ARS, maîtrise des dépenses et accès territorial aux soins - Objectif Soins & Management n° 254 du 01/03/2017 | Espace Infirmier
 

Objectif Soins n° 254 du 01/03/2017

 

Économie de la santé

Didier Jaffre  

L’élection présidentielle relance les débats sur l’organisation du système de santé au travers des programmes des différents candidats. Les professionnels de santé et leurs représentants en profitent également pour faire part de leurs propositions, sous la forme de plateforme. Première partie.

Dernière publication en date, celle de l’Ordre national des médecins. Dix propositions organisées en trois priorités, dont l’une concerne la simplification de l’organisation territoriale des soins avec une gouvernance partagée. L’Ordre propose ainsi « la mise en place d’un nouvel échelon de coordination des soins local, simple, efficace, au plus près des usagers, construit sur l’existant, ancré sur le terrain … le bassin de proximité santé ». « Dans le cadre d’un monopole public de financement de l’assurance maladie, une nouvelle instance régionale de financement de la santé délègue au niveau infragional (les pôles hospitaliers ou sanitaires) la fonction de gestion et d’organisation des soins, tout en garantissant, par le biais de contrats d’objectifs et de moyens avec chaque pôle, les objectifs d’accès aux soins de proximité et d’efficacité. Ces nouvelles modalités de financement reposent sur les notions de régionalisation, contractualisation et responsabilisation des acteurs de santé et débouchent sur la redéfinition des instances et des instruments de planification sanitaire », précisait en février 2002 l’actuel directeur de l’offre de soins à l’ARS Île-de-France. Depuis 2002, la loi HPST de juillet 2009 a consacré la création des ARS ; la loi de modernisation de notre système de santé de janvier 2016 a consacré les territoires de santé, les communautés de professionnels de santé et les groupements hospitaliers de territoire. Autant d’éléments qui se rapprochent de notre thèse de 2002. Depuis sept ans, les ARS (26 en 2010, 17 en 2017 après la fusion des régions en janvier 2016) ont pour mission de définir et de mettre en œuvre un ensemble coordonné de programmes et d’actions concourant à la réalisation, à l’échelon régional et infrarégional, des objectifs de la politique nationale de santé, des principes de l’action sociale et médico-sociale, des principes fondamentaux du Code de la Sécurité sociale. Ainsi, l’ARS contribue au respect de l’Ondam. Les ARS sont chargées de mettre en œuvre au niveau régional la politique de santé publique et de réguler l’offre de soins et médico-sociale.

MODÈLE ESPAGNOL OU ALLEMAND

On peut envisager de maintenir le monopole public de financement et de gestion de l’Assurance maladie tout en déconcentrant géographiquement et en autorisant l’échelon local à adopter ses propres règles de gestion et de rémunération des producteurs. C’est le système allemand ou espagnol tout simplement. On pouvait voir les prémices d’un tel système en 1996 avec la création des Urcam et des ARH, et plus encore en 2010 avec la création des ARS regroupant les deux premières. Mais l’ARS est-elle vraiment l’instance régionale unique qui reçoit une allocation globale pour l’ensemble des secteurs de la santé en fonction des besoins de la région ? Sept ans plus tard, quelle est la marge de manœuvre dont disposent les ARS pour concilier maîtrise des dépenses et accès territorial aux soins ?

UNE RÉFORME INACHEVÉE ?

Le Haut Comité pour la santé publique préconisait en 1998 quatre scenarii pour modifier le mécanisme d’allocation des ressources du système de soins dans le sens d’une amélioration de l’équité et de l’efficacité productive.

Premier scénario : modifier les méthodes de régionalisation

Déclinaison régionale des enveloppes de médecins généralistes et spécialistes, amélioration du calcul des parts de marché entre les secteurs hospitaliers public et privé, harmonisation et actualisation des données prises en compte par le modèle de péréquation, prise en compte de la morbidité dans le modèle de péréquation, simplification des processus de convergence vers les dotations cibles. Ce scénario ne modifiait donc pas les principes de financement mais affinait, sur le plan technique, les méthodes de péréquation interrégionale. Depuis 2004 a été instaurée la tarification à l’activité dans le secteur MCO (médecine, chirurgie, obstétrique), bientôt dans le secteur des soins de suite et de réadaptation (attendue en 2017), pas d’actualité dans le secteur de la psychiatrie. Mais la convergence des tarifs entre les secteurs publics et privés de la santé a été abandonnée. Les Ehpad sont désormais financés en fonction des pathologies des résidents (les fameuses coupes Pathos) dans le cadre de CPOM garantissant les moyens liés à la médicalisation des Ehpad. Le secteur du handicap échappe encore à ces règles.

Deuxième scénario : la petite marge de manœuvre

Il proposait une péréquation sur l’ensemble des dépenses avec un redécoupage sectoriel dans un second temps, sans modification des structures régionales. Une petite marge de manœuvre, fondée sur la fongibilité des enveloppes, était laissée au niveau régional pour financer des actions ciblées de santé publique. Ce scénario représente les fondations du fond d’intervention régional (FIR) créé en 2012, par prélèvement au sein de l’Ondam sur les enveloppes de médecine de ville, hospitalière et médico-sociales, représentant moins de 2 % de l’Ondam, constituant finalement (le FIR est souvent contraint par des engagements antérieurs massifs) la véritable marge de manœuvre des ARS pour conduire sa politique régionale.

Troisième scénario : deux modifications de taille

Les deux modifications importantes :

• réserver dans l’Ondam une enveloppe spécifique confiée après répartition à la gestion des régions pour la réalisation d’actions de santé ;

• répartir régionalement la part restante de l’Ondam selon le critère d’alignement des tarifs et des coûts et pour les seules dépenses hospitalières.

C’est sur cette base que la tarification à ‘activité a été mise en place en 2004 dans les établissements de santé. Or, pour mémoire, nous écrivions en 2002 que, dans la mesure où les ressources hospitalières ne seraient plus allouées en fonction des besoins de la population mais en fonction de la productivité des structures existantes, les structures de proximité seraient forcément pénalisées, sauf à considérer une valorisation spécifique de l’activité de proximité ou à les faire financer sur la sixième enveloppe de santé publique. Finalement, ce n’est que l’année dernière qu’un financement spécifique a été mis en place pour les centres hospitaliers de proximité.

Quatrième scénario : régionalisation du système de santé

Ce scénario, que nous privilégions à l’époque, proposait un changement radical du mécanisme d’allocation des ressources fondé sur une allocation régionale globale gérée par une instance régionale unique. Il allait jusqu’au bout de la logique de régionalisation du système de santé en confiant à l’ARS la charge de répartir une enveloppe globale pour le financement des dépenses de soins de la région, établie sur la base des états de santé de la population dans chaque région. Alors, si l’ARS a bien été créée, nous n’en sommes pas encore à l’enveloppe globale régionalisée des dépenses de soins : il y a toujours des enveloppes hospitalières (Migac et DAF), des enveloppes médico-sociales, des enveloppes prévention. Certes, le FIR est une sorte d’enveloppe globale, mais il ne représente que 1,7 % des dépenses d’Assurance maladie.

Il aura donc fallu attendre plus de dix ans pour voir enfin créer les ARS, quinze pour voir créer le FIR. Toutefois, la création des ARS ne s’est pas accompagnée d’une réelle régionalisation des dépenses de santé, exception faite du FIR. En ce sens, la mise en œuvre des ARS relève davantage d’une déconcentration administrative que d’une décentralisation au sens propre. Les enveloppes restent sectorisées et les marges de manœuvre sont pour l’instant extrêmement limitées : la fongibilité des enveloppes hospitalières sur le FIR est limitée à 1 %, ce qui en volume peut être important mais en pratique impossible à faire dans un contexte de contrainte très forte sur les enveloppes hospitalières, plan triennal oblige. Dès lors, très peu d’opérations de fongibilité sont lancées par les ARS. Nous sommes bien loin de la création d’un Ordam.

DE LA GESTION ET LA DÉCISION À LA CONCEPTION ET L’EXPERTISE

Dans le cadre d’un financement de la santé confié à une instance régionale unique, l’ARS, le rôle du niveau national (État et Assurance maladie) doit se trouver normalement considérablement amoindri. Il revient ainsi au niveau national de définir les priorités de santé publique, sous la forme par exemple d’objectifs quantifiés de santé publique et d’obligations en matière de prévention. Le niveau national doit veiller en particulier au respect dans les régions des grands principes qui sous-tendent le système de soins : accessibilité, qualité et sécurité des soins, efficacité. Il doit veiller également au refus de la sélection des risques et au maintien d’une assurance maladie universelle. Le Parlement est toujours en charge de voter le taux d’évolution de l’Ondam, qui est calculé en fonction des besoins transmis par chaque région. Un CPOM est conclu entre le niveau national et chaque ARS, contrat qui définit les modalités d’attribution et le montant de l’enveloppe régionale allouée pour financer les producteurs de soins de la région. En contrepartie, l’ARS s’engage à mettre en œuvre la politique de santé définie par le gouvernement et à faire respecter les grands principes précédemment cités. Il appartient également au niveau national de fixer les normes d’équipement et de sécurité sanitaire, mission qui par ailleurs pourrait très bien être confiée à la HAS (Aaute Autorité en santé), de manière à obtenir un consensus avec les professionnels sur les normes et les référentiels qui, dès lors, ne seraient plus contestés. On peut même imaginer qu’il revienne à la HAS de contrôler le respect de ces normes. Le niveau national apparaît dès lors comme un niveau d’encadrement, de conception et d’expertise, et non plus comme un niveau de gestion ou de décision, comme c’est le cas actuellement. Dans le cadre d’un CPOM conclu avec l’ARS, le niveau national s’assure que les objectifs qui sous-tendent l’organisation de la santé sont respectés dans chaque région. Ils fixent les grands principes d’allocation des ressources et de prise en charge des soins. Les ARS sont ensuite autonomes pour répartir l’enveloppe qui leur est allouée par le contrat passé avec le niveau national.

La loi a bien instauré le conseil national de pilotage (CNP) des ARS, qui réunit des représentants de l’État, des établissements publics nationaux et de l’Assurance maladie, présidé par les différents ministres de la Santé, des Comptes sociaux, des Personnes âgées et en situation de handicap. Ce CNP est censé donner les directives pour la mise en œuvre de la politique nationale de santé sur le territoire. Il veille à la cohérence des politiques qu’elles ont à mettre en œuvre en termes de santé publique, d’organisation de l’offre de soins et de prise en charge médico-sociale et de gestion du risque, et il valide leurs objectifs. Il valide toutes les instructions qui leur sont données. Il conduit l’animation du réseau des ARS. Il évalue périodiquement les résultats des actions des agences et de leurs directeurs généraux. Le CNP veille à ce que la répartition entre les ARS des financements qui leur sont attribués prennent en compte l’objectif de réduction des inégalités de santé. Un CPOM est signé avec chaque agence pour une durée de quatre ans, révisable chaque année.

Sur le papier, ou plus exactement dans la loi, tout semble aller dans le bon sens. Mais qu’en est-il en réalité ? Le niveau national a-t-il été réduit ? L’ARS est bien un établissement public, doté de l’autonomie administrative et financière. Du moins a priori. Car les conditions de nomination du directeur général de l’ARS, en conseil des ministres, laissent à penser que ce n’est pas le cas… Et la pratique depuis sept ans le prouve. Suite au prochain numéro.

Le FIR

Le fonds d’intervention régional (FIR), créé par l’article 65 de la loi de financement de la Sécurité sociale pour 2012, regroupe au sein d’une même enveloppe globale limitative des crédits auparavant dispersés et destinés à des politiques proches ou complémentaires dans le domaine de la performance, de la continuité et de la qualité des soins ainsi que de la prévention. Ce regroupement a pour but d’assouplir la gestion de ces crédits en les rassemblant dans une enveloppe unique répartie par région, afin de permettre aux ARS de les redistribuer de manière plus efficiente en tenant compte des spécificités locales.

→ Mis en place au 1er mars 2012, le fonds réunit ainsi des crédits relevant majoritairement de l’Assurance maladie mais aussi des crédits en provenance de l’État au titre de la prévention et, depuis 2013, des crédits en provenance de la Caisse nationale pour la solidarité et l’autonomie (CNSA). Ces crédits sont gérés par les ARS et versés par les caisses primaires d’Assurance maladie, à l’exception des dépenses de prévention et médico-sociales majoritairement versées par les ARS. Depuis la loi de financement de la Sécurité sociale pour 2014, les dépenses d’Assurance maladie gérées par le FIR sont regroupées au sein d’un même sous-objectif de l’Ondam. Les crédits versés directement par l’État et la CNSA restent cependant en dehors du champ de l’Ondam.

→ La fongibilité entre ces crédits est asymétrique au bénéfice des dépenses de prévention. Les ARS ont la possibilité de dépenser plus que prévu sur ces missions en prélevant sur les autres enveloppes, l’inverse n’étant pas possible. Ce principe de fongibilité s’inscrit en effet dans un cadre budgétaire limitatif : au sein du montant global des dotations, les montants relatifs aux missions bénéficiant dela fongibilité asymétrique sont isolés. Hors enveloppes protégées par la fongibilité asymétrique, les ARS ont toute latitude pour allouer les crédits comme elles le jugent souhaitable.

→ Depuis 2016, le FIR est devenu un budget annexe du budget de fonctionnement de l’ARS.