OBJECTIF SOINS n° 0284 du 09/12/2021

 

Management des soins

DOSSIER

Véronique Molières    

directrice du C2DS (Comité pour le développement durable en santé)

Les acteurs de santé sont des citoyens comme les autres… Et la prise de conscience des enjeux environnementaux questionne aussi leurs pratiques professionnelles. Mais comment décarboner notre système de santé tout en préservant l’efficience des soins ?

Désormais, le changement climatique est parfaitement établi et la cause du réchauffement, l’activité humaine, prouvée par les membres du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC). La résilience du système de santé se pose : comment d’ores et déjà prendre en charge les effets sanitaires du changement climatique et demain garantir une continuité d’activité de soin ? Les professionnels de santé sont les acteurs héroïques du maintien de la population en bonne santé mais, ce faisant, ils génèrent des impacts environnementaux. La préservation de l’environnement et l’amélioration de la santé humaine et animale (one health) sont des défis indissociables qui engagent notre responsabilité collective.

UN ENGAGEMENT À TRIPLE DÉTENTE

À la faveur d’une prise de conscience citoyenne globale des enjeux environnementaux, les acteurs de santé questionnent leurs pratiques professionnelles ; l’hôpital s’interroge également sur les siennes. D’autant qu’il est sommé par la Haute Autorité de santé de « maîtriser les enjeux environnementaux » via des indicateurs devenus obligatoires en 2021 dans le cadre de la nouvelle certification des établissements sanitaires. Gestion des déchets, consommation d’énergies, organisation de la mobilité, mesures des pollutions de l’air, de l’eau et des sols, pour le moins, les 700 établissements de santé adhérents du Comité pour le développement durable en santé (C2DS) et bien d’autres s’activent. Il n’est plus de problèmes rencontrés par l’un qui ne trouvent de solutions mises en œuvre par d’autres. Le partage des bonnes pratiques et des astuces est une clé.

Tous parties prenantes

S’engager dans un développement durable implique de raisonner en termes de parties prenantes. L’hôpital découvre qu’il n’est pas seul à bord et que sa responsabilité sociale et environnementale est autant hors que dans les murs. Il est ainsi amené à œuvrer avec les acteurs de la médecine de ville et, progressivement, cherche à embarquer tous les soignants dans une réflexion de « territoire sanitaire et développement durable ». À l’initiative des uns ou des autres, cette appréhension territoriale apporte du sens à chacun.

L’hôpital, doublement prescripteur

Acteur majeur de son territoire, l’hôpital a un devoir d’exemplarité. Il dispose d’un fort pouvoir éducationnel auprès de ses employés – intégrer des bonnes pratiques professionnelles également dans son quotidien de vie – mais aussi auprès des millions de citoyens, patients et accompagnants. Afficher et appliquer des éco-gestes dans le quotidien des soins à l’hôpital est fortement prescripteur de bonnes pratiques hors ses murs pour le plus grand nombre. Souscrire à une politique de responsabilité sociétale des entreprises (RSE) se transforme en marqueur de confiance supplémentaire accordée à l’hôpital par la population qui y recourt. De plus, aujourd’hui, ce n’est plus l’établissement qui choisit son personnel, mais le personnel qui choisit l’établissement. La politique RSE d’un établissement devient progressivement un avantage concurrentiel pour recruter.

UN CADRE COMMUN

Notre cadre commun est celui défini par l’Organisation des nations unies de « 17 objectifs pour sauver le monde ». Ces « objectifs de développement durable » (ODD) « donnent la marche à suivre pour parvenir à un avenir meilleur et plus durable pour tous ». Ensuite, l’Accord de Paris, adopté par 196 États lors de la COP21 à Paris en 2015, juridiquement contraignant, vise à limiter le réchauffement climatique à un niveau bien inférieur à 2°C, de préférence à 1,5°C, par rapport au niveau préindustriel. Le premier volet du 6e rapport d’évaluation du GIEC, publié en août 2021, fournit de nouvelles estimations de la possibilité que le réchauffement planétaire excède 1,5°C au cours des prochaines décennies et fait valoir que, à moins de réductions immédiates, rapides et massives des émissions de gaz à effet de serre, la limitation du réchauffement aux alentours de 1,5°C, ou même à 2°C, sera hors de portée. Un thème au cœur des négociations de la COP26 se tenant en novembre 2021 à Glasgow.

En France, la loi « climat et résilience », issue des travaux de la Convention citoyenne sur le climat, prévoit elle aussi de donner neuf ans à la France pour réduire ses émissions de gaz à effet de serre de 40 %. Enfin, le décret « tertiaire » de la loi Élan concerne l’ensemble des établissements de santé et fixe une réduction des consommations énergétiques de 40 % d’ici à 2030, de 50 % d’ici à 2040 et de 60 % d’ici à 2050.

COMMENT AGIR ?

Il y a mille façons d’entrer dans une démarche de développement durable : l’application voire l’anticipation de la réglementation, le respect des critères RSE obligatoires de la nouvelle certification, l’écoute des attentes des praticiens et des salariés, le renforcement de la notoriété de l’établissement et de sa marque employeur, la quête de la performance. Chacun, à son rythme, selon ses ressources et ses ambitions, trouve la sienne.

Réfléchir sur les ressources comme sur la valeur ajoutée d’un soin

Concrètement, il s’agira de :

– réduire les déchets à la source puis de transformer les déchets des uns en matière première pour les autres ;

– observer une utilisation juste des ressources en eau (consommation directe et indirecte selon l’analyse du cycle de vie du produit ou service) et réduire les effluents liquides (pollution par les molécules médicamenteuses par exemple) ;

– améliorer l’efficacité énergétique et favoriser les énergies renouvelables ;

– optimiser les transports des salariés, des patients, des marchandises et des déchets ;

– élaborer une politique d’achats responsables coconstruite avec les fournisseurs ;

– favoriser l’économie circulaire (gestion des déchets, achats de proximité, etc.) ;

– concevoir, rénover, construire un bâtiment économe en ressources eau/énergie, favorisant des matériaux sains (sans perturbateurs endocriniens ou nanoparticules) pour une meilleure qualité d’air intérieur, limitant les nuisances sonores et lumineuses, les champs électromagnétiques ;

– enfin, engager une réflexion à toutes les étapes, en amont et en aval d’un soin, dans une logique d’écoconception des soins.

Identifier un pilote RSE

Quelle que soit la porte d’entrée choisie, l’identification d’un pilote RSE est indispensable, suivie de la pose et mesure d’indicateurs sur un ou des périmètres sélectionnés (énergie, eau, transports…). Un diagnostic posé, il convient de rédiger un plan d’actions dont le succès dépendra de l’implication de chaque service et de ses agents. La sensibilisation ou la formation des personnels à ces enjeux s’avérera nécessaire. Une démarche de développement durable est un formidable exercice de « team building » permanent où chacun, quels que soient son poste et ses responsabilités, trouve sa place. Des établissements de santé engagés, aucun n’envisage de revenir en arrière ; au contraire, chacun poursuit sa marche en avant, à son rythme, basée sur le bon sens.

L’ÉCOCONCEPTION DES SOINS

Si calculer l’empreinte écologique des outils de travail, en premier lieu du bâtiment et de ses équipements, est un postulat de départ, questionner l’empreinte écologique et sociétale des soins eux-mêmes constitue une clé. L’écoconception d’un service et en particulier d’un soin engage une réflexion à toutes les étapes. Il s’agit d’inviter le soignant à prendre aussi conscience de ce qui se passe en amont et en aval des soins qu’il délivre. L’écoconception des soins est une démarche au service de la santé environnementale et de la décarbonation d’un établissement de santé ; elle représente un levier très structurant d’un développement durable.

Écoconcevoir un soin suppose une approche résolument transversale qui intègre des indicateurs aussi divers que ceux des gaz à effet de serre, des substances toxiques, des transports, des déchets, des énergies, de l’eau, de la qualité de l’air intérieur, des champs électromagnétiques, des nuisances sonores... Cela suppose également d’interroger ce soin, sa valeur ajoutée, dans une chaîne d’actes et nécessite de travailler à 360 degrés, en tout premier lieu avec les médecins, les soignants et les patients.

LA DÉCARBONATION PAR L’EXEMPLE

Le CH Métropole Savoie se passe de desflurane

Les équipes du bloc – médecins et soignants – du CH de Chambéry (73) l’ont fait : le desflurane, le gaz anesthésiant le plus polluant, est définitivement supprimé des 21 salles de bloc de l’hôpital. Pour rappel, trois principaux gaz sont utilisés en anesthésie : le desflurane, le sévoflurane et le protoxyde d’azote. Ils ont des durées de vie dans l’atmosphère de 1,4 an pour le sévoflurane, 21,4 ans pour le desflurane, et 114 ans pour le protoxyde d’azote. Leur pouvoir de réchauffement global à 100 ans est important : le sévoflurane est 130 fois plus impactant que le CO2, le protoxyde d’azote jusqu’à 298 fois, et le desflurane jusqu’à 2 540 fois ! « Nous avons supprimé totalement le desflurane et également retiré le protoxyde d’azote dans l’ensemble du bloc central (sauf au bloc ambulatoire). Résultats : en 2019, nous avons utilisé 600 flacons de moins de desflurane que l’année précédente et augmenté la consommation de seulement 150 flacons de sévoflurane. Cela signifie une consommation quatre fois moindre, une économie d’environ 500 tonnes de CO2 et de près de 30 000 euros. On s’est simplement habitué à travailler différemment », explique le Dr Stéphane Combaz, anesthésiste-réanimateur.

Le CH de Lamalou jauge l’écoconception d’un soin

Il y a deux ans, le CH Paul-Coste-Floret à Lamalou-les-Bains (34) lance un projet d’écoconception des soins. « Ce projet novateur s’inscrit dans une démarche globale au sein de notre hôpital. C’est une continuité de l’observation des trois piliers du développement durable : le social, l’économique et l’environnemental. Concrètement, en équipe pluridisciplinaire, nous avons identifié un soin d’hygiène et de confort dans un parcours d’un patient ayant subi un AVC avec AVJ – qui correspond à notre activité d’établissement SSR spécialisé en neurologie. Nous avons ensuite identifié des indicateurs de performance globale : par exemple la consommation d’eau, le gaspillage de matériel à usage unique, les critères d’achats durables, le tonnage des déchets non recyclés, le ratio d’agents formés en manutention... », explique Laurence Fontenelle, attachée d’administration hospitalière, responsable qualité gestion des risques, développement durable.

« Nous sommes ensuite entrés en phase d’audit avec des professionnels pour nous accompagner. Ce retour sur nos pratiques est extrêmement intéressant. Nous avons alors pointé par exemple certains produits que nous utilisions dans notre quotidien sans le conscientiser. Puis nous sommes entrés en phase d’amélioration. Au niveau des soignants dans le service, tout le monde est prêt à poursuivre. Nous tentons de repartir sur un second tour d’audit à la fin de l’année 2021. L’objectif est d’observer le delta entre nos objectifs initiaux et ceux atteints », complète Sylvie Pigeon, infirmière.

Le CH de Valenciennes parie sur la mobilité durable

Engagées de longue date dans le développement durable, les équipes du CH de Valenciennes (59) ont particulièrement travaillé sur la mobilité des agents. « Nous avons décidé trois axes de travail. Tout d’abord la promotion du covoiturage : une place privilégiée sur le parking est offerte à ceux qui covoiturent. Huit places sont ainsi dédiées et équipées d’un arceau, d’une clé et assorties d’un contrat. Nous avons ensuite installé 24 postes de recharge pour les voitures électriques, liés à un contrat et moyennant une facturation. Enfin, par le biais d’une prime, nous valorisons l’utilisation de vélos ou de patinettes – classiques ou électriques ; la prime s’élève à 150 euros pour un vélo. De même, des arceaux sous abris ont été aménagés, et quatre box à vélo sécurisés par digicode ou carte d’accès ont été créés. Cela représente un budget qui oscille entre 10 000 et 15 000 euros selon les années et qui dénote un véritable engagement de la direction », explique Stéphane Ruyant, directeur qualité et développement durable.

L’équipe développement durable du CH ne s’arrête pas là et exerce le lobbying nécessaire auprès des collectivités locales pour favoriser l’accès à l’hôpital en transports en commun. Ainsi, une navette gratuite relie la gare de Valenciennes et l’hôpital avec un affichage des horaires dans le hall de celui-ci. Et notons que le réseau TER Hauts-de-France est gratuit pour les agents hospitaliers !

La clinique Saint-Roch dépasse les objectifs de l’Accord de Paris

Établissement sanitaire privé de 260 lits et 40 places implanté sur trois sites, dont Cambrai (59), la clinique Saint-Roch est engagée dans le développement durable depuis 2008. Elle travaille à la réduction des émissions de gaz à effet de serre depuis 2010 et est certifiée EMAS (eco-management and audit scheme, ou système de management et d’audit environnemental) depuis 2013. « Nous avons réalisé notre premier bilan carbone en 2010, et avons immédiatement rédigé une charte d’éco-gestes que nous faisons vivre tous les jours auprès des collaborateurs. Trois bilans supplémentaires ont été réalisés jusqu’à aujourd’hui.

Ils évaluaient les émissions directes liées aux équipements tels que les fours, les séchoirs (scope 1), les émissions liées aux carburants des véhicules (scope 2), qui doivent systématiquement être étudiées dans un audit environnemental, mais aussi les émissions indirectes provenant de l’activité des fournisseurs, usagers ou prestataires (scope 3).

Le scope 3, optionnel, est le plus intéressant car il affine l’analyse en prenant en compte toutes les autres formes d’émissions indirectes et donne du sens. Par exemple : les émissions émises par l’achat de matières premières, de services ou autres produits, les déplacements des salariés, le transport amont et aval des marchandises, la gestion des déchets, l’utilisation et la fin de vie des produits et services vendus… En 2019, le scope 3 représentait 95 % du total de nos émissions de gaz à effet de serre, ce qui signifie 3 243 tonnes équivalent CO2 sur un total de 3 836 tonnes. Alors que nos objectifs initiaux étaient de réduire de 20 % nos émissions de gaz à effet de serre, nous avons atteint une réduction de 52 % », se réjouit Fabien Leloir, responsable qualité et gestion des risques.

C2DS : facilitateur et promoteur d’actions

Le Comité pour le développement durable en santé (C2DS) est une association à but non lucratif qui fédère depuis 14 ans des établissements sanitaires et médico-sociaux engagés dans une démarche de développement durable. Ce réseau compte aujourd’hui 700 établissements adhérents (une quinzaine de CHU, une dizaine de CLCC, des CH, des cliniques, des Ehpad et, depuis peu, des cabinets médicaux…) de toutes activités et de tous statuts juridiques. La raison d’être du C2DS est, en amont, d’informer les professionnels de santé sur les enjeux d’une démarche de développement durable et, ensuite, d’entretenir leur motivation sur le long terme. Il met à disposition des établissements adhérents une boîte à outils « du premier pas » conçue par des professionnels de santé pour leurs pairs mais aussi des formations et une veille réglementaire.

Le Comité collecte les bonnes pratiques de terrain inspirantes et « duplicables » par tous pour les promouvoir au sein du réseau. Il les promeut également auprès des parties prenantes – décideurs en santé, médias… En résumé, C2DS est un facilitateur à disposition des équipes des établissements pour embarquer le système de santé dans un développement collectif durable pour tous.

Sondage éclairant

Des professionnels de santé impliqués

En mai 2021, 88 % des 1 350 professionnels de santé ayant répondu à un sondage du C2DS souhaitent des établissements de santé́ exemplaires en termes d’énergies, de transports, de déchets mais aussi de qualité de vie au travail : « oui, absolument » pour 52 % d’entre eux et « oui, mais [on n’en a] pas les moyens » pour 36 %.

Les professionnels de santé ont des convictions et sont prêts à les mettre en œuvre. 91 % des répondants sont prêts à agir : 51,7 % déclarent déjà̀ le faire, 15 % répondent « oui, sans attendre » et 23 % « oui, mais je ne sais pas comment ». Ces résultats correspondent à ceux obtenus en mai 2020 sur un panel de 2 200 répondants et confirment une tendance de fond.

Pour en savoir plus

La Convention hospitalière pour le climat

Au printemps 2020, le C2DS lançait un premier appel à la décarbonation du secteur de santé puis, à l’automne, la Convention hospitalière pour le climat en écho à la Convention citoyenne pour le climat. Chaque semaine, un rendez-vous est organisé : speed dating des adhérents, club des responsables qualité ou des pharmaciens, intervention dans un congrès, lancement de la publication l’Hôpital agit pour la planète, point presse…

http://www.c2ds.eu

Pour adhérer, recevoir la newsletter, être informé : contact@c2ds.eu