Le point sur la faute détachable - Objectif Soins & Management n° 181 du 01/12/2009 | Espace Infirmier
 

Objectif Soins n° 181 du 01/12/2009

 

Droit

RESPONSABILITÉ FINANCIÈRE → Un fonctionnaire engage sa responsabilité financière en cas de faute dite «détachable». Si les conséquences sont lourdes, les conditions de cette qualification restent particulièrement restrictives.

Par principe, un fonctionnaire ou un salarié, en cas de faute professionnelle, n'engage pas sa responsabilité financière. Au pénal, chacun répond de ses propres fautes, par application de l'article 121-1 du Code pénal. À l'inverse, le dédommagement de la victime - la question des dommages et intérêts - concerne l'employeur, et plus précisément son assureur en responsabilité civile(1). C'est le régime de la responsabilité du fait d'autrui. La limite de ce régime, favorable à l'agent fautif mais aussi à la victime, assurée de trouver un interlocuteur solvable, est la faute détachable. La situation est la même dans le secteur privé : l'établissement de santé privé est responsable des fautes commises tant par lui-même que par ses salariés(2).

La faute détachable est un manquement volontaire et inexcusable aux obligations d'ordre professionnel et déontologique. Elle est retenue par les juridictions administratives(3) à l'occasion d'une action en responsabilité civile, ou par les juridictions judiciaires(4) à la suite d'une condamnation pénale. En effet, si la faute est détachable, le fonctionnaire est condamné au paiement par la juridiction civile.

Ainsi, cette faute a été reconnue par la Cour de cassation pour l'abandon d'une parturiente alors qu'un feu s'était déclenché dans la salle d'accouchement(5), pour un agression(6) ou une violation du secret professionnel(7). Mais toute faute intentionnelle n'est pas détachable. Il en est ainsi pour des critiques excessives, mais limitées à la seule sphère professionnelle, ou pour une désinvolture caractérisée par des propos méprisants tenus à l'encontre du patient(9). De même, la rédaction d'un rapport hiérarchique n'est une faute détachable que s'il n'est pas démontré que son auteur a agi dans une intention malveillante ou pour satisfaire un intérêt personnel étranger au service(10). L'examen de plusieurs affaires récentes est éclairant.

PAS DE FAUTE DÉTACHABLE

Cour de cassation, 13 février 2007(11)

Un praticien obstétricien, de garde à domicile, est appelé pour une situation de péril de la mère et son enfant. La sage-femme l'informe à 2 heures 45 d'un tableau regroupant une température supérieure à 40 °C, une tachycardie foetale et la coloration du liquide amniotique. Or le médecin se contente de prescrire au téléphone un ocytocique et médicament antalgique et antipyrétique. Rappelé avec insistance, il procède à l'accouchement par césarienne à 4 heures 15, alors que la survie de l'enfant est compromise. La cour d'appel a retenu la culpabilité pénale, mais aussi a dit que la faute était détachable. Non, répond la Cour de cassation, ces fautes « ne peuvent être considérées comme détachables de ses fonctions ». Manquement inexcusable, mais pas d'intention de nuire.

Cour de cassation, 14 mai 2008(12)

Un patient est admis aux urgences d'un centre hospitalier à 4 heures 32, et le praticien urgentiste diagnostique une fracture ouverte des deux os de l'avant-bras gauche, une fracture fermée, déplacée, du fémur gauche avec une grosse cuisse, des troubles sensitivo-moteurs au bas de la jambe fracturée et du pied gauche, avec absence de pouls distaux.

Devant ce tableau alarmant, l'urgentiste appelle le chirurgien orthopédiste de garde, à son domicile, dès 4 heures 40, soit après un délai de huit minutes. Or le chirurgien refuse de se déplacer, demandant à l'urgentiste de mettre en place, en attente, une traction transtibiale.

La prise en charge commence à 9 heures 30, et le chirurgien constate l'état vasculaire déficient par l'absence de pouls distaux au niveau de la cheville gauche, mais il ne soumet pas le patient à une artériographie avant la réduction des fractures, alors que c'est le seul examen qui permette d'établir un diagnostic précis de la nature et du siège des lésions vasculaires. L'examen ne sera demandé qu'au cours de l'intervention chirurgicale, et on s'aperçoit alors que le matériel est en panne. Finalement, l'intervention sur le membre inférieur gauche a lieu de 10 heures à 12 heures, et celle du membre supérieur de 13 heures à 14 heures. Devant l'absence de récupération vasculaire en fin d'opération, le chirurgien décide de faire appel à son confrère, chirurgien vasculaire.

Le chirurgien vasculaire, qui n'était pas sur place, joint à 14 heures 20, réussit à se rendre à l'hôpital à 14 heures 30. Il rencontre le chirurgien orthopédique sur le parking, s'apprêtant à quitter l'hôpital, et n'obtient que quelques renseignements. Arrivé au bloc opératoire, il rencontre l'anesthésiste et constate sur le patient une ischémie grave du membre inférieur fracturé, qui date d'au moins 10 heures. La table d'artériographie étant en panne, il pratique un doppler et décide dès 15 heures le transfert sur un CHU, effectué par hélicoptère à 17 heures, soit 13 heures après l'admission. Les dommages sont considérables. La réparation des lésions vasculaires ayant été tardive, s'est réalisée une ischémie tissulaire irréversible avec, comme conséquence, l'amputation de la jambe gauche au niveau de la cuisse.

Une plainte pénale est déposée, et le chirurgien orthopédiste est condamné à une peine d'emprisonnement avec sursis : il devait se rendre au chevet du patient aussitôt après avoir entendu le rapport du médecin urgentiste.

Sur le plan civil, le tribunal, impressionné par ce comportement désinvolte, a estimé que ce refus de déplacement constituait une faute détachable, et l'affaire s'est poursuivie jusqu'à la Cour de cassation, qui a estime que la faute n'est pas « détachable des fonctions ».

FAUTE DÉTACHABLE

Cour de cassation, 24 mars 2009(13)

Dans cette affaire, la chambre criminelle retient la qualification de faute détachable : « Le chirurgien, qui ne pouvait se méprendre sur la gravité du péril imminent encouru par le malade, n'a pas pris les mesures nécessaires pour obtenir l'avis d'un cardiologue, s'est déchargé tardivement sur ses confrères de l'intervention immédiate et s'est ainsi abstenu volontairement de porter au malade l'assistance qu'il pouvait lui prêter, soit par son action personnelle, soit en provoquant un secours. » Ici, les poursuites avaient été engagées pour non-assistance à personne en péril, qui est une infraction intentionnelle.

Conseil d'État, 4 juillet 1990(14)

Le Conseil d'État a retenu la faute détachable pour le décès d'un patient imputable au retard apporté par le médecin à pratiquer l'intervention chirurgicale destinée à réparer des blessures qui avaient provoqué l'hospitalisation. Ce retard avait « pour seule cause le refus du médecin de se déplacer au chevet de la patiente alors qu'il se trouvait de garde à domicile et avait été appelé à deux reprises par l'interne du service qui avait souligné l'état inquiétant de la patiente ». Le Conseil d'État a admis la faute détachable « eu égard à la nature et à la gravité de la faute du praticien ». La cause n'était pas liée à un quelconque sous-estimation de la situation, mais ne relevait que d'un refus délibéré de se déplacer.

LE CARACTÈRE HORS FONCTION DE L'INTENTION DE NUIRE

Alors, contradiction ou non ? La solution réside de la gravité de la faute, bien sûr, mais dans le critère intentionnel.

En cas de faute non intentionnelle, on ne voit plus la place pour la faute détachable, si l'on en juge par les faits les affaires jugées par la chambre criminelle en 2007 et 2008. Ces faits se placent à la limite de l'incurie, si les mots ont un sens, mais les faits ne font pas apparaître l'intention de nuire, au sens pénal.

Tout change avec la dimension intentionnelle, qui inclut le choix délibéré de nuire. On passe alors de l'imprudence ou de la négligence à la non-assistance à personne en péril. La limite sera très discutée entre une faute par abstention avec conscience du danger et une non-assistance à personne en péril. Pour retenir la qualification de délit intentionnel, doivent être prouvés la connaissance effective d'un risque vital pour autrui et le refus volontaire de faire un geste salutaire. Au final, la responsabilité civile de l'employeur reste pour les erreurs, les fautes même graves, même avec la conscience d'un risque pour le patient, car il s'agit du travail confié. Il en va différemment si ces fautes résultent d'un acte incluant l'intention de nuire, car cette intention est incompatible avec les fonctions confiées.

D'ailleurs, c'est la solution que retient la Cour de cassation lorsqu'elle doit se prononcer sur la même problématique, mais pour les médecins salariés(15), elle juge de manière très nette : « Le médecin salarié, qui agit sans excéder les limites de la mission qui lui est impartie par l'établissement de santé privé, n'engage pas sa responsabilité à l'égard du patient. »

Lorsque la faute, d'une particulière gravité, inclut l'intention de nuire, alors l'agent ne peut se revendiquer des fonctions confiées et il répond seul, comme pour un méfait de la vie personnelle. Cela souligne aussi l'absence d'intérêt des assurances en responsabilité civile professionnelle pour les fonctionnaires ou les salariés. Si l'agent a agi dans le cadre de ses fonctions, l'employeur assumera. En cas de faute détachable, c'est l'agent qui paiera, mais il serait bien en peine d'obtenir la garantie de son assureur, et pour deux raisons : un assureur ne peut prendre en charge les conséquences d'un fait volontaire, et un contrat de responsabilité civile professionnelle ne pourrait, par hypothèse, jouer pour des faits qui auraient été jugés «détachables» et donc «hors fonction».

NOTES

(1) À noter une exception pour l'AP-HP, qui est son propre assureur. - (2) Cour de cassation, 1re chambre civile, 26 mai 1999 - (3) Tribunal administratif, cour administrative d'appel, Conseil d'État. - (4) Tribunal de grande instance, cour d 'appel, Cour de cassation. - (5) Cour de cassation, chambre criminelle, 2 octobre 1958, JCP 1958, II, n°10834.- (6) Cour de cassation, chambre criminelle, 31 mai 1989, n°87-91448. La faute détachable est écartée si les actes de violence sont indispensables à l'accomplissement de la mission. - (7) Cour de cassation, chambre criminelle, 20 octobre 1995. - (8) Cour de cassation, 1re chambre civile. 20 février 2008, n°06-21980. - (9) Cour de cassation, chambre criminelle, 22 mai 2007, n°06-84034. - (10) Cour de cassation, 1re chambre civile, 9 décembre 1986, n°85-11528. - (11) Cour de cassation, chambre criminelle, 13 février 2007, n°06-82264. - (12) Cour de cassation, chambre criminelle, 14 mai 2008, n°07-84696. - (13) Cour de cassation, chambre criminelle, 24 mars 2009, n°08-84160. - (14) Conseil d'État, 4 juillet 1990, n°63930. - (15) Cour de cassation, 1re chambre civile, 12 juillet 2007, n°06-12624.