Les cadres de santé et la loi HPST - Objectif Soins & Management n° 180 du 01/11/2009 | Espace Infirmier
 

Objectif Soins n° 180 du 01/11/2009

 

Droit

CULTURE SOIGNANTE → Au sein de la masse des textes, la loi HPST fera date. Elle ouvre vers un véritable changement de culture, offrant aux cadres de santé de nouvelles opportunités pour s'affirmer.

Toute législation nouvelle inquiète, et d'autant plus quand elle traite du quotidien. Les progrès attendus dévoilent autant de questions, et cette loi s'inscrit dans le contexte d'une vie difficile des établissements. Ainsi apparaissent deux grandes craintes : trop de révérence devant la contrainte gestionnaire, et un renforcement du pouvoir médical.

On sait que le grand «bénéficiaire» de la loi HPST est le directeur d'établissement, désormais entouré de son directoire (Code de la Santé publique, CSP, art. L.6143-7 et L.6143-7-5). Par le biais des pôles d'activité (CSP, art. L.6146-1) le premier interlocuteur du directeur est le médecin, à qui la loi reconnaît une autorité fonctionnelle. Bref, la crainte est que le renforcement légitime du directeur trouve une compensation dans le rehaussement du pouvoir médical, et qu'en définitive ce soient les cadres de santé qui fassent les frais de l'opération. On imagine bien le péril : des cadres happés par les contraintes de gestion, de plus en plus détachés de l'activité de soins, le tout sous une tutelle médicale.

Soyons francs, ce modèle est certainement passé dans la tête de plus d'un, croyant y voir une juste rationalisation. C'est dire que la tentation existe... Mais une telle pratique conduirait à terme à d'énormes difficultés. Il faut organiser le travail de telle sorte que tout le monde trouve sa place dans l'établissement et s'investisse dans le travail. De plus, il existe une fonction soins distincte de la fonction médicale, et sa remise en cause hypothéquerait la qualité des soins. C'est un débat tout à fait considérable. Voici quelques données juridiques à intégrer dans le débat.

QU'EST-CE QUE LA FONCTION CADRE ?

Le meilleur raisonnement se construit à partir des règles de responsabilité pénale. Dans la relation avec le patient, le premier qui engage sa responsabilité est celui qui pratique l'acte : c'est la responsabilité directe. Mais la loi pénale laisse une part à tous ceux qui sont inclus dans cette relation de soins, car ils ont pour mission de structurer et d'organiser le travail. C'est la responsabilité indirecte des décideurs : les personnes physiques qui n'ont pas causé directement le dommage, mais qui ont créé ou contribué à créer la situation qui a permis la réalisation du dommage ou qui n'ont pas pris les mesures permettant de l'éviter (Code pénal, art. 121-3). Le cadre de santé est celui qui structure et organise le travail à destination du patient. La loi l'attend sur le registre de l'organisation, de la détection des informations, de la transmission de l'information et de l'esprit de décision. Ainsi, les raisons d'être du cadre de santé sont l'organisation de l'équipe et le patient. C'est dans la mesure où il engage sa responsabilité vis-à-vis du patient qu'il reste cadre de santé, et non pas uniquement administrateur de l'établissement, aussi noble que soit cette fonction.

Il existe une part soignante dont il est impossible de se départir. C'est en ce sens qu'il existera toujours une différence fondamentale entre le cadre d'une entreprise et le cadre de santé. Tout est dans ce lien indéfectible avec le patient et le traitement de la maladie.

Ainsi, le cadre de santé a appris à s'investir sur les terres nouvelles du management, et la loi HPST l'encourage à faire davantage. Mais, ce rôle nouveau ne peut conduire à remettre en cause le positionnement dans l'équipe de soins ! Ce serait ignorer la base de la responsabilité. Et comme cette responsabilité est d'ordre public, toute analyse qui conviendrait à se placer au-delà de la limite préparerait de douloureux rappels à l'ordre.

LA FONCTION SOINS DANS L'ÉTABLISSEMENT

La loi HPST apporte de nombreuses évolutions et les décrets qui sont en cours de préparation conduiront certainement à passer de nouvelles étapes. Une erreur serait de considérer cette évolution comme un tout autonome, comme un morceau qui se serait détaché du droit. Non, ce qu'il s'agit d'analyser, c'est la manière dont ces évolutions vont impacter les bases inchangées du droit de la santé.

La consécration de la fonction soin dans l'établissement, c'est l'article L.6146-9 du CSP, créant la fonction de directeur de soins. Un texte laissé intact par la loi HPST :

« Dans chaque établissement, la coordination générale des soins infirmiers, de rééducation et médico-technique est confiée à un directeur des soins infirmiers, de rééducation et médico-techniques, membre de l'équipe de direction et nommé par le directeur.

« Une commission des soins infirmiers, de rééducation et médico-techniques, présidée par le coordonnateur général des soins infirmiers, de rééducation et médico-techniques et composée des différentes catégories de personnels de soins, est consultée sur des matières et dans des conditions fixées par voie réglementaire. » Le législateur n'a pas remis en cause l'existence d'une fonction de soins, distincte de la fonction médicale et de la fonction administrative.

Mais il y a plus. L'intervention de la loi avait conduit à adopter le décret n°2002-550 du 19 avril 2002, qui créait la coordination des soins. Ce décret avait été attaqué devant le Conseil d'État par des associations et des syndicats médicaux et pharmaceutiques sur le principe que la direction des soins était leur affaire. Non, a répondu de manière très nette le Conseil d'État dans son arrêt du 5 avril 2004 (n°247 938). En instituant - et avec une origine qui remonte à des décennies - une fonction de soins dans l'établissement, la loi n'a pas donné dans le décoratif. Elle a structuré le fonctionnel avec cette idée essentielle. À côté du médical et de l'administratif, il y a les soins : « Le coordonnateur général des soins détermine une politique d'évaluation des pratiques de soins : ces dispositions, qui ne concernent pas l'évaluation des pratiques médicales, ne portent aucune atteinte au principe de l'indépendance professionnelle des praticiens. »

L'organisation des soins n'est pas l'organisation de l'établissement, ni l'organisation médicale. Mais elle doit se structurer comme fonction autonome, décisive pour la qualité des soins. Dans le cadre de procédures pénales, le juge n'hésite pas à affirmer cette autonomie irréductible de la fonction du cadre de santé. Il en est ainsi en cas d'identification d'un danger pour la santé du patient qui doit amener le cadre à imposer ses vues, face à des prescriptions médicales ou des décisions administratives qui seraient la cause de ce danger.

COMMENT METTRE EN OEUVRE LA LOI HPST ?

La lecture stricte de la loi ne justifie pas les inquiétudes des cadres de santé, car cette loi ne modifie ni la responsabilité pénale du décideur, ni l'article L.6146-9 sur la coordination des soins. Mais, par ailleurs, on trouve de nombreux éléments de confortation de la filière soins. Le président de la commission de soins infirmiers fait partie du directoire (art. L.6143-7-5). Le projet d'établissement doit être cohérent avec le projet médical, mais également avec le projet de soins infirmiers médico-techniques (CSP, art. L.6143-2 et L.6143-7-4). On retrouve ainsi les deux filières - médicale et soins - qui avait été identifiées par l'arrêt du Conseil d'État. L'autorité du directeur est renforcée mais elle s'exerce en respectant les obligations des professions de santé comme cela relève du caractère inchangé du dernier alinéa de l'article L.6143-7 : « Le directeur exerce son autorité sur l'ensemble du personnel dans le respect des règles déontologiques ou professionnelles qui s'imposent aux professions de santé, des responsabilités qui sont les leurs dans l'administration des soins et de l'indépendance professionnelle du praticien dans l'exercice de son art. »

Tout le débat se reporte en réalité sur la mission du chef de pôle (CSP, art. L.6146-1) qui reçoit l'autorité fonctionnelle sur les équipes médicales et soignantes :

« Le praticien chef d'un pôle d'activité clinique ou médico-technique met en oeuvre la politique de l'établissement afin d'atteindre les objectifs fixés au pôle. Il organise, avec les équipes médicales, soignantes, administratives et d'encadrement du pôle, sur lesquelles il a autorité fonctionnelle, le fonctionnement du pôle et l'affectation des ressources humaines en fonction des nécessités de l'activité et compte tenu des objectifs prévisionnels du pôle, dans le respect de la déontologie de chaque praticien et des missions et responsabilités des structures, services ou unités fonctionnelles, prévues par le projet de pôle. »

Il s'agit d'autorité fonctionnelle et non pas d'autorité hiérarchique, et quelles que soient les solutions finalement trouvées pour la nomination de personnels, l'exercice de cette autorité devra composer avec la fonction de soins, qui, du point de vue législatif, est restée intacte. Les modalités de cette cohabitation juridique avaient été analysées par le Conseil d'État, dans son arrêt du 5 avril 2004. La question était la menace que faisait planer la coordination des soins sur les prérogatives du chef de service : « Le décret n'a ni pour objet ni pour effet de permettre aux directeurs de soins, et en particulier au coordonnateur général des soins, d'intervenir dans l'organisation du fonctionnement technique des services (art. L.6146-5). Dès lors, il ne porte pas atteinte aux prérogatives des chefs de service, de département ou de coordonnateurs de fédération. » Impossible de confondre autonomie et indépendance ; impossible aussi de confondre prérogatives médicales et subordination. Il faut discuter pour collaborer à partir des compétences légales.

La question n'est donc pas pour les cadres de santé de défendre un pré carré conquis de haute lutte, mais de s'affirmer sereinement à partir des bases dans le Code de la Santé publique. Le médecin a naturellement une certaine vision de l'organisation, vision consacrée par la loi. Le directeur doit composer avec la part irréductible des médecins, qui vient de leurs savoirs et de leurs compétences. Mais il en est de même pour les liens à créer avec les cadres de santé, qui seraient en faute s'ils se considéraient comme les exécutants de décisions médicales. C'est dans le cadre juridique global que peuvent être définies et mises en oeuvre les modalités d'organisation des pôles. Et parce que le droit pénal a ses raisons, il faut bien comprendre que ceux qui échapperaient à ce modèle s'installeraient dans une organisation illégale.

SUR QUELLES BASES DISCUTER ?

Lors d'un récent colloque, Marie-Claude Bourret soulignait qu'il fallait se méfier des discours généreux plaçant le patient au centre de l'hôpital, au coeur de toutes les préoccupations. Bien vu ! Ce discours ronflant finit par empêcher de voir le réel. Il n'en reste pas moins que, sans l'attention pour le malade, l'hôpital ne serait qu'une fabrique de soins. Ce qui fait la spécificité des établissements de santé, c'est la prise en charge de la maladie.

Le patient marque toute l'approche, ce qui conduit à raisonner à partir des compétences. La raison d'être des professionnels de santé, c'est d'exercer en fonction de compétences reconnues par la loi. Quel mot utiliser ? Il faudra bien un jour sortir du partage du Code de la santé publique qui oppose professions médicales et «auxiliaires médicaux». C'était tout le projet du rapport de la Haute Autorité de santé qui n'identifiait que des professions de santé, définies à partir d'un coeur de métier, les décrets fixant les limites des compétences, et organisant le passage entre ces professionnels, tous les plus compétents dans leur domaine de compétence.

La profession n'a montré aucune adhésion à ce projet. Je crois que c'est foncièrement regrettable, car il ne s'agissait pas de restructurer toutes les professions de santé sur le même régime juridique, à savoir un métier de base et des limites bien définies. À l'heure où l'on reconnaît aux médecins cette autorité fonctionnelle, il aurait été hautement souhaitable que les textes aient pris de l'avance en définissant également leur identité fonctionnelle aux professions paramédicales. Il n'est pas trop tard pour bien faire.

Il serait temps aussi de se départir une bonne fois pour toutes de cette lecture un peu simple de la réglementation professionnelle qui scinde la pratique infirmière entre le rôle propre et le rôle prescrit, comme si les choses sérieuses commençaient avec la prescription médicale. Cette lecture qui résulte d'une véritable culture de la soumission reste en place, notamment par l'usage d'expressions telles que les soins délégués.

Si la loi HPST permet de dépoussiérer ces débats et de conduire à un renouveau du vécu et des pratiques, alors ce ne sera pas si mal.

À lire :

Les cadres hospitaliers : représentations et pratiques, Ivan Sainsaulieu, Jérôme Eggers, Geneviève Picot, Emmanuel Langlois, Lamarre, 2009.

Rapport de la mission cadres hospitaliers, Chantal de Singly, disponible sur le site du ministère.