Statut professionnel Analyse de la jurisprudence d'octobre et novembre 2020 - Objectif Soins & Management n° 278 du 01/12/2020 | Espace Infirmier
 

Objectif Soins n° 278 du 01/12/2020

 

Droit

Gilles Devers  

Dans le cadre de l'analyse de décisions de jurisprudence relatives au statut professionnel des soignants, cet article permet de découvrir la jurisprudence récente concernant les sujets suivants : Inscription au tableau ; santé et titularisation ; imputabilité d'une maladie au travail ; burn out ; adaptation du poste aux critères de santé ; agression au travail ; harcèlement ; testaments reçus des patients ; indemnisation après une sanction annulée.

1/ Accès aux fonctions

Refus d'inscription au tableau de l'ordre

Pour refuser l'inscription au tableau, le conseil départemental de l'ordre des infirmiers doit justifier de l'effectivité du défaut de moralité, et ne pas se contenter de viser une condamnation pénale antérieure.

(Conseil d'État, 8 octobre 2020, no 432966)

Faits

Une infirmière diplômée d'Etat depuis 1985, a demandé son inscription au tableau de l'ordre des infirmiers le 27 novembre 2018.

Par une décision du 25 février 2019, le conseil interdépartemental a refusé son inscription, au motif qu'elle ne remplissait pas la condition de moralité requise pour l'exercice de la profession, décision confirmée en appel par le conseil régional, puis par la formation restreinte du Conseil national.

Droit applicable

Aux termes de l'article L. 4311-16 CSP, le conseil départemental de l'ordre des infirmiers refuse l'inscription au tableau de l'ordre si le demandeur ne remplit pas les conditions de compétence, de moralité et d'indépendance exigées pour l'exercice de la profession.

Décision

Pour refuser l'inscription au tableau de l'ordre des infirmiers, le Conseil national s'est fondé sur ce que l'infirmière s'était rendue coupable, avec son mari, en août 2010, d'une agression sexuelle sur la nièce de ce dernier, qui était alors une mineure de plus de 15 ans, que ces faits avaient donné lieu à une peine d'emprisonnement de deux ans. Estimant que faute d'apporter des « garanties de nature à exclure que les faits pour lesquels elle a été condamnée ne sont pas susceptibles de se reproduire en d'autres circonstances », l'infirmière ne remplissait pas, alors même que ces faits avaient eu lieu de manière isolée et en dehors de tout exercice professionnel, la condition de moralité requise par l'article L. 4311-16 CSP.

Analyse

Pendant la dizaine d'années qui a suivi ces faits, l'infirmière a spontanément engagé une psychothérapie et suivi un processus de réinsertion professionnelle consistant à reprendre dès 2011 et à poursuivre ensuite sans interruption, grâce à une mesure d'aménagement de sa peine d'emprisonnement décidée en 2014 par le juge de l'application des peines du tribunal de grande instance de Troyes, une activité d'infirmière dans le cadre d'un contrat à durée indéterminée, au sein du service d'hospitalisation à domicile d'un centre hospitalier, en se spécialisant dans le traitement de la douleur et l'accompagnement des patients en fin de vie.

Ainsi, malgré la gravité des faits reprochés, compte tenu de son attitude pendant la période qui s'est écoulée entre leur commission et la date de la décision attaquée, la formation restreinte du Conseil national de l'ordre des infirmiers a, en estimant que l'intéressée ne remplissait pas la condition de moralité requise pour l'exercice de la profession d'infirmier, fait une inexacte application des dispositions de l'article L. 4311-16 CSP.

Santé et titularisation

La titularisation d'un stagiaire aide-soignant de la fonction publique hospitalière est subordonnée à son aptitude physique à exercer ses fonctions, et à défaut, le licenciement est prononcé.

(CAA de Nantes, 6 novembre 2029, no 19NT00906).

Faits

Un agent des services hospitaliers recruté comme contractuel en 2013 a été nommé stagiaire dans cet emploi à compter du 1er décembre 2015.

Par une décision du 4 janvier 2018, le directeur du CHU l'a licencié pour inaptitude physique, décision contestée devant la juridiction administrative.

Droit applicable

La titularisation d'un stagiaire aide-soignant de la fonction publique hospitalière est subordonnée à son aptitude physique à exercer ses fonctions et ne peut intervenir qu'après accomplissement de la durée réglementaire d'un an du stage probatoire et la consultation de la commission administrative paritaire locale.

Analyse

La consultation du comité médical n'est requise que dans le cas où les conclusions des médecins sollicités dans le cadre de l'instruction du dossier de titularisation sont contestées par l'administration ou bien par l'intéressé lui-même et dans les cas, limitativement énumérés, où sa consultation est obligatoire, cas dont ne fait pas partie la titularisation d'un agent.

Deux des trois avis médicaux portés sur son aptitude à exercer ses fonctions lui étaient favorables, mais le dernier avis émis était précis, adapté à l'analyse des missions exigées d'un agent des services hospitaliers, qualifié et circonstancié, mettant précisément en balance les tâches requises par l'exercice de ces fonctions et les pathologies dont souffre l'intéressé.

En outre, l'agent a été placé en congé de maladie ordinaire, essentiellement pour des problèmes lombaires, pendant 85 jours au cours de la durée de son stage et 97 jours l'année qui l'a précédé.

Par suite, le directeur du centre hospitalier a pu valablement refuser de titulariser l'agent en raison de son inaptitude physique à l'exercice des fonctions envisagées et le licencier.

2/ Protection de la santé

Mise à disposition du matériel

L'employeur est tenu de mettre à la disposition de l'agent le matériel nécessaire à l'aménagement de son poste de travail, selon les préconisations du médecin du travail.

(CAA de Nancy, 20 octobre 2020, no 19NC00036)

Faits

Une femme agent des services hospitaliers, affectée dans un centre hospitalier, a été victime de deux accidents, respectivement le 20 juin 1997 et le 19 mai 1999, qui ont été reconnus comme étant imputables au service. Elle a été ultérieurement victime de rechutes, notamment le 8 mars 2002, le 16 octobre 2012, le 16 septembre 2013 et le 13 mai 2015, qui ont également été reconnues imputables au service.

Le 3 octobre 2015, elle a de nouveau été victime d'une rechute de l'accident de service du 20 juin 1997. A la suite des avis favorables de la commission de réforme, le centre hospitalier a prononcé, par une décision du 11 janvier 2017, la mise à la retraite d'office de l'agent pour invalidité. Une rente d'invalidité lui a été attribuée.

Procédure

Imputant sa rechute et son invalidité totale et définitive à tout poste à la méconnaissance par son employeur des prescriptions du médecin du travail concernant l'aménagement de son poste de logisticien de plateau, l'agent a demandé au centre hospitalier de réparer les pertes de revenus et le préjudice moral qu'elle estimait avoir subi du fait de cette faute.

Analyse

En ne mettant pas à la disposition de l'agent, comme l'avait préconisé le médecin du travail, le matériel nécessaire à l'aménagement de son poste de travail alors qu'elle avait rencontré des difficultés à accomplir ses tâches, notamment en raison du port de charges lourdes, dès 2011, le centre hospitalier a commis une faute de nature à engager sa responsabilité, et il doit assumer l'indemnisation de la totalité du préjudice subi.

Maladie imputable au service

Une maladie est imputable au service si elle présente un lien direct avec l'exercice des fonctions ou avec des conditions de travail de nature à susciter le développement de la maladie en cause.

(CAA de Nantes, 13 octobre 2020, no 19NT0056)

Faits

Un agent éducateur principal depuis le 13 juin 2013, a été nommé chef du service « enfance et jeunesse » d'une collectivité. Il a bénéficié d'un congé de longue maladie du 12 mai 2011 au 13 janvier 2013, à l'issue duquel il a repris ses fonctions dans le cadre d'un mi-temps thérapeutique puis à temps complet à compter du 14 janvier 2014.

Lors de la reprise, il s'est également vu confier de nouvelles responsabilités. Il a suivi un premier congé de maladie de quinze jours à compter du 27 juin 2014 pour anxiété majeure, prolongé jusqu'au 22 juillet 2014.

Par une décision du 15 juillet 2014, l'agent s'est vu affecter sur un poste en retrait. Il a été placé en arrêt-maladie le 27 septembre 2014, puis a été placé en congé de longue maladie.

Par un courrier du 16 mars 2015, il a demandé que soit reconnue l'imputabilité au service d'un accident survenu le 27 septembre 2014, ce qui a été refusé.

Droit applicable

Une maladie contractée par un fonctionnaire, ou son aggravation, doit être regardée comme imputable au service si elle présente un lien direct avec l'exercice des fonctions ou avec des conditions de travail de nature à susciter le développement de la maladie en cause, sauf à ce qu'un fait personnel de l'agent ou toute autre circonstance particulière conduisent à détacher la survenance ou l'aggravation de la maladie du service.

Procédure

La question posée est l'imputabilité au service d'un accident constitué par un burn-out qui serait survenu le 27 septembre 2014.

La commission de réforme a rendu le 29 janvier 2016 un avis défavorable à la reconnaissance de l'imputabilité. A la suite de cet avis, l'administration a estimé qu'il ressortait des différents éléments médicaux relatifs à la situation de l'agent que ses arrêts de travail postérieurs au 27 septembre 2014 ne résultaient pas d'un accident qui serait imputable au service en l'absence de l'existence de la pathologie invoquée par l'agent et du caractère non avéré des conditions d'exercice de son service telles que dénoncées.

La réalité des troubles psychiques

Un premier expert, qui a examiné l'agent plus d'un an après le début de son congé de longue durée, conclut à l'absence de pathologie invoquée. Toutefois, tous les autres médecins ayant examiné l'agent n'ont jamais mis en doute la réalité de la dépression alléguée.

Le médecin généraliste de l'agent fait état d'une angoisse majeure, de troubles du sommeil, de pleurs constants, de ruminations constantes sur sa situation professionnelle et d'idées suicidaires.

Le médecin psychiatre qui assurait le suivi de l'agent pendant son congé, mentionne un état d'angoisse majeure, des troubles sévères du sommeil, un repli sur soi, un état de souffrance aiguë dont la symptomatologie évoque une dépression sévère.

Le chef du service de pathologie professionnelle et de médecine du travail d'un CHU fait état de troubles dépressifs majeurs avec angoisses, idées suicidaires, isolement, et rappelle que l'agent est suivi par le psychiatre traitant tous les trois jours compte tenu de la gravité de ses symptômes.

Le psychiatre agréé qui a examiné l'agent à la suite de sa demande de congé de longue durée, conclut à une décompensation majeure sur un mode dépressif, anxieux voire délirant, et donne un avis favorable au congé de longue durée. Enfin, un autre psychiatre évoque une angoisse, un état de stress post-traumatique et un état dépressif réactionnel.

Dans ces conditions, la réalité des troubles psychiques de l'agent doit être regardée comme établie.

L'imputabilité

Les conditions de travail de l'agent au sein de la structure se sont rapidement dégradées après qu'il en a pris la direction en janvier 2014, dans un contexte de surcharge de travail et de climat conflictuel. L'agent a fait l'objet d'accusations de harcèlement moral au mois de juin 2014, ayant conduit l'administration à diligenter une enquête interne et à procéder à la mutation d'office de l'agent en lui retirant ses fonctions de directrice de la micro-crèche et de chef du service enfance et jeunesse.

Or, ces accusations ont, par la suite, fait l'objet d'un classement sans suite par le procureur de la République et n'ont donné lieu à aucune procédure disciplinaire.

Un audit interne a conclu à l'existence d'une situation conflictuelle généralisée au sein de la structure multi-accueil et de pratiques managériales prenant insuffisamment en compte les aspects psychologiques des agents, mais il n'a pas relevé de faits de nature à caractériser un harcèlement moral.

Le premier arrêt de travail du 27 juin 2014 pour anxiété majeure fait suite aux accusations portées le 18 juin 2014 et dont l'agent a eu connaissance le 27 juin 2014 lors d'une entrevue avec le responsable de l'établissement.

Le congé de longue maladie a débuté deux jours après son audition par les agents inspecteurs en charge de l'enquête interne, au cours de laquelle ont été évoquées les accusations portées à son encontre.

En outre, l'ensemble des certificats produits établissent un lien entre la dépression et l'exercice de ses fonctions professionnelles, sans mentionner d'autres causes potentielles. Ainsi, le médecin généraliste traitant fait état de « ruminations constantes sur cette situation professionnelle » et d'un « isolement professionnel ». Le psychiatre mentionne quant à lui l'existence de « cauchemars professionnels », de « conduites d'évitement des lieux et des personnes liées de près ou de loin à sa profession » et d'une « incompréhension complète devant sa situation professionnelle ». Un autre médecin note une dégradation de la situation de travail à la suite des accusations de harcèlement moral de la part d'une collaboratrice.

La demande d'imputabilité au service de la pathologie a certes été faite tardivement, mais cela reste sans incidence sur l'existence du lien de causalité entre la pathologie et les conditions d'exercice de son activité.

Dans ces conditions, la pathologie de l'intéressée doit être regardée comme imputable au service, aucun fait personnel de l'agent ou toute autre circonstance particulière ne conduisant à détacher cette dernière du service.

Décompensation d'une maladie préexistante

L'agent qui, du fait d'un accident du travail, subit une décompensation de sa maladie préexistante, a droit à une indemnisation seulement partielle du préjudice subi.

(CAA de Nancy, 20 octobre 2020, no 18NC03041)

Faits

Une infirmière était affectée depuis le 1er avril 2001 à l'équipe de nuit du service de neurologie d'un CHU. Dans la nuit du 7 au 8 août 2001, elle s'est trouvée confrontée à l'aggravation subite de l'état de santé d'un patient, qui est décédé le 9 août.

Deux mois plus tard, elle a été victime d'un syndrome anxio-dépressif sévère associé à des idées suicidaires. Du 2 octobre 2001 au 31 mars 2005, elle a été placée en congé de longue maladie puis en congé de longue durée, avant de reprendre son activité en mi-temps thérapeutique du 2 avril 2005 au 1er avril 2006.

Par décision du 11 janvier 2016, le CHU a reconnu l'imputabilité au service de l'accident survenu le 8 août 2001.

L'agent a alors demandé réparation des préjudices qu'elle estime avoir subis en raison de son accident de service.

Analyse

Le CHU soutient que l'agent n'a droit à aucune indemnisation de ces seuls faits car il conteste l'existence de séquelles de l'accident de service et qu'elle a poursuivi sa carrière normalement.

Selon le rapport de l'expert judiciaire, le syndrome anxio-dépressif dont a souffert l'agent correspond à une décompensation de sa maladie bipolaire préexistante, dont la situation de détresse qu'elle a vécue à l'occasion de l'aggravation subite de l'état de santé d'un patient dans la nuit du 7 au 8 août 2001 et du décès de ce dernier, le 9 août, a constitué le facteur déclenchant.

L'agent conteste la réalité de cette maladie préexistante en se prévalant des rapports établis à sa demande par un médecin, et du rapport médical établi à la demande du CHU au sujet de son aptitude à exercer ses fonctions et de son taux d'invalidité. Toutefois, ces rapports ne suffisent pas à remettre en cause les conclusions argumentées et circonstanciées de cette expertise judiciaire.

L'indemnisation reste acquise, mais compte tenu de cet état préexistant, il y a lieu de réduire de moitié la charge des réparations incombant au CHU.

3/ Décisions pour faits de harcèlement

Harcèlement moral

Les agissements répétés d'un médecin à l'égard d'une infirmière et d'une secrétaire, qui ont eu pour effet d'entraîner une dégradation de leur état de santé, caractérisent un harcèlement moral.

(CAA de NANCY, 20 octobre 2020, no 18NC03309)

Faits

Un praticien a été engagé, par contrat à durée indéterminée par une association médicale du travail en qualité de médecin du travail à compter du 11 janvier 2016.

A la suite de sa prise de fonction en janvier 2016, le praticien a mis en place, au sein de son service, une organisation différente de celle des autres services.

Dans un courriel du 24 mars 2016 adressé à la direction, la secrétaire médicale, placée sous son autorité, a sollicité son changement de service compte tenu de cette nouvelle organisation, qu'elle a qualifiée de « directive et d'ultra protocolisée ».

L'infirmière, également placée sous la subordination du praticien, a aussi demandé, dans un courrier du 29 avril 2016, un changement d'équipe en se plaignant de la restriction de ses tâches.

Toutes deux se plaignent de harcèlement moral.

Analyse

Les témoignages concordants de la secrétaire et de l'infirmière, dont la teneur a été corroborée par les éléments recueillis par l'enquête contradictoire, établissent que le médecin a drastiquement réduit l'activité des intéressées et leur marge d'initiative en leur adressant des directives excessivement précises, notamment sur la manière de tenir le dossier médical qui devait être établi sans rature avec un alignement au millimètre des mentions qui y étaient retranscrites, l'interdiction pour la secrétaire de fixer directement des rendez-vous aux salariés, dont elle devait se borner à mentionner les appels dans un cahier. Toujours selon ces attestations, lors des réunions de fin de semaine, le médecin remettait régulièrement en cause l'orientation des salariés décidée par l'infirmière, en lui demandant de justifier ses choix, lui faisait des remontrances sur la tenue des dossiers sur un ton autoritaire et, progressivement, il l'a cantonnée à la réalisation de questionnaires. En dépit de plusieurs demandes de la direction, le médecin a persisté dans son comportement plutôt que d'accepter de suivre les pratiques en cours au sein de l'association. A la suite de ces agissements, la secrétaire médicale et l'infirmière ont été placées en arrêt de travail respectivement les 23 et 24 juin 2016.

Un audit d'évaluation des risques psychosociaux, sollicité par l'employeur à la suite des plaintes des salariés de l'établissement, a établi que les conditions de travail s'étaient dégradées à la suite de l'arrivée du praticien au mois de janvier 2016. Cet audit souligne, plus particulièrement pour les deux salariées placées sous son autorité, qu'après avoir accueilli favorablement la démarche de changement que ce médecin avait engagée, la secrétaire et l'infirmière se sont senties mal à l'aise compte tenu de la modification progressive de leur poste respectif consistant notamment dans la suppression d'activités, la diminution de toute latitude professionnelle et des exigences différentes et particulières d'un dossier à l'autre, sans explications, générant chez elles une souffrance au travail. Il ressort également de cet audit que le médecin faisait parfois preuve d'incivilités, notamment en ne disant pas bonjour, et qu'un tiers des salariés interrogés s'étaient plaints d'avoir été victimes en public de comportements déplaisants de sa part.

Le médecin se prévaut de ses prérogatives professionnelles lui conférant notamment le pouvoir de décider des examens à réaliser, de l'orientation des salariés vers un médecin traitant et de ses compétences professionnelles, soulignées notamment par l'attestation de l'infirmière d'une société adhérente, mais ces circonstances ne sont pas de nature à remettre en cause la matérialité des agissements reprochés qui excèdent, par leur nature, l'exercice normal du pouvoir d'organisation et de contrôle d'un supérieur hiérarchique et qui sont sans rapport avec l'exercice même de ses fonctions.

Ces agissements répétés, qui ont eu pour effet d'entraîner une dégradation de l'état de santé des deux collaboratrices caractérisent un harcèlement moral.

Agression, harcèlement et défaut de protection

Analyse d'une situation complexe incluant une agression au travail, une accusation de harcèlement moral et le défaut de protection par l'employeur.

(CAA de Bordeaux, 3 novembre 2020, no 18BX03448)

Faits

Une secrétaire administrative dans un centre hospitalier a adressé à ses supérieurs hiérarchiques les 3, 10 et 20 octobre 2005 des courriers faisant état d'un différend avec une de ses collègues.

Le 30 novembre 2005, à l'occasion d'une réunion ayant pour objet de régler ce différend, elle a fait l'objet d'une agression physique de la part de celle-ci. Ces faits ont donné lieu à des procédures pénales et civiles ayant abouti notamment à la condamnation de l'auteur de l'agression.

Par la suite la secrétaire qui souffrait de cervicalgies et d'un syndrome dépressif, a fait l'objet d'une hospitalisation du 6 avril au 6 mai 2006, puis d'un arrêt de travail prolongé jusqu'au 22 janvier 2007.

Harcèlement moral

Droit applicable

Selon l'article 6 quinquies de la loi du 13 juillet 1983, aucun fonctionnaire ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.

Il appartient à un agent public qui soutient avoir été victime d'agissements constitutifs de harcèlement moral de soumettre au juge des éléments de fait susceptibles de faire présumer l'existence d'un tel harcèlement. Il incombe à l'administration de produire, en sens contraire, une argumentation de nature à démontrer que les agissements en cause sont justifiés par des considérations étrangères à tout harcèlement. La conviction du juge, à qui il revient d'apprécier si les agissements de harcèlement sont ou non établis, se détermine au vu de ces échanges contradictoires, qu'il peut compléter, en cas de doute, en ordonnant toute mesure d'instruction utile.

Pour apprécier si des agissements dont il est allégué qu'ils sont constitutifs d'un harcèlement moral revêtent un tel caractère, le juge doit tenir compte des comportements respectifs de l'agent auquel il est reproché d'avoir exercé de tels agissements et de l'agent qui estime avoir été victime d'un harcèlement moral. En revanche, la nature même des agissements en cause exclut, lorsque l'existence d'un harcèlement moral est établie, qu'il puisse être tenu compte du comportement de l'agent qui en a été victime pour atténuer les conséquences dommageables qui en ont résulté pour lui. Le préjudice résultant de ces agissements pour l'agent victime doit alors être intégralement réparé.

Analyse

La secrétaire soutient qu'elle a été victime, avant son agression, de violences physiques et psychologiques de la part d'une collègue sur son lieu de travail et que ces faits seraient constitutifs de harcèlement moral. Elle reproche à la direction du centre hospitalier de ne pas avoir mis fin à cette situation.

Toutefois, elle se borne à faire le récit des événements précédant l'agression, sans produire d'autres éléments de preuve pour établir la matérialité des faits qu'elle invoque que des courriers par lesquels elle a informé ses supérieurs hiérarchiques de la situation. Il résulte de ces courriers qu'elle avait suspecté sa collègue de procéder à la rétention de produits d'entretien, ce qui lui avait valu des insultes, puis d'avoir volontairement fait disparaitre à deux reprises une affiche incitant au respect, à la dignité humaine et à l'estime de soi à l'accueil du service psychiatrie, et qu'elle accusait sa collègue, qui serait souvent absente, d'avoir mis en place un système de terreur en invectivant ses collègues pour imposer ses volontés.

De telles accusations relèvent d'une situation conflictuelle entre collègues et les évènements relatés ont eu lieu sur une période de temps très courte. Ces éléments ne sont pas suffisants pour permettre au juge de présumer que les faits allégués soient constitutifs de harcèlement moral.

Responsabilité de l'administration en raison d'un manquement à une obligation de sécurité

Droit applicable

Les autorités administratives ont l'obligation de prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et morale de leurs agents. Il leur appartient à ce titre, sauf à commettre une faute de service, d'assurer la bonne exécution des dispositions législatives et réglementaires qui ont cet objet.

Analyse

Les courriers de signalement de la secrétaire, adressés le même jour à trois personnes différentes, le cadre infirmier, le chef de service et la responsable administrative, ne sauraient être regardés comme n'ayant donné lieu à aucune réponse de la hiérarchie alors que le premier de ces courriers constitue un compte-rendu sollicité par la responsable administrative, et que l'administration a pris en compte cette situation en convoquant les intéressées à une réunion ayant pour objet de normaliser leur relation de travail le 30 novembre 2005.

Par suite, l'administration n'a pas manqué à son obligation de prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des agents sous sa responsabilité.

Préjudice né de l'agression survenue le 30 novembre 2005

La responsabilité de l'agression ne peut être imputée qu'à son ancienne collègue, qui a d'ailleurs fait l'objet d'une condamnation pénale.

Dans ces conditions, le directeur du centre hospitalier a reconnu l'imputabilité au service de son agression, lui maintenant l'intégralité de sa rémunération à hauteur de 90 000 euros et lui accordant, au titre de la protection fonctionnelle, la prise en charge de ses frais d'avocats à hauteur de 1 800 euros.

4/ Obligations professionnelles et droit disciplinaire

Dispositions testamentaires

Une infirmière qui a prodigué des soins à une personne pendant la maladie dont elle est morte, ne peut profiter d'un testament fait à son profit.

(Cour de cassation, Chambre civile 1, 16 septembre 2020, no 19-15818)

Faits

Une dame est décédée le 13 avril 2014, laissant pour lui succéder son frère, et elle avait laissé un testament du 5 octobre 2012, léguant divers biens mobiliers et immobiliers à une infirmière libérale. Un différend est survenu entre le frère de la défunte et l'infirmière à propos de la valeur du testament.

La dame avait passé un scanner des sinus puis une IRM les 2 et 4 octobre 2012, examens qui ont objectivé un volumineux syndrome de masse au niveau du sinus maxillaire. Le 5 octobre 2012, la patiente a rédigé le testament. Un examen tomodensitométrique effectué le 8 octobre et l'exérèse et la biopsie pratiquées le 9 ont permis de poser le diagnostic du caractère malin de la masse, lequel ne pouvait être suspecté à partir des symptômes apparus courant septembre et octobre 2012.

Droit applicable

Selon l'article 909 du code civil, les membres des professions médicales et de la pharmacie, ainsi que les auxiliaires médicaux qui ont prodigué des soins à une personne pendant la maladie dont elle meurt ne peuvent profiter des dispositions entre vifs ou testamentaires qu'elle aurait fait en leur faveur pendant le cours de celle-ci.

Analyse

La Cour d'appel de Versailles, 15 février 2019, a jugé que s'il était exact que l'infirmière avait prodigué des soins à la patiente au cours de cette période, le testament litigieux a été rédigé avant le diagnostic de la maladie dont cette dernière est décédée. Aussi, selon la cour d'appel, le testament trouve sa cause dans les liens affectifs anciens et libres de toute emprise, entretenus par cette dame avec l'infirmière, qui lui apportait son soutien et sa présence après le décès de son époux. Aussi, l'infirmière a la capacité de recevoir le legs.

La Cour de cassation casse cet arrêt, en jugeant : l'incapacité de recevoir un legs est conditionnée à l'existence, au jour de la rédaction du testament, de la maladie dont est décédé le disposant, peu important la date de son diagnostic. Le critère légal est une donnée objective, et pour maintenir la validité du testament, la cour d'appel a ajouté une condition subjective, savoir que la maladie sera fatale. Aussi, le testament est invalidé.

Indemnisation et annulation de sanction

L'agent qui subit une sanction disciplinaire annulée au motif que les faits reprochés ne sont pas prouvés à droit à l'indemnisation du préjudice subi.

(CAA de Douai, 20 octobre 2020, 19DA02021)

Faits

Un aide-soignant exerçait au sein du service de gériatrie d'un centre hospitalier depuis 1987.

Par décision du 2 avril 2015, le directeur de cet établissement l'a suspendu de ses fonctions à titre conservatoire à compter du 3 avril 2015, en raison d'une suspicion d'actes de maltraitance commis sur des personnes âgées résidentes.

Malgré un avis du 23 juin 2015 rendu par le conseil de discipline en défaveur d'une sanction, le directeur a, par une décision du 13 juillet 2015, prononcé la sanction d'abaissement de deux échelons.

Procédure

L'agent, qui contestait les faits, a formé un recours devant la commission des recours du conseil supérieur de la fonction publique hospitalière, et celle-ci, par un avis du 23 septembre 2015, s'est prononcée en faveur d'une annulation de cette sanction. A la suite, le directeur a retiré la sanction par décision du 10 novembre 2015.

L'agent a alors engagé un recours en responsabilité du centre hospitalier pour le préjudice causé.

Analyse

L'agent a fait l'objet d'accusations injustifiées de comportements inadaptés, voire de maltraitance à l'égard des résidents du service de gériatrie au sein duquel il exerçait ses fonctions d'aide-soignant depuis de nombreuses années sans qu'aucun incident ne fût à déplorer jusqu'alors.

De fait, la sanction prise a été fautive car l'établissement n'a pas apporté la preuve de l'exactitude matérielle des faits à l'origine de la sanction. Pour ces faits, l'agent s'est vu infliger illégalement une sanction du deuxième groupe qui a produit ses effets pendant quatre mois. Il est ainsi fondé à se prévaloir d'un préjudice caractérisé par l'atteinte à son honneur et à sa réputation professionnelle résultant de la procédure disciplinaire engagée à son encontre.

Le préjudice a été évalué à la somme de 3 000 euros.

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