La remise en cause de la T2A dans les établissements de santé - Objectif Soins & Management n° 204 du 01/03/2012 | Espace Infirmier
 

Objectif Soins n° 204 du 01/03/2012

 

Économie de la santé

Didier Jaffre  

MODE DE FINANCEMENT → La tarification à l’activité (T2A) est en vigueur maintenant pour les activités de médecine, chirurgie et obstétrique depuis 2004. Sa montée en charge a été progressive de 2004 à 2012, avec un pourcentage croissant de la part du budget des hôpitaux publics financé à l’activité : 10 % en 2004, 25 % en 2005, 35 % en 2006, 50 % en 2007, 100 % au 1er janvier 2008, avec un coefficient de transition jusqu’en 2012.

Lors de la mise en place de la tarification à l’activité en 2004, nombreux sont les professionnels de santé qui ont exprimé des craintes face à ce nouveau mode de financement basé désormais sur l’activité réelle des hôpitaux, et non plus sur la reconduction d’un budget fixé a priori sur des bases historiques. La T2A a mis fin à vingt années de budget global dans les hôpitaux publics.

Aujourd’hui encore, la tarification à l’activité s’invite dans le débat des élections présidentielles. Pour beaucoup, si elle ne doit pas être abandonnée, elle doit cependant être améliorée pour mieux prendre en compte la spécificité des missions de l’hôpital public. Ainsi la tarification à l’activité ne paraît pas adaptée pour les établissements de petite taille, et fait de l’hôpital une entreprise au détriment de la prise en charge sociale des malades. Certains prônent même le retour du budget global. Mais quels sont les points de divergence et de convergence entre ces deux modes de financement ?

BUDGET GLOBAL OU T2A ? L’APPROCHE THÉORIQUE

Le budget global a été instauré dans les établissements de santé publics et assimilés en 1983 et calculé sur la base budgétaire historique de chaque établissement, c’est-à-dire la base des coûts remboursés par le prix de journée. La reconduction d’année en année de ce budget global, certes augmenté d’un taux d’évolution des dépenses national, a conduit à une déconnection totale du budget au véritable coût des prises en charge, et à des inégalités budgétaires flagrantes entre les hôpitaux et entre les régions.

C’est pour ces raisons essentiellement d’iniquité dans l’allocation des ressources ne correspondant plus aux besoins de la population que le législateur a introduit en 2004 la tarification à l’activité dans les établissements de santé publics et privés. Ce nouveau mode de financement, appelé par ailleurs tarification à la pathologie, s’appuie sur les données d’activité des établissements de santé traduites dans le PMSI (Programme médicalisé des systèmes d’information). À chaque groupe homogène de séjours correspond un “algorithme” de prise en charge auquel est associé un coût moyen déterminé au niveau national. C’est sur la base de ces coûts calculés au niveau national (échelle nationale de coûts) que sont déterminés les tarifs pour chaque groupe homogène de séjours (cf. la médicalisation du système d’information ci-contre).

Dès lors, la mise en place de la tarification à l’activité permet de lever certains effets de sélection adverse ou de risque moral (cf. le risque mortal et sélection adverse page 17) sans toutefois en contrecarrer d’autres.

À la différence du budget global, la tarification à l’activité apporte une information sur le produit hospitalier (case mix), ce qui permet d’éliminer l’effet de sélection adverse par la médicalisation du système d’allocation budgétaire. La tarification à l’activité permet à l’ARH de déterminer ex-ante le budget de l’établissement qui correspond à l’activité réelle de l’établissement et d’ajuster son budget à la hausse ou à la baisse, selon qu’il soit sous- ou sur-doté.

En revanche, la tarification à l’activité ne permet pas de lever l’effet de sélection adverse des pathologies les moins “rentables” par rapport aux pathologies “lucratives”. De même, la tarification à l’activité ne permet pas d’objectiver la qualité du bien produit, le PMSI étant avant tout un outil médico-économique et non épidémiologique.

Si la tarification à l’activité permet de contrecarrer l’effet de surproduction, en revanche, elle n’élimine pas le risque de sous-consommation des soins et de fractionnement des venues à l’hôpital.

Ainsi le financement de l’hôpital par GHM permet à l’ARS de se réapproprier l’information sur les coûts détenus par l’hôpital et sur le produit hospitalier : l’effet de sélection adverse est donc contrecarré. Il permet aussi de faire face à l’effet de risque moral en empêchant l’hôpital de maximiser son budget discrétionnaire. Mais le financement par GHM a aussi des effets incitatifs négatifs qui sont les effets pervers de la révélation de l’information sur les coûts :

→ l’hôpital sera tenté de sélectionner les GHM les plus rentables (risque de sélection adverse) ;

→ l’établissement peut être tenté de multiplier le nombre d’entrées par GHM et de diminuer les soins prodigués (risque moral de fractionnement des venues à l’hôpital).

Dès lors, comment concilier gestion par GHM et budget global ?

Aux États-Unis, les GHM sont utilisés comme mode de financement des hôpitaux. Mais l’impact sur l’effet de risque moral est moins grand qu’avec le budget global. Les deux modes de financement doivent donc être utilisés simultanément car ils se complètent :

→ le budget global pour contrer l’effet de risque moral (pouvoir régulateur) ;

→ le financement par GHM pour contre l’effet de sélection adverse (garantie de la qualité des soins).

Pour concilier les deux modes de financement, l’idée est de répartir des enveloppes régionales (budget global par région) en fonction de l’activité des hôpitaux (financement par GHM). Le système de financement choisi en France, s’il cherche à concilier les deux modes de financement, diffère quelque peu, dans la mesure où préexistent des activités financées intégralement à l’activité et des activités rémunérées sur la base d’un forfait global (les fameuses missions d’intérêt général).

Les conditions de la réussite de la réforme de la T2A

Le changement du mode de financement dans les établissements de santé, et notamment publics, a constitué une véritable révolution culturelle dans les esprits des gestionnaires et des professionnels soignants. On est passé d’une logique budgétaire fondée sur un niveau de dépenses fixé a priori que l’on s’attache à respecter plus ou moins en demandant des moyens supplémentaires de dépenses à la tutelle, à une logique financière fondée sur un niveau de recettes à produire pour faire face à ses dépenses de production. Dès lors, la mise en place et la réussite de cette réforme reposent sur un certain nombre de conditions qui doivent être simultanément remplies.

Dès lors, comment concilier gestion par GHM et budget global 

Aux États-Unis, les GHM sont utilisés comme mode de financement des hôpitaux. Mais l’impact sur l’effet de risque moral est moins grand qu’avec le budget global. Les deux modes de financement doivent donc être utilisés simultanément car ils se complètent :

→ le budget global pour contrer l’effet de risque moral (pouvoir régulateur) ;

→ le financement par GHM pour contre l’effet de sélection adverse (garantie de la qualité des soins).

Pour concilier les deux modes de financement, l’idée est de répartir des enveloppes régionales (budget global par région) en fonction de l’activité des hôpitaux (financement par GHM). Le système de financement choisi en France, s’il cherche à concilier les deux modes de financement, diffère quelque peu, dans la mesure où préexistent des activités financées intégralement à l’activité et des activités rémunérées sur la base d’un forfait global (les fameuses missions d’intérêt général).

LES CONDITIONS DE LA RÉUSSITE DE LA RÉFORME DE LA T2A

Le changement du mode de financement dans les établissements de santé, et notamment publics, a constitué une véritable révolution culturelle dans les esprits des gestionnaires et des professionnels soignants. On est passé d’une logique budgétaire fondée sur un niveau de dépenses fixé a priori que l’on s’attache à respecter plus ou moins en demandant des moyens supplémentaires de dépenses à la tutelle, à une logique financière fondée sur un niveau de recettes à produire pour faire face à ses dépenses de production. Dès lors, la mise en place et la réussite de cette réforme reposent sur un certain nombre de conditions qui doivent être simultanément remplies.

Publics, privés, même financement

En premier lieu, il est important que les deux secteurs hospitaliers, publics et privés, soient financés de la même manière, pour ne pas créer de concurrence “déloyale” entre les deux secteurs. Dès lors, comment interpréter l’abandon de la logique de convergence des tarifs entre les deux secteurs ? Car, s’il est indéniable que les tarifs doivent être retraités des salaires des praticiens hospitaliers (les rémunérations des médecins dans le privé n’étant pas incluses dans les tarifs, ceux-ci exerçant à titre libéral), il ne semble pas logique qu’une intervention ait un coût différent selon le secteur. Et ce, d’autant que la spécificité de l’hôpital public – à savoir les missions d’enseignement et de recherche et le service public hospitalier – n’est pas incluse dans les tarifs, mais financée dans le cadre de l’enveloppe Mission d’intérêt général et aide à la contractualisation (Migac).

Ressources équitables

En second lieu, la réforme doit porter ses fruits très rapidement en matière de répartition plus équitable des ressources entre les établissements de santé, au risque de ne faire que des mécontents de la réforme. Or, dans la réalité, force est de constater que le mécanisme de montée en charge progressive de la tarification à l’activité sur huit ans, qui peut se justifier d’un point de vue social et politique, a entraîné un effet de rejet de la réforme, les établissements antérieurement sous-dotés ne voyant pas immédiatement les bénéfices de la réforme et les établissements sur dotés prenant de facto “leur temps” pour se réorganiser et conservant leurs moyens. Aujourd’hui, on peut cependant constater que la tarification à l’activité a permis de façon indéniable aux régions sous-cotées de rattraper leur retard.

Organisation des établissements

Ensuite, une condition essentielle repose sur la capacité des établissements de santé à s’organiser pour optimiser leur système d’information au profit d’une meilleure connaissance médico-économique de leur activité et d’une meilleure gestion et facturation des recettes. Les établissements doivent être en mesure de connaître précisément leurs coûts de fonctionnement par pathologie et de facturer le plus rapidement possible leurs activités pour ne pas perdre leurs recettes. Or, là encore, force est de constater que, malgré les progrès accomplis ces dernières, bon nombre d’établissements publics ne sont pas encore en mesure de faire face à cette nouvelle logique de recettes, contrairement aux établissements de santé privés. Le budget global a “tué” en quelque sorte la logique de la facturation de sa production pour garantir ses moyens de subsistance. Et, malgré l’augmentation des moyens liés à la nouvelle tarification, certains établissements restent en déficit, car ils n’ont pas été en capacité d’adapter leurs dépenses à leurs recettes.

Afin de ne pas décréditer la réforme, il revient aux pouvoirs publics de veiller à ce que les tarifs par GHS correspondent réellement aux coûts de production moyens de ces GHS, fondement même de la tarification à la pathologie. En aucun cas les tarifs ne sauraient être réajustés en fonction de l’évolution des dépenses de santé au niveau national, ce qui reviendrait à déconnecter les tarifs des coûts de production, et donc remettrait en cause le mode de financement. Ce ne sont pas les tarifs qui doivent évoluer à la baisse pour contenir les dépenses hospitalières, mais la répartition des ressources entre les établissements en appliquant réellement les effets de la réforme, à savoir retirer les ressources des établissements sur dotés pour les réaffecter aux établissements sous-dotés.

ARS, régulateur de l’offre de soins

Enfin, le rôle de l’ARS doit évoluer d’un rôle de tutelle à un rôle de régulateur de l’offre de soins, en veillant à ce que l’ensemble des pathologies soient prises en charge dans des conditions de qualité et de sécurité des soins optimales, tout en contrôlant la bonne utilisation des ressources issues de l’activité produite des établissements.

BILAN ET PERSPECTIVES DE LA T2A

Huit ans plus tard, nous sommes en capacité de tirer un premier constat sur la mise en œuvre de la tarification dans le secteur public hospitalier.

En premier lieu, les recettes liées à l’activité pour le secteur MCO représentent désormais 90 % des recettes, les Migac ne représentant que 10 % des recettes du MCO. Or les débats sont toujours aussi virulents sur le montant de ces fameuses Migac. En revanche, la T2A n’est toujours pas mise en œuvre dans les secteurs de la psychiatrie et des soins de suite et réadaptation, et ce, malgré de nombreuses réflexions sur le sujet.

En second lieu, la T2A a un effet très restructurant sur le parc hospitalier. Ainsi les établissements de petite taille, à faible activité, sont dans l’obligation d’ajuster leurs dépenses de manière drastique, au risque de mettre en péril l’établissement. De la même manière, l’ensemble des établissements ont dû revoir leur mode de fonctionnement et doivent constamment ajuster leurs dépenses à leur niveau de recettes. À noter un grand nombre de plans de retour à l’équilibre qui ont dû être négociés par les ARS avec les établissements en difficulté.

Or l’ajustement des dépenses n’est pas aussi réactif qu’il devrait l’être, compte tenu notamment des statuts des personnels hospitaliers. Et si un établissement n’anticipe pas ces ajustements, il est dans l’incapacité de le faire.

Par ailleurs, l’activité est très praticien dépendant. Le départ d’un ou deux médecins peut se révéler catastrophique en termes d’activités, et donc de recettes. Or il n’existe pas “d’amortisseur”.

Enfin, les règles du jeu, les tarifs et les modalités de codage sont en constante évolution, ce qui rend difficile l’adaptation des établissements et conduit de manière constante à des stratégies de contournement.

Si la logique de la tarification des hôpitaux en fonction de leur activité ne doit pas être remise en cause de notre point de vue, en revanche, celle-ci doit être adaptée afin de prendre en compte des aléas possibles (c’est normalement ce à quoi doit servir l’enveloppe aide à la contractualisation). Par ailleurs, il est important que les tarifs correspondent aux coûts réels de l’activité et soient stabilisés dans le temps.

Médicalisation du système d’information et gestion par groupes homogènes de malades (PMSI et GHM)

L’objectif du PMSI introduit en France en 1982 était de fournir un outil de classification des séjours hospitaliers, basé sur le modèle américain des Diagnosis Related Groups (DRG), baptisés GHM en France.

Le but est d’expliquer la variabilité des coûts infra et interhospitaliers afin d’évaluer les performances relatives des différents établissements. On teste simultanément plusieurs variables ayant des influences sur les coûts hospitaliers pour aboutir à un nombre gérable de GHM.

À un GHM correspond un modèle statistique de prise en charge des malades qui se présente comme sur le graphique ci-dessous.

On fait l’hypothèse que la durée de séjour est fortement corrélée au coût du séjour. Les GHM sont homogènes par rapport aux ressources qu’ils utilisent. On calcule un coût moyen par GHM et les groupes sont homogènes eu égard à la dispersion des coûts autour de la moyenne.

Plus les GHM sont nombreux, plus l’homogénéité est bonne, mais plus le système est compliqué. Un malentendu entre les médecins et les gestionnaires peut exister.

Il repose sur le concept d’homogénéité des groupes. Pour les médecins, les malades d’un même GHM doivent être homogènes cliniquement, c’est-à-dire avoir les mêmes pathologies. Pour les gestionnaires, les malades d’un même GHM doivent être homogènes économiquement, c’est-à-dire représenter le même coût. Or les GHM par coûts sont différents des GHM par pathologies.

Risque moral et sélection adverse (théorie de l’agence)

La théorie de l’agence analyse les relations entre deux entités en ciblant les asymétries d’information entre les deux et les conséquences qu’elles engendrent sur la relation entre les deux individus, appelée relation d’agence, et les comportements stratégiques de chacun qualifiés soit de sélection adverse, soit de risque moral. La sélection adverse intervient lorsque l’asymétrie d’information porte sur les caractéristiques du bien échangé entre les deux individus.

Le risque moral apparaît l’asymétrie d’information porte sur l’action ou l’effort produit par les individus eux-mêmes dans la relation d’agence.

Appliquée à la relation d’agence entre l’hôpital et la tutelle (l’ARH), la théorie de l’agence fait apparaître trois effets de sélection adverse et trois effets de risque moral, plus ou moins présents selon le mode de financement de l’hôpital, qu’il relève du budget global ou de la tarification à la pathologie :

→ les effets de sélection adverse : un dû à la non-définition du produit hospitalier (la tutelle méconnaît les caractéristiques du bien produit par l’hôpital qu’elle finance cependant), un risque de préférence des pathologies rentables aux pathologies coûteuses par l’établissement de santé au détriment des besoins de la population, un risque de qualité insuffisante du bien produit ;

→ les effets de risque moral : un de surproduction (l’hôpital, s’il est financé sans compter, a intérêt à maximiser son activité pour obtenir un budget le plus conséquent possible), un de sous-consommation si l’hôpital est financé forfaitairement (il a intérêt à minimiser ses dépenses), un de fractionnement des venues à l’hôpital pour multiplier les séjours et donc son budget.