Faire face à l’afflux massif de blessés - Objectif Soins & Management n° 241 du 01/12/2015 | Espace Infirmier
 

Objectif Soins n° 241 du 01/12/2015

 

Qualité Gestion des risques

Anne-Lise Favier  

Plusieurs attaques terroristes ont frappé Paris le soir du 13 novembre, provoquant le décès de 130 personnes et l’arrivée massive de blessés dans les hôpitaux parisiens. Retour sur la mise en place du plan blanc et la mobilisation hors norme de tous les soignants et administratifs des hôpitaux parisiens.

Ce vendredi 13 novembre, il est environ 21 h 30 quand une alerte relative à des explosions survenues aux abords du Stade de France à Saint-Denis (Seine-Saint-Denis) est donnée. Très rapidement après, des tirs sont signalés dans les Xe et XIe arrondissements de Paris, à la terrasse de restaurants et dans la salle de spectacle du Bataclan. Les services d’urgence du Samu, les pompiers de Paris et de nombreux secouristes dont ceux de la Croix-Rouge française figurent parmi les premiers à arriver sur les lieux. Les images sont cauchemardesques, des morts, de nombreux blessés par balle, des cris ou de la stupeur, en tout cas de la terreur. Les secours arrivent, épaulés par les forces de l’ordre qui s’assurent que les interventions peuvent se faire dans des conditions sécurisées : « Dans les événements de ce genre, il s’agit d’éviter un autre danger, celui de l’exposition des soignants à un retour des terroristes. Pour cela, les forces de l’ordre sécurisent l’accès aux victimes », témoigne Jérôme Piron, infirmier secouriste. Et évitent aussi de mettre tous les moyens de secours au même endroit.

GÉRER L’URGENCE ET FAIRE FACE À L’AFFLUX DE VICTIMES

Trier les priorités

Sur place, c’est l’urgence qui prévaut : « Dans des situations exceptionnelles, on doit faire un tri des priorités, on tente d’arrêter les hémorragies des blessés et, si la personne est inconsciente, on la place en position latérale de sécurité, l’idée étant d’identifier les urgences et de les prioriser », explique Jérôme Piron. « Pour les urgences absolues, la prise en charge rapide doit retenir l’attention de toute la chaîne santé – site, régulation, hôpitaux. Les victimes valides ou légèrement blessées, pour lesquelles une prise en charge médicale peut être différée – jusqu’à plusieurs heures – sont catégorisées en urgence relative. Il faut également soutenir et traiter les témoins et les orienter vers les cellules d’aide et de soutien psychologique », poursuit l’infirmier secouriste.

Réguler

Sur le lieu des attaques, une régulation se met rapidement en place pour gérer la crise qui se présente : « Il y avait de très nombreux blessés à l’arme de guerre qui étaient pour certains en situation d’urgence vitale », témoigne un médecin arrivé sur place avec le Samu. C’est d’ailleurs le Samu qui appelle les établissements pour répartir les victimes selon le type de blessures : orthopédie, chirurgie viscérale ou thoracique… Certaines victimes sont transportées sur les sites hospitaliers en voiture.

COORDINATION RAPIDE DES SECOURS

Plan blanc

Dans les hôpitaux, l’alerte est donnée, le plan blanc est déclenché par l’Assistance Publique – Hôpitaux de Paris (AP-HP) pour mobiliser et organiser immédiatement les moyens humains et matériels afin de prendre en charge les blessés et de mettre en place les cellules d’urgence et de suivi médico-psychologique. Tous les professionnels, qu’ils soient administratifs, médecins, soignants voire personnels techniques, sont concernés. Dans les faits, la majorité du personnel des hôpitaux s’est présentée d’elle-même pour proposer son aide et participer à l’organisation des secours. Les hôpitaux militaires de Bégin à Saint-Mandé (Val-de-Marne) et de Percy à Clamart (Hauts-de-Seine) sont également sur le qui-vive. Le professeur Pierre Carli, médecin chef du Samu de Paris, se trouve en première ligne ce soir-là. Il raconte la mise en place des secours : « Avant le déploiement du plan blanc hospitalier, un plan pré-hospitalier associant les huit Samu d’Île-de-France et la brigade des sapeurs-pompiers de Paris a été déployé puis coordonné avec le plan hospitalier qui était là pour mobiliser toutes les ressources nécessaires », a-t-il expliqué au micro de nos confrères du “Magazine de la santé”. Outre ce plan blanc, deux autres plans d’intervention d’urgence ont été mis en place, le plan de secours Novi (NOmbreuses VIctimes) et Amavi (accueil massif de nombreuses victimes non contaminées).

Exercice le matin même

Ironie du sort, le Samu de Paris avait mené un exercice de simulation le matin du vendredi 13 portant sur une hypothétique fusillade en différents points de Paris. L’objectif ? Améliorer les techniques de soins ainsi que leur coordination.

LES SOIGNANTS FACE AUX BLESSÉS

Blessures de guerre

À Percy, l’hôpital militaire accueille des victimes sur lesquelles les terroristes ont tiré à bout portant : spécialistes de chirurgie de guerre, les urgences de l’hôpital accueillent ce soir-là dix-sept patients, « porteurs de véritables blessures de guerre, témoigne l’un des médecins au journal Le Monde, la guerre mais sans les gilets pare-balles ». Et dans tous les hôpitaux, la même stupeur des soignants à l’arrivée des blessés à l’hôpital. La volonté de sauver des vies malgré l’effroi.

Les gestes deviennent “mécaniques”, comme en témoigne cette infirmière pour espaceinfirmier.fr : « Dans le sas ambulances, des brancards, des pieds à perfusion avec tout le nécessaire pour sédater les patients étaient prêts. L’idée était de les prendre en charge au cul du camion. On demandait : qui perfuse ? Qui prend les constantes ? À chaque fois, quelqu’un levait la main. L’organisation était tellement précise que j’ai travaillé mécaniquement. J’ai tout de même été immédiatement choquée par la jeunesse des patients. La première que j’ai prise en charge avait 21 ans. Il est rare de voir des urgences absolues car, d’habitude, c’est le service mobile d’urgence et de réanimation (Smur) qui les perfuse et les emmène au bloc. Là, certaines personnes semblaient avoir été jetées dans des ambulances, juste garrottées. Il y a eu deux vagues d’arrivées, jusqu’à 2 h 20. Le pire a été l’attente entre les deux. »

Gérer le choc des soignants

L’infirmière interviewée par espaceinfirmier.fr ajoute : « Samedi soir et dimanche soir, les mêmes soignants ont dû revenir travailler. Le planning n’a pas été modifié. Pour ma part, je n’ai dormi que deux heures ces deux nuits-là. Mais, de toute façon, j’avais envie d’y retourner, d’être avec l’équipe. Nous étions soudés. Aux urgences, il y a beaucoup de jeunes professionnels. Après ça, ils avaient quelque chose de vide dans le regard, une tristesse infinie. Mais les infirmières sont très pudiques, elles ont du mal à parler, à avouer qu’elles vont mal » (lire l’encadré ci-dessus).

Après coup, l’AP-HP communique sur « la solidarité entre les hôpitaux d’une part, la présence des pharmaciens responsables de la stérilisation pendant la nuit et l’ensemble des professionnels revenus dans le cadre du plan blanc ou spontanément [qui] ont permis de faire face à cette situation exceptionnelle, y compris sur le plan du matériel ». Au terme d’une nuit blanche, les hôpitaux de Paris auront accueilli et géré plus de six-cents blessés.

Quatre questions à un cadre au cœur des attentats

Bertrand* est cadre de santé en hospitalisation chirurgicale. Son hôpital a reçu des blessés graves. Il a vécu les suites des attentats du 13 novembre dernier.

→ Avez-vous senti que le service était prêt à gérer ce type de situation ?

• Le plan blanc a bien répondu à ce type d’urgences. Énormément de soignants se sont également déplacés spontanément. J’ai proposé mon aide dès vendredi soir mais il y avait déjà assez de personnes. Du coup, j’ai pris mon service le lundi tout en prenant des nouvelles régulièrement pendant le week-end.

→ Comment la gestion du flux des arrivants s’est-elle passée ?

• Plutôt bien. Cela s’est étalé sur tout le week-end. Dans ces circonstances, la grande difficulté réside dans le triage des patients arrivants. Je sais que cela n’a pas été facile pour les soignants du Samu et des urgences de décider qui devait passer en premier.

→ Qu’est-ce qui vous a le plus marqué ?

• C’est la manifestation spontanée des soignants mais aussi le fait que les patients ne veuillent plus sortir de l’hôpital. Ils ont peur du monde extérieur.

→ Pensez-vous que la souffrance psychologique des soignants est correctement prise en charge ?

• Je trouve que l’AP-HPa très bien pris cela en charge. Un numéro d’aide psychologique a très vite a été proposé à tous. Dans la durée, on ne sait pas… Mais cela fait partie de notre travail de cadre d’identifier auprès des soignants un besoin et, le cas échéant, de les encourager à appeler le numéro dédié.

Propos recueillis par Laure de Montalembert

* Son nom a été changé pour des questions de confidentialité.

Le stress du soignant : libérer la parole

Même pour du personnel aguerri, l’expérience des attentats du 13 novembre est restée comme une épreuve dans l’esprit des soignants qui ont accueilli les victimes. « Si les automatismes autour du soin ont bien fonctionné, le choc et le traumatisme vécus par l’arrivée massive de blessés de guerre est quelque chose auquel on ne s’attend pas forcément », témoigne un infirmier des urgences dans un établissement parisien. Et compte tenu de leur fonction, les soignants ne sont pas les plus bavards lorsqu’il s’agit de confier leurs propres angoisses. « Notre rôle était en premier lieu de sauver la vie de toutes ces victimes, mais une fois cette pression retombée, nous avons ressenti le besoin de parler entre nous de ce qui était arrivé, de cette sidération, de cette impression d’avoir vécu quelque chose de complètement irréel », explique-t-il. D’où l’importance aussi pour ce personnel hospitalier de bénéficier d’une prise en charge psychologique : des équipes de psychologues cliniciens et de psychiatres ont assuré des débriefings d’équipe dans les services impactés. L’AP-HP a précisé dans un communiqué que les prises en charge individuelles ont été assurées de manière complémentaire par les services de médecine du travail et par les équipes dédiées des cellules d’urgence médico-psychologique, celle de l’Hôtel-Dieu pouvant intervenir sur tous les sites.