant directement de la faute commise n'est pas le dommage corporel constaté, mais la perte de chance d'éviter ce dommage.

Expertise

Pour régulariser les contractions utérines et accélérer le travail, la décision a été prise, le 11 juillet 1998 à 11 h, d'administrer à la parturiente de l'ocytocine de synthèse, sous forme de cinq unités de Syntocinon® diluées dans une seringue de 20 mL placée en dérivation. Or, il est recommandé d'utiliser ce produit en perfusion intraveineuse lente, les cinq unités étant diluées dans 500 mL de sérum glucosé. L'injection en dérivation n'a pas permis de contrôler finement le débit de ce produit qui a provoqué, très rapidement, des contractions rapprochées et de forte intensité, avec d'abord un ralentissement transitoire du rythme cardiaque fœtal puis, à 12 h 35, un décrochage brutal, signe d'une hypoxie fœtale, les battements du cœur passant de 160 à 80 par minute.

Les fautes de l'hôpital étaient à l'origine d'une perte de chance de 30 % d'échapper à l'asphyxie fœtale.

Alors que l'enfant a présenté une bradycardie à 12 h 35, nécessitant une intervention rapide, le médecin de garde n'a été appelé qu'à 12 h 56, et la césarienne en « code rouge », qui aurait dû être réalisée en 15 à 20 minutes, l'a été en 27 minutes. Ce double retard, évalué à un total de 20 minutes, constitue un autre manquement fautif de nature à engager la responsabilité de l'hôpital.

Le risque de séquelles devient majeur pour un nouveau-né à compter de 20 minutes d'anoxie. En l'espèce, l’enfant a subi une hypoxie de 48 minutes, dont 20 minutes dues à un retard de prise en charge.

Toutefois, il existait un état antérieur caractérisé par une légère restriction de croissance, avec un poids à terme de 2 440 g, dont l'absence de diagnostic avant la naissance n'était pas fautive. Cette hypotrophie tardive a contribué à la survenue de l'asphyxie pernatale, et la perfusion d'ocytocine dans des proportions excessives n'a fait que précipiter l'ischémie pernatale.

La chance perdue d'éviter la survenue du dommage, du fait de la double faute de l’équipe de soins, doit être évaluée à 30 % pour le mésusage du Syntocinon® et 30 % pour le retard de prise en charge, soit 60 %.

Toutefois, le faible poids du fœtus dans les derniers temps de la grossesse n'est pas à l'origine de l'asphyxie, et ne saurait conduire à une réduction du montant de l'indemnisation. En outre, la bradycardie profonde du fœtus est survenue très peu de temps après la perfusion surdosée de Syntocinon®, qui a par ailleurs provoqué des vomissements de la parturiente, et les experts n'ont identifié aucune autre cause d'asphyxie fœtale. Dans ces conditions, la seconde faute, liée au retard dans la réalisation de la césarienne alors que le fœtus était en état de bradycardie, est absorbée par la première, résultant du mésusage du Syntocinon®. La responsabilité du CHU est donc entière dans la survenue du dommage, et il n'y a pas lieu d'appliquer un taux de perte de chance.

Choix thérapeutique inadapté dans une chirurgie traumatique d’urgence

Un choix thérapeutique inadapté dans une chirurgie traumatique d’urgence, à savoir un garrot pneumatique utilisé en per-opératoire lors de l'ostéosynthèse interne, constitue une faute engageant la responsabilité, au regard de l’importance des séquelles (CAA de Toulouse, 14 novembre 2023, n° 21TL02061).

Faits

Un salarié âgé de 55 ans a été victime d'un accident du travail le 18 juin 2008, par suite de la chute d'un lourd engin de travaux publics. Il a présenté une fracture bimalléolaire de la cheville gauche associée à un écrasement du pied gauche avec fracture comminutive du tarse, des 2e, 3e et 4e métatarsiens et une large plaie de la face antérieure du pied.

Admis dans un centre hospitalier, il a bénéficié d'une ostéosynthèse dont les suites ont été marquées par des nécroses ischémiques. Il a dû subir, le 27 août 2008, une amputation trans-tibiale gauche.

Expertise

Le blessé a subi une intervention chirurgicale pratiquée en urgence dans un centre hospitalier le 18 juin 2008 à partir de 20 heures 20, à la suite de l'accident du travail dont il a été victime vers 17 heures 30. Il a bénéficié, sous anesthésie générale et avec utilisation d'un garrot pneumatique à la racine du membre non gonflé, d'une ostéosynthèse de fracture bimalléolaire complexe, à foyer ouvert, et d'une ostéosynthèse de fractures de plusieurs os de l'avant-pied, à foyer fermé.

L'évolution a été marquée par une nécrose de toutes les zones contuses, avec apparition d'un écoulement purulent conduisant à des prélèvements profonds le 10 juillet 2008.

Défaut d'information

CSP, Art. L. 1111-2 : « Toute personne a le droit d'être informée sur son état de santé. Cette information porte sur les différentes investigations, traitements ou actions de prévention qui sont proposés, leur utilité, leur urgence éventuelle, leurs conséquences, les risques fréquents ou graves normalement prévisibles qu'ils comportent ainsi que sur les autres solutions possibles et sur les conséquences prévisibles en cas de refus. Cette information incombe à tout professionnel de santé dans le cadre de ses compétences et dans le respect des règles professionnelles qui lui sont applicables. Seules l'urgence ou l'impossibilité d'informer peuvent l'en dispenser. Cette information est délivrée au cours d'un entretien individuel ».

Ainsi, doivent être portés à la connaissance du patient, préalablement au recueil de son consentement à l'accomplissement d'un acte médical, les risques connus de cet acte qui soit présentent une fréquence statistique significative, quelle que soit leur gravité, soit revêtent le caractère de risques graves, quelle que soit leur fréquence.

En cas de manquement à cette obligation d'information, si l'acte de diagnostic ou de soin entraîne pour le patient, y compris s'il a été réalisé conformément aux règles de l'art, un dommage en lien avec la réalisation du risque qui n'a pas été porté à sa connaissance, la faute commise en ne procédant pas à cette information engage la responsabilité pour sa perte de chance de se soustraire à ce risque en renonçant à l'opération. Il n'en va autrement que si, compte tenu de ce qu'était l'état de santé du patient et son évolution prévisible en l'absence de réalisation de l'acte, des alternatives thérapeutiques qui pouvaient lui être proposées ainsi que de tous autres éléments de nature à révéler le choix qu'il aurait fait, qu'informé de la nature et de l'importance de ce risque, il aurait consenti à l'acte en question.

Analyse

Au regard des conditions d'urgence dans lesquelles l'intervention chirurgicale du 18 juin 2008 est intervenue, aucun devoir d'information n'incombait à l'établissement hospitalier.

L’expert, il est vrai, a relevé que la gravité de ces lésions et leur manifestation rapide en postopératoire auraient dû aussi susciter une information de cet état et des évolutions possibles, à brève ou moyenne échéance, auprès du patient, de sa famille et du médecin traitant. La faute déontologique est donc établie, mais ce défaut d'information portant sur les évolutions possibles des lésions graves dont le patient était atteint en postopératoire est dépourvu de lien avec les dommages subis par le patient résultant du choix thérapeutique lors de l'intervention chirurgicale réalisée en urgence. De plus, le défaut d'information relevé par l'expert ne portait pas sur les risques inhérents à un acte de soin ou de diagnostic. Ainsi, ce défaut d'information n'a fait perdre à la victime aucune chance d'échapper aux dommages survenus.

Prise en charge

CSP, Art, L. 1142-1 I : « Hors le cas où leur responsabilité est encourue en raison d'un défaut d'un produit de santé, les professionnels de santé mentionnés à la quatrième partie du présent code, ainsi que tout établissement, service ou organisme dans lesquels sont réalisés des actes individuels de prévention, de diagnostic ou de soins ne sont responsables des conséquences dommageables d'actes de prévention, de diagnostic ou de soins qu'en cas de faute ».

Les lésions initiales et le processus évolutif permettent d'exclure la survenue d'une infection nosocomiale, en l'absence de manquement aux règles de l'art concernant l'antibioprophylaxie et la prise en charge d'éventuels phénomènes infectieux. Aucun manquement fautif ne peut davantage être relevé concernant l'ostéosynthèse interne réalisée lors de l'intervention du 18 juin 2008.

Toutefois, le choix thérapeutique initial d'un garrot pneumatique utilisé en peropératoire lors de l'ostéosynthèse interne exposait le blessé à plus ou moins longue échéance à une évolution septique inéluctable et secondaire de la cheville, du fait de la contamination obligatoire par la lésion d'ouverture cutanée initiale au niveau du pied. Or, la gravité des lésions aurait dû conduire à vérifier l'état vasculaire de la cheville, le cas échéant, par une artériographie, et à utiliser un fixateur externe.

Le choix thérapeutique initial associant l'utilisation du garrot pneumatique et l'ostéosynthèse interne constitue une thérapeutique inadaptée mise en œuvre par l'établissement de santé, en ce qu'elle a conduit à une amputation trans-tibiale. La faute est donc établie.

Dans le cas où la faute commise lors de la prise en charge ou le traitement d'un patient dans un établissement public hospitalier a compromis ses chances d'obtenir une amélioration de son état de santé ou d'échapper à son aggravation, le préjudice résultant directement de la faute commise par l'établissement et qui doit être intégralement réparé n'est pas le dommage corporel réparé, mais la perte de chance d'éviter que ce dommage soit advenu. La réparation qui incombe à l'hôpital doit alors être évaluée à une fraction du dommage corporel déterminée en fonction de l'ampleur de la chance perdue.

La Cour retient une perte de chance de 20 %.