L’accompagnement managérial d’un regroupement d’instituts de formation en soins infirmiers à l’AP-HP - Objectif Soins & Management n° 264 du 01/08/2018 | Espace Infirmier
 

Objectif Soins n° 264 du 01/08/2018

 

MANAGEMENT DES SOINS

Dossier

Catherine Macri*   Leila Moumou**   Sylvain Ledoux-Perriguey***  

En cohérence avec la recherche d’efficience des groupements hospitaliers de territoire (GHT) et dans une optique de réorganisation et d’optimisation des coûts et des locaux, le projet de regroupement des Ifsi Paul Brousse (Villejuif, 94) et Bicêtre (Le Kremlin Bicêtre, 94) a été décidé en 2016. De l’importance d’une conduite du changement pour une restructuration réussie…

« L’Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP) est l’établissement public de santé qui exerce le rôle de centre hospitalier régional pour Paris et l’Île-de-France. Il intègre, via son centre de la formation et du développement des compétences (CFDC), l’un des plus importants centres de formation paramédicale de France, avec la gestion de plus d’une quarantaine de formations. Il a en charge 17 instituts de formation en soins infirmiers (Ifsi) et délivre aussi bien de la formation initiale que de la formation continue. Dans ce cadre, une convention de partenariat a été signée avec 7 universités franciliennes disposant d’un département en soins infirmiers.

En cohérence avec la recherche d’efficience des groupements hospitaliers de territoire (GHT) associée à des économies de moyens, le CFDC de l’AP-HP s’inscrit dans un schéma directeur d’organisation des instituts de formation, prenant en compte le maillage territorial et l’offre de formations hors AP-HP ainsi que la remise aux normes de ses instituts de formation.

Dans cette optique de réorganisation et d’optimisation des coûts et des locaux, le projet de regroupement des Ifsi Paul Brousse (Villejuif, 94) et Bicêtre (Le Kremlin-Bicêtre, 94), géographiquement très proches et comprenant respectivement 16 et 40 agents, a été décidé en 2016. Ils sont par ailleurs implantés dans le même groupe hospitalier “Paris Sud”.

ACCOMPAGNER LE CHANGEMENT ET SES TRANSFORMATIONS

Le projet porte ainsi sur le regroupement de l’ensemble de la formation infirmière sur le site de Bicêtre, avec une fermeture du site de Paul Brousse en 2018, en tenant compte des surfaces nécessaires pour accueillir les deux structures et des travaux à réaliser.

La conduite de projet a donc débuté par le bilan de l’existant dans les deux Ifsi. Celui-ci a mis en exergue une différence prégnante dans l’organisation pédagogique et les pratiques professionnelles en formation théorique et clinique. Il était donc primordial de faire comprendre que la fusion n’était pas une addition de personnes, d’activités pédagogiques, logistiques et administratives, ni une substitution d’une organisation par une autre, mais le résultat d’une coopération et d’une collaboration de tous les professionnels, les amenant ainsi à se projeter dans une nouvelle structure avec des pratiques harmonisées.

Dès l’annonce du projet de regroupement, les personnels des deux instituts appréhendaient à des degrés plus ou moins importants les changements qui devaient s’opérer. De même, les étudiants des deux instituts s’interrogeaient sur l’impact de cette réorganisation sur leur formation.

Le changement, même s’il propose des améliorations de coûts et de pratiques professionnelles, ne crée pas spontanément un phénomène d’adhésion massive. Son acceptation ne va pas de soi, c’est un processus complexe d’interrogations nourries de craintes, d’envies et d’expérimentations, avec des étapes sans trajectoire linéaire. Les projets de changements créent des contextes plus tendus qu’à l’habitude en raison des transformations en cours où les relations entre les personnes sont rendues plus difficiles.

Aussi, la conduite du changement est très importante, autant que la démarche projet pour réussir celui-ci. Nous nous sommes pour ce faire appuyés sur le modèle de Kotter(1) (sur lequel nous reviendrons plus loin), qui propose un mode de déploiement du changement par les managers en quatre phases : « préparer le changement », « engager le changement », « réaliser le changement » et « ancrer le changement », tout en faisant le lien entre leadership et réussite du changement.

L’objectif de la conduite du changement a été la recherche d’adhésion et d’engagement des professionnels et des étudiants. Le projet que nous présentons ici a été conduit dans une logique de concertation et de co-construction avec de nombreux groupes de travail.

LE CHANGEMENT : UN PROCESSUS DE RÉORGANISATION

La fusion des deux Ifsi, véritable changement tant culturel que structurel et pédagogique, a été un levier pour engager un nouveau projet pédagogique, permettant une analyse des pratiques professionnelles afin d’impulser, outre une réflexion pédagogique autour de l’approche par compétences, un nouveau sens autour de valeurs communes, pour associer chacun sur sa mission dans le cadre d’un projet de regroupement.

L’analyse stratégique d’un changement vise à répondre aux modalités de déploiement envisagées pour définir les leviers de changement les plus appropriés, orientant les outils qui seront mobilisés dans la phase opérationnelle.

Même si chaque situation reste unique, il est possible de s’appuyer sur le modèle en cinq phases de Qualisocial (voir la figure ci-contre), élaboré en 2013, que traversent les services en restructuration au cours de leur réorganisation. Ce modèle permet d’expliquer les interactions entre les individus et leur façon de s’adapter au cours du changement.

En effet, certains événements comme les fusions, les changements organisationnels… sont bien souvent vécus par le personnel de façon brutale. Il est donc nécessaire, pendant leur mise en œuvre, d’anticiper et de prévenir les risques psychosociaux.

Cette fusion a nécessité l’élaboration d’une démarche projet claire et précise, mais sa complexité n’a pas permis de tout anticiper. La phase dite d’intégration a été difficile à concrétiser et à consolider malgré un leadership omniprésent.

Le processus de fusion consiste en la création d’une nouvelle entité avec son propre système de valeurs. L’écueil a été d’éviter l’installation d’un sentiment d’absorption de l’entité la plus petite - en l’occurrence l’Ifsi Paul Brousse - par la plus grande – à savoir l’Ifsi Bicêtre.

En effet, les processus d’acculturation et d’appropriation impliquent l’implication et l’adhésion des acteurs tout au long du projet, nécessaires ici pour faire vivre le nouvel Ifsi.

LE CHANGEMENT : UNE DEMARCHE MANAGÉRIALE

Les managers ne sont pas des relais du changement mais bien des co-constructeurs de celui-ci, et ce sont eux qui vont créer les conditions de son acceptation et de sa réalisation.

C’est ainsi que le trio que nous formions, coordonnateur général des soins, pilote du projet, et deux adjoints cadres supérieurs de santé, copilotes de celui-ci, a travaillé en étroite collaboration pour donner du sens et de la cohérence au projet.

Pour conduire ce processus de changement, nous avons mobilisé différentes compétences managériales au travers de : l’organisation du travail, l’animation et l’implication des équipes, la gestion du changement, la prise de décision et la capacité de délégation.

En fonction du contexte, du changement et des personnels impactés, il est nécessaire de définir quelle est la meilleure stratégie de changement à mettre en place.

En présence des deux équipes aux cultures différentes, porteuses de projets distincts, un questionnement a émergé : comment fédérer l’équipe autour d’un projet pédagogique commun ? Comment favoriser leur coopération pour atteindre les objectifs fixés ?

Il était donc primordial, après le bilan de l’existant, de conduire une analyse SWOT (strengths, weaknesses, opportunities, threats), ou FFOM en français (forces, faiblesses, opportunités, menaces), consistant à effectuer deux diagnostics : un diagnostic externe, qui identifie les opportunités et les menaces présentes dans l’environnement, et un diagnostic interne, qui identifie les forces et les faiblesses du domaine d’activité stratégique. C’est la confrontation entre les deux résultats, établis grâce au modèle SWOT (résultats des diagnostics externe et interne), qui nous a permis de formuler des options stratégiques.

Le changement est réalisé grâce à la mise en place d’un projet, avec un début, des étapes, une fin, des “livrables” et des ressources spécifiques. Il implique aussi et surtout de développer la capacité à changer des personnes et des groupes.

DE MULTIPLES FREINS

L’organisation du travail et de l’ingénierie pédagogique sur deux sites pendant la phase transitoire 2017/2018 ont rendu difficiles la communication et l’information.

Nous avons pu identifier de multiples freins :

• les craintes et peurs liées aux changements exprimées par l’équipe, avec des difficultés à analyser ses pratiques professionnelles, à modifier ses conditions de travail et à créer une nouvelle équipe ;

• le sentiment d’appartenance à son Ifsi d’origine, qui a rendu difficile le changement d’identité pour les acteurs des deux Ifsi. La culture est un frein si son changement n’est pas accompagné. Les habitudes, normes doivent être repérées, analysées et prises en compte. Le projet se détermine par la rencontre d’hommes, de cultures et d’organisations pédagogiques différentes. La perte d’identité a été très prégnante et liée aux incertitudes de la future structure. Les deux Ifsi, rattachés au même GH, avaient cependant une organisation pédagogique et de travail différente. Ils s’étaient développés chacun de leur côté avec leur organisation et leur culture propre. La remise en cause de ces deux organisations dans le cadre du projet a bousculé les valeurs, le cadre de référence et la culture de chacun ;

• la complexification de la communication lors de la phase transitoire 2017/2018 était rendue inévitable en raison de la persistance de deux équipes distinctes sur chacun des sites. Aussi, dans un souci d’accompagnement, d’écoute, et de réassurance de tous les acteurs, les deux adjoints sont restés présents sur leur site d’origine jusqu’au regroupement physique des deux équipes. Cela a par ailleurs facilité la transmission d’informations.

Tout changement produit en général des phénomènes de résistance que le directeur de projet doit recenser et traiter. Mais les résistances sont aussi sources de réflexion et d’action, aussi un changement réussi n’est pas forcément celui qui se fait sans résistance.

DES LEVIERS POUR CONDUIRE LE CHANGEMENT

Nous avons actionné et combiné plusieurs leviers, la communication, la formation et l’accompagnement des acteurs, mais l’essentiel a été une adaptation managériale continue.

Des méthodes de management de conduite de projet ont permis l’implication et l’adhésion des agents. Pour mettre en œuvre cette dynamique, la notion de leadership est essentielle et se décline à travers différents styles, tantôt directif, participatif, coopératif et visionnaire.

La conduite du changement s’appuie sur la cartographie des acteurs, qui permet d’affiner les différentes typologies en fonction de leur implication dans le projet et de leur niveau de perception (positive ou négative). Cela nous a permis d’identifier les personnes ou les groupes de personnes sur lesquels nous appuyer, tout en élaborant une stratégie d’accompagnement des groupes moins favorables au projet et auxquels il a fallu apporter une attention particulière pour réussir le changement.

La conduite des entretiens d’évaluation individuels par la directrice entre septembre et novembre 2017 a permis de recenser les inquiétudes de chacun et d’adapter ainsi notre stratégie managériale.

La participation des étudiants grâce aux conseils de vie étudiante a été constante et a permis de lever les peurs et les craintes par rapport à la qualité de leur formation. Ces temps de partage et d’échanges ont permis de les impliquer dans le processus en étant force de proposition (notamment, organisation d’un moment de convivialité à l’occasion de la fermeture du site Paul Brousse).

CONCLUSION

Le projet de regroupement des Ifsi Paul Brousse et Bicêtre est le premier à avoir été conduit au CFDC de l’AP-HP. L’objectif de ce projet était de fusionner les deux instituts de formation en soins infirmiers et nécessitait pour cela de manager le changement.

Le changement provoque dans un premier temps une phase d’interrogation puis soit une phase d’engagement chez certains, soit un désengagement chez d’autres. La courbe de l’engagement est ainsi une grille de lecture pour tout manager et porteur de projet.

Le modèle de management du changement de Kotter rappelle l’intérêt de travailler la communication avec l’équipe en termes de faisabilité du changement, d’identifier la cartographie des acteurs, d’élaborer un planning du livrable pour rendre les étapes concrètes, de communiquer régulièrement en faisant des points d’étape, de s’assurer des compétences et d’avoir des résultats rapides pour montrer que « ça marche ».

Ce qui fait qu’une situation de changement est adaptée ou pas repose à la fois sur des compétences techniques et managériales, et surtout sur une capacité essentielle, l’intelligence des situations. Celle-ci s’appuie sur la manière de gérer et d’interagir avec les parties prenantes tout au long du projet afin de faciliter l’acceptation des changements.

Cela passe aussi par une analyse régulière de ses pratiques de manager, en ayant une bonne connaissance de soi pour avoir le recul suffisant.

NOTES

(x) John P. Kotter, Leading Change, Boston, Harvard Business School Press, 1996.

BIBLIOGRAPHIE

Michel Crozier, « Le changement à l’hôpital : projet ou rhétorique », Soins cadres n° 10, 1994, p. 34.

David Autissier, Jean-Michel Moutot, Pratiques de la conduite du changement. Comment passer du discours à l’action, Paris, Dunod, 2003.

Daniel Goleman, Richard Boyatzis, Annie McKee, Primal leadership : realizing the power of emotional intelligence, New York, St Martin’s Press, 2002.

Daniel Goleman, L’intelligence émotionnelle : intégrale (trad. Thierry Piélat), Paris, Éditions J’ai lu, 2014.

HAS, « Guide pour l’autodiagnostic des pratiques de management en établissement en santé », janvier 2005.

Paul Hersey, Kennett Blanchard, Le leader situationnel, Montréal, Actualisation, 1995.

Pierre Kaufmann, Kurt Lewin : une théorie du champ dans les sciences de l’homme, Paris, Librairie philosophique Vrin, 2002.

John P. Kotter, « Conduire le changement : feuille de route en huit étapes », Montreuil, Pearson, 2015