Magnet hospital ou le concept “d’hôpital attractif” - Objectif Soins & Management n° 197 du 01/06/2011 | Espace Infirmier
 

Objectif Soins n° 197 du 01/06/2011

 

Cahier du management

David Colmont  

À l’heure de la loi HPST associant patients et hôpital dans la réflexion sur la santé, le concept de magnet hospital va plus loin et propose un modèle attractif tant pour les patients que pour les soignants qui y travaillent. De l’art de la motivation des personnels de santé.

En France, comme ailleurs, les questions d’attractivité et de fidélisation des professionnels de santé sont au centre des problématiques de gestion des ressources humaines. La pénurie d’infirmiers(1), repérable au niveau mondial, est en partie attribuable à des milieux de travail inadéquats et de qualité insatisfaisante(2). Ce constat a amené certains chercheurs à conduire des travaux portant sur les caractéristiques organisationnelles qui seraient favorables à la satisfaction au travail et à la qualité des soins. Les travaux les plus significatifs ont permis de mettre en évidence des hôpitaux qualifiés d’attractifs, désignés sous le terme de magnet hospitals(3), et d’identifier les facteurs qui les caractérisent.

Le concept d’“hôpital attractif”, d’origine américaine, associe qualité des soins et satisfaction du personnel en affirmant que l’un ne va pas sans l’autre.

En effet, un magnet hospital est un établissement associant un niveau élevé de satisfaction professionnelle à un niveau élevé de qualité des soins, ce qui se traduit par un faible taux de turnover (renouvellement) des soignants et une gestion efficace des conflits.

« La gestion d’un magnet hospital est caractérisée par un style participatif et de soutien, dans une structure organisationnelle décentralisée et débureaucratisée. Cette gouvernance partagée (shared gouvernance) implique que les décisions relatives aux soins soient prises par le personnel de terrain et non par l’administration des soins infirmiers, ce qui permet de réduire la structure administrative de deuxième ligne (cadres intermédiaires) à son minimum. La prise de décision se retrouve dans les mains de l’équipe soignante, tout en restant dans le cadre défini par la hiérarchie »(4).

Aux États-Unis, l’attribution de la qualification de magnet hospital fait l’objet d’une certification par le centre d’accréditation des infirmières américaines (American Nurses’ Credentialing Center, ANCC).

L’ANCC a dégagé quatorze caractéristiques qui différencient les organisations les plus à même de retenir les infirmiers. Ces caractéristiques constituent les “forces d’attractivité” (Forces of Magnetism), socle sur lequel est construit le processus d’évaluation et de certification des magnet hospitals(5). Voici une présentation de ces forces.

FORCES D’ATTRACTIVITÉ D’UN MAGNET HOSPITAL

Leadership infirmier de qualité

Hautement formés, les managers infirmiers s’appuient sur une stratégie et une philosophie parfaitement articulées au quotidien des services de soins.

Ces leaders infirmiers constituent un soutien et une référence forte pour les équipes soignantes et les patients.

Structure organisationnelle

L’organisation, dynamique et réactive au changement, favorise une prise de décision décentralisée. Ces organisations se reconnaissent par une forte représentativité des infirmiers au Conseil d’administration et une forte implication de ces personnels au niveau exécutif. Le directeur des soins infirmiers relève directement du directeur de l’établissement, fonctionnement favorisant la prise de décision partagée.

Style de management

L’établissement de santé et l’encadrement infirmier créent un environnement favorisant la participation de tous. Les retours (feedback) sont encouragés à tous les niveaux et sont pris en compte. Les infirmiers en position de leadership sont clairement identifiés et rencontrent régulièrement les équipes soignantes.

Politique des ressources humaines

Salaires et avantages sont compétitifs. La gestion des effectifs, qui doit être à la fois souple et créative, favorise un environnement de soins et une prise en charge sécuritaire. La politique de gestion des ressources humaines est directement définie avec les personnels de terrain. Des opportunités d’évolution de carrière existent, conduisant soit vers des fonctions soignantes, soit vers des fonctions administratives. La politique des ressources humaines favorise une pratique professionnelle confortant une qualité de prise en charge infirmière optimale et un équilibre de la balance vie privée/vie professionnelle.

Modèles professionnels de soins

Il existe des modèles de soins où l’organisation et la coordination des soins sont sous l’autorité et la responsabilité directes de l’infirmier. Ces modèles de soins (prévention et case management centrés sur une prise en charge globale des patients) permettent une continuité et une permanence des soins. Le patient est au cœur des considérations et les infirmiers utilisent toutes les ressources adéquates pour répondre aux seuls besoins de chaque patient, qui est unique.

Qualité des soins

La qualité est la force motrice pour les soins infirmiers et l’établissement. Les infirmiers en position de managers sont chargés de fournir un environnement qui influence positivement les soins aux patients et leur satisfaction. Les infirmiers partagent tous le sentiment de donner aux patients des soins de haute qualité.

Amélioration de la qualité

L’organisation possède les structures et processus permettant une mesure de la qualité et l’élaboration de programmes d’amélioration continue de la qualité des soins et services.

Consultation et ressources

L’établissement de santé s’assure du soutien et du recours à des experts, notamment des « infirmiers de pratiques avancées ». En outre, l’établissement encourage les infirmiers à participer et à s’investir dans des organisations professionnelles.

Autonomie

L’autonomie est ici la capacité d’un infirmier à évaluer et conduire de son propre chef des soins appropriés aux patients, basés sur des compétences, une expertise professionnelle et des connaissances. L’infirmier est un praticien autonome se conformant à des normes professionnelles et exerçant son activité à la lumière d’un jugement indépendant dans un contexte malgré tout multidisciplinaire et pluridisciplinaire.

Établissement de santé et communauté(6)

L’établissement de santé a tissé des liens et partenariats forts au sein et en dehors du territoire de santé, permettant l’amélioration de la prise en charge des patients de la communauté.

Des infirmiers comme enseignants

Les infirmiers sont impliqués dans des activités éducatives et de formation au sein de l’établissement et de la communauté. L’établissement accueille des étudiants venant de divers programmes universitaires. Un programme de tutorat à destination des nouveaux arrivants a été développé (incluant étudiants, nouveaux diplômés, infirmiers expérimentés…). Chaque professionnel, quelle que soit sa position dans la structure, exerce un rôle de tutorat pour tous les étudiants. Il existe un programme transversal d’éducation de tous les patients, répondant à leurs besoins.

Image des soins infirmiers

Les soins infirmiers sont considérés comme essentiels par les autres professionnels de santé. Les infirmiers sont vus comme un maillon incontournable dans la coordination et l’organisation de la prise en charge des patients. Les infirmiers influent efficacement et significativement sur ces processus.

Relations interdisciplinaires

Les relations de travail, la collaboration entre disciplines sont évaluées. Il existe un respect mutuel basé sur le postulat affirmant que chaque membre de l’équipe soignante offre une contribution essentielle et significative dans l’accomplissement des résultats cliniques. Une politique de gestion des conflits est en place et mise à profit si nécessaire.

Perfectionnement professionnel

L’établissement de santé a mis en place une organisation visant l’évaluation, la gestion et le développement des compétences personnelles et professionnelles des agents : l’accent est mis sur le déroulement de carrière. Des programmes visant à promouvoir la formation continue, la certification professionnelle et l’évolution de carrière, existent. Ils ont pour but le développement de compétences cliniques et managériales en adéquation avec les ressources humaines et financières de l’établissement.

LES PISTES DE TRAVAIL POUR UNE NOUVELLE ORIENTATION INFIRMIERE

En juin 2006, lors d’un Congrès mondial des directeurs de soins infirmiers à Chicago, Sandy Summers, directrice du Center for Nursing Advocacy’s, expose en s’appuyant sur des travaux d’experts diverses propositions que l’ANCC pourrait inclure dans son programme. Certaines de ces propositions peuvent se résumer selon trois axes.

Amélioration de la politique de soins infirmiers

→ Mettre à disposition des infirmiers nouvellement diplômés une résidence, un logement.

→ Mettre à disposition de chaque unité de chaque établissement, un infirmier clinicien, 24 heures sur 24, 365 jours par an.

→ Rembourser les frais de scolarité aux infirmiers s’engageant à rester un certain temps dans l’établissement.

→ Faire bénéficier à chaque agent de 15heures de formation continue par an.

Renforcement du management infirmier

→ Chaque manager infirmier doit être un infirmier clinicien spécialisé dans un domaine pertinent pour son unité.

→ Chaque cadre infirmier doit avoir un assistant administratif à temps plein, dans le but de délester le cadre des tâches administratives afin qu’il se concentre d’avantage sur les soins infirmiers.

→ Chaque manager infirmier devrait participer à l’activité de soins dans son unité, au moins 16heures par semaine.

→ Permettre aux managers infirmiers d’accéder à un niveau de formation élevé en gestion.

→ Développer les masters en sciences infirmières.

→ Augmenter le ratio infirmier/patient au-delà des minimums légaux.

→ Afficher dans chaque unité le ratio infirmier/patient afin qu’il soit visible par les visiteurs.

→ Au moins 51 % du conseil d’administration devrait être composé d’infirmiers et le directeur de l’hôpital devrait être un infirmier.

Collaboration entre professionnels

→ Les professionnels devraient avoir des entraînements réguliers de travail en équipe.

→ Inclure dans les revues de morbi-mortalité (RMM) des infirmiers.

→ Médecins et étudiants en médecine devraient suivre un infirmier dans son travail 12 heures par an afin de saisir la valeur des soins infirmiers.

En 2008, afin de clarifier son propos et éliminer les redondances, l’ANCC propose un nouveau programme de certification basé sur une nouvelle configuration des 14 forces, regroupées en cinq volets dont on peut proposer la traduction suivante :

→ transformational leadership : anticiper le chemin du changement ;

→ structural empowerment : un établissement solidement structuré et une ligne directrice claire ;

→ exemplary professional practice : des pratiques professionnelles exemplaires ;

→ new knowledge, innovation & improvements : nouvelles connaissances, innovation, perfectionnement ;

→ empirical quality results : mesure continue et chiffrée de la qualité.

Le schéma en page précédente et le tableau(7) de la page ci-contre permettent de mieux saisir ce réagencement des forces de l’attractivité.

HÔPITAL ATTRACTIF EN FRANCE ?

On a pu l’esquisser plus haut, la pénurie d’infirmiers en France pourrait même compromettre les objectifs des politiques de santé. En effet, les tensions engendrées par les motifs d’insatisfaction au travail se traduisent par un nomadisme professionnel, un turnover important des personnels, empêchant la stabilisation des équipes et des compétences(8).

Mais, en France, au-delà de ce souci de fidélisation du personnel, se greffe la perspective de départs massifs en retraite dans la fonction publique hospitalière. Ces départs représenteront, sur la période 2003-2015, 41 % des effectifs de 2002(9). Si l’augmentation des quotas dans les Instituts de formation en soins infirmiers (Ifsi) peut atténuer par endroits ces problèmes d’effectifs, des pénuries persisteront dans certaines régions, dans certaines spécialités, selon le secteur d’activité, le lieu d’activité(10). Mais si les tensions dans les métiers paramédicaux ne se retrouvent pas partout en France, il est évident que nous allons, de façon globale, tout de même assister à une fuite de compétences (les infirmiers partant en retraite étant les plus âgés, donc les plus expérimentés) et à une perte d’attractivité de certains établissements, régions, spécialités, payant le lourd tribu de la pénurie(11).

L’Arhif(12), en étudiant les éléments de la littérature internationale, les données du contexte national, ainsi que les expériences des professionnels, réussit à dégager une grille d’auto-évaluation pour les établissements désireux de mettre en place une politique d’attractivité et de fidélisation des professionnels, dont nous présentons en annexe une version résumée et adaptée.

Cette grille reprend nombre des points caractérisant les magnet hospitals. Elle permet aux établissements d’évaluer et de mettre en place des actions et moyens visant à les rendre attractifs.

On le comprend, les établissements désireux de proposer un niveau élevé de qualité des soins et souhaitant réduire le turnover des soignants doivent encore développer certains domaines, même si beaucoup d’avancées ont été réalisées dans bien d’autres domaines.

Les efforts doivent porter particulièrement sur :

→ les pratiques avancées ;

→ les marges d’autonomie et d’initiative dans la pratique des soins ;

→ les compensations financières ;

→ l’instauration de groupes d’analyses de pratiques ;

→ le recours à des effectifs suffisants ;

→ les consultations infirmières ;

→ les partenariats avec les Ifsi et les universités, notamment en lien avec le nouveau programme de formation.

Bien sûr, les établissements ne sont pas tous au même niveau d’avancement dans la mise en place des actions visant à accroître leur attractivité. Mais les procédures de certification menées par la HAS encouragent les établissements à faire des efforts dans le sens de la fidélisation des personnels. On peut prendre pour référence, dans ce cadre, le Guide pour l’autodiagnostic des pratiques de management en établissement de santé, rédigé en janvier 2005 par la HAS et visant l’évaluation et l’amélioration de la qualité du management des établissements de santé publics et privés. Cependant, ne manque-t-il pas une petite impulsion complémentaire issue de la profession elle-même ? À l’image de ce qui se passe aux États-Unis, on pourrait imaginer qu’une organisation professionnelle prenne en charge l’évaluation des établissements et accompagne ces mêmes établissements dans leur démarche de qualification d’hôpitaux attractifs. En consultant quelques pages du site Internet de l’ANCC, on constate que cette organisation s’appuie sur une philosophie typiquement américaine, difficilement transposable en France, à moindres frais. Mais sans aller jusqu’à la copie conforme de ce processus de certification des établissements de santé, on pourrait envisager que ce rôle soit assuré, par exemple, par une entité émanant du conseil de l’Ordre infirmier et rattachée à la HAS.

POSITIONNEMENT DU CADRE ET DU CADRE SUPÉRIEUR DANS CE PROCESSUS

En faisant la synthèse des différentes orientations que nous avons pu développer précédemment, on constate que le rôle attendu du cadre – dans cette volonté des établissements d’accroître la satisfaction des soignants afin de maintenir un niveau élevé de qualité des soins – n’est pas si éloigné de ce que deviennent ou sont devenus les managers infirmiers. En effet, le développement des compétences managériales s’appuie aujourd’hui sur un dispositif de formation qui évolue et tend à favoriser la formation en gestion et en assurance-qualité, par exemple, dans un cadre universitaire. Ces managers doivent, dans leurs établissements, fournir un environnement qui influence positivement les soins et la satisfaction des patients. Ils doivent soutenir les équipes, favoriser la participation de tous. En revanche, il est clair que les orientations décrites par Sandy Summers en juin 2006, lors d’un Congrès mondial des directeurs de soins infirmiers à Chicago, sont assez éloignées des axes de réflexion aujourd’hui poursuivis en France. Ces orientations qui invitent les cadres à se recentrer davantage sur les soins infirmiers, en participant par exemple à l’activité de soins dans leurs unités, en devenant des experts, des infirmiers de pratiques avancées dans un domaine de compétence en lien avec leur activité, représentent des différences majeures avec les rôles et fonctions des cadres aujourd’hui en poste. Notons également que cette orientation va à l’inverse de ce que le rapport de la mission cadres hospitaliers (présenté par Chantal de Singly) dit : « Si savoir pratiquer les métiers encadrés sera de moins en moins nécessaire, les connaître d’une manière ou d’une autre sera toujours important, du moins pour le management de terrain. »(13) Nous ne ferons ici qu’ouvrir le débat. Mais le cadre infirmier, hautement formé en gestion, management, assurance qualité, et spécialisé dans un domaine de compétences cliniques, devrait pouvoir assurer la supervision des pratiques, participer à l’amélioration continue de la qualité des soins et des services, et opérer une gestion financière des ressources matérielles et humaines parfaitement articulée au quotidien des services de soins. C’est ce que devraient déjà faire les cadres et cadres supérieurs, mais comment concilier tâches administratives et tâches managériales ? Le rapport de la mission cadres hospitaliers propose une définition fonctionnelle du cadre hospitalier de laquelle se dégagent quatre missions principales : une mission de management d’équipes et d’organisation, une mission transversale ou de responsabilité de projet, une mission d’expert, une mission de formation(14).

CONCLUSION

On le voit, le rôle du cadre et du cadre supérieur, dans ce dispositif de fidélisation et d’attractivité des professionnels de santé, est central. Mais il est encore difficile de cerner le champ d’action de ces managers et l’on voit que leur fonction peut être plus ou moins complexe selon leur lieu d’exercice.

NOTES

(1) Lire à chaque fois infirmier(s), infirmière(s).

(2) Arhif, Attractivité et fidélisation des professionnels paramédicaux dans les structures sanitaires et médico-sociales, juin 2008, p.4.

(3) Le terme de magnet hospitals a été créé dans les années 1980 afin d’identifier le golden standard des soins infirmiers aux États-Unis.

(4) S.Stodeur, Attractivité, “rétention”, implication des infirmières et qualité des soins. Soins Cadres, n° 54, mai 2005.

(5) ANCC, site Internet consulté le 13 février 2010 : www.nursecredentialing.org/Magnet/ProgramOverview/ ForcesofMagnetism.aspx.

(6) On pourrait rapprocher la notion américaine de “communauté” de celle de “territoire de santé” en France.

(7) ANCC, site Internet consulté le 13 février 2010 : www.nursecredentialing.org/Magnet/ NewMagnetModel.aspx#TransformationalLeadership.

(8) Arhif, op. cit., p. 5.

(9) Observatoire national des métiers de la fonction publique hospitalière, facteurs d’évolution probables à moyen et long terme dans les champs sanitaires, social et médico-social publics, impactant les ressources humaines et les organisations, ministère de la Santé et des Solidarités, DHOS, mars 2007, p. 13.

(10) Ibid., p. 14.

(11) Ibid.

(12) Agence régionale de l’hospitalisation d’Île-de-France.

(13) C. De Singly, Rapport de la mission cadres hospitaliers, septembre 2009, p. 35.

(14) Ibid., p. 5.

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