Jurisprudence de novembre à décembre 2021 - Objectif Soins & Management n° 0285 du 10/02/2022 | Espace Infirmier
 

OBJECTIF SOINS n° 0285 du 10/02/2022

 

PRATIQUE HOSPITALIÈRE

DROIT

Gilles Devers  

Avocat à la Cour de Lyon

Maladie imputable au service et accident de service, tenue du dossier médical et information préalable, responsabilité pour faute... Exposés et commentaires de quelques décisions.

1/ MALADIE IMPUTABLE AU SERVICE ET ACCIDENT DE SERVICE

Ce que dit la jurisprudence

Les régimes juridiques de la maladie imputable au service de l’accident de service résultent de la jurisprudence du Conseil d’État.

La maladie imputable au service. Une maladie contractée par un fonctionnaire, ou son aggravation, doit être regardée comme imputable au service si elle présente un lien direct avec l'exercice des fonctions ou avec des conditions de travail de nature à susciter le développement de la maladie en cause, sauf à ce qu'un fait personnel de l'agent ou toute autre circonstance particulière conduisent à détacher la survenance ou l'aggravation de la maladie du service.

L’accident de service. Un accident survenu sur le lieu et dans le temps du service, dans l'exercice ou à l'occasion de l'exercice par un fonctionnaire de ses fonctions ou d'une activité qui en constitue le prolongement normal présente, en l'absence de faute personnelle ou de toute autre circonstance particulière détachant cet événement du service, le caractère d'un accident de service.

Constitue un accident de service, tout évènement quel que soit sa nature ou série d'évènements survenus à des dates certaines, par le fait ou à l'occasion du service, dont il est résulté une lésion, quelle que soit la date d'apparition de celle-ci, sauf si des circonstances particulières ou une faute personnelle du fonctionnaire titulaire ou stagiaire détachent cet événement du service. Il appartient dans tous les cas au juge administratif, saisi d'une décision de l'autorité administrative compétente refusant de reconnaître l'imputabilité au service d'un tel accident, de se prononcer au vu des circonstances de l'espèce.

Preuve de l’imputation de la maladie au service non rapportée

En l'absence de lien direct avéré, prouvé par des données médicales et factuelles, entre la pathologie dont est atteint l’agent et les conditions d'exercice de son activité, la reconnaissance comme maladie imputable au service doit être rejetée. (CAA de Douai, 30 novembre 2021, n° 20DA01033)

> Faits

Une infirmière titulaire dans un CHU depuis 1977, a été affectée à partir de l'année 1997 sur un emploi de technicienne d'information médicale, puis entre 1999 et 2005 au service des urgences médicales, avant d'intégrer le service d'information médicale. Elle souffre de troubles anxieux se traduisant notamment par des attaques de panique ainsi qu'une claustrophobie importante, qui, après s'être généralisés, ont donné lieu à une décompensation au début de l'année 2013. Ainsi, elle a été placée en congé de longue maladie à compter du 31 janvier 2013, puis en congé longue durée.

Elle a demandé que ce congé soit reconnu comme relevant de la maladie professionnelle. Toutefois, à la suite d'une expertise médicale et malgré l'avis, consultatif, de la commission de réforme, favorable à la reconnaissance d'une maladie professionnelle, le directeur général a rejeté cette imputabilité.

> Analyse

L’infirmière soutient que ses troubles dépressifs ont débuté en 2005 dans un contexte de surmenage professionnel et en raison du comportement inacceptable d'un agent du service, qualifié de psychotique, qui l'a profondément choquée, du fait de l'envoi d'un dessin à caractère pornographique. Elle produit son dossier médical dont il résulte qu'elle a été placée en arrêt maladie à compter du 31 janvier 2013, puis prolongé au motif d'un stress professionnel, ainsi que l'attestation d'un expert en psychiatrie concluant qu'elle souffre de troubles anxieux généralisés avec un épuisement professionnel.

Toutefois, ces éléments médicaux et le seul témoignage d'une collègue ne permettent pas d'établir que l'affection anxio-dépressive dont l'intéressée est atteinte et pour laquelle elle a été placée en congé maladie serait imputable à un environnement de travail pathogène.

Dans ces conditions, en l'absence de lien direct avéré entre sa pathologie et les conditions d'exercice de son activité, le refus d’imputabilité est confirmé.

Mauvaises conditions de travail ou accident de service ?

La désorganisation récurrente du service ne constitue pas un événement soudain, mais des désagréments habituels, et un échange vif entre le cadre et l’infirmière, quand bien même il aurait déclenché l'effondrement psychique de l’infirmière, ne peut non plus être regardé comme un événement soudain et violent susceptible d'être qualifié d'accident de service. (CAA de Bordeaux, 23 décembre 2021, n° 19BX02955)

> Faits

Une infirmière puéricultrice titulaire affectée depuis 2008 au bloc pédiatrique de l'hôpital Purpan, du CHU de Toulouse, a été orientée le 19 mai 2017 par le service de santé au travail des hôpitaux de Toulouse vers son médecin traitant, lequel lui a prescrit le même jour un arrêt de travail jusqu'au 31 mai 2017 pour anxiété et dépression, prolongé à plusieurs reprises jusqu'au 31 décembre 2017.

Elle a déclaré un accident du travail survenu le 19 mai 2017 en invoquant un effondrement lors de la consultation du médecin du travail après avoir, lors de sa prise de service entre 8 et 9 heures, et alors qu'elle s'était déclarée gréviste pour le reste de la journée, été confrontée « encore une fois à un manque de matériel, à une désorganisation du service et à une réflexion de l'encadrement ».

Par une décision du 19 décembre 2017, le directeur a rejeté sa demande.

> Analyse

Mauvaise organisation du service. Il ressort des pièces du dossier, notamment d'une expertise réalisée en juillet 2016 à la demande du CHSCT et des témoignages de collègues de l’infirmière, que les conditions de travail au bloc pédiatrique étaient difficiles depuis plusieurs années, avec des locaux insuffisants, une gestion à flux tendus des salles d'opération générant des difficultés d'organisation pour la prise en charge des urgences et des tensions parmi le personnel, du matériel inadapté à la taille des enfants imposant un surcroît de travail pour l'installation des patients en salle d'opération, et des départs du service ayant conduit à une surreprésentation des infirmiers non formés à la technicité particulière du bloc pédiatrique, avec un alourdissement des tâches de vérification et de formation incombant à leurs collègues plus expérimentés. La pénibilité du travail, précisément décrite par l’infirmière, n'apparaît pas contestable.

Toutefois, le manque de matériel et la désorganisation mentionnés dans la déclaration d'accident du travail ne constituaient pas un événement soudain, mais des désagréments habituels, et ne peuvent être reconnus dans le contexte d’un accident de service.

Échange verbal avec le cadre de santé. L’infirmière fait également valoir un échange verbal avec la cadre de santé aurait été « extrêmement violent », mais elle n'en apporte aucun commencement de preuve. La cadre de santé fait état d’un échange banal sur l’organisation du travail, et cet échange, quand bien même il aurait déclenché l'effondrement psychique de l’infirmière, ne peut non plus être regardé comme un événement soudain et violent susceptible d'être qualifié d'accident de service.

Choc psychologique regardé comme constituant un accident de service

L'annonce d’un changement de poste d'office en raison de la réorganisation du service, intervenue dans un contexte de dégradation des conditions de travail depuis plusieurs années, a provoqué chez cet infirmier une brusque aggravation de son état de santé avec l'apparition d'une soudaine amnésie, et des séquelles psychiatriques. Dans le cas d’espèce, le choc qu’a constitué cette annonce doit être regardé comme constituant un accident de service. (CAA de Douai, 30 novembre 2021, n° 20DA00686)

> Faits

L’affaire concerne un infirmier diplômé d'État, qui exerce ses fonctions en tant que cadre de santé au service des urgences.

Le 24 mai 2016, dans le cadre d'un projet de réorganisation du service, la direction a informé cet agent de son changement d'affectation dans l'intérêt du service. Le 27 mai suivant, il a été revu par trois membres de la direction pour évoquer ses souhaits d'évolution professionnelle et une nouvelle rencontre était prévue le 3 juin.

Le 2 juin, il ne s'est pas présenté au rendez-vous de la médecine du travail et a laissé sans nouvelles le centre hospitalier ainsi que ses proches pendant près de deux jours, avant d'être retrouvé par les forces de police, en état de choc, dans un centre hospitalier, atteint d'une amnésie transitoire.

Le 4 juin, il a rédigé une déclaration d'accident expliquant avoir été pris d'une « bouffée d'angoisses » avec idées suicidaires sur le parking de l'hôpital en voyant ses anciens collègues et en se remémorant un entretien avec le directeur du centre hospitalier.

L’agent est resté hospitalisé en psychiatrie, avec des congés maladies puis de longue maladie.

> Analyse

La disparition de cet infirmier le 2 juin 2016 trouve son origine dans cette série d'entretiens datés des 24 et 27 mai 2016 devant aboutir à son changement d'affectation.

Il résulte de deux expertises médicales diligentées par le centre hospitalier, et des deux avis de la commission de réforme faisant suite à ces deux expertises, que les troubles anxio-depressifs dont l’agent souffre ne peuvent être imputés à aucun état antérieur ou facteur extérieur personnel et sont en lien direct avec le service.

Ainsi, l'annonce de son changement de poste d'office en raison de la réorganisation décidée du service des urgences, intervenue dans un contexte de dégradation des conditions de travail depuis plusieurs années, et que l'intéressé s'est remémorée avant de se rendre à une consultation auprès de la médecine du travail, a provoqué une brusque aggravation de son état de santé avec l'apparition d'une soudaine amnésie. Dans ces conditions, le choc survenu le 2 juin 2016 doit être regardé comme constituant un accident de service.

2/ TENUE DU DOSSIER ET INFORMATION PRÉALABLE

Preuve de l’information préalable par tout moyen

La production d'un document écrit signé par le patient n'est ni nécessaire ni suffisante pour que puisse être considérée comme rapportée la preuve de la délivrance de l'information. Il appartient à l’établissement d'établir qu'un entretien, préalable nécessaire à la délivrance d'une information conforme à ces dispositions, a bien eu lieu et tout moyen a été mis en œuvre pour s’assurer d’un consentement éclairé à l'acte de soins. (CAA de Nantes, 3 décembre 2021, n° 20NT02708)

> Faits

Un homme, né en 1956, a présenté en octobre 2005 une surdité droite brutale accompagnée de vertiges alors qu'il était également atteint d'algies faciales anciennes, correspondant à des céphalées fronto-temporales droites à type de lancements.

En janvier 2006, un examen par IRM réalisé dans un CHU a révélé l'existence d'un petit neurinome intra-canalaire au niveau du méat acoustique droit qui a fait l'objet d'une surveillance par IRM. En juin 2008, il a été constaté une augmentation du volume du neurinome, une amplification des acouphènes et une baisse de l'acuité auditive droite. En juillet 2008, le patient s'est alors vu proposer une irradiation stéréostaxique cérébrale qui a été réalisée le 10 octobre 2008 au CHU. Dans les suites de cette intervention, s'il a été constaté une légère régression du neurinome,
le patient est néanmoins resté atteint d'une cophose (surdité totale) droite, d'acouphènes, de troubles de l'équilibre du côté droit, d'un larmoiement de l'œil droit et de sensations de chaleur de l'hémiface et de l'hémicrâne droits, avec une hypoesthésie de l'hémiface ainsi que de l'hémilangue droites, le tout associé à un syndrome dépressif.

À la suite de deux expertises, la notion de faute médicale a été écartée, au profit de celle d’un aléa thérapeutique. 

> Manquement à l'obligation d'information

Le patient allègue ne pas avoir signé de documents attestant qu'il a reçu les informations nécessaires afférentes aux risques encourus par l'intervention, de sorte que le centre hospitalier n'apporte pas la preuve qui lui revient de l'avoir informé sur ces risques, conformément à l'article L. 1111-2 CSP.

La production par un établissement hospitalier d'un document écrit signé par le patient n'est ni nécessaire ni suffisante pour que puisse être considérée comme rapportée la preuve, qui lui incombe, de la délivrance de l'information prévue par les dispositions de l'article L. 1111-2 CSP. Il appartient en revanche à cet établissement d'établir qu'un entretien, préalable nécessaire à la délivrance d'une information conforme à ces dispositions, a bien eu lieu, et de démontrer par tout moyen que le destinataire de l'information a été mis à même de donner en connaissance de cause un consentement éclairé à l'acte de soins auquel il s'est ainsi volontairement soumis.

> Analyse

Il résulte des comptes rendus de consultation que lors de la consultation du 2 juin 2008, le chef du service de neurochirurgie, lui a proposé une irradiation multifaisceaux pour laquelle le patient a donné son accord, et un rendez-vous a été fixé le 3 juillet suivant avec deux autres médecins spécialistes... Selon le compte-rendu de consultation de ces médecins du 3 juillet 2008, ceux-ci indiquent avoir expliqué à l'intéressé les principes de l'irradiation stéréotaxique cérébrale avec cadre et en avoir exposé les effets secondaires (paralysie faciale, majoration de ses troubles ou non-amélioration de sa fonction auditive et acouphènes), le patient donnant son accord pour cette irradiation.

Le courrier du 8 juillet 2008 adressé au médecin traitant par l’un de ces spécialistes mentionne également que ces informations ont bien été portées à la connaissance du patient.

Le CHU apporte ainsi, par ces éléments, la preuve que le patient a reçu toute l'information nécessaire sur l'objectif, les conséquences et les risques prévisibles de cette intervention.

Perte du dossier médical, défaut d’information et responsabilité

La perte du dossier du patient est une faute de nature à révéler l'existence d'une faute médicale dans la prise en charge et il appartient au centre hospitalier de prouver que les soins prodigués ont été appropriés. Un manquement des médecins à leur obligation d'information engage la responsabilité de l'hôpital dans la mesure où il a privé le patient d'une chance de se soustraire au risque lié à l'intervention en refusant qu'elle soit pratiquée. (CAA de Paris, 6 décembre 2021, n° 20PA03977)

> Faits

En septembre 2012, une dame alors âgée de quatre-vingt-deux ans a été victime de deux accidents ischémiques transitoires sans séquelles neurologiques, qui ont conduit à la réalisation d'un écho-doppler mettant en évidence une sténose de la carotide droite, estimée à 70 %.

Le 3 décembre 2012, elle a subi dans un CHU une intervention chirurgicale consistant en une endartériectomie carotidienne avec fermeture par patch synthétique. Le lendemain de cette intervention, il a été constaté une hémiplégie gauche complète ainsi que des lésions lacunaires multiples dans la région frontale droite et une sclérose laminaire fronto-pariéto-temporale et lenticulaire.

La patiente a alors été prise en charge au sein du service de neurologie jusqu'au 26 décembre 2012, puis par le centre de réadaptation fonctionnelle de Bobigny jusqu'au 16 juin 2013, et a ensuite été hospitalisée en hôpital de jour trois fois par semaine jusqu'au 20 septembre 2013.

> Perte du dossier médical de la patiente

Droit applicable. Aux termes de l'article R. 1112-7 CSP : « Les informations concernant la santé des patients sont soit conservées au sein des établissements de santé qui les ont constituées, soit déposées par ces établissements auprès d'un hébergeur agréé en application des dispositions à l'article L. 1111-8. Le directeur de l'établissement veille à ce que toutes dispositions soient prises pour assurer la garde et la confidentialité des informations ainsi conservées ou hébergées. Le dossier médical mentionné à l'article R. 1112-2 est conservé pendant une durée de vingt ans à compter de la date du dernier séjour de son titulaire dans l'établissement ou de la dernière consultation externe en son sein ».

Ainsi, il incombe à l'hôpital d'assurer la conservation de tous les documents faisant partie du dossier médical des patients. La perte de ce dossier médical constitue un manquement de l'établissement hospitalier à ses obligations révélant une faute dans l'organisation et le fonctionnement du service de nature à engager sa responsabilité.

Cette faute est de nature à révéler l'existence d'une faute médicale dans la prise en charge et il appartient au centre hospitalier de prouver que les soins prodigués ont été appropriés.

Analyse. Les deux experts ont déploré la non-production du compte rendu d'anesthésie,mais ils ont expliqué, s'agissant de cet accident ischémique, qu’« il est difficile de se prononcer comme souvent sur la cause précise de cette ischémie – par bas débit circulatoire ou embolies multiples – ce qui ne change pas grand-chose au problème » et ils ont conclu que le dommage résulte en définitive d'un aléa thérapeutique. La perte du dossier médical constitue une faute de l'AP-HP, mais cette faute n'a pas privé la patiente d’une chance d'éviter la survenue de l'accident ischémique dont elle a été victime, lequel résulte d'un aléa thérapeutique.

Dans ces circonstances, la perte du dossier médical ne peut être regardée comme révélatrice d'une perte de chance sérieuse d'établir l'origine du dommage dès lors qu'il résulte de l'expertise que ce dommage résulte d'un aléa thérapeutique.

> Défaut d'information

Droit applicable. Il résulte des articles L. 1111-2 CSP sur le droit à l’information et L. 1111-4 sur le consentement que lorsque l'acte médical envisagé, même accompli conformément aux règles de l'art, comporte des risques fréquents ou graves normalement prévisibles, le patient doit, sauf en cas d'urgence ou d'impossibilité, en être informé. Si cette information n'est pas requise en cas d'urgence, d'impossibilité, de refus du patient d'être informé, la seule circonstance que les risques ne se réalisent qu'exceptionnellement ne dispense pas les praticiens de leur obligation.

Un manquement des médecins à leur obligation d'information engage la responsabilité de l'hôpital dans la mesure où il a privé le patient d'une chance de se soustraire au risque lié à l'intervention en refusant qu'elle soit pratiquée. Pour apprécier si la faute consistant à ne pas avoir informé le patient du risque que comportait l'intervention a ou non fait perdre à ce dernier une chance d'échapper au dommage, il doit être recherché si cette intervention présentait un caractère indispensable.

Analyse. Les praticiens hospitaliers, qui ne se trouvaient ni dans l'urgence ni dans l'impossibilité d'informer la patiente, ne l’ont préalablement informée des risques fréquents ou graves normalement prévisibles que comportait l'intervention chirurgicale litigieuse ainsi que sur les autres solutions possibles conformément aux dispositions de l'article L. 1111-2 CSP. Est ainsi établi un manquement à leur obligation d'information, et en privant dans ces conditions la patiente de son droit de donner un consentement éclairé à l'opération envisagée, les praticiens ont commis une faute de nature à engager la responsabilité de l'AP-HP.

Le centre hospitalier soutient que la patiente n'aurait pas été en mesure de refuser l'intervention chirurgicale litigieuse sauf à encourir d'importants risques de récidive d'accident vasculaire cérébral. Toutefois, le risque de récidive d'accident vasculaire cérébral, avec de lourdes séquelles, sur une lésion pluri-symptomatique était de l'ordre de 10 à 15 % par an. L'opération réalisée ne revêtait pas un caractère d'urgence ou d'impérieuse nécessité et des alternatives thérapeutiques existaient, consistant en la pose d'un stent ou l'administration d'un traitement antiagrégant plaquettaire.

Par ailleurs, la patiente a indiqué que si elle avait été informée des risques encourus et des alternatives, elle se serait « vraisemblablement soustraite à l'intervention compte tenu de son grand âge et se serait contentée d'un traitement médical prophylactique antiplaquettaire, même si l'efficacité en est limitée ».

De telle sorte, la responsabilité hospitalière du fait du défaut de consentement éclairé est engagée à raison de la perte de chance de la patiente d'éviter tout ou partie des séquelles dont elle est restée atteinte.

En outre, la patiente présentait un facteur d'exposition particulier aux risques de complications vasculaires cérébrales inhérents à l'intervention chirurgicale en cause compte tenu notamment de son âge, le risque encouru en cas de renonciation à cet acte de subir une récidive d'accident vasculaire cérébral, étant estimé par les experts à 15 % par an pour un patient souffrant d'une lésion pluri-symptomatique. La patiente pouvait, toujours selon les experts, « être victime à n'importe quel moment d'un nouvel accident vasculaire cérébral, cette fois constitué, avec des séquelles neurologiques lourdes ».

Dans ces conditions, les fautes commises résultant tant de la perte du dossier médical que du défaut d'information et du consentement éclairé de la patiente doivent être regardées comme n'ayant privé la patiente que d'une faible chance de se soustraire au risque qui s'est réalisé en refusant que l'intervention soit pratiquée, laquelle doit être évaluée à 15 %.

3/ RESPONSABILITÉ POUR FAUTE

Initiatives médicales fautives des infirmières, au lieu d’appeler le médecin

Le décès survenu en postopératoire n’est imputable à aucune faute dans la réalisation de l'acte chirurgical, mais à deux fautes qui ont été commises au stade de la surveillance postopératoire, par la non-réalisation d’examens, et l’administration de traitement non prescrit par le médecin. (CAA de Versailles, 17 décembre 2021, n° 18VE01453)

> Faits

Le 20 février 2006, à l'âge de 39 ans, une patiente a subi une hystérectomie au sein d’un centre hospitalier. Le lendemain, elle a présenté un arrêt cardiaque à 13 heures 40 minutes et elle est décédée des suites d'une hémorragie intra-abdominale. Le décès est imputable à un choc hémorragique résultant d'une hémorragie intra-abdominale postopératoire qui s'est constituée progressivement après l'intervention.

> Analyse

Il résulte des rapports d'expertise qu'aucune faute dans la réalisation de l'acte chirurgical ne peut être relevée, mais que deux fautes ont été commises au stade de la surveillance postopératoire.

D’abord, en raison d'une instabilité de la pression artérielle et d'une baisse du taux d'hémoglobine peu après l'intervention, le médecin-anesthésiste a prescrit deux numérations de la formule sanguine, lesquelles devaient être effectuées le jour même de l'intervention à 18 h 00, puis le lendemain matin. Or, ces examens n'ont jamais été réalisés, alors que l'état de la patiente l'imposait. Le chirurgien qui a réalisé l'acte chirurgical a pris à tort la décision d'annuler la première numération à 17 h 00 et n'a pas estimé nécessaire de pratiquer la seconde le lendemain matin, malgré les signes évocateurs d'une hémorragie et l'aggravation de l'état de la patiente au cours de la nuit précédente. Selon les experts, si le « contrôle de la numération de la formule sanguine dans les heures ou le lendemain qui suivent une hystérectomie, sans difficulté technique, n'est pas systématique, il l'était en l'espèce, en raison des baisses de la pression artérielle en salle de surveillance post interventionnelle ; a fortiori, durant la soirée et la nuit, pour la même raison ».

Ensuite, au cours de la nuit ayant précédé le décès, les infirmières n'ont pas fait appel au médecin de garde malgré plusieurs chutes de la pression artérielle, accompagnées de tachycardie. En outre, les infirmières ont pratiqué, sans l'autorisation pourtant obligatoire d'un médecin, trois perfusions de Voluven®, substitut du plasma utilisé pour restaurer le volume sanguin en cas de perte de sang. Cette initiative sans prescription médicale est très anormale.

Selon les experts, le défaut de surveillance et d'organisation du service est à l'origine d'une perte de chance d'éviter le décès : « si les infirmières avaient informé le médecin de garde des anomalies de surveillance clinique, ce dernier aurait examiné la patiente, prescrit un bilan sanguin montrant la déglobulisation, des examens complémentaires (échographie, voire scanner abdominal), confirmant l'hémorragie interne, et l'urgence de réintervenir, ce qui lui aurait sauvé la vie ».

La mortalité d'une telle intervention sur un état hémodynamique stable, est inférieure à 5%, ce dont il faut déduire que le décès résulte exclusivement des fautes commises.

Matériel inadapté et défaut de surveillance causant le décès d’un nouveau-né

Le décès d’un nouveau-né placé en incubateur réside dans la conjugaison de deux fautes, à savoir une asphyxie causée par un glissement du bandeau d’un masque respiratoire inadapté, asphyxie qui n’a été constatée que tardivement en l'absence de personnel suffisant dans la pouponnière. (CAA de Nancy, 14 décembre 2021, n° 19NC02209)

> Faits

Une enfant est née le 1er juin 2010, à la maternité d’un centre hospitalier. En raison d'un ictère, elle a été installée, le lendemain, en incubateur afin de subir une photothérapie conventionnelle. Peu après minuit, dans la nuit du 2 au 3 juin, elle a été découverte en arrêt cardio-respiratoire et réanimée. Transférée au centre hospitalier de Mulhouse, elle a été prise en charge au sein de l'unité de réanimation néonatale, où elle est décédée le 9 juin 2010.

> Analyse

Le matériel qui avait été utilisé pour protéger les yeux de l'enfant lors de la photothérapie n'était pas conforme aux règles de l'art, eu égard au risque d'obstruction des narines du nouveau-né générée par le bandeau utilisé, en cas de glissement de ce dernier. De plus, la pouponnière où se trouvait la couveuse dans laquelle était placé l'enfant a été laissée sans surveillance de 23 heures 30 à 0 heure 20, ce qui constitue une faute dans l'organisation du service. Ces deux manquements engagent la responsabilité du centre hospitalier.

Le décès de l'enfant a été provoqué par une hypoxie non aiguë, alors notamment que l'enfant, dont la naissance n'avait été marquée par aucune complication, ne présentait pas de troubles ou de facteurs de risques susceptibles d'aboutir à un décès, indépendamment de l'hypoxie. Aucune cause organique de l'hypoxie n'a été trouvée chez le nourrisson. De plus, les analyses toxicologiques n'ont pas révélé la présence de substances susceptibles d'avoir causé ou favorisé la mort. Ainsi, la cause la plus probable du décès réside dans une asphyxie causée par un glissement du bandeau, qui n'a pu être constatée que tardivement en l'absence de personnel dans la pouponnière. Dans ces conditions, ces deux manquements doivent être regardés comme ayant causé le décès.

Extravasation du liquide de perfusion de chimiothérapie

Dans les circonstances de l’espèce, l'extravasation du liquide de perfusion de chimiothérapie a constitué un accident médical rare, mais la prise en charge médicale n'a pas été conforme aux règles de l'art de l'époque, faute de réalisation d'un lavage aspiration en milieu chirurgical. (CAA de Bordeaux, 8 décembre 2021, n° 19BX02760)

> Faits

Une patiente qui présentait un lymphome folliculaire de type B à grandes cellules, ou syndrome de Richter, a suivi à partir d'octobre 2009 une cure de chimiothérapie au sein d’un centre hospitalier.

Le 4 novembre 2009, lors de la réalisation du deuxième cycle de cette cure, un déplacement de l'aiguille de perfusion piquée au niveau de la chambre implantable a entraîné une extravasation du produit antimitotique jusqu'au sein droit et la racine du cou à droite. Des soins locaux ont été réalisés consistant, le jour même, en une aspiration de liquide sous-cutanée, un badigeonnage de Betneval® et une injection sous-cutanée de Depo-Medrol®, puis, les jours suivants, en une injection de Cardioxane® et un traitement associant le Solupred® per os et l'application locale de Betneval® toutes les deux heures.

Malgré ces soins, une nécrose extensive des tissus est survenue au sein de la zone inflammatoire, qui s'est compliquée d'une infection au staphylocoque doré, traitée par antibiotiques. La patiente a subi, en février 2010, une mise à plat chirurgicale de la nécrose cutanée et sous-cutanée puis, en avril 2010, une greffe cutanée suivant un prélèvement au niveau de la face interne de la cuisse.

> Analyse

L'extravasation du liquide de perfusion de chimiothérapie survenue le 4 novembre 2009 a constitué un accident médical rare, le risque d'une extravasation étant de l'ordre de 1 %. La prise en charge médicale de cette extravasation n'a pas été conforme aux règles de l'art de l'époque, faute de réalisation d'un lavage-aspiration en milieu chirurgical spécialisé dans les quatre à six heures suivant l'extravasation, malgré les recommandations médicales en ce sens. Selon les recommandations médicales, un Kit Savene® aurait dû être utilisé dans les 6 heures suivant l'extravasation. Seul le Savene® était spécifiquement indiqué pour le traitement de l'extravasation des anthracyclines, de sorte que l'utilisation de Cardioxane®, qui n'a pas la même visée thérapeutique et a en outre été injecté dans un délai supérieur à 6 heures suivant l'extravasation, a également revêtu un caractère fautif.

Compte tenu du caractère très nécrosant du produit qui s'est extravasé lors de l'accident du 4 novembre 2009, le dommage corporel tenant à une nécrose cutanée extensive aurait pu survenir en l'absence des fautes ci-dessus relevées. Ces fautes, en privant la patiente d'un traitement reconnu pour son efficacité, ont hautement compromis ses chances d'éviter le dommage tel que constaté. Dans ces conditions, les fautes commises par le centre hospitalier ont seulement fait perdre une chance d'éviter le dommage, et l'ampleur de la chance ainsi perdue doit être fixée à 90 %.

Décès causé par une chute, mais absence de faute dans la surveillance ou le traitement

Le décès d’une patiente âgée est consécutif à une chute, mais l’examen ne montre aucune faute ni dans la gestion des barrières du lit, ni dans la surveillance, ni dans le traitement. (CAA Nantes, 17 décembre 2021, n° 20NT03630)

> Faits

Alors qu'elle était âgée de 86 ans, une dame a été hospitalisée le 22 février 2013 à la suite d'un épisode de dyspnée au service des urgences d’un centre hospitalier à la demande de son médecin traitant, en raison d'une « forte diarrhée, une anorexie qui peut faire craindre une déshydratation, une dégradation rapide avec risque de chute ».

Après avoir tout d'abord été transférée au pôle de gériatrie, elle a été ensuite admise au sein du service de cardiologie puis en oncohématologie après la découverte d'un lymphome.

Le 10 avril 2013, elle a été retrouvée, à 20 h, à terre près de son lit et son décès sera constaté le lendemain à 05 h 45.

> Analyse

Infection nosocomiale. Selon le rapport d'expertise, une infection nosocomiale a été constatée le 8 mars 2013 et traitée jusqu'au 18 mars suivant, mais elle a pu être jugulée. L'expert conclut à l'absence de lien entre cette infection et la cause du décès, qui est dû exclusivement à la chute du 10 avril 2013. En particulier, la famille ne saurait sérieusement soutenir que l'infection nosocomiale a eu pour effet d'augmenter la douleur et la fatigue de la patiente, ralentissant le processus de guérison, alors que l'opération cardiaque réalisée le 28 février 2013 a révélé que celle-ci souffrait d'un lymphome de haut grade, justifiant son admission en service d'oncohématologie, pour lequel a été mis en place un traitement corticoïde et une chimiothérapie débutée le 27 mars 2013, qu'elle a été ensuite traitée pour un syndrome de Lyse et qu'elle présentait une aplasie.

Défaut de surveillance. La patiente avait chuté de son lit les 1er et 4 avril 2013, sans gravité. Toutefois, en raison de ces chutes, et ainsi que le mentionnent les fiches de prescription quotidienne, des barres de lit devaient être installées. Le 10 avril 2013, lors de la troisième chute qui a occasionné le traumatisme crânien et qui est la cause probable du décès, ces barrières n'étaient pas installées.

Toutefois, ces barrières qui avaient bien été mises en place ce jour-là ont été retirées par la fille de la patiente, qui ne les a pas remises en quittant la chambre de sa mère à 18 heures, ni informé le personnel soignant de son départ. Alors que le rapport d'expertise du 23 mars 2016 précise que la surveillance de la patiente a été conforme jusqu'au dernier jour, il n’est pas prouvé que le personnel médical a manqué à son devoir de surveillance en ne passant pas dans la chambre de la patiente entre 18 heures, heure de départ de sa fille, et 20 heures, heure à laquelle la chute a été constatée. Dès lors, la chute n'est pas imputable à un défaut d'organisation du service et ne saurait être regardée comme constituant une faute susceptible d'engager la responsabilité.

Prise en charge après la chute. Il résulte des fiches de suivi de la patiente, qu'après sa chute, un hématome du cuir chevelu sans plaie a été constaté et qu'une surveillance par l'échelle de Glasgow a été mise en place toutes les heures pendant quatre heures puis une fois toutes les deux heures, conformément aux préconisations de l'interne de garde. Selon ces mêmes pièces, la porte de sa chambre est restée ouverte à la demande de la patiente pour assurer une meilleure surveillance et cette dernière parlait à l'équipe médicale à chaque passage dans les couloirs. Cette surveillance a permis de noter un trouble de conscience vers 5 h 20, heure à laquelle l'interne de garde a été appelé, et l'évolution défavorable a été ensuite très rapide, le décès ayant été constaté vingt-cinq minutes après, à 5 h 45.

Selon l'expert qui a sollicité l'avis d'un neurochirurgien, cette évolution n'aurait pas permis de réaliser un scanner cérébral. Par suite, aucune faute ne peut être retenue à ce titre contre l’équipe.