Objectif Soins n° 225 du 01/04/2014

 

Qualité Gestion des risques

Annabelle Mathon  

Développée initialement en aviation civile, à partir de l’exploitation des boîtes noires, la méthode Crex, pour Comité de retour d’expérience, a contribué à la sécurisation du transport aérien. Cette démarche a mis en évidence l’importance du facteur humain au sein des organisations. Le Crex, au service de la sécurité des soins ?

Plus de 80 % des accidents sont liés à des erreurs humaines. On comprend immédiatement l’utilité du Crex.

Quel est le niveau de sécurité des soins en milieu hospitalier ? Une première étude épidémiologique, Eneis, portant sur les Événements indésirables graves (EIG) associés aux soins, a été commanditée par le ministère de la Santé en 2004, puis rééditée en 2009. Ces travaux révèlent qu’un EIG associé aux soins survient en moyenne tous les cinq jours dans un service de trente lits (événements per ou péri-opératoires, erreurs médicamenteuses, infections, etc.), et que, parmi ceux-ci, 47 % seraient évitables. Les causes sont rarement liées à un défaut de compétences des professionnels, mais plutôt en lien avec des facteurs systémiques: carences organisationnelles, défaut de coordination, d’organisation, de communication…

Même si le risque zéro n’existe pas, nos organisations en milieu hospitalier sont loin d’être aussi sûres que l’industrie nucléaire ou bien l’aviation civile. Il existe une réelle marge de progrès.

L’ENGAGEMENT DANS UNE CULTURE DE SÉCURITÉ

Des évolutions réglementaires dans la foulée

Si la loi n° 2002-303 du 4 mars 2002 avait pour la première fois posé le principe de « déclaration des événements indésirables graves », il a ensuite été développé par la loi de santé publique de 2004 (1), avec la définition d’une expérimentation et d’objectifs chiffrés de réduction des risques iatrogènes. Afin de décliner les objectifs de sécurisation des soins dans les établissements de santé, le législateur a pris plusieurs dispositions depuis quelques années :

• renforcer le rôle de la commission médicale d’établissement (CME), en lui confiant la responsabilité de la gestion coordonnée des risques associés aux soins ;

• structurer la coordination de la gestion des risques associés aux soins, avec la désignation d’un coordonnateur(2) ;

• sécuriser la prise en charge médicamenteuse(3), avec la nomination d’un RSMQ(4).

Enfin, le premier Programme national pour la sécurité des patients 2013-2017, lancé en février 2013, constitue le socle des politiques de sécurité des soins. Il consacre son deuxième axe à l’amélioration de la déclaration et de la prise en compte des événements indésirables (EI) associés aux soins.

La promotion du retour d’expérience et l’analyse des causes profondes y sont identifiées comme des points clés du dispositif.

Constitution d’une équipe dédiée au centre hospitalier de Blois

Améliorer la sécurité des soins et s’engager dans une démarche de gestion des risques ne peut pas être une initiative isolée. Il s’agit d’une véritable politique institutionnelle de développer une culture de sécurité des soins, portée notamment par la CME.

Fin 2012, le centre hospitalier de Blois (Loir-et-Cher) a constitué une équipe dédiée à la gestion des risques associés aux soins, baptisée “Coquaviris”, pour Coordination de la QUAlité, des VIgilances et des RIsques associés aux Soins. Elle se compose d’un temps médical de coordonateur, d’un 30 % de temps pharmacien RSMQ, d’un cadre de santé, avec la participation du service qualité.

DYNAMISER LE SIGNALEMENT INTERNE D’EI

L’établissement possédait déjà un logiciel de signalement pour les EI, mais il n’était pas utilisé par les médecins, et insuffisamment par les soignants.

Afin de faciliter le signalement d’EI associés aux soins, plusieurs actions ont été menées.

Faciliter l’accès au logiciel

Certains soignants ne se souvenaient plus de leur code d’accès. Un raccourci a été créé dans le dossier patient informatisé, de manière à ne plus avoir de code spécifique et ainsi faciliter l’accès.

Passer de la faute à l’erreur

Une charte de confiance a été rédigée, validée par le directeur et le président de la CME, communiquée et mise en ligne sur le logiciel. Dans ce document, l’établissement s’engage à ne pas entamer de procédure disciplinaire à l’encontre d’un agent qui aura spontanément et sans délai un EI.

S’engager sur le suivi

Chaque jour, les EI sont lus et réorientés vers les référents identifiés. Ils sont ensuite suivis lors de revues périodiques en Coquaviris. Enfin, tous les trimestres, un bulletin trimestriel est adressé à chaque pôle : il s’agit d’une synthèse des EI du trimestre signalés par le pôle. En fin de bulletin, la Coquaviris propose un ou plusieurs événements à reprendre au sein d’un Crex.

Former/sensibiliser les professionnels

Outre les actions de communication en réunion cadres et en CSIRMT(5), des séances de 30-45 minutes ont été proposées dans chaque service pour expliquer comment effectuer en pratique un signalement rapidement et pourquoi. L’objectif du signalement ne se limite pas à recenser les incidents observés mais aussi à repérer les événements dits “précurseurs”. En effet, tout accident ou incident a presque toujours été précédé d’événements précurseurs, dont les causes sont identiques à l’accident. Il s’agit donc d’intervenir le plus possible en amont de l’accident, dès la base de la pyramide de Bird (voir le schéma p. 39).

Ainsi, dix-sept services ont bénéficié de ces séances au premier semestre 2013. D’autre part, les procédures de signalements et de gestion des EI ont été révisées cette même année. Les premiers résultats sont encourageants, puisque le nombre de signalements a progressé de 32 % en 2013. D’un point de vue qualitatif, les signalements sont devenus plus “riches”, grâce aux signalements médicaux et aux signalements d’EIG. Il convenait donc de travailler désormais sur une meilleure exploitation des EIG, plus méthodique et collégiale.

LE CREX, UNE DÉMARCHE COLLECTIVE

Dans le champ de la santé, la méthode Crex s’est d’abord développée dans le secteur de la radiothérapie avant de s’étendre ces dernières années sur l’ensemble des secteurs d’activité. Fin 2012, une instruction(6) est venue impulser la démarche Crex, invitant tous les établissements à s’engager dans la voie du retour d’expérience.

Au centre hospitalier de Blois, notre stratégie de déploiement a comporté plusieurs étapes.

Communiquer sur la démarche

Une sensibilisation a été réalisée auprès de la CME, de la CSIRMT et des cadres de santé.

Former les professionnels à la méthode d’analyse Orion

Quelques personnes avaient déjà bénéficié d’une formation externe (médecins, pharmaciens, cadres). Avec ces ressources, nous avons choisi de former un maximum de professionnels en interne, en créant un programme de formation validé “DPC”(7) au Crex, sur une demi-journée, destinés à tous, et notamment aux médecins. Ce programme comporte une partie théorique (développement des connaissances) et une partie “pratique” d’exercices d’analyse à partir d’EI signalés en interne.

Deux sessions ont été réalisées en 2013, ce qui a permis de former trente professionnels : chirurgiens, médecins, cadres, infirmiers, diététicien, secrétaire, etc. Afin d’étendre la démarche et de répondre aux nombreuses demandes des professionnels, une nouvelle session est prévue en avril 2014.

Créer une “boîte à outils”

Plusieurs outils documentaires ont été réalisés par la Coquaviris et mis à disposition sur Intranet : une charte définissant le fonctionnement des Crex au centre hospitalier de Blois, une fiche d’identité pour chaque pôle ou secteur souhaitant créer un Crex (de manière à bien identifier les porteurs du projet et à s’assurer que la démarche soit pérenne) ainsi qu’une trame de compte-rendu.

Accompagner la mise en oeuvre

À partir des EI signalés, la Coquaviris propose l’analyse des événements graves en Crex et aide à la définition des rôles pour créer un Crex : définir la fréquence des réunions, qui est le chef (qui s’assure du respect des règles), le référent (qui présente les signalements), l’animateur (qui veille au temps et au respect de l’ordre du jour), etc.

Cette démarche commence à porter ses fruits puisque les Crex se créent sur le thème du risque infectieux (porté par l’équipe opérationnelle d’hygiène), dans le secteur de chirurgie, mais aussi en établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes…

POUR QUE CELA FONCTIONNE…

Les professionnels de terrain s’approprient aisément la méthode, à condition d’en respecter des points clés. Cette démarche nécessite un état d’esprit collectif basé sur une culture positive de l’erreur : respect de la confidentialité, bienveillance et absence de remise en causes des acteurs. La méthodologie du Crex est rigoureuse. Elle diffère des RMM(8) dans le sens où les analyses sont réalisées avant les réunions par des analystes de terrain formés ; le Crex favorise donc le choix collégial d’actions correctives et leur suivi.

Enfin, la gestion du temps doit être rigoureuse pour maintenir l’implication de chacun. Le Crex est une réunion d’une heure à une heure trente maximum, parfaitement structurée et organisée :

• sélection d’un EIG ou récurrent qui sera analysé pour la prochaine réunion et désignation des analystes ;

• présentation de l’analyse systémique de l’EIG choisi lors de la réunion précédente (chronologie des faits, identification des écarts, causes et propositions d’actions correctives) selon la méthode définie dans l’établissement (méthode Orion ou Alarm) ;

• choix collectif d’une ou deux actions correctives ;

• suivi de la réalisation des actions correctives précédemment choisies en Crex ;

• choix des actions de communication.

Il est essentiel de valoriser la participation au Crex comme une méthode d’analyse de la pratique professionnelle, au même titre que d’autres méthodes reconnues par la Haute Autorité de santé (audit clinique, RMM, etc.) qui participent à la construction de programmes de DPC. Pour cela, l’équipe de la Coquaviris s’assure de la traçabilité (compte-rendu et feuille de présence) et travaille de concert avec le service de formation continue.

Notre démarche se poursuit avec la création progressive de nouveaux Crex. Cependant, notre souhait n’est pas de multiplier les réunions. Nous privilégions la pérennité des Crex, aussi proposons-nous une fréquence trimestrielle des réunions, modeste mais réalisable. L’essentiel n’est pas de vouloir faire de grands pas, mais de petits pas efficaces, qui apportent une réelle sécurisation des soins, réaliste et visible sur le terrain.

Notes

(1) Loi n°2004-806 du 9 août 2004 relative à la politique de santé publique.

(2) Circulaire n°DGOS/PF2/2011/416 du 18 novembre 2011 en vue de l’application du décret 2010-1408 du 12 novembre 2010 relatif à la lutte contre les événements indésirables associés aux soins dans les établissements de santé.

(3) Arrêté du 6 avril 2011 relatif au management de la qualité de la prise en charge médicamenteuse et aux médicaments dans les établissements de santé.

(4) Responsable du système de management de la qualité de la prise en charge médicamenteuse.

(5) Commission des soins infirmiers, de rééducation et médico-techniques.

(6) Instruction n°DGOS/PF2/2012/352 du 28.09.12 relative à l’organisation de retours d’expérience dans le cadre de la gestion des risques associés aux soins et de la sécurisation de la prise en charge médicamenteuse en établissement de santé.

(7) Développement professionnel continu.

(8) Revue de morbi-mortalité.

En bref, le Crex

→ Qui ? Le Crex est un comité réunissant une équipe pluriprofessionnelle représentative des acteurs de la prise en charge des patients.

→ Quoi ? Il choisit les événements indésirables à analyser, écoute l’analyse systémique réalisée avant la réunion, décide collectivement des actions correctives à mener et en assure le suivi.

→ Où ? Il peut être organisé au niveau de l’unité, du pôle ou par thématique transversale.

→ Quand ? Il se réunit selon la fréquence déterminée dans l’établissement (tous les trimestres au centre hospitalier de Blois, par exemple).

→ Comment ? Son fonctionnement peut être établi par un règlement intérieur ou une charte. Il s’appuie sur des analyses systémiques menées par des professionnels formés (méthode de type Alarm ou Orion).

→ Pourquoi ? S’appuyant sur un apprentissage collectif de l’erreur, le Crex décide et suit la mise en place d’actions préventives ou correctives, évite que l’erreur ne se reproduise, et contribue ainsi à améliorer la sécurité des soins…

À LIRE

• Enquête nationale sur les événements indésirables graves liés aux soins, ENEIS, www.drees.sante.gouv.fr • “Programme national pour la sécurité des patients 2013-2017”, DGOS/DGS/HAS, www.sante.gouv.fr • “La culture de sécurité des soins, du concept à la pratique”, HAS, décembre 2010 • “Mettre en oeuvre la gestion des risques associés aux soins en établissement de santé, des concepts à la pratique”, HAS, mars 2012 • “Pour une politique globale et intégrée de sécurité des patients, Principes et préconisations”, HCSP, novembre 2011 • Fiche technique méthode HAS, “Les revues de mortalité et de morbidité”, 31 janvier 2013