L’accueil et l’encadrement des stagiaires - Objectif Soins & Management n° 194 du 01/03/2011 | Espace Infirmier
 

Objectif Soins n° 194 du 01/03/2011

 

Ressources humaines

Mathieu Hautemulle  

RÉFORME → L’entrée en vigueur du nouveau référentiel de formation, en septembre 2009, a imposé des changements importants sur les terrains de stages. Certains établissements ont voulu faire de cette charge de travail supplémentaire une occasion de formaliser et d’harmoniser leurs pratiques.

Former les formateurs, encadrer les encadrants. Cette exigence s’est imposée aux établissements de santé pour rendre leurs terrains de stage compatibles avec le nouveau référentiel de formation infirmière, défini en annexe de l’arrêté du 31 juillet 2009 relatif au diplôme d’Etat d’infirmière et rentré en application en septembre 2009. La formation continue d’alterner enseignements théoriques et exercices en milieu clinique. Mais la durée des stages passe à soixante semaines en six semestres, et de nouveaux principes se font jour, accompagnés d’une terminologie qu’il faut s’approprier.

Terminé, par exemple, le terme de “mise en situation professionnelle”. Est au contraire introduite l’idée de “posture réflexive” de l’étudiant(1). Si on ne peut nier la dimension réflexive du métier infirmier, d’aucuns s’interrogent sur l’utilité d’une telle “conceptualisation” pour certains soins…

Autre changement d’ampleur : l’instauration du portfolio. Ce document personnel, à mettre à jour tout au long des études, est obligatoire pour mesurer la progression et valider le diplôme. Mais le remplir demande du temps… Y recourir à plusieurs moments d’un stage pour analyser la progression de l’élève s’avère délicat.

INVESTISSEMENT CHRONOPHAGE

La compréhension et l’acquisition, par les encadrants, des nouvelles modalités de stage constitue donc une lourde tâche. Une tâche compliquée par la brièveté des délais, le manque de personnel (notamment aguerri) et son turnover important (qui impose de former souvent des formateurs), la présence concomitante d’étudiants du nouveau et de l’ancien référentiel de formation(2), l’application simultanée d’éventuelles autres réformes ou restructurations, le manque de disponibilité de certains Ifsi et enfin… les autres activités du service. Les établissements n’ont alors d’autre choix que de transformer cette charge chronophage en investissement utile, à plus long terme, aux étudiants comme aux services et aux professionnels qui y seront recrutés. L’application de tout référentiel peut amener à régler des problèmes jusque-là non résolus ou non formalisés. Exemple : l’arrêté évoque, parmi « les responsables de l’encadrement », un maître de stage (« le plus souvent » le cadre de santé), un tuteur de stage et un professionnel de proximité – trois fonctions exerçables « par la même personne pour des raisons d’organisation ou dans le cas d’équipes d’encadrement restreintes »(3). Auparavant, cet encadrement n’était pas toujours aussi structuré ni hiérarchisé. De même, le livret d’accueil et d’encadrement est devenu obligatoire avec le nouveau référentiel.

Les soignants du groupe hospitalier Beaujon, Bichat-Claude-Bernard, Bretonneau, Louis-Mourier et Charles-Richet (Assistance publique-Hôpitaux de Paris) ont expliqué, lors du salon infirmier de novembre 2010, avoir voulu faire de la contrainte du nouveau référentiel « une opportunité dans la dynamique de construction » de leur groupe. Leur travail collectif a permis « une harmonisation et un enrichissement des pratiques tutorales ». Ils ont édicté des recommandations de bonnes pratiques en tenant compte du « besoin de réassurance des professionnels par rapport à de nouvelles responsabilités parfois déstabilisantes ». Parallèlement, l’élaboration de projets d’encadrement dans les services et les pôles « a créé une dynamique dans les équipes, rapproché les professionnels et facilité le transfert d’informations entre sites ». Voici, présentés au salon et résumés, sept exemples d’expériences d’encadrement des stagiaires(4) en établissements d’Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP).

ACCUEIL EN DEUX TEMPS À BRETONNEAU

L’accueil à l’hôpital Bretonneau est d’abord collectif. À tous les stagiaires, une cadre de santé projette un diaporama sur l’établissement, le pôle, le projet de soins et de vie, les profils des patients, la prévention du risque infectieux… Elle remet des documents institutionnels, tels que des procédures d’hygiène. Après l’attribution des vestiaires et une visite de l’établissement, chaque stagiaire discute avec son tuteur de ses objectifs (exigés par écrit) ou des dates d’évaluation de moitié et de fin de stage. Puis le tuteur présente l’étudiant(e) à l’infirmière référente.

AUPRÈS DE LA PERSONNE ÂGÉE À CHARLES-RICHET

Au pôle de soins longue durée, l’étudiant est amené à réfléchir – entre autres – sur la notion de projet de vie intégré à un projet de soins. Le travail sur soi fait partie de son futur métier, notamment dans sa relation à la personne âgée vulnérable, handicapée, plus ou moins dépendante. Et dans l’application concrète des valeurs de dignité, de bientraitance, de respect, d’individualisation de la prise en charge. L’élève dispose notamment d’un accès à une bibliothèque thématique et au dossier de soins informatisé. Il est intégré à la vie des services, à la formation continue, aux réflexions des équipes, et aux réunions pluridisciplinaires.

UN DOCUMENT COMMUN À BEAUJON-BICHAT

En réanimations médicale et chirurgicale, en unité de surveillance continue et en salle de surveillance postinterventionnelle, l’accueil des stagiaires se fait, là encore, de façon collective puis en unité de soins. Un document commun aux sites présente l’offre de formation (unités, pathologies, prises en charge, actes, ressources, etc.) et les modalités d’encadrement et d’évaluation (dont les organisations horaires, les personnes référentes, les évaluations intermédiaires et finale, programmées ou, comme dans d’autres services, inopinées).

UN AUTRE OUTIL D’ÉVALUATION À BICHAT

Au pôle de chirurgie de Bichat, les étudiants sont accueillis par le cadre paramédical de pôle ou un cadre ressources humaines ; un cadre de chaque spécialité (cadre de santé et cadre sage-femme) ; un représentant des divers métiers (assistante sociale, diététicienne, stomathérapeute…). Sont présentés les cadres du pôle, les activités des unités, les droits et devoirs des stagiaires (dans la vie quotidienne, mais aussi dans la pratique, en termes d’assiduité, de secret professionnel…). Chaque étudiant, à l’aide de son portfolio, se présente également. Puis il est pris en charge par le cadre du terrain et présenté à l’équipe. Pour l’évaluation, en plus du portfolio, est utilisé, au moins trois fois si possible, un outil d’évaluation intermédiaire adapté par la Drass Île-de-France. En forme de toile d’araignée, il est complété en fonction de la maîtrise (de 1 à 4) de plusieurs critères (par exemple : “Priorise les informations”) dans l’évaluation d’une situation clinique(5).

PARCOURS DÉCOUVERTE À BICHAT-CLAUDE-BERNARD

Aux étudiants de 1er et de 2e semestres en stage en soins de suite et de réadaptation, le pôle médecine spécialisée de Bichat-Claude-Bernard propose une découverte des “coulisses” de l’hôpital. Le stagiaire choisit le secteur selon ses intérêts et ses objectifs : services de soins (chambre mortuaire, hémodialyse, bloc opératoire, unité d’hygiène et de lutte contre les infections nosocomiales…), services supports (brancardage centralisé, centre de transfusion, centre de tri des laboratoires…), services administratifs, direction des soins et direction qualités, services techniques et logistiques. L’élève découvre ainsi le parcours du patient, les organisations de travail, les fonctions des acteurs et des secteurs et leurs interfaces. Grâce aux coordonnées dans le livret d’accueil, il s’occupe lui-même des rendez-vous avec les responsables de services, à partir de sa deuxième semaine de stage. Les rencontres sont rapportées sur une feuille, et l’élève en rend compte au tuteur et aux professionnels à mi-stage ou en fin de stage. Ce dispositif a aussi pour vertu de valoriser les professionnels en les intégrant à la formation des stagiaires.

L’APPRENTISSAGE EN CONSULTATIONS

Pour ce stage de consultations en santé publique, l’étudiant pénètre un domaine marqué par un flux important de patients et se trouve confronté pour la première fois au réseau ville-hôpital. Son accueil est réalisé par la cadre de santé. Après une semaine d’observation, l’étudiant apprend progressivement. La 4e semaine, il prend en charge la consultation, et la 5e semaine, il peut découvrir le bloc et le plateau technique. Au cours des quatre premières semaines, l’IDE peut évaluer l’étudiant à l’aide du document proposé par la Drass Île-de-France. Le portfolio, lui, est utilisé en semaines 1 et 5. La troisième semaine, la cadre et/ou le tuteur réalise(nt) un bilan de mi-stage. En 5esemaine, le bilan final est opéré par la cadre, le tuteur et l’IDE référente.

L’ÉTUDIANT ÉVALUATEUR À BICHAT-CLAUDE-BERNARD

Le pôle médecine spécialisée de Bichat-Claude-Bernard est l’un des sites où l’étudiant est invité, à l’issue de son stage, à évaluer son expérience. Interrogé sur les plans qualitatif et quantitatif selon plusieurs critères (“prise en compte des acquis”, “apports théoriques”, “ressenti de l’accueil pendant le stage”, etc.), le stagiaire s’exprime sur un schéma en forme de cible, dont le cœur signifie une satisfaction maximale. En novembre 2010, cet outil, rempli par plus de vingt étudiants, donnait une indication sur les points satisfaisants ou à améliorer. Des étudiantes ont aussi demandé à évaluer l’encadrement…

Au même titre que les remarques des encadrants ou des Ifsi, les avis d’étudiants peuvent donc servir à améliorer les dispositifs. Ceux-ci sont en évolution constante ; certains, en novembre dernier, étaient même encore en cours de finalisation. Dans le groupe hospitalier, le travail collectif se poursuit pour l’évaluation des expériences, leur éventuelle généralisation à tous les sites et pôles du groupe, l’adaptation à l’accueil futur des étudiants de 5e et 6 e semestres.

NOTES

(1) Sur « la posture réflexive », lire notre numéro de janvier 2011.

(2) Dans certains services de haute technicité, les étudiants du nouveau référentiel ne sont pas encore accueillis.

(3) A ces trois niveaux s’ajoute, à l’Ifsi, le formateur référent de stage.

(4) Contact : Dominique Champenois, directrice des soins au groupe hospitalier, dominique.champenois@bch.aphp.fr

(5) Á télécharger dans la rubrique « Publications » sur http://ile-de-france.sante.gouv.fr

« Savoir qui doit faire quoi »

L’AP-HP accueille environ 6 000 étudiants infirmiers en formation chaque année. Roselyne Vasseur, directrice des soins et des activités paramédicales(1), témoigne sur la responsabilité de l’encadrement des étudiants.

Qui est responsable de l’encadrement des stagiaires ?

Le directeur des soins de l’hôpital concerné. Ce sujet de la responsabilité est complexe, car l’erreur est de moins en moins tolérée. L’apprentissage des étudiants en soins infirmiers passe par le compagnonnage : il est essentiel de savoir qui doit faire quoi, comment, jusqu’où et avec quel contrôle. Qui est responsable de quoi, quels actes peuvent être confiés à l’étudiant, selon quelles modalités et dans quelles limites ? Le nouveau référentiel de formation, dans le cadre de l’universitarisation, clarifie certains de ces aspects.

Comment sensibiliser les professionnels ?

Par l’information, la formation et des recommandations de bonnes pratiques qu’il faut définir hors incident ou polémique. La direction des soins de l’AP-HP a défini des règles d’organisation et de responsabilité des professionnels paramédicaux auprès des étudiants. Il y est indiqué que l’étudiant doit toujours être sous la responsabilité d’une infirmière diplômée et que les actes invasifs à risques doivent être réalisés sous son contrôle. Dès l’accueil du stagiaire, il faut savoir repérer une trop grande confiance ou, inversement, un manque de confiance qui pourraient engendrer des risques. Les étudiants ne doivent pas être intégrés aux plannings, ni au calcul des ratios de patients par professionnel.

Comment réussir l’encadrement des étudiants malgré des tensions sur les effectifs ?

Pour assurer la qualité de l’encadrement, l’infirmière référente doit assumer la responsabilité simultanée d’un nombre d’étudiants compatible avec la charge en soins qui lui incombe. Aux services et aux pôles de définir ce nombre maximal d’étudiants. Avec un dilemme : faut-il accepter moins d’étudiants en stage pour être sûr de bien s’en occuper, alors qu’il faut disposer de terrains de stages et de tuteurs en nombre afin de former suffisamment d’étudiants pour remplir les quotas régionaux ? Il s’agit de surcroît d’assurer la relève face au vieillissement de la population et au départ en retraite des paramédicaux.

1 – Par ailleurs membre du comité de rédaction d’Objectif soins.