P-Word, le mot qu'on ne peut plus prononcer ? - Objectif Soins & Management n° 280 du 01/04/2021 | Espace Infirmier
 

Objectif Soins n° 280 du 01/04/2021

 

Le sens des mots et des idées

So Straga  

Cette rubrique « Le sens des mots » a ceci de particulier qu'elle permet à l'auteur une grande liberté d'expression. Il ne s'agit pas ici de démontrer références à l'appui l'evidence based d'un argument ou d'une démonstration. Ce n'est rien de moins qu'un espace subtil qui autorise une réflexion sur un terme que nous avons l'habitude d'utiliser sans plus y prêter la moindre attention. Dans ce cadre, arrêtons-nous un moment sur le mot « patient ». Le patient, cette personne soignée par d'autres personnes, cette personne qui arpente les couloirs des hôpitaux, cette personne qui reçoit des prescriptions d'examens médicaux, cette personne qui suit un traitement, cette personne qui souffre parfois, cette personne qui attend toujours.

Un demi-siècle après l'aphorisme « il est interdit d'interdire », notre époque nous soumet à bien des questionnements concernant les mots que nous introduisons dans notre langage. Certains d'entre eux sont aujourd'hui purement et simplement bannis des conversations, au risque d'être soi-même exclu si l'on persiste à les prononcer. Les exemples se comptent par dizaines : on ne dit pas « nain », mais une personne de petite taille, on ne dit pas un aveugle, mais un mal-voyant, on ne dit pas un handicapé, mais une personne porteuse d'un handicap...pour ne rester que dans le monde de la santé. Finalement, pourquoi s'efforcer d'éviter de prononcer le mot au profit de périphrases ? Il paraît clair que ce n'est pas le mot en lui-même qui pose un problème, car il ne s'agit que d'un mot. L'inconfort à le prononcer vient du fait que ce mot a tellement été subjectivé qu'il englobe à lui seul une panoplie stigmatisante vis-à-vis de la personne qu'il qualifie. Lorsqu'on dit d'une personne, c'est un handicapé, on sous-entend que cette personne n'est pas « normale », au sens où elle ne « me » ressemble pas ; elle est différente et certainement que cette différence fait d'elle une personne avec des capacités amoindries. Voilà pourquoi il nous est si insupportable aujourd'hui de prononcer des mots qui ont été créés autrefois, mais dont le bagage ne correspond plus avec nos valeurs actuelles. Certes le mot patient ne compte pas (encore) parmi les parias du dictionnaire, mais il est peut-être temps de se pencher dessus avant qu'il ne disparaisse du paysage sanitaire.

Le patient n'est pas toujours un malade, le malade n'est pas toujours un patient

Lorsque la maladie se déclare par des symptômes, celui qui perçoit ses signes dans son corps peut se considérer malade. Ces manifestations vont devenir peu à peu des entraves à la vie normale, telle que considérée par le malade initialement en bonne santé. L'humain, en âge de raisonner, est capable de détecter les indicateurs annonciateurs d'une maladie. Nul besoin de consulter pour se savoir malade. La consultation devient nécessaire si on veut connaître l'origine de sa souffrance ou encore si on pense que seul, on ne pourra pas combattre la maladie. Ainsi, une personne peut être malade et décider de ne pas consulter ; elle peut être malade et décider de se soigner seule ; elle peut être malade et ne pas le savoir ; elle peut être malade, sentir des symptômes et nier la maladie. Toutes ces déclinaisons sont le reflet de la personne en miroir de sa maladie, il s'agit du commencement, ce moment où la personne débute l'expérience de la maladie. C'est alors que le malade va chercher à se rassurer, car la maladie s'immisce dans le corps physique et mental, prenant une place qui ne lui était pas attribuée. Cette effraction bouleverse plus ou moins l'écosystème du sujet atteint qui va chercher à comprendre ce qu'il vit et plus que certainement tenter de rétablir l'équilibre initial. Donc le malade est celui qui a contracté une maladie et il sera malade à ses propres yeux tant que la maladie restera présente dans son corps par la représentation des symptômes qui l'incarnent.

Lorsque le malade décide de faire appel à un prestataire de soin ou lorsque le malade se retrouve contraint de se faire prendre en charge par des professionnels, c'est à cet instant précis qu'il endosse le rôle de patient. En fait, le patient n'est rien d'autre qu'une personne qui a contracté une maladie et qui entre dans une relation de soins avec autrui, mais un autrui professionnalisé. Considérons un malade pris en charge par un voisin ; celui-ci reste un malade au regard de son voisin qui va le traiter comme tel, sans jamais le qualifier de patient. Le malade en devenant patient souscrit à la volonté d'accepter l'aide d'un tiers formé pour cela ; un tiers formé à diagnostiquer, prescrire, soigner, intervenir, conseiller et peut-être à guérir. Dans cette nouvelle relation, le patient est invité à écouter, à se laisser ausculter, palper, investiguer par des orifices naturels ou par des voies nouvellement créées pour la recherche diagnostique. Le patient doit ensuite attendre les résultats, comprendre les explications, accepter les traitements, suivre les recommandations, puis attendre les effets. Le parcours peut être bref : le patient guérit et redevient la personne qu'il était avant la maladie, gardant parfois certaines cicatrices. Le parcours peut s'avérer plus long : le patient se sent toujours malade, il subit une autre batterie de tests, il attend les résultats, il se soumet à un traitement différent et il espère un meilleur résultat. Enfin, il arrive que le patient ne soit malheureusement jamais guéri ; dans ce cas, il écope de la double peine...malade et patient à vie. La plupart de ces malades acceptent cette situation, mais certains plus téméraires ou inconscients osent mettre fin à la relation de soins en décidant que la maladie ne doit pas en plus les lier à l'état de patient. Ces personnes autodidaxiques se tournent plus volontiers vers une recherche et application personnelle de méthodes des traitements.

Enfin il existe ce cas particulier du sujet déjà considéré comme patient alors qu'il ne se sent pas malade. La médecine dite préventive nous confronte à ce cas de figure : un simple contrôle détectant une maladie qui n'a pas encore perturbé le porteur de cette pathologie. Ici, c'est le professionnel qui fera l'annonce au patient qui se verra directement transformé en patient potentiel bien qu'à ce stade il n'ait certainement pas encore déterminé un véritable besoin de soutien.

Devenir patient ou être patient ?

Passer du statut de malade au statut de patient engage le sujet dans l'acceptation d'une relation thérapeutique se basant sur une confiance mutuelle. Le patient doit faire confiance à priori au thérapeute en lui reconnaissant son statut de professionnel, à travers sa formation, ses compétences, sa réputation. Le prestataire doit faire confiance à priori au patient en lui reconnaissant sa souffrance, son mal-être, ses douleurs, ses doutes. Tout se joue dans l'instant où les protagonistes s'accordent la confiance l'un envers l'autre. Le thérapeute a tout à apprendre en écoutant le sujet face à lui qui explique comment il est devenu malade et pourquoi il se confie à lui avec l'espoir d'être traité comme un patient. Ainsi, le terme patient, outre sa définition de départ – malade qui consulte, personne qui reçoit des soins – est consubstantiel au malade en demande de traitement.

La perspective du patient

Avec ce constat, on ne voit pas très bien pourquoi le terme patient disparaitrait, si ce n'est dans la volonté de certains thérapeutes pionniers de considérer les patients comme égaux à eux-mêmes. C'est ainsi que peu à peu, la notion d'usager fait son apparition. L'usager est la personne qui a un droit d'usage d'un service. Cette considération tend à rendre un rôle actif au patient précédemment considéré passif. Envisager un malade en tant qu'usager crée une tension positive due au fait que l'usager a un droit de critique sur le service qui lui est prodigué. L'usager, délesté du poids de méconnaissance du patient, se hasarde à donner un avis citoyen sur la prestation qui lui est servie. Être malade et en capacité d'agir sur son environnement procure cette liberté de conduire sa propre vie quelles que soient les circonstances. En temps normal, l'usager, sans jamais être professionnel de santé, gère son quotidien de personne non malade en décidant de son hygiène de vie (nourriture saine, sport, absence de tabac...). Cette hygiène de vie a des conséquences directes sur la santé de l'usager. Dès lors, pourquoi l'usager perdrait-il tout discernement lorsque la maladie fait son apparition ? Ce nouveau patient actif est aussi qualifié d'« actient ». L'usager fait valoir son esprit critique comme levier d'amélioration des systèmes de soins, mais cet esprit critique a une limite : il doit rester totalement indépendant du monde qui dispense les soins.

Dans ce contexte, qu'en est-il des patients partenaires, des patients experts, des patients représentants des usagers, des patients représentants des associations ? Ces différents patients et certains autres sont devenus les nouveaux acteurs des organisations de santé. Ils viennent souvent en support des équipes de soins, distiller leurs connaissances de la vie avec la maladie auprès d'autres patients chez qui on vient de diagnostiquer la même pathologie. Certains sont favorables à une professionnalisation de ce type de patients ; des écoles s'organisent autour de cette démarche. Comment imaginer qu'on puisse professionnaliser le patient ? On estime même qu'il faut en faire des salariés à l'égal du personnel de soins. Mais dans ce cas, s'agit-il encore de patients ou plutôt d'usagers ou encore de vrais professionnels ? La participation du patient, ainsi que sa représentativité est un sujet important dans la réflexion que nous menons autour du terme patient, car un simple citoyen, non malade pourrait être un représentant du patient. En conclusion, la participation du patient n'est pas un objectif en soi, mais plutôt un moyen d'atteindre un objectif d'amélioration du système de santé ; dès lors n'est-il pas temps d'écouter la voix de tous les usagers ?

Lecture