Pour une praxis du management de proximité - Objectif Soins & Management n° 181 du 01/12/2009 | Espace Infirmier
 

Objectif Soins n° 181 du 01/12/2009

 

Cahier du management

Le concept de «fonction contenante» permet de comprendre la construction individuelle, mais aussi collective des sujets dans leurs rapports à l'altérité. À l'hôpital, cette expérience institutionnelle s'inscrit toujours dans un espace socialisant. L'équipe en est le lieu d'expression. Le cadre de proximité(1) est identifié et légitimé socialement comme le garant du bon fonctionnement de celui-ci.

Ce concept organise les espaces sociaux (la famille, le couple, l'école, l'entreprise...) et nécessite un «cadre» pour que les «je/jeux» des acteurs puissent s'exprimer. Dans nos institutions hospitalières, il participe en cela à une praxis(2) du management de proximité, structurante et sécurisante. Le management d'une équipe relève alors d'un agencement de savoirs d'action et d'expériences objectivées de la réalité.

En cela, la fonction contenante est organisatrice de la praxis. En structurant les rapports sociaux, elle délimite et autorise l'intériorisation d'habitus faits de règles, de lois, de normes, d'interdits, de possibles, nécessaires à la vie en communauté.

Elle participe à la qualité des rapports dans un continuum d'espace-temps où le sujet peut faire le choix de s'inscrire ou de ne pas s'inscrire. Cela le rend dès lors responsable : il va devoir faire preuve d'autodétermination, d'engagement, d'autonomie. Sa capacité à penser et prendre en compte le réel est mise à l'épreuve et l'oblige à anticiper, décider, innover.

LA FONCTION CONTENANTE

La fonction contenante du cadre de proximité s'inscrit, de par la complexité liée aux rapports qu'entretiennent les équipes, dans un espace où l'imprévisibilité est un quotidien partagé.

L'indispensable chef d'orchestre

Les institutions hospitalières sont confrontées aux changements incessants, aux réformes multiples et variées, aux évolutions constantes des progrès médicaux. L'équipe de soins est un espace de rencontres où les logiques et injonctions parfois contradictoires et paradoxales (médicales, administratives, équipes soignantes, usagers) se côtoient, s'affrontent, s'additionnent, s'enrichissent.

En cela, elles favorisent le morcellement et l'ambivalence des relations où l'expression des affects peut se traduire par des tensions et des conflits qui limitent d'autant le dialogue social. Le déterminant commun est bien souvent le cadre de proximité qui se retrouve au carrefour de toutes ces logiques.

Par sa position, il a une vue d'ensemble de la complexité, lieu d'émergence des forces, intérêts individuels et collectifs, parfois corporatistes, sources d'enjeux et de pouvoir pour les acteurs. Sa mission organisatrice, gestionnaire, consiste à faire fonctionner le tout dans un espace où «l'ex-pression» professionnelle peut être reçue et contenue.

Cela marche si le cadre met en oeuvre les conditions d'une enveloppe(3) propice à l'articulation d'un ensemble de parties dans un tout, et d'un tout avec ces parties. Il assure alors le rôle catalyseur comme surface d'identification projective non toxique(4) pour l'équipe. Sa présence, sa légitimité de garant du bon fonctionnement du service(5), dans un contexte institutionnel toujours en mouvement, permet de donner l'illusion de continuité, de permanence, d'équilibre dans le changement. L'équipe peut exister, penser, imaginer, projeter et rêver(6) son quotidien matérialisé dans, par et au travers des rapports qu'elle entretient dans un epace social contenant.

Par sa fonction symbolisante de chef d'orchestre, d'animateur, le cadre de proximité est le responsable qui assure la perméabilité des rapports humains, trans-disciplinaires et intergénérationnels dans l'équipe. Il est garant du respect des valeurs partagées propre au groupe d'appartenance (continuité de service, non-discrimination dans les soins et égalité de traitement, devoir de réserve, secret professionnel...).

Pour assurer un service optimum, il garantit le niveau de performance des agents en veillant au maintien et au développement des compétences de ces derniers.

Sa mission organisatrice permet d'assurer un service de qualité où les normes, les procédures, les processus sont respectés, soumis à l'esprit critique pour les faire évoluer. Il en rend compte, il fait autorité et est légitimé pour cela. De plus, responsable de l'ordonnancement du temps, «temps Kronos», il est le garant du «temps Kaïros»(7) si familier de l'imprévisibilité et de la complexité de nos organisations hospitalières. Il garantit l'adaptabilité de la structure aux besoins des usagers et des équipes.

Les limites de la fonction

Toutes ces fonctions vont le désigner comme surface de projection des différents acteurs, fonction symbolisante parfois difficile à assumer. À ce stade, le rôle du cadre de proximité sera là aussi contenant dans les limites qu'il posera aux «je» et «jeux» des agents en rappelant les droits et obligations de chacun, tout en laissant des espaces de liberté d'expérimentation de l'autonomie. Sa propension à l'assertivité et sa capacité d'attention à l'autre permettront de maintenir un processus de stabilisation, d'équilibre au sein de l'équipe.

LA FONCTION STRUCTURANTE

En contenant les forces en présence, il en structure les rapports, les relations. Il assure au «contenant» le maintien d'une stabilité structurelle dans des systèmes dynamiques qui drainent des forces parfois antagonistes. Le cadre de proximité, véritable «attracteur»(8), donne ainsi le CAP «Comprendre-Agir-Partagé» : il oriente, organise, arbitre, donne une forme, de la fluidité pour créer les liens, il symbolise la partie stable du système dans lequel il s'inscrit.

Donner du sens à la praxis

En organisant et structurant les rapports au sein du groupe, il assure la qualité des soins au patient. Cette fonction organisatrice «structurante» va faciliter ainsi une «trans-formation» de l'activité du travail de l'équipe en la transformant en expérience vécue source d'apprentissages collectifs. Celle-ci participe à donner du sens à la praxis.

Le cadre de proximité, vecteur auprès de l'équipe de la communication, est garant de la validité et de la fiabilité de celle-ci. Il favorise la compréhension des multiples informations, normes et règlements. Sa capacité d'écoute, d'impartialité, de problématisation des situations favorise le sens donné à l'action pour comprendre ce que l'on fait, doit faire et comment faire.

Structurer le quotidien

Donner du sens au cadre institutionnel développe l'intelligibilité de l'action et le pouvoir d'anticipation. En structurant le quotidien, il permet une intériorisation des éléments constitutifs du contenant. Le contenu peut être alors identifié, intériorisé ; il y a effet structurant et institutionnalisant d'une culture partagée. L'équipe se construit alors un capital culturel(9) :

→ dans un processus d'incorporation (dispositions durables de l'organisation au sein du service),

→ dans un processus d'objectivation (capacité à s'approprier, à nommer, à théoriser, à problématiser, à symboliser),

→ dans un processus d'institutionnalisation (reconnaissance par la collectivité de son utilité, de sa valeur sociale et économique, de sa participation à l'intérêt général et de son caractère transmissif, du fonctionnement et des valeurs partagées par le groupe).

En structurant, il permet l'adaptabilité du contenant.

LA FONCTION SÉCURISANTE

Par sa fonction de «dépositaire» que légitime son mandat social, le cadre de proximité offre une présence, une permanence. En stabilisant les forces en présence dans cet espace social, il crée ainsi les conditions d'une relation sécurisante.

Sécuriser l'équipe

L'équipe peut oeuvrer à son quotidien, quelqu'un est là pour en assurer le bon déroulement dans des conditions acceptables, en rendre compte. Il est rassurant de savoir le cadre présent. Cette sensation est de l'ordre de l'éprouver. Par sa permanence, sa légitimité, les «je/jeux» des acteurs peuvent enfin se dérouler. Il y a un arbitre qui, faute de sa présence (pas forcément physique, l'objectif est que le cadre de proximité puisse exister et être pensé même en son absence), risquerait de laisser la place à l'arbitraire, à l'insécurité. Il assure le bon fonctionnement en créant les conditions de satisfaction au travail de l'équipe, d'estime de soi dans la réalisation du «bel ouvrage» au service des patients, motivation centrale des équipes hospitalières.

Satisfaction au travail, une sécurité des soins assurée

La qualité des soins dépend de l'articulation de l'ensemble des acteurs à quelque niveau que ce soit : chacun porte des valeurs communes au service public hospitalier pour assurer la continuité des soins. L'hôpital est le lieu où la théorie des systèmes complexes s'exprime le mieux(10) ; peu d'organisations sont aussi complexes que l'hôpital(11). Ce système ne fonctionne que si les conditions de travail offrent une certaine sécurité, parfois relative car le contexte actuel nécessite de rassurer les acteurs qui y participent. Cette fonction sécurisante autorise l'équipe à cristalliser ses frustrations sur une surface de projection symbolisée par le cadre, à les sublimer pour continuer à assurer des soins et un service public de qualité aux usagers. Le cadre assure alors, dans la limite de ce qu'il peut et doit assumer, l'accompagnement, en recadrant, en expliquant, en posant les limites du contenant : missions, valeurs, droits et devoirs, règlements...

CONCLUSION

Cette approche conceptuelle qui, dans ses références principales, se nourrit de l'approche psychanalytique présente dans sa complexité la singularité de sa simplicité. Si, dans son management quotidien, le cadre de proximité assure ses missions en assurant ces trois fonctions symboliques, aisées à situer, alors peut-être une réelle éthique du management pourra exister. Le cadre contribue à rendre intelligible l'identification des systèmes d'actions complexes, de leurs avantages et limites, des possibles nouveaux pour un collectif humain. Il peut ainsi créer un «contenant-structurant-sécurisant» propice à apaiser et rendre supportable le quotidien à l'hôpital : voilà une mission digne, mais ô combien difficile, du management de proximité au service des usagers de soins.

NOTES → (1) Le cadre de proximité est ici situé dans l'ensemble des services de l'hôpital, qu'ils soient de soins, techniques, administratifs, médicotechniques. C'est le premier niveau hiérarchique en prise directe avec le terrain. - (2) La praxis s'entend comme une pratique clarifiée qui fait émerger les savoirs implicites contenus dans l'action. La personne conscientise par l'analyse, la compréhension de la pratique dans l'agir des occupations quotidiennes. Elle en comprend les finalités, les processus, elle favorise le sens critique et créatif dans les espaces de la vie sociale, en cela elle favorise l'autonomie du sujet. - (3) Albert Ciccone, Enveloppe psychique et fonction contenante, Modèles et pratiques, Association Rhône-Alpes de gérontologie psychanalytique (ARAGP), 15e journée d'études, conférence, Lyon, janvier 2001. - (4) W.R. Bion, L'identification projective non toxique au service de la communication, Aux sources de l'expérience, «Réflexion faite», 1962, Puf. (5) Nous employons le mot service pour situer le propos tant dans un service de soins que dans un service de rééducation, médico-techniques, administratif et technique. - (6) Claude Allione, La part du rêve dans les institutions, régulation, supervision et analyse des pratiques, éditions Encre Marine, 2005. - (7) Les grecs utilisaient deux mots pour qualifier le temps : Kronos, le temps programmé, linéaire, répétitif prévisible, temps pensé et vécu, et Kaïros, le temps agi, le vrai, celui de l'action événementielle, occasionnelle, non programmée, celui de l'imprévu qui fait irruption dans le temps prévu en le désorganisant et en obligeant les acteurs à s'adapter à l'imprévisibilité, source d'insécurité et parfois de difficultés. - (8) Albert Ciccone, Opus cit. - (9) Pierre Bourdieu, Les trois états du capital culturel, Actes de la recherche en sciences sociales, Vol. 30, L'institution scolaire, 1979. - (10) Dr Laurent Vergnon, Initiation au chaos : vivre mieux la complexité, communication Congrès Association française des directeurs des soins (AFDS), Paris, octobre 2008. - (11) Jean-Louis Le Moigne, professeur émérite à l'université d'Aix-Marseille, L'intelligence de la complexité, communication Congrès AFDS, Paris, octobre 2008.

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