La souffrance au travail, un travail en souffrance - Objectif Soins & Management n° 203 du 01/02/2012 | Espace Infirmier
 

Objectif Soins n° 203 du 01/02/2012

 

Actualités

Thierry Pennable  

RÉFLEXION → “Il n’y a pas de bien-être sans bien faire” était le thème des 16es journées nationales d’études des cadres de santé organisées les 12 et 13 janvier 2012 à Montpellier. Pour les spécialistes, c’est le travail qu’il faut soigner.

Comment l’évolution de l’organisation du travail a-t-il entraîné sentiment d’abandon, isolement, précarité et peur de ne pas y arriver chez les salariés ? C’est à cette question que voulaient répondre les journées organisées par l’Institut de formation des cadres de santé (IFCS) de Montpellier. Une fois de plus, les sciences humaines venaient au secours des individus en difficulté. Danièle Linhart, sociologue au CNRS, membre du Centre de recherches sociologiques et politiques de Paris, a pris un temps pour répondre au directeur du CHRU de Montpellier qui l’avait précédé à la tribune, et dont les propos « unilatéraux et idéologiques » lorgnaient vers la Chine et l’Inde où la question des risques psychosociaux ne se poserait pas. « Le fait que des entreprises chinoises obligent les salariés à signer un document dans lequel ils affirment qu’ils ne se suicideront pas à cause de leur travail est une manière singulière de prendre en compte les risques psychosociaux et de prouver leur existence », a répondu la sociologue. Pour Danièle Linhart, les risques psychosociaux ne se réduisent pas à une plainte ou à un alibi pour remplir des missions. Au point que des tribunaux reconnaissent la faute inexcusable de l’employeur lorsque le salarié est acculé par des pressions d’une telle violence qu’elles portent atteinte à son intégrité psychique. « Les événements de 1968 ont provoqué un tournant dans la perception du travail. » Jusqu’à cette date, les collectifs de salariés prenaient en charge la souffrance au travail qui est devenue par la suite un phénomène individuel et isolé. Par leur savoir-faire, les collectifs créaient des conditions nécessaires (entraides, etc.) pour améliorer le travail réellement effectué. En limitant les difficultés, ces nouvelles conditions procuraient plus d’intérêt et de plaisir d’un “travail bien fait” pour le salarié.

Les salariés en donnent toujours plus

Ce point était développé par le docteur Nicolas Sandret, médecin inspecteur du travail en Île-de-France, pour qui un élément de la souffrance ressentie tient à l’écart entre travail prescrit et travail réel. Le travail prescrit est celui conçu par le bureau des méthodes, les cadres supérieurs, ou tel qu’il est pensé dans les livres. Le travail réel n’est jamais identique au travail prescrit. Deux agents ou deux patients (pour les métiers de la santé) ne sont jamais les mêmes. Aussi il y a toujours un écart entre travail prescrit et réel, comblé par l’activité supplémentaire du salarié sans laquelle le travail ne peut se faire. « Lors d’une grève du zèle, quand les salariés ne font que ce qu’on leur demande, très vite cela ne fonctionne plus », précise le médecin, qui dénonce également un système de méfiance vis-à-vis des salariés. « Au lieu de contrôler avec l’idée que les salariés en font moins que ce qu’on leur demande, il faut retourner au travail réel pour reconnaître ce qu’ils font en plus pour que le travail se fasse, et qu’il se fasse bien », ajoute-t-il. Effectivement, il y aura toujours une grande différence entre dix toilettes prescrites et prendre en charge correctement dix patients…

Entretien avec un salarié en souffrance psychologique

Le docteur Nicolas Sandret, médecin inspecteur du travail et secrétaire général adjoint du syndicat des médecins-inspecteurs du travail, fournit une trame pour un tel entretien.

→ L’historique du service permet de savoir s’il y a eu une réorganisation du service et du travail qui n’a pas été discuté avec les salariés.

→ Le parcours du salarié permet de distinguer l’agent qui change de poste tous les trois mois de celui qui a eu une carrière évolutive et qui s’effondre tout d’un coup, « à qui on dit qu’il est nul ». Dans ce dernier cas, c’est l’organisation du travail qui est en cause.

→ « Comment était le travail quand tout allait bien ? », « Dans quel service ? », « Quelle était votre tâche ? », sont des questions qui, souvent, éclairent le regard éteint du salarié en dépression grave. Ici, la polyvalence réclamée aux infirmières doit être remise en cause.

→ La description de la dégradation du travail par le salarié est nécessaire pour repérer une modification organisationnelle inadéquate, de nouvelles techniques, ou l’arrivée d’un nouveau directeur ou supérieur hiérarchique.