Repères managériaux pour le travail en équipe - Objectif Soins & Management n° 0285 du 10/02/2022 | Espace Infirmier
 

OBJECTIF SOINS n° 0285 du 10/02/2022

 

Management des soins

DOSSIER

Cécile Debray  

Consultante en ressources humaines, fondatrice et gérante d’Amae-Conseil, organisme de conseil et de formation, Issy-les-Moulineaux

Le travail d’équipe recouvre plusieurs notions qu’il est important de bien comprendre. Définir les contours et l’organisation du travail, identifier le rôle de chacun, communiquer, évaluer les conditions d’interdépendance, de coopération et de collaboration, sont des pré-requis indispensables. Ils permettront au manager d’insuffler une dynamique d’équipe efficace et pérenne.

L’importance de travailler en équipe est un sujet qui revient sans cesse dans les propos d’encadrants. Mais que recouvre cette notion ? Communiquer sans doute, partager des informations, réfléchir ensemble probablement aussi, souvent transmettre, apprendre, mais aussi collaborer et agir ensemble. Tout aussi fréquemment, ces mêmes encadrants déplorent des dysfonctionnements dans ce travail d’équipe : des rivalités, des tensions relationnelles, des défauts de transmission, des comportements individualistes, des guerres d’ego… En réalité, travailler en équipe ne va pas de soi et nous ne sommes pas tous égaux dans notre capacité à mobiliser cette compétence. Cette capacité n’est pas innée et elle a besoin d’un certain terreau pour se développer et s’exprimer.

PLUSIEURS DÉFINITIONS

Le terme « équipe » est relativement récent dans la littérature managériale. Il arrive en force au cours du XXe siècle. Auparavant, si on se réfère à des dictionnaires du XIXe, il s'agit d'un terme issu de la navigation fluviale. En effet, l’équipe est une série de bateaux amarrés les uns aux autres, se déplaçant à la voile ou traînés par des hommes.

Une équipe peut être « un ensemble de personnes travaillant à une même tâche » mais aussi « un ensemble d’ouvriers se succédant sur un même poste de travail [ou] à divers postes, travaillent pendant une même période » ou, dans le monde sportif, « un ensemble de joueurs associés ou du même camp pour participer à une compétition, à un match », ou encore « un groupe de personnes unies par des activités, des intérêts communs » (1).

De tout cela ressort la notion de groupe de personnes reliées par un objet commun, que cela soit des tâches, un temps ou un but : plutôt flou, comme concept d’appartenance ! La notion d’équipe n’est donc pas précise quant aux modalités de sa composition ni de son fonctionnement. Dans une telle définition, nous pourrions nous sentir membre d’une équipe même avec des membres qui ne partageraient pas cette perception.

Une équipe de travail, est-ce tous les membres d’une même organisation ? D’un service ? Les personnes présentes à un moment donné ? Sommes-nous toujours membres d’une équipe si nous sommes absents ? Et, dans ces temps de pandémie, travaillons-nous toujours en équipe lorsque nous sommes en télétravail et centrés sur l’avancée de nos propres dossiers ?

BIEN PLUS QU’UN GROUPE D’INDIVIDUS

Il est à noter qu’il est très rare, dans l’abondante littérature sur le management des équipes, que soit définie précisément la notion d’équipe.

Lançons-nous et tentons d’établir une définition.

Un groupe d’individus ne constitue pas une équipe. Pour qu’un groupe devienne une équipe, il faut minimalement que chacun des membres comprenne les objectifs poursuivis, y adhère, et accepte le cadre organisationnel qui les réunit.

Cette définition d’une équipe induit de poser des principes pour qu’elle fonctionne.

Tout d’abord il est important que les membres de l’équipe définissent des objectifs à atteindre : que doit-on faire ensemble ? Surtout, sommes-nous sûrs que tous les membres de l’équipe partagent la même compréhension de ces objectifs ? Qu’est-ce que réaliser un travail de qualité ? À quoi saurons-nous que nous avons été efficaces ensemble ?

Nombre de conflits ou de difficultés d’équipe prennent naissance dans ce flou sur la réalité du travail. Certes, une compréhension a minima s’opère spontanément. Elle se base sur les consignes de travail, parfois sur la rédaction de fiches de postes. Mais il est aisé de comprendre combien nos perceptions peuvent différer sur les notions de qualité, de comportements adéquats face à une situation ou de perception des responsabilités. Qui n’a pas entendu des réflexions du type : « Ce n’est pas dans ma fiche de poste », « Ce n’est pas à moi de le faire, ce n’est pas mon rôle », « J’en fais déjà bien assez », etc.

Cela ouvre à une deuxième conséquence de notre définition : la nécessité de partager des méthodes, des process, des procédures, c’est-à-dire de co-construire une compréhension de l’organisation du travail. Comment allons-nous travailler ensemble ? Qui doit faire quoi et quand ?

La troisième conséquence est l’inscription dans la durée du fonctionnement d’une équipe. Être une équipe c’est, fondamentalement, agir ensemble, donc produire des actes, des situations, des résultats, de l’énergie. C’est aussi se frotter aux personnalités des membres de l’équipe, les soutenir et les apprécier peut-être, les bousculer ou les froisser parfois aussi.

Pour qu’une équipe maintienne son acceptation des objectifs poursuivis et le cadre organisationnel qui réunit ses membres, chacun a besoin de sentir que l’effort qu’il apporte aux autres participants est utile, valorisé et reconnu, et de percevoir l’apport que les autres membres lui fournissent dans la réalisation de l’objectif commun. Nous sommes en train de définir un aspect fondamental dans la notion d’équipe : l’interdépendance.

L’INTERDÉPENDANCE : LE TERREAU DE LA COHÉSION D’ÉQUIPE

Si je peux faire seul le travail demandé, alors il est nettement moins coûteux de fonctionner en autonomie voire en indépendance. Je gagne en temps, en effort de communication, en vigilance vis-à-vis des autres acteurs, en déception quand les autres ne font pas les choses comme j’aimerais qu’elles soient faites, etc. Le travail d’équipe s’impose quand j’ai conscience que seul, je ne pourrai pas parvenir au résultat que je souhaite et que j’ai besoin des autres pour l’atteindre.

Il est à souligner que cette conscience du besoin des autres est nettement plus facile à percevoir pour les responsables des équipes que pour les équipiers eux-mêmes (il est en effet généralement plus simple d’observer pour les autres que pour soi-même). C’est, à coup sûr, un travail pour tout responsable que de développer, au sein de ses équipes, la perception du besoin du travail des autres en lien avec la reconnaissance du travail fourni par chacun.

Cela induit de définir clairement le travail de chaque membre, de responsabiliser chacun sur sa contribution personnelle aux objectifs collectifs, mais aussi de faciliter et d’organiser la compréhension des apports d’autrui. Il s’agit en quelque sorte de donner et de valoriser la place de chaque personne au sein du collectif.

La notion d’équipe ouvre aussi à une nécessaire analyse de l’organisation du travail. Toutes les organisations ne génèrent pas un terreau fertile à la construction d’une équipe ; certaines, même, peuvent l’inhiber.

INTERDÉPENDANCE ET ORGANISATION

De nombreux postes de travail sont relativement autonomes. Ainsi, si je travaille à l’accueil administratif de l’hospitalisation de patients, je m’appuie sur un logiciel, des procédures. Certes, je travaille en synergie avec d’autres personnes, par exemple, outre mes collègues, les infirmières des services accueillants, mais fondamentalement, si je suis rapide et ma collègue lente, si je suis cassante dans ma communication ou au contraire accueillante et efficace, c’est en premier lieu mon quotidien qui en sera affecté. Si ma collègue est trop lente, je peux m’énerver et penser que tout repose sur moi, et si au contraire elle est très efficace, je peux ne pas voir en quoi je suis plus lente, moins productive. Ce n’est pas un problème pour moi. Peut-être pour ma collègue ou ma hiérarchie ? L’interdépendance est faible.

Certes, il est possible pour le responsable de ces deux professionnels de travailler sur des pratiques d’accueil de qualité, l’amélioration du circuit du patient, la notion de service, etc. Tous ces sujets sont des thèmes de travail pour optimiser l’organisation et c’est bien évidement un axe de travail nécessaire et indispensable à investir pour le responsable. Toutefois, cela ne nourrit pas des comportements de solidarité, de soutien ou même d’appartenance. Ceux-ci peuvent exister si ces valeurs sont portées par les individus qui occupent ces postes mais ils ne sont pas générés par les caractéristiques de l’organisation. Et comme tels, ils influent nécessairement sur le fonctionnement de l’équipe et sur les modes de management.

À l’inverse, il se peut que j’intervienne dans une organisation dans laquelle, sans la collaboration de mes collègues, je ne peux rien faire. Cela peut être dans un contexte pluridisciplinaire, par exemple, parce que les décisions à prendre sont difficiles et que j’apprécie la collégialité de la réflexion, ou en lien avec la nature de l’activité, l’exercice même de mon activité dépendant du travail de mes collègues.

Cette compréhension de mon besoin des compétences d’autrui pour assurer mon travail, induit une écoute, une disponibilité pour partager, coconstruire, aider. Le travail du manager consistera alors à faire partager et évoluer les pratiques communes, valoriser les différences tout en régulant les personnalités trop vibrantes. Les managers repéreront vite que des cercles vertueux de collaboration se mettent en place et que leur rôle principal sera de veiller au maintien de cette perception d’interdépendance.

Entre ces deux extrêmes, il existe toute une nuance d’organisations de travail, qui renforce ou inhibe le besoin d’un travail d’équipe.

COOPÉRER OU COLLABORER ?

Si chaque acteur occupe un périmètre professionnel où il exercera ses compétences en réalisant la mission qui légitime sa présence dans l’organisation, il a aussi à gérer des interactions avec les autres pour ajuster, fiabiliser, stabiliser son action.

Il est possible de schématiser deux grandes façons d’organiser le travail qui entraîneront des conséquences importantes sur la dynamique d’une équipe. Il n’existe pas, à pas à notre sens, une organisation préférable à une autre : chacune génère des avantages et des inconvénients.

Coopérer

Tout d’abord, l’accent peut être mis sur l’importance du périmètre d’action individuelle. Le travail est structuré de façon à ce que chacun sache ce qu’il doit faire et soit responsabilisé sur ses réalisations propres. Le responsable sait à tout moment qui fait quoi et qui est responsable de quoi.

Par exemple, si dans un service il faut gérer 20 lits, il est possible de mettre en place une organisation du travail sectorisée : une infirmière s’occupera de l’aile droite, une autre de l’aile gauche. L’organisation permettra de savoir qui doit s’occuper de qui et quand.

La relation entre le patient et le professionnel sera renforcée, qu’elle soit efficace, chaleureuse, complexe ou difficile. Cette organisation a des conséquences sur les perceptions et la motivation des professionnels qui y exercent : certains peuvent se sentir responsables, en confiance et valorisés, quand d’autres se sentiront solitaires, abandonnés, par exemple dans le cas d’une relation plus conflictuelle ou d’une prise en charge d’un patient difficile. Les liens avec leurs collègues ne sont plus induits par l’exercice quotidien et se développent principalement sur un axe de convivialité : ils s’apprécient ou pas, ils aiment plaisanter ensemble ou pas, ils échangent sur leur quotidien ou pas. Ce niveau n’est pas impacté au premier chef sur la qualité des soins produits dans la relation patient/soignant. Le poids du périmètre autonome de chacun structure ainsi des relations de moindre interdépendance. Dit autrement, si un membre de l’équipe dysfonctionne, cela affecte « à distance » les autres membres de l’équipe. C’est la logique de coopération.

Collaborer

La logique du « faire ensemble » peut au contraire prédominer, soit parce que le travail l’impose –comme dans un bloc opératoire, par exemple, où chacun a son périmètre mais où le résultat dépend des interactions collectives simultanées –, soit parce que l’organisation met en avant le travail de tous.

Dans notre exemple précédent, il n’y a plus de répartition de lits en fonction d’un professionnel mais tous gèrent ensemble l’ensemble des soins, chacun prenant à un instant une mission en collaboration et intelligence avec ses collègues. Le poids de l’ensemble induit plus de solidarité et impose la nécessité de communiquer mais aussi d’avoir une organisation comprise et partagée. Rendre compte est nécessaire, enrichissant les pratiques communes et leurs évolutions. Un « patient difficile » devient alors la responsabilité d’un ensemble de professionnels, la solitude est moindre, le poids du travail se partage. Mais cela nécessite beaucoup de communication, de régulation, de traçabilité…  Et cela implique que chacun porte sa charge de travail. Si l’un des membres est plus lent, moins fiable, ou commet des erreurs, les tensions avec les collègues seront immédiates, la moindre performance d’un membre affectant la performance de tous. En revanche, le sentiment de force et de sécurité que suscite le travail d’équipe sera à son maximum pour une équipe autonome. C’est la logique de collaboration.

L’ORGANISATION COMME STRUCTURE DES RELATIONS

Développer un travail d’équipe, c’est avant tout se questionner sur la meilleure façon de responsabiliser, accompagner, organiser le travail du service, dans un va-et-vient de dynamique individuelle et collective toujours à optimiser. Trop de dynamique individuelle réduit les interactions et augmente les silos ; trop de dynamique collective dilue l’action de chacun, peut démotiver ou déresponsabiliser.

C’est en s’appuyant sur une lecture des contraintes générées par le travail, et donc l’organisation de celui-ci, qu’il est possible de sauvegarder, par des actions de management, ce difficile équilibre. C’est le chemin qui permettra de développer un travail d’équipe efficace et harmonieux, et de générer les apprentissages relationnels nécessaires à son installation et à son maintien dans le temps.

Trois leviers pour une dynamique d’équipe

Développer le travail en équipe, c’est avant tout prendre conscience que l’organisation structure les comportements professionnels. Analyser les caractéristiques du fonctionnement du travail permet de se focaliser sur les leviers réels et efficaces d’une dynamique d’équipe pérenne.

Dans tous les cas, il est nécessaire de se questionner pour repérer les trois leviers du fonctionnement d’une équipe :

- existe-t-il une cible commune, c’est-à-dire des objectifs précis, concrets, objectivables qui ne peuvent être atteints que par la mobilisation de tous ? Quand plusieurs objectifs cohabitent dans un groupe, des sous-groupes se forment. Plus les objectifs sont clarifiés, plus le groupe se stabilise et avance ;

- l’organisation responsabilise-t-elle chaque acteur ? Chaque équipier connaît-il précisément à l’instant t, ses tâches, ses missions et son champ de responsabilité ? Ou ce champ est-il dilué dans une indétermination collective (ouvrant souvent la voie à des conflits interpersonnels – quand une tâche est à tout le monde, elle n’est à personne) ;

- existe-t-il des rituels, des règles pour que les membres de l’équipe se sentent à la fois reconnus, valorisés mais aussi protégés ? Une équipe a besoin de règles et de repères de fonctionnement. La gestion spontanée d’une équipe est impossible dans le temps.

L’organisation du travail ne génère pas toujours ces trois niveaux. Mais, bonne nouvelle pour le manager : en s’appuyant sur deux de ces leviers, il peut espérer une dynamique collective efficiente et pérenne.