L’apprentissage mixte(1) en formation infirmière - Objectif Soins & Management n° 254 du 01/03/2017 | Espace Infirmier
 

Objectif Soins n° 254 du 01/03/2017

 

Recherche Formation

Karine Lauer*   Sarah Tincelin**   Sarah***  

Comment lier les savoirs contributifs et constitutifs des compétences professionnelles ? C’est la question que l’IFPS-formation infirmière du CHU de Besançon (Doubs) s’est posé en décryptant le rôle du cadre formateur. Retour d’expérience.

Dans le cadre de l’enseignement de pharmacologie en deuxième année de formation infirmière, l’IFPS (Institut de formation de professions de santé) du CHRU de Besançon dans le Doubs a mis en œuvre une réflexion pédagogique. Cette réflexion est issue du travail d’initiation à la recherche réalisé en 2015 en formation cadre sur “L’apprentissage hybride en formation infirmière : quels changements dans le métier du cadre de santé formateur ?”(2).

ÉVOLUTION DU RÔLE DU CADRE DE SANTÉ FORMATEUR

L’objectif premier de ce travail de recherche était de comprendre comment favoriser les apprentissages professionnels des étudiants infirmiers à travers l’utilisation de cours numériques universitaires (CNU). Un dispositif de cours en e-learning s’appuie sur les théories de l’apprentissage behavioriste et cognitiviste car l’intention pédagogique est le développement de la connaissance. La revue littéraire et les enquêtes de terrain effectuées ont permis d’identifier quatre points clés favorisant l’intégration du e-learning dans le processus d’apprentissage.

• Le e-learning favorise le respect du rythme d’apprentissage de l’étudiant et répond aux besoins individuels d’appropriation des cours. L’étudiant est impliqué dans ses apprentissages. Ainsi, il développe ses capacités d’autonomie et de responsabilité.

• Les plateformes de e-learning sont, aujourd’hui, centrées sur les besoins de transmission de savoir des enseignants. Cependant, un cours en ligne n’est pas une transposition d’un cours magistral traditionnel, ce qui implique de repenser les supports pédagogiques. Afin de capter l’attention à distance, il est recommandé de proposer des séquences ne dépassant pas 30 minutes et d’y apposer un quiz d’auto-évaluation. Cependant, pour permettre de relier les connaissances entre elles, ce visionnage de cours numériques doit être suivi d’un temps d’appropriation et d’échanges(3)

• Le formateur accompagne le groupe d’étudiants, les pousse à dépasser leurs difficultés, leur permettant ainsi d’apprendre davantage et de développer des compétences professionnelles et mobilisables en action. Cette combinaison d’enseignements évite à l’étudiant autodidacte l’absence de mise en perspective critique des connaissances acquises(4). Elle permet ainsi de remettre en question de fausses représentations que l’étudiant aurait pu se construire seul. L’apprentissage devient alors social par le développement d’interactions au sein du groupe d’étudiants. La présence du formateur favorise la régulation des conflits sociocognitifs.

• Le rôle du formateur évolue, notamment dans ses pratiques pédagogiques, car il n’est plus la “source de savoir”. Il devient un accompagnant, un facilitateur et un guide pour rendre l’apprenant acteur et auteur de sa formation. Il identifie les objectifs pédagogiques en amont du cours pour faciliter le repérage des savoirs fondamentaux par l’apprenant.

Ainsi, l’hypothèse de ce travail s’articule autour de l’évolution du rôle du formateur. Si les cours numériques ont comme objectif d’apporter des connaissances cognitives, ils interrogent avec force le changement de posture et de pédagogie émanant des formateurs. Ces derniers sont tenus de repenser leur place et rôle dans le processus d’apprentissage afin de s’approprier ce nouvel outil.

UN CHANGEMENT PRIMORDIAL

Selon Michel Serres, « la nature du cours est en train de changer »(5). Pour plusieurs raisons, notamment car les étudiants ont maintenant accès via Internet à l’information en amont du cours. L’expansion des technologies numériques permet aux apprenants de contrôler leur accès aux savoirs. Les étudiants sont mobiles et s’adaptent très rapidement aux nouvelles technologies. Aux formateurs de s’approprier cet état de fait pour construire un cours qui leur corresponde. Il est aujourd’hui constaté un changement de paradigme important : les enseignants ne sont plus « les gardiens du savoir […] chargés de le transmettre »(5). Leur présence pour guider et faciliter l’apprentissage des étudiants est primordiale. Ils deviennent des éveilleurs et des garants de débats. Cela nécessite de développer de nouvelles stratégies pédagogiques en adéquation avec les demandes et besoins des apprenants, le contexte sociétal et les moyens technologiques à disposition. Pour ne pas subir cette évolution, il faut s’engager activement dans cette réflexion.

VERS DE NOUVELLES MÉTHODES PÉDAGOGIQUES

Cette évolution majeure permet aux formateurs de développer d’autres méthodes pédagogiques dans le but d’optimiser les apprentissages. La place du formateur migre. Elle est axée sur la création de conditions favorables permettant à l’apprenant de développer son potentiel. Dans l’enseignement médiatisé, le formateur devient un « facilitateur de savoirs »(5).

Un autre rapport au savoir

Le développement de la technologie du Web 2.0 oblige à revoir le mode transmissif hiérarchique exclusif. Les formateurs ont toute leur place dans ce nouveau rapport au savoir, car l’accès aux données n’implique pas leur compréhension et leur transformation en informations puis en savoirs. Il est donc nécessaire de donner du sens et de mettre en lien des connaissances déjà acquises pour en créer de nouvelles. Cela nécessite un engagement actif de l’étudiant et le développement de son autonomie.

Échanger pour mieux former

En formation infirmière, il semble indispensable de questionner en groupe les savoirs savants universitaires, de lier les soins infirmiers et de répondre aux questions que se posent les étudiants. Ainsi, les échanges en groupe permettent de construire du sens et de développer les savoirs professionnels réels en lien avec la pratique soignante. La rencontre entre étudiants et formateurs demeure donc essentielle pour confronter les points de vue et ainsi réajuster, stabiliser et apprendre des expériences des autres… car « apprenants et dispositifs ne se rencontrent pas si aisément »(6). L’utilisation des cours numériques permet une forme de gain de temps, et les formateurs pourront à l’avenir être plus disponibles pour aider de petits groupes d’étudiants à réinvestir leurs savoirs dans le contexte du partage collectif de situations professionnelles. L’ensemble de ces nouvelles technologies est au service d’un apprentissage actif des savoirs professionnels par les étudiants, au bénéfice des patients(7).

RETOUR D’EXPÉRIENCE

La réflexion pédagogique menée en 2015 s’est centrée sur le maillage possible entre les unités d’enseignement (UE) du semestre 3, pour développer au mieux les liens entre les savoirs contributifs universitaires et les savoirs constitutifs des compétences infirmières. L’objectif principal était de rendre les savoirs contributifs palpables et pratiques pour les étudiants infirmiers. L’UE de pharmacologie du semestre 3 comprend 20 heures de cours, selon le référentiel de formation, que nous avons choisi de répartir sur huit semaines, pour permettre l’intégration progressive des savoirs et ainsi limiter le “bachotage” des 138 étudiants de deuxième année.

Quatre temps d’apprentissage

La stratégie pédagogique mise en œuvre s’est construite en quatre temps d’apprentissage (cf. grahique page 42).

• Le 1er temps correspond au visionnage de la moitié des cours numériques universitaires (CNU) de l’UE, soit environ 5 heures. Nous avons préconisé aux étudiants de les visionner en individuel et à distance. Ce choix est en lien avec le principe même du e-learning. En effet, de cette manière, l’étudiant apprend à son rythme et respecte ses besoins individuels d’appropriation (prise de notes, recherches complémentaires…). Il se responsabilise et développe son autonomie d’apprenant. Pour faciliter cette démarche, nous avons fourni, en début de semestre, un support écrit comprenant les périodes de visionnage préconisées ainsi que les objectifs pédagogiques relatifs à l’ensemble des CNU de cette UE. L’identification des périodes de visionnage donne un cadre rassurant aux étudiants afin de favoriser le développement de leur autonomie. Les objectifs pédagogiques leur permettent de repérer les savoirs fondamentaux des enseignements universitaires.

• Le 2e temps est également conçu dans une idée d’accompagnement des étudiants et d’implication de ceux-ci. Un temps d’auto-évaluation en collectif et en présentiel leur est proposé. Pour ce faire, nous avons élaboré un quiz à partir des objectifs pédagogiques identifiés. Il permet aux étudiants une auto-évaluation et une participation active de chacun grâce au système de boîtier de vote individuel (QuizBox). Nos objectifs pour ce temps d’apprentissage sont multiples. Ils visent tout d’abord à permettre aux étudiants comme aux formateurs de s’assurer de la bonne compréhension des savoirs universitaires par l’intermédiaire du quiz. Les étudiants peuvent s’auto-évaluer et se situer dans leur propre apprentissage. De plus, les échanges collectifs enrichissent les connaissances acquises individuellement. L’apprentissage devient alors social.

• Le 3e temps d’apprentissage consiste en une création de “fiches mémo” par les étudiants. Ce travail est débuté par chaque étudiant à partir d’une trame vierge fournie en début de semestre. Il permet une restitution individuelle des connaissances démontrant un début d’acquisition. La promotion est ensuite divisée en groupe d’environ six étudiants. Chacun des groupes travaille sur l’une des classes pharmaceutiques étudiées. Les savoirs sont ainsi questionnés, réajustés et enrichis en groupes restreints à l’institut. Après restitution des travaux collectifs, ces fiches sont ensuite validées par les formateurs responsables de l’UE en regard des contenus des CNU, dans le but de rassurer les apprenants.

• Le 4e temps d’apprentissage est réalisé à l’institut, en groupes de 25 étudiants. Il est axé sur la mise en lien des classes thérapeutiques étudiées en pharmacologie (UE 2.11 S3) avec les pathologies du processus obstructif (UE 2.8 S3). Notre objectif est de lier les enseignements universitaires à la pratique infirmière mais aussi de lier les différents enseignements du semestre pour rendre ces savoirs réels nécessaires à l’exercice infirmier. Les cas cliniques utilisés reprennent des pathologies prévalentes étudiées dans le processus obstructif comme le syndrome coronarien aigu, la phlébite ou encore l’embolie pulmonaire. À travers ceux-ci, nous interrogeons les connaissances telles que la physiopathologie, la pharmacologie des traitements prescrits, les calculs de doses indispensables à la mise en œuvre des thérapeutiques, ainsi que la surveillance infirmière dans le but de développer les compétences professionnelles des étudiants.

Ces temps d’apprentissage sont renouvelés pour la seconde moitié des enseignements universitaires.

Bilans

En fin d’UE, nous avons proposé une évaluation formative par quiz et boîtiers de vote individuel. Cette évaluation a eu lieu une semaine avant l’évaluation normative. Elle permet aux étudiants de se conforter dans leurs apprentissages mais aussi d’identifier les réajustements nécessaires avant l’évaluation finale. À l’issue de cette UE, nous avons dressé un premier bilan basé sur les résultats de l’évaluation normative, l’évaluation de satisfaction des étudiants ainsi que notre analyse des différents temps d’apprentissage. Les résultats du partiel sont très positifs avec 92 % de réussite. Les notes oscillent entre 4,5/20 et 19/20, avec une moyenne de promotion à 14,09/20. L’évaluation de la satisfaction des étudiants est en corrélation avec notre analyse. Divers aspects de ce déroulé pédagogique sont pointés positivement. En effet, la programmation des 20 heures de cours sur huit semaines permet une assimilation progressive des savoirs. Par ailleurs, les étudiants apprécient la liberté de visionnage à distance et la précision des objectifs pédagogiques fournis. Enfin, les travaux dirigés sont également évalués positivement concernant le contenu, les supports utilisés et les liens faits entre les enseignements universitaires et la pratique infirmière. Pour finaliser l’analyse de notre stratégie pédagogique, nous avons réalisé une évaluation inopinée par boîtier de vote individuel, sept mois après les enseignements, afin d’apprécier la pérennité de leurs apprentissages.

Les résultats sont très positifs, avec un pourcentage de réussite à 84 %, des notes allant de 6,5/20 à 15,5/20 et une moyenne de promotion à 11,48/20. Il est intéressant de noter que 22 étudiants obtiennent une note supérieure au partiel initial. Nous émettons l’hypothèse que les deux stages réalisés entre la période d’apprentissage initial et le quiz inopiné ont été bénéfiques au développement des compétences infirmières en pharmacologie. A contrario, 41 étudiants obtiennent une note inférieure d’au moins 4 points par rapport au partiel initial. Nous émettons diverses hypothèses telles qu’une utilisation de méthodes d’apprentissage valorisant la mémorisation à court terme, ou encore un réinvestissement insuffisant de ces connaissances lors de leurs stages cliniques…

Cette double analyse nous conforte dans nos choix pédagogiques. Cependant, quelques ajustements sont réalisés dès la rentrée 2016. En effet, nous avons programmé le visionnage des CNU par quart de journée plutôt que par demi-journée, afin de réduire la difficulté de travail à distance face à un support non interactif. Par ailleurs, nous avons formalisé des temps d’échanges collectifs à l’institut pour développer davantage l’apprentissage social. Cela nous a obligés à repenser l’organisation pédagogique en regard du grand nombre d’étudiants. Ainsi, nous avons proposé la réalisation collective de carte mentale reprenant les éléments incontournables à comprendre et à connaître pour l’exercice infirmier. Le travail en quart de promotion semble davantage bénéfique aux échanges et par conséquent à la régulation des conflits sociocognitifs. Enfin, nous avons davantage accentué les liens entre les UE du semestre 3 entre la pharmacologie, les processus obstructifs et les processus inflammatoires et infectieux. Nous avons proposé trois situations cliniques où des questions de connaissances relatives aux différents processus s’entremêlent aux questions de connaissances en pharmacologie et aux calculs de doses. Ce maillage permet d’accentuer les liens entre les UE et d’identifier les transferts possibles dans la pratique infirmière.

Pistes d’améliorations

Toutefois, il reste à améliorer quelques éléments.

• Les étudiants nous ont fait part de leurs difficultés, notamment de concentration lors des visionnages programmés sur des créneaux de 3 h 30. Au vu de ce retour, nous retenons deux hypothèses explicatives : soit les étudiants n’ont pas pu visionner les CNU chez eux à d’autres moments que ceux indiqués, soit ils n’ont pas été autonomes dans l’organisation de leurs visionnages, c’est-à-dire qu’ils ne se sont pas autorisés à modifier le cadre de planification donné.

• Les temps d’échanges informels proposés aux étudiants ont été peu investis. En effet, nous avions fait part de notre disponibilité en proposant aux étudiants divers moyens de communication (mail, téléphone, rendez-vous individuel) pour toutes questions relatives aux enseignements. Face aux faibles sollicitations de ce grand groupe d’apprenants, nous constatons le besoin de formaliser les temps d’échanges pour que les étudiants s’autorisent à poser leurs questions ou à pointer leurs incompréhensions.

• Certains contenus sont complexes et parfois non exploitables en formation infirmière. En effet, les cours sont aujourd’hui réalisés par des experts universitaires pour des étudiants infirmiers issus de tous horizons scolaires, ce qui implique parfois d’immenses écarts de connaissances. Nous avons donc effectué un retour à l’enseignant universitaire responsable de cette UE, afin de poursuivre l’ajustement des apports théoriques pharmacologiques nécessaire au développement des compétences infirmières.

CONCLUSION

Les expériences dans le domaine de la pédagogie par le numérique sont toutes singulières et invitent à poursuivre la réflexion de l’apprentissage mixte en formation infirmière. Les méthodes d’apprentissage propres à chaque étudiant complexifient la pédagogie de masse dans nos instituts de formation. C’est pourquoi le cadre de santé formateur garde une place primordiale dans l’accompagnement des étudiants malgré le développement grandissant des cours numériques. La difficulté majeure face à l’apprentissage par le numérique reste le maintien d’un cap pédagogique axé sur le développement de compétences infirmières et non sur une acquisition pure de connaissances universitaires. Ainsi, il nous appartient de poursuivre encore le maillage existant entre les instituts de formation en soins infirmiers, les universités et les terrains d’enseignement clinique.

NOTES

(1) L’apprentissage mixte correspond à un double mode d’apprentissage comprenant des cours en e-learning utilisables à distance, associés à des enseignements plus traditionnels en présentiel.

(2) Sarah Tincelin. L’apprentissage hybride en formation infirmière : Quels changements dans le métier du cadre de santé formateur ? Travail d’initiation à la recherche en formation cadre de santé, sous la direction de Jean-Marie Revillot, IFPS de Besançon, 2015.

(3) Jean-Marie Revillot. Des théories de l’apprentissage aux modèles d’évaluation. Cours IFPS de Besançon, filière cadre de santé, 24-25 novembre 2014.

(4) Louise Marchand, Jean Loisier. Pratiques d’apprentissage en ligne, Montréal, La Chenelière inc, 2005, p. 18.

(5) Michel Serres. Petite poucette. conférence disponible à l’adresse www.youtube.com/watch?v=ICd38oRfoHU

(6) Denis Cristol. Former, se former et apprendre à l’ère numérique : Le social learning, ESF Editeur, p.53.

(7) Sarah Tincelin. “L’apprentissage en ligne en formation infirmière : quels changements dans le métier du cadre de santé formateur ?” Perspective soignante, n° 55, avril 2016.