Les ARS : pseudo-régionalisation ? (suite) - Objectif Soins & Management n° 184 du 01/03/2010 | Espace Infirmier
 

Objectif Soins n° 184 du 01/03/2010

 

Économie de la santé

HPST → Suite de nos développements consacrés aux agences régionales de santé (ARS), instituées par la loi Hôpital, patients, santé et territoires (HPST) du 21 juillet dernier. Dans ce numéro, nous confrontons notre vision «théorique» de l'ARS à celle finalement retenue dans la loi : un établissement public à caractère administratif.

Dans le cadre de notre thèse soutenue en 2002, l'ARS constitue le pivot du monopole public de financement régionalisé. L'ARS définit et conduit la politique de santé régionale, dans le cadre d'un contrat d'objectifs et de moyens signé avec le niveau national, et répartit l'enveloppe régionale qui lui est allouée par le Parlement pour financer la mise en oeuvre de cette politique. Elle exerce à ce titre une pleine autorité sur l'ensemble des producteurs de soins (établissements de santé, secteur médico-social, médecine ambulatoire), dont elle assure la régulation et la planification. Elle fixe les grands objectifs de la politique régionale de santé dans le cadre de l'adoption d'un schéma régional d'organisation de la santé, opposable à tous les producteurs de soins dont la mise en oeuvre s'effectue par le biais de la négociation d'un contrat d'objectifs et de moyens avec chaque pôle hospitalier. Ce contrat détermine les modalités de rééquilibrage des moyens entre les territoires et les modalités de financement et de répartition de l'enveloppe régionale entre les différents secteurs de soins. L'ARS est garante de l'analyse des besoins de santé de la région et délimite les zones de besoins homogènes, nouveau découpage sanitaire sur lequel se base la politique régionale de santé et son financement. Elle analyse, en lien avec l'agence nationale d'accréditation des établissements de santé (devenue Haute Autorité de santé depuis), l'activité des producteurs de soins et veille au respect des normes édictées par le niveau national.

UNE CERTAINE VISION DE L'ARS DÉVELOPPÉE EN 2002

Cette régionalisation accrue, qui donne aux ARS une quasi-autonomie dans la conduite de la politique régionale de santé, suppose implicitement le regroupement des instances régionales sanitaires actuelles : ARH (agence régionale de l'hospitalisation), Urcam (Union régionale des caisses d'assurance maladie), Drass (Direction régionale des affaires sanitaires et sociales), Ddass (Direction départementale des affaires sanitaires et sociales) - à l'époque, le groupement régional de santé publique (GRSP) et la mission régionale de santé (MRS) n'existaient pas encore : ils ne sont nés qu'en 2004 !

Le mode d'une agence de mission semble devoir être privilégié, comme le montre le résultat plutôt positif des ARH et des Urcam après cinq années de fonctionnement (pour mémoire, ces institutions ont été créées en 1996). Rappelons que la création des ARS était déjà à l'ordre du jour en 1996, mais que, dans un souci de pragmatisme, le gouvernement a choisi de créer des ARH pour le secteur hospitalier, des Urcam pour le secteur ambulatoire, et de maintenir les services de l'État (Drass et Ddass) en matière de santé publique, plutôt que de créer une seule instance régionale. La création d'agences telles que les ARH s'inscrit dans un mouvement de passage d'une tutelle classique à une tutelle stratégique. La souplesse de fonctionnement et la rapidité de la réponse caractérisent les ARH qui sont des administrations de mission et non des administrations de gestion et d'instruction de dossiers (à noter que ce qui était vrai en 2002 ne l'est plus en 2010 : les ARH sont aussi au cours du temps devenues des administrations de gestion !).

Un scénario possible repose sur l'extension des missions des ARH aux secteurs ambulatoire et médico-social, ce qui suppose implicitement la disparition des Urcam et des Drass-Ddass. Les personnels de l'Urcam et de la Drass seront rattachés aux personnels de l'ARH pour former l'ARS, ce qui ne sera pas sans poser de problèmes stratégiques. De même, la commission exécutive de l'ARH est appelée à évoluer vers un véritable conseil d'administration dont la composition devra faire l'objet de négociations avec les représentants de l'État, de l'Assurance maladie, mais aussi des élus (collectivités territoriales), des représentants des professionnels de santé et des usagers. Le conseil d'administration définit les grandes orientations de la politique régionale de santé et décide de l'allocation des ressources par zone de besoins. Se posera naturellement la question de la présidence de ce conseil de l'ARS. Selon le modèle de l'ARH, l'ARS pourrait être dirigée par un haut fonctionnaire nommé en Conseil des ministres, après avis du président du conseil d'administration de l'ARS, chargé d'exécuter les décisions du conseil. On peut imaginer que le travail de l'ARS soit utilement organisé par zones de besoins de manière à constituer des équipes pluridisciplinaires et d'expertise sur chaque zone. L'articulation la plus difficile à trouver sera très certainement celle avec les conseils généraux qui ont leur propre logique de fonctionnement.

Telle était notre vision de l'ARS en 2002. Huit ans plus tard, qu'en reste-t-il dans la loi HPST ?

UN CHAMP D'INTERVENTION BEAUCOUP PLUS LARGE QUE LA PRODUCTION DES SOINS

Dans un souci de pragmatisme mais également et surtout d'efficacité, il nous semblait important que l'ARS, administration de mission, soit avant tout chargée de réguler l'offre de soins hospitaliers, ambulatoires et médico-sociaux, compte tenu des enjeux importants liés à ces trois secteurs en matière de réponse aux besoins et de maîtrise des dépenses de santé. Or, si la loi HPST confie bien cette mission de régulation de l'offre de soins à l'ARS, elle lui confère également d'autres domaines d'intervention, et notamment au niveau régional la mise en oeuvre de la politique de santé publique. À ce titre, elle doit organiser la veille sanitaire, l'observation de la santé, le recueil et le traitement des signalements d'événements sanitaires. Elle doit contribuer à l'organisation de la réponse aux urgences sanitaires et à la gestion des situations de crise sanitaire. Elle doit établir un programme annuel de contrôle du respect des règles d'hygiène et réaliser les prélèvements, analyses et vérifications prévus dans ce programme et procéder aux inspections nécessaires. Elle doit définir et financer des actions visant à promouvoir la santé, à éduquer la population à la santé et à prévenir les maladies, les handicaps et la perte d'autonomie, et veiller à leur évaluation. Ceci dans une vision globale de la santé de l'homme.

Mais on peut toutefois s'interroger sur l'opportunité d'un tel champ très vaste d'intervention. Les résultats seront d'autant plus durs à atteindre que les objectifs seront nombreux, et surtout parfois antinomiques. Ne citons qu'un exemple : les lits de réanimation. Du point de vue du régulateur de l'offre de soins, les services de réanimation, très techniques, doivent être concentrés sur les sites importants et ne pas être multipliés compte tenu de leur coût. Du point de vue de la santé publique, le nombre de lits de réanimation, jamais suffisant, doit être important, au cas où, même s'ils restent «vides». Or quid des recettes dans un mode de tarification à l'activité ?

Gageons que les ARS sauront relever le défi de concilier santé publique et régulation de l'offre de soins.

MODE DE GOUVERNANCE CENTRÉ SUR UNE SEULE PERSONNE : LE DIRECTEUR GÉNÉRAL

À la création des ARH, leurs directeurs ont reçu le surnom de préfet sanitaire, tant leurs prérogatives étaient fortes. Or c'était oublier un peu vite le rôle fondamental de la commission exécutive du groupement d'intérêt public (GIP) ARH, chargée de délibérer sur les autorisations sanitaires et les contrats d'objectifs et de moyens. Une sorte de contre-pouvoir au directeur de l'ARH, chargé de composer avec les représentants de l'État et de l'Assurance maladie. Mais également une instance bien utile en cas de décision «impopulaire» à mettre en oeuvre. Or, dans le cas de l'ARS, le directeur général a véritablement les pleins pouvoirs. Nommé en Conseil des ministres, il exerce au nom de l'État toutes les compétences de l'ARS. C'est lui qui prépare et exécute le budget de l'ARS, qui délivre les autorisations sanitaires et médico-sociales, qui arrête le projet régional de santé et les schémas associés, qui conclut les conventions tripartites avec les conseils généraux, etc. Certes, il rend compte au moins deux fois par an au conseil de surveillance de l'ARS de la mise en oeuvre de la politique régionale de santé et de la gestion de l'agence, communication rendue publique.

Mais force est de constater que le conseil de surveillance de l'ARS, établissement public de l'État à caractère administratif, présidé par le Préfet de région, a un rôle très limité, bien moindre que celui de la commission exécutive de l'ARH actuelle. Ses seules compétences propres résident dans l'approbation du budget et du compte financier de l'ARS. Sinon, il n'émet qu'un simple avis sur le plan stratégique régional de santé, le contrat pluriannuel d'objectifs et de moyens de l'ARS et sur les résultats de l'action de l'agence. Pourtant sa composition se rapproche de celle que nous prônions en 2002 : représentants de l'État, de l'Assurance maladie (administrateurs et non plus des directeurs comme dans le cas de la commission exécutive), des collectivités territoriales, des patients, des personnes âgées et des personnes handicapées.

Certes, auprès de l'ARS et de son directeur général, est constituée une conférence régionale de la santé et de l'autonomie, chargée de participer par ses avis à la définition des objectifs et des actions de l'agence dans ses domaines de compétences : mais ce ne sont que des avis consultatifs, que le directeur général n'est pas tenu de suivre dans ses décisions finales. Certes, sont constituées des commissions de coordination des politiques publiques de santé, associant les services de l'État, les collectivités territoriales et leurs groupements et les organismes de sécurité sociale. Ces commissions sont compétentes pour assurer la cohérence et la complémentarité des actions déterminées et conduites par leurs membres dans les domaines d'une part de la prévention, de la santé scolaire, de la santé au travail et de la protection maternelle et infantile, d'autre part dans le domaine des prises en charge et des accompagnements médico-sociaux. Mais là encore, elles n'ont pas de pouvoirs décisionnels.

Le directeur général est donc seul à décider. Or, ce qui peut apparaître comme une force peut se révéler très vite comme une grande faiblesse, tant seront grandes les pressions qui pèseront sur lui pour exercer les régulations de l'offre de soins qui s'imposent. Tout dépendra alors du soutien apporté par le niveau national sur les prises de position des directeurs généraux des ARS.

UN ÉTABLISSEMENT PUBLIC DE GESTION PLUTÔT QU'UNE ADMINISTRATION DE MISSION

Le législateur a fait le choix de ne pas étendre simplement les missions des ARH, tout en conservant la souplesse de mode de fonctionnement en GIP. Tout au contraire, il a choisi de faire de l'ARS un établissement public à caractère administratif, doté de l'autonomie financière. Cet établissement public regroupe en fait les personnels des Drass et Ddass, des ARH, des Urcam, des GRSP, des MRS, des Directions régionales du service médical du régime général (DRSM), des Caisses régionales d'assurance maladie (CRAM), de la mutualité sociale agricole et du régime social des indépendants. Soit autant de statuts et de conventions collectives différentes que de structures dont sont originaires les personnels. L'ARS dispose d'un budget dont les ressources proviennent pour majeure partie d'une subvention de l'État et des contributions des régimes d'assurance maladie. Elle est dotée d'un comptable public. Dans chaque ARS sont institués un comité d'agence et un comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail, compétents pour l'ensemble du personnel de l'agence. Le comité d'agence est doté de la personnalité civile et gère son patrimoine. Les ARS sont donc de véritables établissements, d'un taille minimale de 200 personnes, pouvant aller jusqu'à plus de 1 000 pour les plus grandes régions. Nous sommes donc bien loin des administrations de mission qu'étaient les ARH. Là encore, il conviendra de faire en sorte que les enjeux et les objectifs des ARS passent avant ceux du fonctionnement interne de la structure, ce qui sera un véritable défi.

Le prochain numéro sera consacré aux outils des ARS, et notamment le plan stratégique régional de santé, les schémas d'organisation, les territoires de santé, en se comparant toujours à notre vision théorique de 2002. Du pôle hospitalier à la communauté hospitalière de territoire, du conseil de pôle à la conférence de territoire, de la zone de besoins au territoire de santé, n'y a-t-il qu'un pas ? Suite au prochain numéro.

Pour en savoir plus

Le pôle hospitalier

→ Dans le cadre du contrat d'objectifs et de moyens conclu avec l'ARS, le pôle hospitalier organise la production des soins au sein de la zone de besoins dont il a la responsabilité et répartit les ressources entre les producteurs de soins de cette zone.

→ Chaque pôle est chargé d'élaborer un projet de santé pour la zone de besoins dont il a la charge, qui détermine les modalités d'organisation de l'offre de soins, projet qui fera l'objet d'une approbation par l'ARS.

→ Le pôle assure donc la coordination du réseau de soins composé de l'ensemble des professionnels de la zone de besoins.

→ Il doit veiller à ce que les services de proximité soient rendus en toute efficacité dans le cadre de réseaux ville-hôpital, ainsi que l'ensemble des services sanitaires à l'exception de ceux de niveau régional.

→ Il est nécessaire de distinguer la fonction de production de soins stricto sensu des établissements et services qui le composent, et la fonction d'achat ou de gestion de soins.

→ On peut envisager dès lors la création d'un conseil de pôle hospitalier, composé de représentants des établissements de santé, des professionnels de santé libéraux, des établissements et services médico-sociaux, de la zone de besoins couverte par le pôle.

Loi n°2009-879 du 21 juillet 2009 portant réforme de l'hôpital et relative aux patients, à la santé et aux territoires, Journal officiel de la république française n°0167 du 22 juillet 2009.