Infirmier et chercheur en ethnologie - Objectif Soins & Management n° 180 du 01/11/2009 | Espace Infirmier
 

Objectif Soins n° 180 du 01/11/2009

 

DIDIER VIDAL-DEMÉ

Parcours

Infirmier en psychiatrie à Perpignan, Didier Vidal-Demé s'est découvert une passion pour l'ethnologie et l'anthropologie de la santé. Précurseur avant l'heure de la VAE, il a pu intégrer un master universitaire en faisant valoir ses publications. Aujourd'hui en thèse de doctorat, il travaille sur le pouvoir de soigner et les mécanismes de la guérison.

Pour Didier Vidal-Demé, l'ouverture du système LMD (licence-master-doctorat) aux professionnels infirmiers est déjà une réalité depuis plusieurs années. Pour autant, le jeune chercheur de 35 ans ne cache pas ses difficultés à trouver du temps et surtout un financement pour mener à bien son travail universitaire.

« La recherche demande une grande disponibilité et énormément de travail. Cela ne se fait pas avant le cinéma ou après le repas de famille, c'est une activité très chronophage, confie-t-il. Mener de front travail en tant que soignant en psychiatrie et doctorat de troisième cycle est particulièrement difficile. »

Pour Didier Vidal-Demé, il ne suffit pas d'ouvrir l'université et la recherche aux professionnels infirmiers, encore faut-il leur donner les moyens de s'inscrire dans un parcours LMD. « J'ai eu accès aux terrains de recherches sur lesquels je travaille parce que je suis issu du monde soignant. Les universitaires, très intéressés par mon parcours, m'ont d'ailleurs accueilli à bras ouverts dans leur laboratoire de recherches. En revanche, l'institution hospitalière ne m'encourage pas du tout et ne s'est pas investie dans le projet », estime-t-il avec regret.

En deuxième année de thèse, le jeune chercheur ressent presque de la méfiance de la part des directions fonctionnelles. «Je suis infirmier, je ne prétends pas faire autre chose que la mission pour laquelle j'ai été recruté », tient-il à souligner.

Diplômé d'État en 1998, Didier Vidal-Demé découvre son intérêt pour l'anthropologie de la santé ainsi que pour l'ethnopsychiatrie en travaillant au Centre hospitalier de Thuir, unique établissement psychiatrique en pays catalan.

Soin, ethnopsychiatrie et ethnocinéma

« Le médecin chef du service avait un DESS d'ethnologie. Comme j'étais très intéressé par son approche, j'ai travaillé et publié avec lui », précise-t-il. Passionné d'images, Didier Vidal-Demé utilise une caméra numérique comme outil de retranscription. C'est à partir de ses courts-métrages ethnocinématographiques qu'il construit son thème de recherches.

Dès 2003, il assure des vacations en tant qu'enseignant pour sensibiliser les étudiants des Ifsi de sa région ou les futurs travailleurs sociaux à une approche interculturelle du soin. « Cette ouverture aux sciences humaines permet d'éviter l'ethnocentrisme, estime-t-il. Il est important que les soignants sachent qu'il existe d'autres approches culturelles du soin que celles qui prédominent dans nos pays occidentaux. Cela invite à prendre du recul par rapport à ses propres pratiques. »

Afin de pouvoir continuer ses vacations d'enseignement, Didier Vidal-Demé décide de légitimer ses connaissances par des diplômes universitaires. Grâce à ses publications ou encore aux conférences qu'il a pu animer, il est admis au titre de la validation des acquis de l'expérience (VAE) en 2006 en master 1 de sociologie de l'université de Perpignan. Il passe alors avec brio son master 1, continue en master 2 puis s'oriente vers un doctorat d'ethnologie qu'il effectue au sein du laboratoire universitaire VECT (Voyages, échanges, confrontations, transformations).

Didier Vidal-Demé a commencé en 2008 une thèse de troisième cycle. Ses recherches se donnent pour objectif de vérifier un postulat de base, à savoir l'existence de mécanismes universels de la guérison.

Entre culture et soin

« J'étudie le soin à la lumière de son habillage culturel, explique le chercheur. C'est en comparant des pratiques de soins de différentes cultures que je vais essayer de mettre en évidence les mécanismes de la guérison. » Son matériel brut de recherches est constitué par les documentaires scientifiques, réalisés lors de ses voyages, sur les rites vaudous à Cuba ainsi que sur les pratiques magiques des tradithérapeutes au Sénégal. L'infirmier a pu filmer ces pratiques parce qu'il s'est présenté auprès des tradithérapeutes cubains ou africains comme leur égal, c'est-à-dire un soignant désireux d'étudier les soins dispensés par un soignant d'une autre culture. « Il ne s'agit pas de remettre en question l'efficacité de ces médecines, mais d'en décrypter le mécanisme. Si les personnes font appel à des pratiques soignantes qui correspondent à leurs croyances dans un cadre conceptuel, les résultats sont aussi au rendez-vous », assure Didier Vidal-Demé.

Le but de son travail de recherche ne consiste pas à comparer l'efficacité des médecines allopathiques ou traditionnelles, mais bien d'essayer de mettre en évidence ce qui soigne et guérit la personne malade. « Plutôt que d'essayer de comprendre ce qui fait soin chez nous, je vais observer ce qui fait soin chez nos voisins pour revenir ensuite vers ma propre pratique, continue le chercheur. Dans les sillages des pensées Lacaniennes, du structural en psychanalyse et de l'anthropologie structurale de Claude Lévi-Strauss, j'ai pris le parti de la transversalité pour déconstruire le soin. »

Comprendre l'autre pour prendre soin

Soignant en psychiatrie, Didier Vidal-Demé estime que sa réflexion en tant que chercheur lui a permis d'améliorer sa propre pratique. Il ne fait pas pour autant de prise en charge interculturelle, mais dispose d'outils complémentaires issus des sciences humaines. « Au quotidien, nos prises en charge s'attachent à recréer du lien dans des épisodes de vie où la pathologie, née d'une rupture, est alimentée par une perte de sens, une perte de symbole. Les outils acquis dans le domaine d'anthropologie de la santé me sont utiles pour mieux comprendre ces ruptures, ce qui peut faire souffrir l'autre. L'anthropologie permet d emieux comprendre l'autre par rapport à lui-même mais aussi par rapport à son environnement », considère-t-il.

Fort de ses connaissances universitaires, le professionnel en soins infirmiers dit également se sentir plus à l'aise dans son travail et dans son écoute de l'autre. « Si nous souhaitons être reconnus, il faut démontrer qu'il existe une véritable science infirmière, une culture et une réflexion propre. Cette démonstration passe par la réalisation de travaux de recherche reconnus au niveau universitaire », assure-t-il.

Sans quitter le soin, Didier Vidal-Demé espère bien qu'il aura l'opportunité d'embrasser la profession de chercheur dans le domaine de l'ethnopsychiatrie. Car il s'agit aujourd'hui de mettre à disposition de ses collègues soignants toute une compétence acquise au cours de son parcours universitaire. Un parcours du combattant pour les premiers chercheurs en soins infirmiers...

Site Internet de Didier Vidal-Demé :