Quel modèle de formation pour les directeurs de soins ? - Objectif Soins & Management n° 263 du 01/06/2018 | Espace Infirmier
 

Objectif Soins n° 263 du 01/06/2018

 

Controverse

Anne-Lise Favier  

L’universitarisation des professions de santé est plus que jamais d’actualité, comme en témoigne le rapport Le Bouler remis à la ministre de la Santé en février dernier. Question qui fait débat, la formation universitaire peine à s’imposer dans le parcours des cadres vers la fonction de directeur de soins. Une évolution est-elle à prévoir ?

Pouvez-vous nous décrire la formation des directeurs de soins telle qu’elle existe aujourd’hui et de la manière dont elle est dispensée à l’EHESP ?

I.M. : La formation des DS s’inscrit dans la formation statutaire de la Fonction publique dans laquelle on trouve également celle des directeurs d’hôpitaux et d’établissement sanitaire, social et médico-social. Cette formation fait suite à un concours ouvert aux cadres de santé justifiant d’au moins 5 années d’exercice dans leur fonction. À l’issue du concours, les candidats retenus suivent une formation de 12 mois selon un programme de formation qui s’appuie sur un référentiel métier. La formation à l’EHESP à Rennes est une formation en alternance qui comprend 17 semaines de stage auprès d’un directeur de soins. L’acquisition des compétences du directeur des soins est basée sur un référentiel de formation et de positionnement. Les cours théoriques sont complétés par des mises en situation d’exercice professionnel par méthode de simulation managériale et d’analyse des pratiques professionnelles. À l’issue de la formation, les directeurs de soins peuvent exercer leurs fonctions en établissement hospitalier, en institut de formation, à l’ARS ou à la DGOS en tant que conseiller technique ou pédagogique.

Cette formation pourrait-elle être amenée à évoluer ?

I.M. : L’universitarisation des formations paramédicales et le développement des groupements hospitaliers de territoires questionnent logiquement la place des DS dans ces évolutions. Il sera nécessaire, dans les prochains mois de réajuster le référentiel métier de directeur des soins. Pour ce qui concerne la formation, si les DS ont des compétences particulières en ingénierie de formation, des connaissances parfaites des métiers auxquels ils forment, ils intègrent logiquement les stratégies de formation. Et donc dans le cas d’un rapprochement avec l’université, les DS ont toute légitimité et demeurent des interlocuteurs privilégiés. Demain à l’université, des docteurs en sciences infirmières et des professionnels paramédicaux doctorants exerceront en qualité d’enseignants dans les formations paramédicales. Il demeure l’ingénierie de la formation qui relève des directeurs des soins. Ainsi, si la question du rapprochement avec l’université est légitime, elle n’est pas forcément encore d’actualité car nous n’en connaissons pas totalement les contours. Les choses avancent - et le rapport remis par Stéphane Le Bouler à Agnès Buzyn, ministre de la Santé ainsi que le comité de suivi du processus d’universitarisation des professions paramédicales en témoignent. La formation des directeurs de soins tiendra compte de ces évolutions.

Un décret d’avril 2016 sur la création des Groupements hospitaliers de territoire (GHT) prévoyait qu’au 1er juillet 2017, les établissements aient finalisé leur projet médical partagé. Quelle est votre vision de la place des DS dans ce contexte ?

I.M. : Dans le cadre du GHT, les DS participent activement au développement des projets médico-soignants partagés et ils animent les commissions de soins et de rééducation et médico-technique de territoire. La qualité de l’organisation des soins dans le cadre du parcours patient reste une priorité partagée avec la communauté médicale.

En 2016, il y eu une inflexion dans l’attractivité pour les postes de DS, ce qui a conduit à une opération séduction avec la FHF et l’AFDS. Où en est-on aujourd’hui ?

I.M. : Il est vrai que quelques années auparavant, le nombre de directeurs de soins avait connu une forte diminution, avec donc un certain nombre de postes laissés vacants. Avec l’opération menée conjointement avec la FHF et l’AFDS, la tendance s’est infléchie et aujourd’hui, nous constatons une augmentation du nombre de candidats au concours. Il y a un véritable intérêt des cadres pour cette fonction de DS et une grande motivation qui les conduit à passer le concours. En 2018, la promotion compte 52 élèves directeurs des soins qui prendront un poste en janvier 2019. Le concours d’entrée pour 2019 est en cours d’organisation par le Centre national de gestion.

Vous êtes actuellement directeur de soins dans le privé sans être passé par la formation EHESP, pouvez-vous nous parler de votre parcours ?

D.C. : Infirmier de formation, j’ai toujours été attiré par le côté technique du soin et je me suis donc très vite tourné vers la salle de réveil. Après le concours IADE, je suis devenu responsable du secteur anesthésie et de la salle de réveil - j’étais nommé cadre sans la formation de cadre. J’ai néanmoins complété mon parcours par un cursus universitaire avec un master 2 en management des organisations soignantes avant de devenir directeur de soins dans deux établissements privés avant d’arriver à l’hôpital privé d’Antony où j’occupe le poste de directeur de soins. Je dirai que mon parcours est plutôt rapide…

Comment décrivez-vous votre expérience de directeur de soins dans le domaine privé ?

D.C. : Par rapport au public, je trouve que la proximité terrain est plus forte, ne serait-ce que par la taille de l’établissement : c’est notamment plus simple en terme de ressources humaines, car on a la possibilité de vraiment rencontrer et connaître tout le monde ! Les rapports sont plus faciles : entre moi et l’infirmier, il n’y a que le cadre, ce qui est différent du public… Concernant la reconnaissance, je n’ai pas rencontré de difficultés particulières.

Votre formation pour devenir directeur de soins est plutôt atypique puisque vous ne sortez pas de l’EHESP… Y-a-t-il des difficultés à surmonter quand on choisit ce cursus via l’université.

D.C. : C’est en effet particulier mais pas plus difficile… Je m’explique : la formation universitaire, le master 2, m’a apporté un socle théorique solide et m’a permis d’asseoir ma position de directeur de soins, c’est une formation riche. Et la motivation joue un rôle énorme pour parvenir à mener à bien cette formation. Ensuite, c’est l’établissement qui aide au financement de la formation, le privé investit plus sur la formation universitaire si l’investissement et la motivation personnels suivent. Il faut également savoir que le fait d’avoir suivi cette filière universitaire m’a ouvert à de nouvelles rencontres - kinés, sage-femmes, cadres - et que travailler avec des gens d’univers différents permet une certaine introspection. Je dirai donc que l’université ouvre des perspectives plus larges que n’aurait pu le faire la formation EHESP pour le public. Je pense néanmoins que l’universitarisation n’est pas un concept délirant et qu’il peut apporter des choses du point de vue de la formation soignante. Reste juste à positionner le DS par rapport au cadre, peut-être avec un master spécifique ou d’autres apports. C’est une piste à explorer, en tout cas, à ne surtout pas ignorer car l’université reste une opportunité pour certains cadres qui ne souhaitent pas ou ne peuvent pas partir en formation à Rennes. C’est avant tout un choix personnel et beaucoup de travail, mais c’est tout à fait possible !

Isabelle Monnier est responsable de la formation des élèves directeurs de soins à l’Ecole des hautes études en santé publique (EHESP). Elle a rejoint l’institution après avoir exercé à l’ARS Pays-de-Loire en qualité de responsable du département ressources humaines du système de santé et exerçait auparavant les fonctions de conseiller expert à la DGOS et directrice de soins au CHU de Nantes.

David Colmont est directeur de soins à l’hôpital privé d’Antony. Infirmier de formation, il passe le concours d’IADE puis devient cadre responsable du secteur anesthésie et réanimation, parcours qu’il complète d’un cursus universitaire se concluant par l’obtention d’un master 2 en management des organisations soignantes lui permettant d’occuper le poste de directeur de soins.

LE POINT DE VUE DE STÉPHANE MICHAUD

Stéphane Michaud, est président de l’Association française des directeurs de soins (AFDS), cette dernière se définissant par une volonté dynamique, de fédérer l’ensemble des directeurs des soins, de promouvoir la fonction quelque soit le lieu d’exercice, d’être ouverte et prospective pour valoriser et faire reconnaitre les compétences spécifiques des directeurs des soins dans un environnement aux enjeux et changements importants.

1 Un décret d’avril 2016 sur la création des Groupements hospitaliers de territoire (GHT) prévoyait qu’au 1er juillet 2017, les établissements aient finalisé leur projet médical partagé. Quelle est votre vision de la place des DS dans ce contexte ?

Un décret d’avril 2016 sur la création des Groupements hospitaliers de territoire (GHT) prévoyait qu’au 1er juillet 2017, les établissements aient finalisé leur projet médical partagé. Quelle est votre vision de la place des DS dans ce contexte ?

La place des DS est extrêmement variée en fonction des GHT, il est difficile d’en tirer des généralités. Néanmoins, le législateur a positionné le DS comme membre du comité stratégique et c’est une grande satisfaction pour l’AFDS de voir la place qu’on leur accorde. Non pas parce que le DS est présent mais parce que cela signifie que l’ensemble des équipes d’encadrement de santé et des paramédicaux sont représentés. Cela conforte l’idée qu’aujourd’hui, on doit travailler en concertation avec les personnels médicaux et paramédicaux.

2 Du point de vue de la formation, pensez-vous que celle-ci sera amenée à évoluer ?

Bien évidemment ! Je pense qu’il y aura une évolution simplement parce que tous les métiers évoluent. Par rapport à ce qui est mené à l’EHESP, où il y a beaucoup de bonnes choses, et de mise en situation concrète, il faut accentuer l’interprofessionnalité des DS, avec des modules de formation communs et une analyse de pratiques communes. Il faut également réfléchir sur le parcours de stage - le stage GHT est à identifier pour être davantage dans la lignée du parcours de prise en charge du patient. En parallèle, il faut également réaffirmer la logique de management par rapport aux valeurs du service public, c’est-à-dire prendre en compte les besoins de la population en matière de soins en lien avec la qualité de vie. Concernant les établissements privés, je pense, que tous les acteurs médico-sociaux doivent s’ouvrir pour réussir ensemble, pour qu’il n’y ait pas de rupture de prise en charge, que ce soit dans le domaine public ou privé.