Fin de vie : ce que change la loi du 2 février 2016 - Objectif Soins & Management n° 246 du 01/05/2016 | Espace Infirmier
 

Objectif Soins n° 246 du 01/05/2016

 

Droit

Après bien des débats, a été votée la loi n° 2016-87 du 2 février 2016 « créant de nouveaux droits en faveur des malades et des personnes en fin de vie ». Et comme toujours, il faut poser les bonnes questions : comment situer cette loi nouvelle par rapport à l’existant ?

Qu’apporte effectivement la loi nouvelle ? De fait, il n’y a aucun bouleversement, mais des aménagements bienvenus.

Cette loi s’inscrit dans la continuité du droit antérieur, à savoir la loi du 22 avril 2005 sur la fin de vie, dite “loi Leonetti”. Et cette loi s’inscrivait elle-même dans les principes fondateurs du droit et de la déontologie.

FIN DE VIE ET PRINCIPES DU DROIT

La base, incontournable, est le Code pénal, qui sanctionne de lourdes peines le fait de provoquer la mort. La commission d’actes ayant pour intention d’abréger la vie est qualifiée de meurtre et, s’il y a eu préméditation, c’est-à-dire inscription dans un processus organisé, la qualification est celle de l’assassinat.

Par exemple, dans l’affaire Bonnemaison, c’est bien cette qualification d’empoisonnement, une variante de l’assassinat, qui finalement a été retenue par la cour d’assises d’Angers (Maine-et-Loire), le 24 octobre 2015. Selon les mots de l’avocat général Olivier Tcherkessoff, « s’il n’est pas un assassin, pas un empoisonneur au sens commun de ces termes, le Docteur Bonnemaison a bien provoqué la mort délibérément de malades avec des produits létaux pour hâter la fin ».

• Le Code pénal est exactement en phase avec le Code civil, qui définit le régime de base de tout acte de soins avec l’article 16-3 du Code civil, à savoir le principe du consentement et des soins de la meilleure qualité, ce qui exclut les soins déraisonnables :

« Article 16-3.- Il ne peut être porté atteinte à l’intégrité du corps humain qu’en cas de nécessité médicale pour la personne ou à titre exceptionnel dans l’intérêt thérapeutique d’autrui.

« Le consentement de l’intéressé doit être recueilli préalablement hors le cas où son état rend nécessaire une intervention thérapeutique à laquelle il n’est pas à même de consentir. »

• Pas de doute non plus du côté de la déontologie, avec deux articles pivots du Code de déontologie médicale :

« Article R. 4127-37.- En toutes circonstances, le médecin doit s’efforcer de soulager les souffrances du malade par des moyens appropriés à son état et l’assister moralement. Il doit s’abstenir de toute obstination déraisonnable dans les investigations ou la thérapeutique et peut renoncer à entreprendre ou poursuivre des traitements qui apparaissent inutiles, disproportionnés ou qui n’ont d’autre objet ou effet que le maintien artificiel de la vie. »

« Article R. 4127-38.- Le médecin doit accompagner le mourant jusqu’à ses derniers moments, assurer par des soins et mesures appropriés la qualité d’une vie qui prend fin, sauvegarder la dignité du malade et réconforter son entourage. Il n’a pas le droit de provoquer délibérément la mort. »

Avec la loi du 2 février 2016, la ligne directrice de la loi Leonetti est confirmée : l’arrêt des traitements actifs, parce qu’ils deviennent déraisonnables, n’est pas l’arrêt des soins, ni la mise en œuvre d’un droit à la mort, mais le passage vers des soins palliatifs.

Rappelons également la méthode impérative pour toute cette période : un processus collectif, incluant si possible des avis tiers à l’équipe, et une décision médicale, mesurée, explicitée et inscrite dans le dossier. Pour être clair : une décision prise isolément est nécessairement fautive.

• S’agissant de la fin de vie, le texte de référence est l’article L. 1110-5 du Code de la santé publique qui définit le droit de toute personne à recevoir les soins les plus appropriés, garantissant la meilleure sécurité sanitaire, l’apaisement de la souffrance et le droit d’avoir une fin de vie digne et accompagnée.

« Article L. 1110-5.- Toute personne a, compte tenu de son état de santé et de l’urgence des interventions que celui-ci requiert, le droit de recevoir, sur l’ensemble du territoire, les traitements et les soins les plus appropriés et de bénéficier des thérapeutiques dont l’efficacité est reconnue et qui garantissent la meilleure sécurité sanitaire et le meilleur apaisement possible de la souffrance au regard des connaissances médicales avérées. Les actes de prévention, d’investigation ou de traitements et de soins ne doivent pas, en l’état des connaissances médicales, lui faire courir de risques disproportionnés par rapport au bénéfice escompté.

« Toute personne a le droit d’avoir une fin de vie digne et accompagnée du meilleur apaisement possible de la souffrance. Les professionnels de santé mettent en œuvre tous les moyens à leur disposition pour que ce droit soit respecté. »

C’est donc dans ce tableau général que s’inscrivent les dispositions nouvelles de la loi.

APPORTS DE LA LOI DU 2 FÉVRIER 2016

Le droit de recevoir des soins appropriés

La loi du 2 février 2016 apporte d’abord des précisions sur la limite générale à l’action des équipes thérapeutiques, à savoir l’obstination déraisonnable. Cette notion est définie comme la pratique d’actes « inutiles, disproportionnés ou n’ayant d’autre effet que le maintien artificiel de la vie ». Ne pas engager les soins déraisonnables n’est pas une option mais un devoir, et lorsque ces soins sont suspendus ou ne sont pas entrepris, le médecin doit sauvegarder la dignité du mourant et assurer la qualité de sa vie en dispensant les soins palliatifs. La loi précise que la nutrition et l’hydratation artificielles sont qualifiées de traitement, ce qui est conforme à la jurisprudence.

« Article L. 1110-5-1.- Les actes mentionnés à l’article L. 1110-5 ne doivent pas être mis en œuvre ou poursuivis lorsqu’ils résultent d’une obstination déraisonnable. Lorsqu’ils apparaissent inutiles, disproportionnés ou lorsqu’ils n’ont d’autre effet que le seul maintien artificiel de la vie, ils peuvent être suspendus ou ne pas être entrepris, conformément à la volonté du patient et, si ce dernier est hors d’état d’exprimer sa volonté, à l’issue d’une procédure collégiale définie par voie réglementaire.

« La nutrition et l’hydratation artificielles constituent des traitements qui peuvent être arrêtés conformément au premier alinéa du présent article.

« Lorsque les actes mentionnés aux deux premiers alinéas du présent article sont suspendus ou ne sont pas entrepris, le médecin sauvegarde la dignité du mourant et assure la qualité de sa vie en dispensant les soins palliatifs mentionnés à l’article L. 1110-10. »

La sédation profonde et continue

La loi inclut une donnée nouvelle, en admettant le recours à une sédation profonde et continue provoquant une altération de la conscience maintenue jusqu’au décès. Selon la formule qui fait consensus, le texte a pour philosophie : “dormir pour ne pas souffrir avant de mourir”. Mais attention : la loi ne reconnaît pas un droit à la mort, sous forme d’une sédation à but terminal, mais elle demande d’associer à un arrêt des traitements actifs, parce qu’ils deviennent déraisonnables, à une sédation profonde et continue, afin d’éviter toute souffrance. Cette sédation vise une diminution de la vigilance pouvant aller jusqu’à la perte de conscience, et jusqu’à la mort.

« Article L. 1110-5-2.- À la demande du patient d’éviter toute souffrance et de ne pas subir d’obstination déraisonnable, une sédation profonde et continue provoquant une altération de la conscience maintenue jusqu’au décès, associée à une analgésie et à l’arrêt de l’ensemble des traitements de maintien en vie, est mise en œuvre dans les cas suivants :

« 1°- Lorsque le patient atteint d’une affection grave et incurable et dont le pronostic vital est engagé à court terme présente une souffrance réfractaire aux traitements ;

« 2°- Lorsque la décision du patient atteint d’une affection grave et incurable d’arrêter un traitement engage son pronostic vital à court terme et est susceptible d’entraîner une souffrance insupportable.

« Lorsque le patient ne peut pas exprimer sa volonté et, au titre du refus de l’obstination déraisonnable mentionnée à l’article L. 1110-5-1, dans le cas où le médecin arrête un traitement de maintien en vie, celui-ci applique une sédation profonde et continue provoquant une altération de la conscience maintenue jusqu’au décès, associée à une analgésie. « La sédation profonde et continue associée à une analgésie prévue au présent article est mise en œuvre selon la procédure collégiale définie par voie réglementaire qui permet à l’équipe soignante de vérifier préalablement que les conditions d’application prévues aux alinéas précédents sont remplies.

« À la demande du patient, la sédation profonde et continue peut être mise en œuvre à son domicile, dans un établissement de santé ou un établissement mentionné au 6° du I de l’article L. 312-1 du Code de l’action sociale et des familles.

« L’ensemble de la procédure suivie est inscrite au dossier médical du patient. »

La prise en charge de la souffrance

La loi reconnaît un droit des personnes à recevoir un traitement visant à soulager la souffrance, qui fait directement référence à la notion du double effet : le médecin doit mettre en place l’ensemble des traitements analgésiques et sédatifs pour répondre à la souffrance réfractaire du malade en phase avancée ou terminale, même s’ils peuvent avoir comme effet d’abréger la vie.

« Article L. 1110-5-3.- Toute personne a le droit de recevoir des traitements et des soins visant à soulager sa souffrance. Celle-ci doit être, en toutes circonstances, prévenue, prise en compte, évaluée et traitée.

« Le médecin met en place l’ensemble des traitements analgésiques et sédatifs pour répondre à la souffrance réfractaire du malade en phase avancée ou terminale, même s’ils peuvent avoir comme effet d’abréger la vie. Il doit en informer le malade, sans préjudice du quatrième alinéa de l’article L. 1111-2, la personne de confiance prévue à l’article L. 1111-6, la famille ou, à défaut, un des proches du malade. La procédure suivie est inscrite dans le dossier médical.

« Toute personne est informée par les professionnels de santé de la possibilité d’être prise en charge à domicile, dès lors que son état le permet. »

Le refus de soin

Le refus de soins opposé par le patient, qui relève des fondamentaux de la déontologie, est explicité par une refonte de l’article L. 1111-4. Ceci étant, il n’y a aucune évolution du droit mais seulement des précisions.

« Article L. 1111-4.- Toute personne prend, avec le professionnel de santé et compte tenu des informations et des préconisations qu’il lui fournit, les décisions concernant sa santé.

« Toute personne a le droit de refuser ou de ne pas recevoir un traitement. Le suivi du malade reste cependant assuré par le médecin, notamment son accompagnement palliatif.

« Le médecin a l’obligation de respecter la volonté de la personne après l’avoir informée des conséquences de ses choix et de leur gravité. Si, par sa volonté de refuser ou d’interrompre tout traitement, la personne met sa vie en danger, elle doit réitérer sa décision dans un délai raisonnable. Elle peut faire appel à un autre membre du corps médical. L’ensemble de la procédure est inscrite dans le dossier médical du patient. Le médecin sauvegarde la dignité du mourant et assure la qualité de sa fin de vie en dispensant les soins palliatifs mentionnés à l’article L. 1110-10.

« Aucun acte médical ni aucun traitement ne peut être pratiqué sans le consentement libre et éclairé de la personne et ce consentement peut être retiré à tout moment.

« Lorsque la personne est hors d’état d’exprimer sa volonté, aucune intervention ou investigation ne peut être réalisée, sauf urgence ou impossibilité, sans que la personne de confiance prévue à l’article L. 1111-6, ou la famille, ou à défaut, un de ses proches ait été consulté.

« Lorsque la personne est hors d’état d’exprimer sa volonté, la limitation ou l’arrêt de traitement susceptible d’entraîner son décès ne peut être réalisé sans avoir respecté la procédure collégiale mentionnée à l’article L. 1110-5-1 et les directives anticipées ou, à défaut, sans que la personne de confiance prévue à l’article L. 1111-6 ou, à défaut la famille ou les proches, aient été consultés. La décision motivée de limitation ou d’arrêt de traitement est inscrite dans le dossier médical.

« Le consentement du mineur ou du majeur sous tutelle doit être systématiquement recherché s’il est apte à exprimer sa volonté et à participer à la décision. Dans le cas où le refus d’un traitement par la personne titulaire de l’autorité parentale ou par le tuteur risque d’entraîner des conséquences graves pour la santé du mineur ou du majeur sous tutelle, le médecin délivre les soins indispensables ».

Les directives anticipées

Le rôle des directives anticipées est renforcé. Ces directives ont pour objet d’exprimer la volonté de la personne relativement à sa fin de vie. Elles sont rédigées par écrit et sont toujours modifiables. La loi indique désormais que les directives anticipées s’imposent au médecin, sauf en cas d’urgence vitale et lorsqu’elles apparaissent manifestement inappropriées. Dans ce cas, la décision de passer outre est prise à l’issue d’une procédure collégiale, et elle est inscrite au dossier médical.

« Article L. 1111-11.- Toute personne majeure peut rédiger des directives anticipées pour le cas où elle serait un jour hors d’état d’exprimer sa volonté. Ces directives anticipées expriment la volonté de la personne relative à sa fin de vie en ce qui concerne les conditions de la poursuite, de la limitation, de l’arrêt ou du refus de traitement ou d’acte médicaux.

« À tout moment et par tout moyen, elles sont révisables et révocables. Elles peuvent être rédigées conformément à un modèle dont le contenu est fixé par décret en Conseil d’État pris après avis de la Haute Autorité de santé. Ce modèle prévoit la situation de la personne selon qu’elle se sait ou non atteinte d’une affection grave au moment où elle les rédige.

« Les directives anticipées s’imposent au médecin pour toute décision d’investigation, d’intervention ou de traitement, sauf en cas d’urgence vitale pendant le temps nécessaire à une évaluation complète de la situation et lorsque les directives anticipées apparaissent manifestement inappropriées ou non conformes à la situation médicale.

« La décision de refus d’application des directives anticipées, jugées par le médecin manifestement inappropriées ou non conformes à la situation médicale du patient, est prise à l’issue d’une procédure collégiale définie par voie réglementaire et est inscrite au dossier médical. Elle est portée à la connaissance de la personne de confiance désignée par le patient ou, à défaut, de la famille ou des proches.

« Un décret en Conseil d’État, pris après avis de la Commission nationale de l’informatique et des libertés, définit les conditions d’information des patients et les conditions de validité, de confidentialité et de conservation des directives anticipées. Les directives anticipées sont notamment conservées sur un registre national faisant l’objet d’un traitement automatisé dans le respect de la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés. Lorsqu’elles sont conservées dans ce registre, un rappel de leur existence est régulièrement adressé à leur auteur.

« Le médecin traitant informe ses patients de la possibilité et des conditions de rédaction de directives anticipées.

« Lorsqu’une personne fait l’objet d’une mesure de tutelle, au sens du chapitre II du titre XI du livre Ier du Code civil, elle peut rédiger des directives anticipées avec l’autorisation du juge ou du conseil de famille s’il a été constitué. Le tuteur ne peut ni l’assister ni la représenter à cette occasion. »

La personne de confiance

La personne de confiance, une création de la loi du 4 mars 2002, connaît un net haussement de son rôle avec la nouvelle rédaction de l’article L. 1111-6. Selon le texte nouveau, le témoignage de la personne de confiance prévaut sur tout autre. Là encore, il ne s’agit pas d’un absolu, car le médecin reste tenu par les critères scientifiques de son action et le devoir de mettre en œuvre la meilleure prise en charge.

« Article L. 1111-6.- Toute personne majeure peut désigner une personne de confiance qui peut être un parent, un proche ou le médecin traitant et qui sera consultée au cas où elle-même serait hors d’état d’exprimer sa volonté et de recevoir l’information nécessaire à cette fin. Elle rend compte de la volonté de la personne. Son témoignage prévaut sur tout autre témoignage. Cette désignation est faite par écrit et cosignée par la personne désignée. Elle est révisable et révocable à tout moment.

« Si le patient le souhaite, la personne de confiance l’accompagne dans ses démarches et assiste aux entretiens médicaux afin de l’aider dans ses décisions.

« Lors de toute hospitalisation dans un établissement de santé, il est proposé au patient de désigner une personne de confiance dans les conditions prévues au présent article. Cette désignation est valable pour la durée de l’hospitalisation, à moins que le patient n’en dispose autrement.

« Dans le cadre du suivi de son patient, le médecin traitant s’assure que celui-ci est informé de la possibilité de désigner une personne de confiance et, le cas échéant, l’invite à procéder à une telle désignation.

« Lorsqu’une personne fait l’objet d’une mesure de tutelle, au sens du chapitre II du titre XI du livre Ier du Code civil, elle peut désigner une personne de confiance avec l’autorisation du juge ou du conseil de famille s’il a été constitué. Dans l’hypothèse où la personne de confiance a été désignée antérieurement à la mesure de tutelle, le conseil de famille, le cas échéant, ou le juge peut confirmer la désignation de cette personne ou la révoquer. »