Nouveau programme de formation et tutorat - Objectif Soins & Management n° 180 du 01/11/2009 | Espace Infirmier
 

Objectif Soins n° 180 du 01/11/2009

 

Recherche et formation

Qui peut être tuteur ? Quel rôle attribuer aux tuteurs dans la formation ? En quoi formaliser un nouveau niveau de formation peut-il être intéressant dans l'apprentissage ?

ORIGINES ET PLACE DU TUTORAT

La notion de tutorat professionnel est une notion venue du monde de l'entreprise, reposant sur le principe de la formation en alternance : le tutorat correspond à l'encadrement par un professionnel chevronné du stagiaire ou du professionnel débutant dans son parcours au sein de l'entreprise.

Le nouveau programme définit le tuteur infirmier comme un « professionnel expérimenté »(1). À quel moment, et sur quels critères devenons-nous un professionnel expérimenté ?

La référence à l'ancienneté ne suffit pas à définir l'expérience. Le tuteur possède bien les compétences cliniques professionnelles requises, mais il a surtout développé des capacités intuitives de compréhension et de résolution des situations cliniques. Dans notre profession, Patricia Benner a décrit le modèle d'acquisition des compétences professionnelles basé sur l'expérience, en définissant 5 stades : « le stade de novice, de débutante, de compétente, de performante, d'experte »(2).

C'est à partir du stade d'infirmière performante que l'on possède cette capacité à reconnaître des situations dans leur ensemble, capacité qui améliore le processus de décision.

L'infirmière experte maîtrise la mobilisation spontanée des outils d'analyse de situations et elle sait, par le biais du transfert, gérer avec efficacité des situations complexes. Elle peut analyser sa pratique et décrire les situations où son intervention a fait la différence d'efficacité. L'expérience ici ne se traduit pas que par les années d'exercice professionnel, mais bien par la présence de compétences professionnelles que cette expérience répétée et diversifiée a permis au tuteur de développer.

Le nouveau programme poursuit ainsi sa définition du tuteur :

→ le tuteur est celui qui a « développé des capacités ou des compétences spécifiques et de l'intérêt pour l'encadrement d'étudiants »(3) ;

→ devenir tuteur, c'est donc passer du praticien expérimenté au formateur qualifié. C'est être motivé pour adhérer à une démarche d'accompagnement de l'apprentissage de l'autre ;

→ la spécificité du tutorat réside dans son articulation entre deux mondes : formation et travail. Comment gérer l'entrée dans l'activité professionnelle quotidienne d'un dispositif de formation ?

Le tutorat repose sur le principe de la transmission en action de savoir-faire, savoir-être, connaissances, attitudes, comportements, etc., donc de compétences professionnelles, au sens où les définit Guy Leboterf : « être compétent, c'est mettre en oeuvre une pratique professionnelle pertinente, tout en mobilisant une combinatoire appropriée de ressources (savoir, savoir-faire, comportement, mode de raisonnement...) »(4). Le socle conceptuel et opérationnel du nouveau programme de formation, on le sait maintenant, est bien une approche par compétences.

Nous voyons donc le premier lien prédéterminé entre formation par compétences et tutorat. Qui mieux qu'un tuteur immergé dans la situation professionnelle peut aider le stagiaire à construire et stabiliser ses compétences professionnelles ?

MISSIONS DU TUTEUR

Comment, à partir de la déclinaison du rôle du tuteur, le tutorat devient un concept indissociable de la philosophie du nouveau programme ? Le référentiel de formation, une fois de plus, lui attribue les missions suivantes.

→ Le tuteur « assure un accompagnement des étudiants et évalue leur progression lors d'entretiens réguliers [...]. Le tuteur reçoit des stagiaires, il peut proposer aux stagiaires des échanges autour des situations ou des questions rencontrées... »(5).

→ Ces activités s'intègrent dans le modèle théorique proposé par P. Pelpel(6) qui a étudié le tutorat dans la formation des enseignants. Pelpel attribue trois fonctions essentielles au tuteur : « une fonction d'accueil et d'animation, une fonction d'aide et de conseil, une fonction de contrôle et/ou d'évaluation ».

Comment opérationnaliser ces fonctions ? En quoi le dispositif d'apprentissage du nouveau programme permet-il de valider ces fonction ?

Fonction accueil et animation

Elle va mobiliser en premier lieu les capacités professionnelles du tuteur. Le tuteur détient la connaissance clinique, la connaissance de l'institution, des normes professionnelles et des acteurs professionnels. Il va favoriser l'insertion de l'étudiant dans le service, mais aussi dans la pratique professionnelle. Imprégné de culture professionnelle, le tuteur va faciliter le parcours d'apprentissage de l'étudiant et le faire évoluer dans ses rencontres professionnelles.

Cette fonction d'accueil et d'animation exige des capacités relationnelles de la part du tuteur : en effet, cette première rencontre tuteur/étudiant sera un levier pour la motivation de l'étudiant et pour son engagement, mais permettra également au tuteur de trouver sa place dans le projet d'apprentissage de l'étudiant.

Fonction aide et conseil

C'est « le coeur du travail de formation »(7) indique P. Pelpel, et pour nous, le coeur de l'ensemble des principes pédagogiques du nouveau programme.

Cette dimension pédagogique du tuteur est le pivot de la professionnalisation de l'étudiant. Le tuteur est donc un facilitateur, un régulateur des apprentissages de l'étudiant. Il l'aide à élaborer ses objectifs personnels, à repérer ses modalités d'apprentissage, ses difficultés. Pour répondre à cette mission, il exerce une pédagogie centrée sur la personne, une pédagogie différenciée. Il pratique une écoute personnalisée de l'étudiant, propose plutôt qu'impose, afin de laisser l'étudiant prendre une place active dans sa démarche d'apprentissage. P. Pelpel décrit cette fonction comme « aider le débutant à progresser dans la maîtrise des situations complexes auxquelles il est confronté »(8).

En effet, le référentiel de formation est structuré autour de l'étude de situations professionnelles, dont certaines seront analysées avec les « professionnels expérimentés »(9). Le rôle du tuteur est de se positionner comme personne ressource dans ce travail d'analyse, parfois en tant que déclencheur du questionnement, parfois en tant que guide méthodologique structurant la pensée de l'étudiant.

La mission du tuteur, on l'a compris, ne se résume pas à la démonstration des techniques de soins, ni à la transmission de savoirs théoriques, il n'est ni répétiteur, ni enseignant. Il s'agit bien d'être aux cotés de l'étudiant pour le décodage des situations professionnelles rencontrées, pour l'analyse des comportements, des pratiques observées ou réalisées, afin de repérer et nommer les fondements de l'exercice professionnel. Aider le stagiaire certes dans l'acquisition des compétences mais aussi dans la prise de conscience de ses stratégies d'apprentissage, de ses processus cognitifs et de ses besoins de renforcement ou non.

« Lui permettre de réfléchir, d'analyser, de comprendre, autrement dit d'assimiler », écrit Maela Paul sur la relation du tuteur avec le stagiaire(10). L'efficacité du tutorat repose sur la possibilité d'intégrer la réflexion sur l'action, dans l'action elle-même, avec l'acteur lui même. Cette relation éducative, à la frontière entre pédagogie et didactique, n'est-elle pas une nouvelle compétence pour le tuteur directement empruntée au champ des sciences de l'éducation ?

Mais c'est aussi une relation d'aide, donc elle exige comme préalable l'instauration d'une relation de confiance, de respect mutuel et de reconnaissance des potentialités de l'autre, sans connotation hiérarchique. La relation partenariale à créer donne la place centrale à l'étudiant, le rendant actif et responsable, et lui procurant les conditions d'une autonomisation progressive. Pour le stagiaire, finaliser son apprentissage, c'est réussir à s'émanciper, à évoluer, grâce à la bonne distance avec le tuteur.

Fonction contrôle / évaluation

Avec cette fonction de contrôle et/ou d'évaluation, on atteint le paradoxe des missions du tuteur. Pelpel écrit de cette fonction qu'elle est « à la fois pédagogique et institutionnelle »(11). Effectivement, elle consiste à évaluer avec le stagiaire ses acquis et ses progrès, dans une dimension formative du tutorat, mais aussi à se prononcer sur la validation des compétences sur le port-folio, dans une dimension certificative. Le tuteur, étant garant de la régulation des apprentissages dans le temps, planifie des entretiens de suivi réguliers avec le stagiaire, mais aussi avec les formateurs et les professionnels de proximité, afin de faire un bilan à trois voix de la progression de l'étudiant. Cette logique d'évaluation à partir du port-folio de l'étudiant est une ouverture du concept d'évaluation ; en effet, il s'agit bien d'évaluer l'acquisition d'éléments de compétence par référence à des critères et indicateurs donnés, mais avec l'étudiant, à partir des éléments d'analyse et d'informations donnés par l'étudiant. Est-ce de la co-évaluation pour autant ? Est-ce de l'évaluation formative qui se double d'une exigence normative ? Ces deux aspects « soutien et évaluation sont contradictoires », écrit M. Paul(12). Le tuteur est-il là pour évaluer ou réguler ? pour aider ou juger ? pour contrôler ou comprendre ? C'est dans cette pratique à multiples facettes que la lisibilité de la posture du tuteur prendra toute son importance. S'il est bien une aide, une personne ressource, il est aussi garant du contrat de formation, garant de la réalité sociale : sa fonction pédagogique consiste donc aussi à valider les normes professionnelles attendues.

PLURALITÉ DU RÔLE DU TUTEUR ET NOUVELLES COMPÉTENCES

Comment ces fonctions d'aide, d'animation, d'évaluation, peuvent-elles se décliner en compétences pour le tuteur ? Le rôle du tuteur est complexe et les composantes de sa pratique relèvent de multiples dimensions, dont trois sont dominantes :

→ une dimension professionnelle, on le comprend aisemment ;

→ une dimension pédagogique, qui nous paraît incontournable ;

→ une dimension relationnelle, qui nous paraît souhaitable, mais aussi des dimensions, sociale, psychologique, méthodologique, technique...

Le tuteur de stage est celui qui accompagne tout au long de la formation le parcours de professionnalisation de l'étudiant. Mais avec quelle méthode pédagogique ? À partir de quelle logique d'action pédagogique ? On peut emprunter sa modélisation à M. Lesne(13), pour caractériser la didactique de cette transmission d'expérience qu'incarne le tutorat : le tutorat prend sens dans le « mode de travail pédagogique de type appropriatif centré sur l'insertion sociale, MTP 3 ». Le point d'ancrage du travail pédagogique s'inscrit dans la situation professionnelle. L'étudiant est acteur de sa formation et le tuteur l'aide à s'approprier la réalité socio-professionnelle, en créant une relation dialectique entre théorie et pratique, entre compétences et savoirs à mobiliser. Cette logique de compétences est à double sens, compétences infirmières à développer pour le stagiaire et compétences de travail pédagogique, de formation, d'évaluation à développer chez le tuteur.

POUR NE PAS CONCLURE

Il nous semble que la pratique du tutorat, par la pertinence de son niveau d'intervention dans l'apprentissage, répond entièrement à l'objectif du référentiel de formation qui est de professionnaliser le parcours de l'étudiant.

L'objectif est aisément validé, mais qu'en est-il de sa faisabilité dans la conjoncture professionnelle actuelle ? Quels moyens sur le terrain aurons-nous pour mettre en oeuvre ce tutorat ? Comment engager les professionnels des terrains à développer ces nouvelles compétences ? Comment faire reconnaître socialement la valeur ajoutée du tutorat dans la formation ?

Le tutorat ne serait-il pas l'un de ces nouveaux métiers à créer, une pratique avancée à reconnaître et formaliser ? ,

NOTES (1) Référentiel de formation infirmière, mai 2009. -(2) Benner P., De novice à expert, Inter-éditions, 1995. -(3) Référentiel de formation infirmière, mai 2009. -(4) Leboterf G., Construire les compétences individuelles et collectives, les éditions d'Organisation. -(5) Référentiel de formation infirmière, mai 2009. -(6) Pelpel P., Guide de la fonction tutorale, les éditions d'Organisation, 1995. -(7) Pelpel P., Guide de la fonction tutorale, les éditions d'Organisation, 1995. -(8) Pelpel P., Guide de la fonction tutorale, les éditions d'Organisation, 1995. -(9) Référentiel de formation infirmière, 2009. -(10) Paul M., L'accompagnement, une posture professionnelle spécifique, éditions L'Harmattan, 2009. -(11) Pelpel P., Guide de la fonction tutorale, les éditions d'Organisation, 1995. -(12) Paul M., L'accompagnement, une posture professionnelle spécifique, éditions L'Harmattan, 2009. -(13) Lesne M., Travail pédagogique et formation d'adultes, Puf, 1977, cité dans Avanzini G., La pédagogie aujourd'hui, Dunod, 1996.