Un chemin commun au service des soins infirmiers - Objectif Soins & Management n° 197 du 01/06/2011 | Espace Infirmier
 

Objectif Soins n° 197 du 01/06/2011

 

PATRICIA LACASSAGNE et ANNIE PENCREAC’H

Parcours

Patricia Lacassagne*   Annie Pencreac’h**  

Annie Pencreac’h et Patricia Lacassagne ont fait connaissance alors qu’elles n’étaient qu’élèves infirmières, et ne se sont jamais perdues de vue. Elles nous offrent ainsi un regard unique sur l’évolution du métier infirmier ces quarante dernières années. Récit.

Annie et Patricia se rencontrent alors qu’elles n’ont que 18ans, jeunes élèves infirmières vêtues de l’uniforme bleu marine orné du sigle de la Croix-rouge française, tablier et coiffe brodée par leurs soins. À l’époque, avant de commencer son stage, chaque élève se doit de passer par un mois de probation. Les matinées sont consacrées aux travaux pratiques : reconnaître et manipuler les pinces, les seringues en verre, les aiguilles dans des “canulettes”, flamber les plateaux à l’alcool à brûler, plier les compresses dans des tambours avec des tubes témoins de toutes les couleurs, etc.

Une image oubliée de l’infirmière

Cette période d’intense pratique passée, les deux jeunes filles sont envoyées pour la première fois en stage à l’hôpital Bretonneau, tenu par des religieuses. Le milieu hospitalier, à la fin des années 1960, ce sont des services qui font salle commune (huit à douze lits) et quelques paravents permettant un semblant d’isolement. Le travail s’effectue un peu à la chaîne. Chaque semaine, la stagiaire doit changer de poste : des injections intra-musculaires par douzaines (placées sur un plateau collectif et identifiées par de simples sparadraps mentionnant le numéro de la chambre et du lit), elles passent aux soins de bouche avec des abaisse-langues en bois puis aux lavages de vessie avec la seringue de Bonneau qui permettait de prélever le sérum physiologique dans des cupules plus ou moins stérilisées…

La dure réalité des soins quotidiens en institution choque ces deux jeunes élèves : paroles déplacées, corps dénudés, travail sans gants, odeurs, plaies purulentes, promiscuité, tant de souffrances et si peu de moyens pour les adoucir…

Et pourtant, tous les matins, elles repartent à l’assaut. Les matinées s’achèvent par la “grande lessive” : toutes les stagiaires brassent consciencieusement à mains nues les seringues (corps et pistons), les pinces désunies pour faire la stérilisation… Elles sont souvent réduites aux tâches les plus ingrates et passent après les aides-soignantes, qui posent des sondes et font des injections, voire même après les “filles de salles”, en poste depuis très longtemps, qui supportent mal que les petites stagiaires veuillent réaliser les soins qui leur sont normalement attribués.

À peine diplômées, déjà spécialisées

Annie et Patricia sont diplômées d’État en septembre 1971. Deux jours plus tard, elles se retrouvent à l’hôpital : Patricia en cardiologie et Annie en hémodialyse.

Le service de cardiologie d’alors, ce sont trente malades, une, voire deux infirmières par équipe, des médicaments à donner toutes les deux à quatre heures, pas de seringue électrique, des injections d’héparine toutes les deux heures, des réanimations qui durent trois à quatre heures… C’est le début des coronarographies par voie carotidienne et des échecs. Mais, surtout, l’existence d’une réelle collaboration avec les aides-soignantes pour la surveillance des malades. La formation continue est assurée par le chef de service après la journée de travail.

Quant à l’hémodialyse, en 1971, elle paraît inconcevable aujourd’hui : les reins artificiels, les dialysats à confectionner, les fistules à piquer, des patients dialysés pendant huit à neuf heures et qui devaient perdre de cinq à neuf kilos, les malaises, les crampes… Un stress énorme pour une débutante, mais une obligation de faire très rapidement face à de lourdes responsabilités, qui forment mieux que tout discours. À tout juste 23 ans, nos deux infirmières sont recrutées comme “monitrices” par l’école d’infirmières qu’elles ont quittée trois ans avant… Depuis, le programme a changé, portant la formation à une période de 28mois au lieu de 24 (arrêté du JO du 7 septembre 1972).

Annie et Patricia se voient confier une promotion de soixante élèves par groupes de quinze, pour leur dispenser des cours de déontologie et d’anatomie. Les élèves sont tellement motivées et attentives que le taux d’échec au DE est nul.

Rattrapées par l’obligation de suivre l’école des cadres pour être formatrices, les deux jeunes femmes voient leurs chemins s’écarter légèrement : Annie part à Paris de 1979 à 1980 à la Croix-rouge France et Patricia intègre la toute récente école de Tours de 1980 à 1981.

Une formation qui leur apporte une grande richesse intellectuelle et professionnelle, un nouveau départ, une réflexion pédagogique. À l’issue de leur cursus, un nouveau programme, de 33 mois, est agrémenté de stages plus longs.

Les années 1990, nouvelle ère

En 1992, le programme de formation infirmier est porté à 36 mois et la psychiatrie doit être intégrée aux enseignements. Malheureusement, personne n’est formé à cette discipline, les formateurs pataugent et les étudiants filent tous en stage en psychiatrie… Les choses se corsent quand il s’agit de les évaluer ! Qu’à cela ne tienne, Annie et Patricia en appellent à leurs collègues infirmiers en psychiatrie et suivent les formations nécessaires.

2011, fin de carrière

De ces trente-six ans dévoués à l’institution, Annie et Patricia retiennent la diversité et la richesse des expériences, qui n’ont jamais laissé place à l’ennui : de “monitrices”, elles sont devenues infirmières enseignantes, de cadres formateurs, cadres pédagogiques permanents. Un bel éventail d’évolutions offertes, qu’elles ont surtout su saisir au bon moment.

Aujourd’hui, elles officient dans une école d’infirmières et dans un Ifsi. Elles se sont aidées des théories de soins de Virginie Henderson, de Dorothée Orem ou d’Abraham Maslow dans leur exercice en pédagogie, avant d’enseigner les diagnostics infirmiers de la Nanda dans les années 1980. Aujourd’hui, elles prônent la posture réflexive et sont heureuses de connaître, avant de quitter l’enseignement, le LMD, les ECTS (système européen de transfert de crédits), les CAC (Commissions d’attribution des crédits), les compétences, etc.

Pendant toute leur carrière, Annie et Patricia ont dû s’adapter, ne jamais résister au changement. La cohésion et l’entraide ont également été essentielles dans leur cheminement. Elles ont malgré tout dû accepter de lâcher sur quelques valeurs auxquelles elles étaient attachées.

Elles ont connu de très bons moments avec leurs étudiants, notamment lors des modules optionnels “médecines complémentaires”. Encourager certains étudiants en difficulté et les retrouver, quelques années plus tard, cadres de santé épanouis dans leur fonction est la meilleure des récompenses.

Mais pour ces deux cadres confirmés, le problème de l’IDE de 2011 est qu’elle passe beaucoup de temps à écrire ce qu’elle fait, mais lui reste-t-il du temps pour faire ce qu’elle a écrit ?

Espoir et richesse, les mots de la fin

Patricia et Annie attendent des générations futures qu’elles prennent leur place de soignant à l’écoute de celui qui souffre dans son corps et dans son âme. Elles savent qu’ils sauront aborder une population vieillissante. Elles n’hésitent pas à jouer l’humour lors d’entretiens de sélection d’aspirantes puéricultrices en leur recommandant de devenir “gérontocultrices”, portant ainsi un autre regard sur l’individu vieillissant, pour une satisfaction aussi grande qu’auprès des tout-petits.

Richesse des rencontres avec les populations jeunes, richesse intellectuelle, toujours en phase avec les innovations de la profession. Richesse des visites sur tous les terrains de stage, dans tous les lieux où travaillent l’infirmière et l’équipe pluridisciplinaire. Richesse de ce qui fut leur quotidien pendant quarante ans, Annie et Patricia conservent un regard de bienveillance vis-à-vis des jeunes IDE, tout récemment formés en partenariat avec l’université.

Leur devise : « Entraînons-nous à un savoir– devenir dans un monde en mutation ! »