Objectif Soins n° 260 du 01/12/2017

 

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Sandrine Lana  

Rencontres professionnelles Fin septembre, les 31es Journées régionales des cadres de radiologie du Grand Sud se sont déroulées à Marseille. L’ouverture d’esprit et les nouvelles pratiques étaient au centre des interventions.

Ils étaient une bonne centaine de cadres et de formateurs de l’imagerie médicale à s’être donné rendez-vous pour ces 31es Journées entre cadres de santé. Deux journées de rencontres sous l’étiquette « Sortir du cadre pour appréhender le quotidien » ont permis à des « managers » tous azimuts de présenter leur vision de l’équipe et du management. Coup de projecteur sur quatre d’entre eux ayant particulièrement marqué l’assistance.

Ludovic Turac, chef étoilé d’Une table, au Sud (Marseille)

« Je fais confiance mais je contrôle »

Le jeune chef est à la tête d’une brigade d’une vingtaine de personnes pour élaborer les quarante couverts par service de son restaurant affichant une étoile au guide Michelin. L’organisation y est pyramidale sans empêcher le dialogue. « Je bois un café chaque matin avec mon sous-chef, juste parce que j’en ai envie. » Il ne néglige pas pour autant la formation de ses collaborateurs, qu’il espère garder auprès de lui. « Chaque année, je fais au minimum un entretien avec chacun d’entre eux. En fait, dès que je sens que le vent tourne. J’essaye de les toucher pour qu’ils se dévoilent à moi. Je dois savoir si je peux toujours compter sur eux ou non. » Le chef se considère comme un manager de proximité. « Je fais confiance mais je contrôle. Cependant, le meilleur contrôle est le retour du client. Quand l’assiette est vide, c’est bon signe. » En cuisine, Ludovic Turac a également mis en place un « pack hygiène », une tablette lui permettant de contrôler les tâches de nettoyage effectuées. Son credo : sourire, organiser, contrôler.

Thomas Lombard, ancien rugbyman, consultant sportif chez Canal +

« Le capitaine doit créer l’adhésion »

Pour ce sportif de haut vol, le management, c’est faire passer l’équipe avant l’individu. « Quand je suis plus en forme que mon coéquipier, je vais donner ce qu’il n’est pas en mesure de donner. On est tous sur le même bateau et nous devons faire avec des courbes de performance [individuelles] instables. » Au rugby, explique-t-il, le capitaine de l’équipe engage une stratégie collective : « Le capitaine lance des pistes, chacun se manifeste ensuite pour donner son avis. Il doit créer l’adhésion afin de responsabiliser et d’impliquer tout le monde. Une fois la stratégie choisie, on n’en reparle plus et on travaille car on y croit. » Thomas Lombard termine par une anecdote qui a été fédératrice pour son club, le Stade français Paris : « Un jour, notre entraîneur nous informe qu’il a décidé que nous ferions un calendrier… nus. Au début, nous étions plutôt réticents mais nous l’avons fait. L’année suivante, il propose que nous changions de maillot pour un maillot rose. Nous avons été raillés par les autres équipes, par le public… mais maintenant, ce maillot est l’identité du club. Les joueurs en sont fiers comme du calendrier. »

Gilles Herreros, professeur de sociologie, université Lyon-2« La capacité de critique est anesthésiée, on promeut plutôt les récitateurs »

Ses premiers mots ont semé le doute.

« Dans votre milieu, je suis chaque année un peu plus catastrophé », déclare-t-il aux cadres de radiologie interloqués. Il évoque un modèle managérial(1) où les « enchanteurs » créent les procédures, les « croyants », les cadres, donnent des injonctions sans penser au-delà de l’institution. Ils créent alors des conditions de travail « épouvantables tandis que les salariés cyniques et les déprimés ne peuvent pas bien faire leur travail. Les croyants doivent interroger l’institution pour faire changer les choses », dit-il. Il faut au-delà de cela rétablir la « clinique : le souci de l’autre, s’interroger sur ce que l’on fait à l’autre et à soi-même ». Par ailleurs, il pointe du doigt « une capacité de critique anesthésiée, alors qu’on promeut plutôt les récitateurs », et que prendre la parole permet de pointer ce qui pose problème. « Cela crée la controverse et donc ensuite un commun. » Les cadres ont leur place dans ce « management réflexif », qu’ils doivent secouer.

Karen Inthavong, coordinatrice générale des soins à l’AP-HM

« Passer du “je” au “nous” »

La seule femme du panel d’experts a laissé de côté les constats d’une situation morose pour embrayer sur les solutions. « J’ai compris que notre ego pouvait être notre pire ennemi. Il faut améliorer la façon d’être ensemble afin de passer du “je” au “nous” », préconise-t-elle dans une vision bienveillante du management, dont « l’amour est la clé de voûte ». Cette pratique doit tendre à « se rendre toujours abordable par sa simplicité ». L’intention doit y être lorsqu’on échange, lorsqu’on travaille. Karen Inthavong rappelle que l’« on manage des hommes, pas des projets » et cite George S. Patton, général américain : « Ne dites jamais aux gens comment faire les choses. Dites-leur simplement ce que vous voulez obtenir et ils vous étonneront par leur ingéniosité. » À l’instar de Gilles Herreros, la coordinatrice de l’AP-HM estime que si la bienveillance ne vient pas d’en-haut, c’est aux cadres à l’insuffler. Elle rappelle également que le cadre n’est pas infaillible : « Sachez poser les limites et dire où vous en êtes, osez, pourquoi pas, prendre les chemins de traverses, avec un peu de désobéissance. » De nombreux cadres présents se sont reconnus dans ses mots, qui ont reboosté les troupes.

(1) Inspiré par le livre de la sociologue Marie-Anne Dujarier, Le Management désincarné (éd. La Découverte).