L’expérience du « CV imagé » en IFSI - Objectif Soins & Management n° 0284 du 09/12/2021 | Espace Infirmier
 

OBJECTIF SOINS n° 0284 du 09/12/2021

 

ÉCRITS PROFESSIONNELS

Linda Khelifi   Alexandre Grasset   Roger Zintchem   Catherine Braccagni  

cadres de santé formateurs, AP-HP, CFDC, IFSI Avicenne-Jean-Verdier, 2, rue Arthur-Groussier 93140 Bondy

Pour inscrire les étudiants en soins infirmiers de 2e année dans une démarche réflexive visant à analyser leur parcours en formation initiale à l’IFSI, une activité faisant appel à leur créativité a vu le jour dans le cadre d’un dispositif spécifique. La réalisation d’une production artistique individuelle présentée à ses pairs encouragerait le travail émotionnel ainsi que le partage d’expériences au service de la construction identitaire professionnelle de l’étudiant.

À destination des étudiants en soins infirmiers de 2e année au début du semestre 4 de la formation, nous avons lancé une activité inédite dans le cadre d’un dispositif spécifique intitulé « réflexivité » encore en construction. En effet, un groupe de travail de formateurs a vu le jour depuis la rentrée 2020 afin de réfléchir à la manière d’engager les étudiants dans un processus réflexif et répondre ainsi à l’une des exigences réglementaires du référentiel de formation(1) : l’étudiant « est amené à devenir un praticien autonome, responsable et réflexif». Dans ce cadre, notre enjeu principal est de leur proposer, tout au long de leur cursus, un espace « hors programme » de partage et de réflexion des pratiques en tant qu’acteurs de ces situations, issues de leurs expériences en formation théorique ou clinique. À titre expérimental, nous avons testé au cours d’une séance un outil visant à développer cette pensée réflexive par un travail introspectif du parcours des étudiants en formation. Par le déploiement d’une activité artistique faisant appel à leur créativité, nous avons proposé une animation utilisant la technique du collage que nous avons intitulée « Mon CV imagé ». Dans un contexte marqué par la pandémie covid-19, nous avons employé des modalités pédagogiques prévues pour du distanciel via des outils et plateformes numériques déployés en formation. Nous allons donc vous présenter ce retour d’expérience menée au sein de l’IFSI Avicenne-Jean-Verdier au cours du mois de février 2021 et partager avec vous nos pistes de réflexions à l’issue de cette séance. 

Objectifs de la séquence et déroulé

Sans enjeux normatifs spécifiques, l’objectif fut d’engager une réflexion individuelle auprès des étudiants à ce stade de la formation (fin du semestre 3 et début du semestre 4) à partir d’une introspection de leurs parcours depuis leurs débuts et de leurs projections en faisant appel à des compétences intuitives (pensée abstraite, expression orale, pensée critique…). Autour d’un format original, notre seconde intention était de favoriser un esprit de promotion, d’instaurer un climat de confiance entre eux et une dynamique de groupe dans ce contexte sanitaire particulier. Sur une durée de trois heures environ, cette séance a été conduite auprès d’une promotion de 180 étudiants, répartis en huitièmes de promotion, soit des groupes de 20 à 25 participants. Cette activité a été proposée via l’application de réunions virtuelles Zoom ® et l’utilisation de ses différentes fonctionnalités (partage d’écran de l’animateur aux participants, possibilité de « demander de l’aide » à l’animateur de la séance…).

Au cours de la première partie de séance (1h15), les étudiants ont été invités à construire un curriculum vitæ (CV) imagé à partir d’un support vierge numérisé sous la forme d’une frise chronologique mis à leur disposition avant le démarrage de l’activité. Cette technique de présentation originale favorise la créativité par le choix d’images (photos ou illustrations) ou de mots issus de leurs recherches individuelles. Les étudiants avaient également la possibilité de compléter leur présentation avec d’autres illustrations représentant des actions, des choses qu’ils réalisent ou ont réalisées dans leur vie personnelle : découvertes, voyages, passions, hobbies, etc. Après réalisation de leurs productions individuelles, les étudiants ont été invités à se présenter auprès de leurs pairs à l’aide de cet outil servant de base aux échanges au sein du groupe. Un débriefing a permis de recueillir leurs remarques et impressions quant à la séance écoulée.

L’outil « collage » pour faciliter les échanges

Nous avons retenu pour cette activité ce puissant outil utilisé en tant que médiateur dans l’instauration d’une relation avec et entre les étudiants. Un révélateur qui permet une représentation imagée de l’état psychique et émotionnel de ces derniers au moment où ils créent leurs productions. Des créations artistiques miroirs de leurs états d’âme qui reflètent également les expériences vécues et appréhendées : émotions, souvenirs, parcours antérieur, expériences marquantes en formation (heureuses et/ou douloureuses), devenir, etc., qu’ils mettent en relation, établissant des liens pour raconter leur propre histoire. La mise en lumière de ses réalisations personnelles permet à l’étudiant de valoriser son parcours : ses actions et activités réalisées en dehors de la formation définissent tout autant le sujet que ses expériences professionnelles. Elles participent également aux apprentissages, à la montée en compétences de l’étudiant et à la fabrique d’un « soi » professionnel. L’étudiant partage un récit de sa personne qui lui appartient avec la possibilité de conserver pour lui des éléments plus personnels pour les partager au groupe.

Le formateur, en posture d’animateur, a été garant de la séance et des échanges au sein du groupe : il a énoncé le cadre puis présenté le déroulé de l’activité. Il a fait preuve d’une écoute active des présentations et a régulé les échanges entre les étudiants.

Construire un « soi » professionnel par le partage d’expériences

Dans un premier témoignage, une étudiante relate une baisse de motivation pour les travaux à l’IFSI en ajoutant qu’elle va devoir travailler sur cet aspect pour envisager sa poursuite en formation. Un autre étudiant fait part à son tour des difficultés rencontrées au cours du semestre 1 de la formation car, de nature réservée, il s’est forcé à prendre la parole lors des travaux de groupe pour passer le cap de la première année. D’après leurs récits, une prise de conscience autocritique de leurs expériences semble s’opérer, permettant la remise en question de soi pour améliorer ses pratiques et méthodes de travail. Cela nous laisse penser qu’une activité de ce type permet au participant de conscientiser un vécu subjectif en en faisant part à ses pairs avec une compréhension par les autres facilitée grâce à l’expérience partagée – la culture commune, ici « l’étudiant en soins infirmiers » –, permettant une interaction en continu entre identité personnelle et groupe de référence professionnel. Un moyen aussi d’affirmer son identité et son inscription auprès de ses pairs comme le précise F. Barth(2), anthropologue et ethnologue norvégien, qui explique que les identités prennent forme par le jeu des interactions entre les groupes.

Au cours d’une autre présentation, un étudiant fait part d’une expérience en stage en tant qu’observateur lors d’une administration de thérapeutiques qui l’a interrogé car non conforme aux « bonnes pratiques » selon lui. Dans son discours, un positionnement professionnel argumenté apparaît, dans lequel nous pouvons mesurer un point de vue probablement construit à partir de modèles et contre-modèles observés en stage, le conduisant vers un processus d’individuation. Pour C.G. Jung, psychiatre suisse fondateur de la psychologie analytique, il s’agit d’un mécanisme « à travers lequel l’être humain évolue d’un état infantile d’identification totale vers un état de plus grande différenciation »(3). Au cours de l’élaboration et de la construction de l’identité professionnelle, le processus d’individuation serait un élément précurseur(4) et, dans le discours de cet étudiant, cela se traduit par l’affirmation de ses valeurs et de sa façon de concevoir sa pratique professionnelle.

Être ému(e) par son histoire, par la parole de l’autre

Au cours de l’activité proposée, un espace de parole a éclos dans lequel les étudiants ont pris part aux échanges afin de s’exprimer librement sur les émotions ressenties au fil de leur histoire en formation et qui ont été vraisemblablement intériorisées. Le cadre induit par l’activité peut favoriser la projection et les identifications possibles et étayer l’émergence des émotions. Lors de la séance, les étudiants se sont laissés transporter par le contenu des échanges et semblaient attentifs au récit de l’autre. Durant le débriefing, certains ont pu exprimer le fait d’avoir été émus par la parole et l’histoire d’autrui, permettant ainsi de développer une attitude empathique, une technique relationnelle inhérente à la profession infirmière : « en écoutant les autres, j’ai pris une claque et une grande leçon d’humanité », témoigne une étudiante en fin de séance. En marge, quelques étudiants ont pu exprimer un sentiment de gêne ou de malaise à l’écoute du récit, parfois bouleversant, de leurs camarades – une expression qu’il convient d’accompagner au cours de la séance. Dans le développement d’une pensée réflexive, la place des émotions semble avoir toute son importance puisque « l’exercice de remémoration de situations vécues, parfois bien enfouies dans les recoins de la mémoire, éveille des ressentis et des émotions qui peuvent être intenses, voire troublants » (5). Et en chaque individu, les émotions sont bien présentes dans le cheminement de vie, dans l’interaction avec autrui, dans le vécu et les représentations et ce, quelles que soient son appartenance ou sa culture. Au sein des formations paramédicales, comme pour les autres métiers et professions au contact de l’humain, il paraît fondamental de proposer un travail centré sur les émotions pour interagir avec justesse dans la relation soignante et faire face à des situations particulières où la charge émotionnelle peut être importante : « Lorsqu’on travaille avec du vivant, l’autre nous touche, nous résiste parfois. Il provoque fascination, agacement ou rejet. Dans ces métiers, nous éprouvons des sentiments d’amour et de haine […]. Les personnes avec lesquelles nous travaillons nous renvoient immanquablement à l’essentiel de nos vies d’hommes et de femmes » (6).

Conclusion  

Ce retour d’expérience nous a permis de prendre conscience dans nos pratiques en formation qu’un travail introspectif de l’étudiant sur son parcours ensuite partagé avec ses pairs participerait à la construction d’une identité professionnelle. Cela est rendu possible à partir d’un travail réflexif visant à analyser sa propre activité en formation et à distance des situations vécues, laissant place aux émotions et aux projections possibles au cours de la restitution et du partage d’expériences. Cependant, cette modalité d’animation requiert chez le formateur une grande aisance dans ses capacités à « gérer » le groupe car la charge émotionnelle des étudiants peut être intense. Des groupes d’étudiants plus restreints et sur des modalités en présentiel pourraient faciliter ce travail d’accompagnement. Néanmoins, l’instauration du cadre en début de séance et la contenance apportée par le groupe paraissent essentielles afin de ne pas mettre en difficulté les participants. L’outil mis à disposition des étudiants et utilisé au cours de l’activité a permis de médiatiser les échanges, de favoriser la créativité et d’encourager la verbalisation. Dans cette perspective, il serait intéressant de mener des travaux complémentaires qui viennent conforter ou non l’intérêt d’un tel dispositif en faveur d’un déploiement de ces pratiques en formation initiale et de pouvoir mesurer leurs effets auprès des professionnels en devenir.

  • 2. Barth F. Introduction. In F. Barth (Ed.), Ethnic Groups and Boundaries: The Social Organization of Culture Difference (1969). Prospect Heights, IL: Waveland Press ; 9-38.
  • 3. Pinheiro Neves J. Pour comprendre les nouvelles liaisons digitales : le concept d'individuation chez Carl Jung et Gilbert Simondon. Sociétés 2011/1 (no 111), 105-114.
  • 4. Renou M. L’identité professionnelle des psychoéducateurs : une analyse, une conception, une histoire. Longueuil, Québec : Béliveau éditeur ; 2014.
  • 5. Galvão I. La place des émotions dans les métiers de l’humain. Dans : Christine Delory-Momberger éd., Éprouver le corps. Corps appris, corps apprenant(33-44). Toulouse, France: Érès ; 2016.