David Colmont, un directeur des soins impliqué dans le management de la qualité - Objectif Soins & Management n° 245 du 01/04/2016 | Espace Infirmier
 

Objectif Soins n° 245 du 01/04/2016

 

Sur le terrain

Laure de Montalembert  

À tout juste 40 ans, David Colmont a déjà occupé plusieurs postes de direction au sein des établissements où il a exercé. Actuellement directeur des soins à l’hôpital privé Claude-Galien (Essonne), et très préoccupé de qualité, il viendra au Salon Infirmier présenter les profils de risques qu’il a mis en place avec succès dans son hôpital.

Objectif Soins & Management : Votre mère est infirmière. Est-ce elle qui vous a donné envie d’exercer ce métier ?

David Colmont : Je voulais travailler dans le domaine médical. Je baigne dans ce milieu depuis ma naissance. Après avoir échoué deux fois à ma première année de médecine – pour laquelle j’admets ne pas avoir beaucoup travaillé [rires] –, j’ai donc décidé de choisir le cursus infirmier. Ma mère exerçait en néonatalogie. Elle était totalement passionnée par son métier. J’ai toujours trouvé intéressant qu’elle accorde tant d’intérêt à son exercice qui est pourtant très prenant avec du travail de jour comme de nuit.

OS&M : Vous êtes devenu cadre très vite…

David Colmont : J’étais à l’Ifsi à Nevers (Nièvre) et à l’époque, j’étais plutôt attiré par la psychiatrie. Mais, faisant partie des derniers appelés sous les drapeaux à la fin de mes études, j’ai été affecté chez les marins-pompiers à Marseille (Bouches-du-Rhône). Cela a complètement changé mon point de vue. Le mélange de rigueur et d’adrénaline a éveillé des envies que je n’avais pas avant. C’était très varié et intéressant. Du coup, j’ai décidé de suivre la formation d’infirmier anesthésiste au sein des Hospices civils de Lyon (Rhône). Une fois cette formation terminée, j’ai pris un poste dans un établissement privé à Nevers où on m’a demandé assez vite de faire fonction de cadre. Un poste qui m’intéressait énormément, dans la mesure où il permettait de participer aux différentes instances de l’établissement et de mettre à profit mes connaissances. Souhaitant continuer à me former, j’ai obtenu un DU douleurs en 2007. Un sujet qui me passionne toujours.

OS&M : Peut-on vraiment faire changer les comportements au sein d’un établissement ?

David Colmont : C’est un travail de longue haleine, mais on parvient clairement à faire évoluer la culture des soignants et de l’établissement. La transversalité, c’est ça qui m’intéresse et qui imprègne mon quotidien. Je suis resté dans cet établissement [Nevers ndrl] jusqu’en 2011. J’y étais devenu gestionnaire des risques et j’étais très impliqué dans la gestion des événements indésirables a priori et a posteriori. Afin d’encourager les personnels à les déclarer systématiquement, nous avions mis en place une “charte de non-punition”. Et créé une fiche de déclaration facile à utiliser ainsi qu’une cartographie des risques. Parallèlement, la clinique m’a demandé de concevoir et de dispenser des formations dans le domaine de la douleur, des gestes et soins d’urgence ainsi que la pratique infirmière en salle de réveil.

OS&M : C’est de cette question du risque dont vous parlerez au Salon Infirmier ?

David Colmont : Oui. Plus exactement des profils de risques. Dans le cadre de la préparation de la visite de certification de l’établissement au sein duquel j’exerce désormais, nous avons établi une cartographie des risques, service par service. C’est un véritable travail pluridisciplinaire. Il s’agit d’établir la liste des risques prioritaires au moyen d’un système de cotation qui prend en compte la gravité, la fréquence, le niveau de maîtrise et les actions mises en place, ce qui permet de définir le risque résiduel. C’est un travail que j’avais déjà effectué à la clinique de Nevers. Les risques prioritaires sont ceux auxquels on va s’attaquer immédiatement. Ils viendront alimenter le compte qualité fourni à la Haute Autorité de santé (HAS) avant la visite de certification.

OS&M : Comment définit-on les profils de risques ?

David Colmont : J’ai déjà évoqué la cartographie des risques. Parmi les outils que nous utilisons, il y a l’évaluation des pratiques professionnelles (EPP), les audits, la sécurisation de certains processus et les audits de patients traceurs. Ce sont des audits effectués par les soignants auprès de patients sélectionnés à partir de certains critères, comme ayant subi une intervention courante ou ayant consulté pour un motif également courant. Ces audits sont réalisés par des cadres de l’établissement exerçant dans un autre service que celui qui est concerné. Ils se basent sur une grille fournie par la HAS. Cela permet d’évaluer les points forts et les points faibles de l’unité. Une fois cette étape passée, nous élaborons ensemble un plan d’action d’amélioration. Avant la visite de certification, chaque service a ainsi été audité trois fois dans l’année.

OS&M : Concrètement, obtenez-vous l’adhésion des soignants sur le terrain ?

David Colmont : J’avais la certitude que les avantages de ces mesures n’étaient pas très claires au niveau terrain. C’est pourquoi j’ai proposé des outils, dont ce fameux profil de risques pour chaque service qui est formalisé sur un document de synthèse affiché sur place. On y retrouve les risques prioritaires qui impactent le service, les EPP en cours dans le secteur, les risques prioritaires du circuit du médicament et un petit bilan des événements indésirables les plus souvent signalés dans le service. Il s’agit du résultat d’un long travail consistant à maîtriser et à croiser un grand nombre d’informations. Chaque service en prend possession en même temps. C’est un réel outil de communication pour les cadres. Nous avons mis les profils de risques en place depuis quatre mois et les retours du terrain sont très positifs. Les soignants disent mieux comprendre pourquoi on leur demande telle ou telle chose. Ce document évolue une fois par an, dans le cadre de la revue de processus.

OS&M : La revue de processus ?

David Colmont : On réunit la cellule qualité et le pilote de processus, la personne la plus adéquate selon le sujet analysé. Pour le circuit du médicament, par exemple, il s’agit du pharmacien de l’établissement. Ensemble, ils font le bilan de ce qui a été accompli, passent en revue les actions et en définissent de nouvelles. Ensuite, une synthèse de l’ensemble des constatations et projets est présentée au comité de direction.

OS&M : Pour en arriver là, quelle formation avez-vous suivi précédemment ?

David Colmont : En 2008, un master 1 en management gestion santé à l’école supérieure Montsouris (Paris) en alternance. Puis, un master 2 en management des organisations soignantes. Tout cela financé par la clinique où j’exerçais à Nevers. Je crois qu’ils voulaient me garder [rires]. Ils ont d’ailleurs réussi puisque j’y suis resté quinze ans. Ce qui a été fantastique dans ces formations, en plus de ce que j’y ai appris, c’était de rencontrer des gens venant d’horizons très différents. À la suite de cela, j’ai repris un poste de cadre puis j’ai été nommé directeur des soins en 2011. Avoir été infirmier anesthésiste m’a grandement aidé pour coordonner le bloc avec les autres services.

OS&M : Qu’avez-vous mis en place lorsque vous avez obtenu ce poste ?

David Colmont : Parmi les mesures les plus importantes : l’organisation de réunions de coordination hebdomadaires entre les cadres, le service RH et le service qualité. On y passe en revue la semaine, fait l’inventaire des événements et des actions à mener. Ces réunions ont permis aux cadres de mieux se connaître et de travailler efficacement ensemble.

OS&M : Et voilà qu’on vous nomme directeur adjoint…

David Colmont : Oui, en 2013. Mais au bout d’un an, souhaitant me rapprocher de la région parisienne pour des raisons privées, j’ai intégré l’hôpital Claude-Galien en tant que directeur des soins. On pourrait penser que c’est une régression. Mais il n’en est rien, dans la mesure où je suis passé d’un établissement de 140 lits à un établissement de 290 lits comprenant une équipe de cadres beaucoup plus étoffée. De plus, nous devions préparer la visite de certification de janvier 2016 : un très gros travail.

OS&M : Comment se passe une visite de certification ?

David Colmont : Après avoir reçu le compte qualité que nous avons élaboré, ce sont les experts visiteurs de la HAS qui décident dans quel domaine ils veulent nous auditer. En amont, cela demande un travail très régulier. Il s’agit d’un véritable échange. Lors de leur visite, ils nous ont beaucoup apporté. Ils se sont surtout intéressés aux blocs opératoires. À la suite de leur passage, nous avons mis en place une nouvelle EPP basée sur un outil fourni par la HAS.

OS&M : En parallèle, vous avez mis en place des audits quick. Qu’est-ce que c’est ?

David Colmont : Ce sont des audits rapides, comme leur nom l’indique. Ils contiennent une petite dizaine d’items que les cadres doivent auditer chaque mois, ce qui permet de visualiser l’évolution des situations et l’efficacité des actions mises en place. Les résultats de ces audits sont présentés en réunion de coordination. Quand on est directeur des soins, l’avantage c’est qu’on peut mettre son nez partout [rires]. Cela dit, je n’impose jamais un outil. Chacun est libre de proposer d’y apporter des modifications.

OS&M : Emporter l’adhésion n’est pas toujours facile…

David Colmont : En effet. Il faut faire preuve d’une certaine intelligente émotionnelle. J’ai été manager assez tôt sans formation spécifique. Amené à manager rapidement des équipes au sein desquelles j’avais exercé précédemment ne tombait pas sous le sens. Cela m’a demandé de faire preuve de finesse en termes d’autorité, souvent de passer par des voies parallèles et de prendre en compte l’émotion. On travaille avec des soignants, cela modifie le sens du management. Dans notre univers, les émotions sont très importantes. Au quotidien, les personnels rencontrent des situations difficiles qu’on ne peut pas nier. L’émotion est plus aiguisée et prégnante, même si le professionnalisme impose de rester dans l’objectivité. Au début, on tâtonne et on apprend. Je suis persuadé qu’il faut vraiment être curieux des autres pour bien exercer son métier. Au sein de mon premier établissement, c’est moi qui ai mis en place les entretiens annuels. Les personnels m’en ont remercié. Montrer qu’on est curieux des autres, c’est montrer qu’ils sont importants. Pour cela, garder un regard ouvert et évolutif est essentiel.

OS&M : Qu’avez-vous appris de plus important ?

David Colmont : On apprend à connaître ses points forts et ses faiblesses. Paradoxalement, cela renforce la position de leader. Il faut parfois savoir passer la main afin d’utiliser ses forces à bon escient. Avec le temps, on arrive mieux à savoir dire non à soi-même et aux autres, à trouver le bon moment pour dire non. Par exemple, dans des situations de demandes de mutations internes que nous ne pouvons pas toujours accepter. Il faut expliquer, prendre du temps et toujours proposer d’autres options.

OS&M : Qu’y a-t-il de plus compliqué dans votre exercice, actuellement ?

David Colmont : Le monde de la santé évolue. On est contraint par des budgets très serrés. Mon rôle est régulièrement celui d’un arbitre en tant que garant du soin, de la qualité de vie des salariés et de la sécurité des patients. C’est souvent un exercice de grand écart. On développe l’ambulatoire, ce qui diminue le nombre de personnes hospitalisées, mais celles-ci demandent souvent une prise en charge plus lourde et un temps infirmier plus important. Cela fait partie des éléments qu’il faut faire comprendre aux décisionnaires.

OS&M : Comment voyez-vous votre évolution professionnelle ?

David Colmont : J’aimerais suivre une formation pour devenir directeur d’établissement. Être issu du soin m’apporte une légitimité pour défendre certains dossiers.