S’impliquer : pourquoi et comment ? - Objectif Soins & Management n° 0288 du 31/08/2022 | Espace Infirmier
 

OBJECTIF SOINS n° 0288 du 31/08/2022

 

DOSSIER

Propos recueillis par Claire Pourprix

  

Quel regard les professionnels de santé portent-ils sur l’implication ? Quels stratégies les cadres de santé utilisent-ils pour favoriser l’implication de leurs équipes ? Quels outils les cadres formateurs emploient-ils pour mobiliser les étudiants ? Quatre professionnelles nous livrent leur point de vue et témoignent de leur rapport à l’implication.

Des professionnels de santé témoignent

Le cadre de proximité et l’infirmière

Cécile Freulet, cadre de proximité, service de chirurgie, Centre Léon Bérard

« Au sein du Centre Léon Bérard (CLB), des groupes de correspondants, animés par des experts infirmiers ou aides-soignants, ont été constitués. Ils visent à transmettre de l’information et à la diffuser au sein des services, mais aussi à faire remonter des informations du terrain en vue de trouver des solutions à des problèmes ou à des interrogations. Un correspondant est recruté par service. Lors des entretiens annuels d’appréciation, nous proposons aux collaborateurs de participer à ces groupes de correspondants sur des thématiques pour lesquelles ils ont de l’appétence et dans lesquelles ils souhaitent s’investir. Parmi les thèmes proposés : l’hygiène, hémovigilance, la douleur, les soins palliatifs, la personne âgée, la nutrition... La finalité est de les amener à s’investir dans des groupes institutionnels de travail en vue d’une amélioration et d’une évolution des pratiques. Pour chaque personne recrutée, l’objectif est de participer à au moins une réunion de correspondants par an et d’en faire un compte rendu oral et écrit à l’équipe, en vue de mettre en place des actions au sein du service.

En parallèle, des référents infirmiers ou aides-soignants sont formés depuis 3 ans sur des thématiques clés pour le CLB : accidents d’exposition au sang, hémovigilance, urgence vitale, soins palliatifs, douleur, matériovigilance, pharmacovigilance et hygiène. Ils ont un rôle de formation des nouveaux collaborateurs, animent des tables rondes à leur intention, en prenant pour exemple des cas concrets. Nous avons des retours très positifs des nouveaux arrivants. Les référents sont aussi impliqués dans des audits et des animations d’atelier. Cette mission est valorisée financièrement, en fonction de l’implication de chaque référent.

Les nouveaux arrivants bénéficient d’un accueil personnalisé par les cadres : nous les rencontrons, leur expliquons le fonctionnement du service, leur faisons visiter le service et le site. Une période de tutorat par un infirmier est prévue pendant 10 à 15 jours. À l’issue de cette période, le tuteur et le collaborateur dressent un bilan des acquis et des axes d’amélioration. Ensuite, en parallèle de son travail au sein du service, le nouvel arrivant assiste à des tables rondes animées par des référents, est formé au logiciel de planification des soins et de traçabilité des médicaments, participe à un atelier d’une journée pour rencontrer des experts sur des thématiques prédéfinies et suit, au cours de ses trois premières années, un parcours de formation obligatoire sur l’hémovigilance, la douleur, les accidents d’exposition au sang, l’hygiène et les parcours de soins. Nous pouvons aussi lui proposer une immersion dans d’autres services, pour se perfectionner sur un soin particulier comme les voies centrales, la pose d’un cathéter périphérique ou les soins de trachéotomie. Trois mois après leur arrivée, une fois tous les apports théoriques nécessaires acquis pour travailler au sein du CLB, les nouveaux arrivants rencontrent les managers pédagogiques.

En plus de ces initiatives institutionnelles, j’essaye, à mon niveau, de responsabiliser les collaborateurs au sein de l’équipe. Cela passe par exemple par leur participation à l’encadrement et l’évaluation des stagiaires dans notre unité de soins. Ils ont ainsi été amenés à participer, dans des petits groupes de travail, à la refonte du livret d’accueil et d’évaluation des étudiants. Ce genre de mission les motive car c’est du concret. C’est un moyen efficace de les impliquer dans la vie du service. De plus, ces actions ont l’avantage d’obtenir un retour direct : si elles se passent bien, tout le monde en tire bénéfice !

Autre exemple : désormais ce sont les aides-soignants qui présentent les prothèses aux patientes mastectomisées. Une infirmière a écrit ce projet, réalisé une liste des informations incontournables à transmettre, réfléchi à la manière de former les aides-soignants et d'évaluer leurs acquis pour les laisser en autonomie avec les patientes. Ce type de projet est évidemment très valorisant pour l’infirmière qui s’en est occupé. 

J’ai pris mon poste en service de chirurgie au moment du Covid. Le service a été fermé et l’équipe a été dispatchée pendant 3 mois… Ensuite, il a fallu recréer une dynamique d’équipe. Les collaborateurs ont dû s’adapter à une nouvelle organisation du service, avec une nouvelle cadre. Nous avons appris à nous faire confiance. Au début, la motivation du personnel n’était plus là. Nous avons passé un été difficile, avec beaucoup de chirurgies réalisées à la suite de retards de diagnostics. La période a été compliquée. Nous avons réussi à redonner du sens à ce qu’on fait, expliquer pourquoi on était là, rappeler les objectifs du service. Pour améliorer et favoriser l’implication des personnels, j’ai créé des fiches de postes pour les infirmiers et je les ai impliqués dans l’organisation de la salle de soins, les plannings, l’encadrement des stagiaires, le rangement de l’armoire à pharmacie, la dotation de stupéfiants, etc. Ce sont les soignants de terrain qui détiennent le savoir et il est essentiel de leur demander leur avis. C’est ainsi que petit à petit, ils se sont remotivés et se sont impliqués dans la vie du service. »

Pauline Jeandel, IDE service de médecine et référente compagnonnage, Centre Léon Bérard

« En tant qu’infirmière, il est intéressant de sortir du cadre institutionnel de référent, qui donne droit à une prime en euros, ou de correspondant, qui entre dans notre évaluation annuelle. Si l’on se cantonne à cela, on a l’impression qu’il faut toujours faire plus que son métier pour être valorisé. Selon moi, être valorisé au sein de son service, juste par le travail que l’on effectue, c’est pas mal aussi ! Dans ce cas, on le fait pour le bon fonctionnement du service, cela nous offre l’opportunité d’évoluer dans nos missions d’infirmier ou d’aide-soignant, et de se mettre à jour, car la médecine évolue toujours. Personnellement, je n’ai pas fait ce métier pour de la paperasse. Je suis référente compagnonnage pour l’accueil des nouveaux arrivants, également correspondante, mais j’aime aussi prendre le temps avec le patient et faire mon métier, tout simplement.

Le choix de l’établissement est aussi un facteur d’implication. Je suis entrée au CLB il y a 8 ans. Je me suis démenée pour y être embauchée car je sais qu’ici les effectifs sont corrects, nous avons du matériel et des moyens pour travailler dans de bonnes conditions. Nous sommes écoutés, les cadres de santé nous accordent de l’attention et leurs portes nous sont toujours ouvertes. Cette communication ouverte est très intéressante car nous pouvons avoir des échanges à tous les niveaux. Bien sûr, le Covid est passé par là et on ressent ici aussi une tension sur les effectifs par manque de soignants. On court plus qu’avant. Toutefois, la chaîne hiérarchique a du sens et chaque élément a son importance, cela permet une cohésion entre tous les éléments. 

Nous avons un bon retour des nouveaux collaborateurs : on ne s’attend pas à ce qu’ils soient experts en sortant de l’école, et nous leur fournissons les bases pour qu’ils puissent apprendre plus vite que s’ils apprenaient seuls, sur le tas. L’enjeu, et notre objectif, sont qu’ils soient à l’aise avec tous les aspects du soin qu’ils peuvent rencontrer.

Notre implication est plus forte sur les projets qui nous concernent directement que sur les projets institutionnels. Nous avons besoin de choses qui font sens pour nous, qui sont concrètes. En ce qui me concerne, l’implication est un facteur de reconnaissance. Je pourrais sans doute gagner un salaire supérieur ailleurs, mais une des raisons qui me retient ici c’est que l’on est reconnus. L’implication est valorisée à l’échelle du service et de l’institution. La direction est ouverte aux projets que l’on peut proposer et mettre en place dans les unités. C’est agréable pour tous car on soutient nos initiatives et on nous suit. »

Le cadre de santé formateur et l’étudiante

Laëtitia Dietemann, cadre de santé formateur des instituts de formation en santé, coordinatrice pédagogique, adjointe à la direction, Instituts de formation en santé du centre hospitalier de Saverne

« En institut de formation en santé, nous avons pour mission d’impliquer les étudiants à s’engager dans le processus d’apprentissage. Il nous faut les amener à sortir du paramétrage de leur scolarité – où bien souvent, on travaille en vue d’obtenir une note, de réussir une évaluation – pour créer du sens, se mettre en posture d’apprendre pour soi et son futur métier. Pour y parvenir, nous devons faire valoir l’intérêt des apprentissages proposés, expérimenter différentes méthodes pédagogiques pour capter l’attention, expliquer les attendus et veiller à ce qu’ils soient en cohérence avec ce qu’ils observent en stage, d’un point de vue personnel. Il est donc essentiel de ne pas se cantonner à un enseignement théorique. Il faut être pragmatique et faire en sorte que l’équipe pédagogique soit en phase avec l’actualité professionnelle, les dernières modalités de gestes techniques. Car en cas de décalage de l’enseignement par rapport à la réalité du terrain, l’apprentissage perd du sens pour les étudiants, qui risquent de se remettre en paramétrage classique – la recherche d’une note, décorrélée de la pratique –, moins bien progresser et finalement, ne pas s’impliquer dans leurs études et le développement d’une identité professionnelle infirmière.

Il nous revient aussi le soin de décoder ce qu’ils vivent en stage pour les aider à trouver du sens, en lien avec les valeurs qui les ont animés en arrivant en formation, et ne pas les laisser s’éteindre après avoir vécu des situations tendues sur le terrain. Les étudiants rentrent facilement et rapidement "dans le moule" : si en stage on leur serrine que ce métier est difficile, contraignant, qu’ils doivent se préserver, ils peuvent se désinvestir et perdre l’envie de le pratiquer. Des expériences de ce type jouent négativement sur leur implication.

Ces dernières années, les hôpitaux ont connu de telles tensions que le contexte d’accueil des étudiants a été très compliqué. Sans vouloir blâmer les équipes qui encadrent, pour schématiser : si l’étudiant est autonome, on a tendance à le laisser seul, et s’il est en difficulté, on n’a pas le temps nécessaire pour lui accorder plus d’attention… La période est difficile à vivre, pour les étudiants comme pour les équipes soignantes.

Toutefois, dès qu’on aborde le champ des objectifs du soin, des valeurs, du service rendu à la personne soignée, leur implication est très rapide. D’ailleurs, les questionnaires de bien-être que nous réalisons au retour de stage montrent que les difficultés en stage sont rarement liées au soin, mais proviennent de l’interaction avec les pairs, des relations dans l’équipe.

Il faut aussi reconnaître que les nouvelles générations n’ont pas le même attachement au travail que leurs aînés. Le travail n’est pas toute leur vie ! Pour autant, ils ont su se mobiliser fortement pendant la crise Covid car cela faisait sens pour eux. Certains ont même passé des heures à effectuer des tâches bien éloignées de leur métier pour participer à l’effort en pleine crise sanitaire. En revanche, cet été, bien qu’ils aient la possibilité de travailler sans attendre de recevoir officiellement leur diplôme, la moitié de nos étudiants ont préféré prendre des vacances… 

Du côté de l’équipe pédagogique, on attend des cadres formateurs qu’ils soient force de proposition sur de nouvelles méthodes, qu’ils innovent en pédagogie pour enrichir les cours et "embarquer" les étudiants. La cohésion d’équipe est essentielle ; il est fondamental que les étudiants ressentent que les formateurs sont animés par des valeurs et des objectifs communs. Et là encore, la motivation des formateurs à aller de l’avant n’est pas une question d’âge. Leur implication se situe plus dans la cohérence de l’aller-retour de l’alternance : ils auraient besoin de retisser des liens plus étroits entre l’institut et le terrain, de travailler main dans la main avec les équipes soignantes. Les cadres formateurs sont amenés à aller sur le terrain lors de visites de stages pour accompagner les étudiants et analyser les pratiques professionnelles. Ils aimeraient être plus impliqués sur le terrain mais bien souvent, les équipes soignantes ne perçoivent pas la plus-value d’une meilleure collaboration. Le fossé s’est creusé et nous ressentons vraiment une baisse d’implication sur le terrain où l’encadrement étudiant est devenu moins prioritaire. C’est un cercle vicieux. »

Laurine Frommweiller, étudiante en 3 année à l’Institut de formation de santé du CH de Saverne

« Avec une maman aide-soignante et une cousine infirmière, j’ai toujours été attirée par le métier d’infirmière. Aider les personnes, être là pour elles, les accompagner au mieux par les soins : pour moi ce sont les relations humaines de ce métier qui font sens.

Mon implication dans les études a été la condition pour apprendre les compétences et les connaissances nécessaires pour prendre en soins le patient de manière holistique. En première année, je ne réalisais pas tout cela, mais en 3e année, j’ai fait le lien avec tout ce que nous avions appris depuis le début. En stage aussi, s’impliquer c’est une façon de montrer sa motivation à devenir infirmier et c’est important pour gagner en autonomie et faire vivre nos valeurs. D’ailleurs, si l’étudiant ne montre pas qu’il souhaite s’impliquer, l’équipe aura peu envie de l’impliquer… Cela doit venir des deux côtés.

En général, à mon arrivée en stage, les professionnels de santé commençaient par me demander si j’avais des objectifs spécifiques, si je souhaitais voir des choses en particulier et me conseillaient. En période Covid, les équipes avaient moins envie de nous inclure dans le service, elles se "dépatouillaient" avec des règles qui n’arrêtaient pas de changer et avaient d’autres urgences à gérer.

Parfois, il était difficile de faire des propositions, car notre parole en tant qu’étudiant n’est pas toujours prise en compte. Dans certains services en revanche, les soignants n’hésitaient pas à me demander mon avis, conscients que je pouvais apporter un œil neuf, extérieur, sur une situation. J’ai vraiment apprécié qu’on sollicite mon point de vue, cela m’a permis de m’impliquer encore plus dans le stage et, finalement, d’apprendre davantage. J’étais dans une dynamique de participation, entourée d’une équipe pluridisciplinaire.

En stage de 2e année dans le pôle de pédopsychiatrie de l’hôpital de l’Elsau (CHU de Strasbourg), on m’a proposé de faire l’entretien d’accueil d’un patient avec le médecin. J’ai trouvé cette expérience très intéressante et gratifiante ! C’est d’ailleurs grâce à l’expérience très positive que j’ai vécue dans ce service que j’ai décidé de m’orienter dans ce secteur pour commencer ma carrière. »