Infections nosocomiales : prévenir, agir et guérir | Espace Infirmier
 

Objectif Soins n° 250 du 01/11/2016

 

Qualité Gestion des risques

Anne-Lise Favier  

Malgré les nombreux progrès accomplis dans la lutte contre les infections nosocomiales, ces dernières demeurent un risque non négligeable pour chaque patient séjournant dans un établissement de soins. Comment s’organise la lutte au quotidien ?

Un patient sur vingt (5 %) est un jour concerné par une infection nosocomiale contractée au décours d’un séjour dans un établissement de santé : une étude* de l’Institut national de veille sanitaire (InVS) estime même à 4 000 par an le nombre de décès qui serait imputable aux infections nosocomiales.

Si ces infections nosocomiales peuvent être directement liées aux soins, elles peuvent également survenir en dehors de tout acte médical. En effet, elles touchent un patient lors de sa prise en charge à l’hôpital ou à la suite de son séjour. C’est néanmoins en grande partie le patient lui-même qui est la source de contamination en dehors de l’environnement hospitalier (air, eau, surfaces) ; c’est ensuite par le biais d’un ensemble d’actes de soins que les infections peuvent être contractées, notamment lorsque ces actes sont invasifs comme la pose de sonde urinaire ou lors de la réalisation d’actes chirurgicaux.

L’HISTOIRE D’UN GERME PORTÉ PAR LE PATIENT PUIS MANUPORTÉ

Comment se fait la découverte d’une infection nosocomiale et comment est-elle prise en charge ? « Il y a plusieurs cas de figures qui peuvent alerter, explique le Dr Bruno Grandbastien, infectiologue au CHRU de Lille (Nord) et vice-président de la Société française d’hygiène hospitalière, mais le point de départ est l’observation de signes cliniques d’infection chez un patient. » Pas de prélèvement de surface, d’analyse de l’air, mais une analyse microbiologique chez le patient qui permet dans un premier temps de distinguer de quel agent pathogène il s’agit avant de pouvoir éventuellement disposer dans un second temps d’une thérapeutique pour juguler l’infection.

Les modes de contamination

Ils sont bien connus : une origine endogène qui dépend de la flore commensale du patient, qui émerge à la suite de la réalisation d’un acte invasif ou face à la fragilité du patient, ou une origine exogène, qui est principalement manuportée, via les mains des malades, des proches et du personnel soignant.

Signes d’alerte

Il existe des signes qui peuvent alerter, comme le fait de savoir que le patient revient de l’étranger et que, potentiellement – et les soignants ne l’ignorent pas –, il peut être porteur d’une bactérie favorable au développement d’une infection nosocomiale : « Dans ce cas, les mesures de prévention et de détection sont automatiques. D’une part, on isole le patient et on observe certaines mesures de prévention du risque nosocomial ; d’autre part, des analyses partent au laboratoire pour un dépistage microbiologique », poursuit l’infectiologue. Les liens entre le laboratoire de microbiologie et l’équipe d’hygiène sont tels que, dès qu’une suspicion de germes pathogènes apparaît, les équipes du service concerné sont rapidement prévenues. Parfois, c’est le profil du patient qui peut alerter, certains patients immunodéprimés pouvant être plus facilement atteints par certaines bactéries que les soignants vont donc rechercher. C’est à la fois l’histoire du patient (voyage à l’étranger, séjour hospitalier) et son examen clinique qui permettent de l’identifier comme un patient à risques.

MESURES DE PRÉVENTION CENTRÉES SUR L’HYGIÈNE

Dès lors, une batterie de mesures de prévention sont mises en place au plus près du patient car c’est d’elles que dépend la diminution de ces infections nosocomiales. À ce titre, l’implication du personnel dédié à l’hygiène est prépondérante pour leur application. Quatre types de mesures peuvent être engagées :

• les mesures d’hygiène de base, dont l’hygiène des mains est la plus emblématique, la plus simple et efficace (on distingue dans l’hygiène des mains trois “paliers”, le lavage chirurgical avant tout acte réalisé par un chirurgien, le lavage antiseptique avant et après les actes invasifs (pose de perfusion) et enfin le lavage simple dans le reste des cas, avec une alternative permise par le développement des solutions hydro-alcooliques) ;

• le port de gant et d’une tenue adaptée complète les mesures d’hygiène de base ;

• des mesures spécifiques peuvent venir compléter ces précautions standard en fonction de l’activité du service (chirurgie, avec par exemple l’usage de tenue stérile) ;

• la prévention de la sélection des bactéries multi-résistantes par l’usage raisonné des antibiotiques ;

• et enfin la prévention de la transmission de ces mêmes bactéries multi-résistantes, via le dépistage des porteurs sains, la décontamination des lieux occupés par le patient et un isolement technique et géographique.

ANTIBIOTHÉRAPIE ADAPTÉE

Pour faire face à la prévention de la propagation de l’infection, l’infectiologue doit délivrer le traitement le plus adapté pour combattre l’infection. « Celui-ci dépend à la fois de la localisation de l’infection – si elle est osseuse, par exemple, il nous faudra un antibiotique adapté à cette particularité – et dépend aussi du terrain du patient – la difficulté peut résider dans le fait de réussir à manager une réanimation et délivrer le traitement antibiotique le plus adapté à un patient porteur d’une infection », résume le Dr Grandbastien.

Une détection précoce

En ce sens, l’antibiothérapie est un facteur de lutte contre les infections nosocomiales au même titre que la prévention ou l’isolement, mais elle peut également être le vecteur de leur propagation si l’infectiologue se trouve face à un cas de résistance (lire l’encadré sur le profil de l’ennemi page suivante).

Il faut pour cela que les patients soient détectés le plus précocement possible pour une prise en charge immédiate. « De plus en plus, des tests de biologie moléculaire permettent une identification rapide (quelques heures) d’une souche bactérienne, là où la microbiologie demandait deux ou trois jours. Cela permet de dépister un patient dès son entrée dans l’établissement de soins et de prendre les mesures nécessaires dans les meilleurs délais », explique le Dr Grandbastien.

Résistance bactérienne

Reste que le grand défi est de faire face à la résistance bactérienne : près de 40 % des souches de staphylocoque doré sont résistantes à la méticilline, 20 % des Pseudomonas aeruginosa résistent aux carbapénèmes ou à la ceftazidime.

LA LUTTE S’ORGANISE

Mais la surveillance des infections nosocomiales est partout. Dans les établissements, avec l’équipe opérationnelle en hygiène et le Comité de lutte contre les infections nosocomiales (Clin), épaulé au niveau inter-régional par cinq centres interrégionaux de coordination de la lutte contre les infections nosocomiales (Cclin), eux-mêmes relayés par des antennes régionales (Arlin) pour des missions de proximité, le tout chapeauté par le Réseau d’alerte, d’investigation et de surveillance des infections nosocomiales (Raisin). Chaque établissement est en outre tenu au respect des règles d’hygiène et à la publication d’indicateurs relatifs à la lutte contre les infections nosocomiales (indicateurs Icalin), en se concentrant notamment sur les infections du site opératoire, la consommation de solutions hydro-alcooliques (respect de l’hygiène des mains), le bon usage des antibiotiques et en compilant le taux de staphylocoque devenus résistants à la méthicilline et à d’autres antibiotiques similaires (SARM) ou de bactéries multi-résistantes. Grâce à ces mesures, la prévalence des patients infectés est restée stable entre 2006 et 2012 (date de la dernière enquête) en court séjour et a diminué de 21 % dans les autres types de séjour, tandis que la prévalence des patients infectés au staphylocoque devenu résistant à la méticilline et à d’autres antibiotiques similaires a diminué de 50 %. Les efforts se poursuivent désormais dans la maîtrise de la diffusion des bactéries multi-résistantes.

* Enquête de prévalence des infections nosocomiales, 2012, à consulter via le lien raccourci bit.ly/2fAYmRI

Insolite : des chiens pour détecter les infections !

L’histoire pourrait prêter à sourire si elle n’avait pas été publiée dans la revue Journal of infection. Elle relate une expérience menée aux Pays-Bas(1) qui a consisté à utiliser un chien pour dépister une population de patients à l’infection par Clostridium difficile, une infection nosocomiale particulièrement préoccupante qui se caractérise par une diarrhée plus ou moins importante pouvant conduire à la mort. Dans cette expérience, le chien avait appris à indiquer la présence de l’odeur spécifique des selles présentant la bactérie en position assise ou couchée. Après deux mois de formation, les capacités de dépistage du chien ont été testées sur des échantillons de selles négatifs et positifs du C. difficile avec une sensibilité(2) de 100 % et une spécificité de 94 %, des résultats un peu moins élevés lorsque le chien tentait le dépistage directement chez les patients. Néanmoins, les auteurs de l’étude ont conclu que cette expérience présentait un autre risque, celui de véhiculer d’autres infections par l’utilisation d’animaux au lit du patient. Reste qu’ils demeurent convaincus de l’intérêt de leur étude pour la prévention de certaines infections nosocomiales.

(1) L’étude : “A detection dog to identify patients with Clostridium difficile infection during a hospital outbreak”, Bomers et al., Journal of Infection, nov. 2014, vol. 69, I. 5, pp. 456-461.

(2) la sensibilité mesure la proportion de résultats positifs identifiés correctement, tandis que la spécificité mesure la proportion de résultats négatifs correctement identifiés.

Le profil de l’ennemi

Trois bactéries représentent la moitié des germes isolés lors des infections nosocomiales (IN) : Escherichia coli dans près d’un quart des cas, Staphylococcus aureus (16 % des cas) et Pseudomonas aeruginosa (8,4 %). Parmi les autres germes qui se partagent les IN, on peut également citer le Clostridium difficile et Acinetobacter baumannii. De rares champignons (Aspergillus) ou levures (Candida) peuvent également être responsables d’IN. Parmi ces pathogènes, les différentes enquêtes de prévalence des IN (la dernière date de 2012) montrent l’importance des bactéries multi-résistantes (BMR) dans le déroulement des IN. Ainsi, Staphylococcus aureus représente 16 % de l’ensemble des bactéries rencontrées dans les IN, les entérobactéries plus de 45 % ; le très redouté Sarm, le Staphylococcus aureus résistant à la méticilline, est la plus fréquente des BMR (environ 5 % de l’ensemble des bactéries des IN) suivi par les entérobactéries BLSE (environ 5 %). Viennent ensuite les souches de Pseudomonas aeruginosa résistant à la ticarcilline (4 %), les entérocoques résistants à l’ampicilline ou aux glycopeptides, Acinetobacter résistant à la ceftazidime, et des Pseudomonas autres que P. aeruginosa (moins de pourcentage des IN chacun). Ces Sarm et entérobactéries productrices de bêta-lactamase à spectre étendu (EBLSE) font l’objet d’un programme national de surveillance. D’autres bactéries ne présentant pas toutes ces caractéristiques ne sont pas incluses dans le programme national mais peuvent également faire l’objet d’une surveillance accrue, notamment pour diminuer la pression de sélection des antibiotiques. Enfin, des bactéries sensibles peuvent également être sources d’IN particulièrement préoccupantes en raison de la virulence de leur pathogénicité (cas du streptocoque A en per-partum).