Du projet à la loi HPST : favoriser les coopérations - Objectif Soins & Management n° 180 du 01/11/2009 | Espace Infirmier
 

Objectif Soins n° 180 du 01/11/2009

 

Économie de la santé

HPST → Cet article (et le suivant) consacré au titre 1 de la loi Hôpital, patients, santé, territoires, à savoir la modernisation des établissements de santé, aborde le troisième chapitre consacré aux coopérations entre les établissements de santé. Alors, incitation positive ou voeu pieux ? Analyse critique

La loi entend renforcer la coopération entre les établissements par le biais de deux outils juridiques mis en exergue : les communautés hospitalières de territoire (CHT) et les groupements de coopération sanitaire (GCS). Or la volonté des pouvoirs publics de faire coopérer les établissements de santé entre eux n'est pas nouvelle.

L'ordonnance du 24 avril 1996 portant réforme de l'hospitalisation publique et privée encourageait déjà fortement les établissements à coopérer entre eux, et les incitait, par ailleurs, à développer des relations avec les praticiens libéraux, en vue de constituer des réseaux de soins. La coopération interhospitalière traduit les complémentarités qui s'instaurent entre établissements de santé publics et/ou privés. De nécessité économique dans les années 1970, elle est devenue un impératif médical dans les années 1990. Alors même que son initiative doit relever des établissements eux-mêmes pour être efficace et appropriée par les acteurs, de nombreux pouvoirs avaient cependant été conférés aux agences régionales de l'hospitalisation (ARH) pour imposer cette coopération, la faciliter et l'inscrire dans le temps, au premier rang desquels les communautés d'établissements et les groupements de coopération sanitaire.

Dès lors, on peut s'interroger sur la nécessité, treize ans plus tard après les ordonnances Juppé, de focaliser à nouveaux sur la coopération avec soi-disant l'introduction de nouveaux outils juridiques qui ressemblent curieusement à ceux du passé. Cela signifie-t-il que cette coopération tant nécessaire n'a pas été mise en oeuvre ? La coopération n'est-elle pas plutôt l'affaire de volontés individuelles médicales et administratives relevant de la nécessité économique et médicale, plutôt que d'outils juridiques imposés, sans vraiment l'être, par la loi ? La tarification à l'activité n'est-elle pas un meilleur outil pour imposer la coopération ? Car chacun s'accorde à dire, quelle que soit sa place dans le système hospitalier, que l'organisation des soins hospitaliers n'est plus envisageable sans coopération entre les établissements, compte tenu de l'avancée des techniques médicales, des normes techniques de fonctionnements, des contraintes humaines et financières. Et pourtant, force est de constater que la mettre en oeuvre relève encore dans bien des cas de l'épreuve de force.

DU GIHS À LA CHT ET DU SIH AU GCS

La coopération est une idée relativement nouvelle dans le domaine hospitalier. La loi du 31 décembre 1970 marque l'émergence de ce mode d'organisation des soins hospitaliers, qui n'a cessé d'être mis en valeur à travers les nombreuses réformes successives sur l'hôpital - et la dernière en date de juillet 2009 ne fait pas exception - avant de devenir l'élément central de la régulation hospitalière avec les ordonnances de 1996.

Ainsi, pour celles et ceux qui s'en souviennent encore, la loi de 1970 introduit deux nouveaux instruments de coopération : le Groupement interhospitalier de secteur (GIHS) et le Syndicat interhospitalier (SIH). Le premier regroupe l'ensemble des établissements de santé publics et privés d'un même secteur sanitaire dans le but de faire émerger des domaines et des actions de coopération possibles entre les différents acteurs de soins : remplacez groupement interhospitalier par communauté hospitalière et secteur sanitaire par territoire, et vous venez de faire un bond de 39 ans. Mais, dans les objectifs, rien de nouveau : alors où sont donc passés ces fameux GIHS ?

Quant au second, le SIH, il ne peut être constitué qu'entre établissements concourant au service public hospitalier, pour mettre en oeuvre formellement les actions de coopérations que le GIHS a décidé : l'accent est mis sur la coopération entre établissements publics de santé pour le financement et le partage des investissements et des équipements hospitaliers. Trente-neuf ans plus tard, le SIH est mort, vive le GCS (la loi indique que les SIH seront obligatoirement transformés en GCS, s'ils souhaitent continuer à exister) : mais en pratique, là encore, quoi de nouveau, si ce n'est les appellations ?

DE 1970 À 1990, 30 ANS DE COOPÉRATION INTERHOSPITALIÈRE

Dès le milieu des années 1970, la politique de maîtrise des dépenses de santé donne un regain d'intérêt à la coopération interhospitalière : l'hôpital coûte cher et il n'est plus possible de tout financer partout avec un budget contraint. L'instauration du budget global en 1984 fait de la coopération une nécessité économique pour l'hôpital public. Le partage d'activités est censé procurer des avantages et des gains sur les coûts de production ; le regroupement d'activités entraîne la naissance d'économies d'échelle qui se traduisent par une diminution sensible des prix de revient et des coûts de production. La coopération permet de financer les coûts des actifs très spécifiques et nombreux dans le secteur hospitalier, tant en matière d'équipements matériels lourds que de personnels à haut niveau de qualification.

La loi de juillet 1991 s'inscrit dans cette logique économique de coopération en permettant aux établissements de santé de s'associer dans le cadre de nouvelles structures juridiques, qui ne sont pas des établissements de santé mais qui peuvent gérer certaines activités hospitalières : le SIH (mais existant déjà depuis 1970 !), le groupement d'intérêt public (Gip), le groupement d'intérêt économique (GIE). La coopération devient désormais un impératif pour les établissements de santé au service d'une nouvelle planification hospitalière (c'est la création des schémas régionaux d'organisation sanitaire, les fameux Sros). Mais force est de constater que, malgré cette volonté affichée des pouvoirs publics et les nombreux outils juridiques offerts aux établissements depuis vingt ans, peu de coopérations sont en fait mises en place au début des années 1990, si ce n'est dans les domaines logistiques (on compte ainsi de nombreux SIH pour gérer en commun la blanchisserie, la cuisine, la pharmacie), de formation (Gip pour les Ifsi par exemple) et d'équipements (de nombreux GIE voient le jour pour gérer en commun avec les radiologues libéraux les appareils de scannographie, d'imagerie médicale à résonance magnétique, etc.).

La culture de l'individualisme hospitalier explique en partie ce constat : elle conduit davantage à une logique d'opposition et de concurrence plutôt qu'à une logique de complémentarité. Chaque hôpital souhaite conserver ses activités, l'ensemble de ses représentants partageant ce point de vue : le corps médical et paramédical, les directeurs, les élus, la population, les personnels. La coopération n'est pas vécue comme une complémentarité positive entre établissements, où chacun peut en tirer avantage, mais plutôt comme une menace d'absorption par la structure qui se révèlera être la plus performante.

Cette coopération est encore moins développée entre les secteurs publics et privés de la santé. De par leurs activités davantage concurrentielles que complémentaires (les uns assurent tout, les autres sont spécialisés en chirurgie), des modes financements différents (rappel nous sommes en 1990 : pour les uns c'est le budget global, pour les autres le prix de journée), des fonctionnements différents (salariat des médecins chez les uns, activités libérales chez les autres), les hôpitaux et les cliniques font preuve de peu d'enthousiasme pour mener une politique de soins commune. D'autant que les outils juridiques de l'époque ne sont pas adoptés, voir n'existent pas.

Mais ne peut-on pas faire le même constat vingt ans plus tard en 2009, ce qui justifierait la nouvelle loi HPST ?

1996 OU L'AVÈNEMENT DE LA COOPÉRATION HOSPITALIÈRE PUBLIQUE/PRIVÉE

De nécessité purement économique, la coopération devient au milieu des années 1990 une nécessité médicale dans le but de préserver l'égalité d'accès aux soins. À la rareté des ressources financières s'ajoute la pénurie de certains personnels médicaux et paramédicaux, au moment même où les normes techniques de fonctionnement deviennent de plus en plus contraignantes, dans un souci d'amélioration constante de la qualité et de la sécurité des soins. Or de nombreux services hospitaliers de proximité ne satisfont pas ces normes et sont menacés de fermeture. La coopération devient alors le seul moyen de préserver une certaine égalité dans l'accès aux soins en permettant à ces petites structures de s'adapter pour répondre aux besoins de proximité. Mais l'ont-elles réellement compris ? À l'évidence non, si l'on en juge - et encore aujourd'hui en 2009 - par les manifestations hostiles en cas de fermeture d'une petite maternité par exemple. De l'intérêt individuel à l'intérêt collectif, la coopération n'arrive pas à faire le lien.

Sur la base de ces constats, l'ordonnance de 1996 inscrit la coopération comme un principe essentiel dans l'adaptation du système hospitalier aux besoins de la population. Les communautés d'établissements de santé (autrement dit les anciens GIHS ou les futures CHT), qui réunissent les représentants des établissements concourrant au service public hospitalier, donnent l'initiative aux établissements de construire une politique active de coopération qui sera validée ou imposée par le directeur de l'ARH. Les GCS (et oui, les mêmes) permettent la complémentarité entre un établissement de santé privé et un établissement de santé public. La coopération devient une orientation stratégique que les établissements de santé doivent développer dans leurs projets d'établissement et les contrats d'objectifs et de moyens «négociés» avec les ARH. Désormais, la coopération interhospitalière apparaît comme le seul moyen qui puisse permettre au système hospitalier de répondre aux trois objectifs majeurs de la planification hospitalière : accessibilité aux soins, qualité des soins et efficacité dans la production hospitalière.

Alors pourquoi encore une nouvelle loi et de nouveaux outils pour renforcer cette coopération ? Suite au prochain numéro...

Pour en savoir plus :

Loi n°2009-879 du 21 juillet 2009 portant réforme de l'hôpital et relative aux patients, à la santé et aux territoires, Journal officiel de la République française n°0167 du 22 juillet 2009.

Communautés hospitalières de territoire : que dit la loi ?

Des établissements publics de santé (EPS) peuvent conclure une convention de communauté hospitalière de territoire (CHT) afin de mettre en oeuvre une stratégie commune et de gérer ensemble certaines fonctions et activités grâce à des délégations ou des transferts de compétences entre les établissements et grâce à la télémédecine, sachant qu'un établissement public de santé (EPS) ne peut être partie que d'une seule convention de CHT. La convention prend en compte la notion d'exception géographique que constituent certains territoires. Des établissements publics médico-sociaux peuvent participer aux actions menées dans le cadre d'une convention de CHT.

La convention de CHT est préparée par les directeurs et présidents de Commission médicale d'établissement (CME), approuvée, après information des Comités technique d'établissement (CTE), par les directeurs des établissements après avis de leurs conseils de surveillance, pas directement par ceux-ci, et enfin soumise à l'approbation du directeur général de l'ARS. C'est cette double approbation qui entraîne la création de la CHT.

La convention définit le projet médical commun de la CHT et les compétences et activités déléguées ou transférées à chacun des établissements membres ; les modalités de mise en cohérence des contrat pluriannuel d'objectifs et de moyens ou CPOM, des projets d'établissement, des plans globaux de financement pluriannuels et des programmes d'investissements ; les modalités de remboursement des frais pour services rendus ; les modalités d'articulation avec les établissements médico-sociaux publics ; la composition du conseil de surveillance, du directoire et des organes représentatifs des personnels de l'établissement siège de la CHT (la désignation de celui-ci étant approuvée par les deux tiers au moins des conseils de surveillance des établissements représentant au moins les trois quarts des produits versés par l'Assurance maladie au titre de l'activité MCO - médecine, chirurgie, obstétrique - ; à défaut d'accord, c'est le DG de l'ARS, Agence régionale de santé, qui désigne l'établissement siège) ; éventuellement la création d'instance communes de représentation des personnels ; l'établissement de comptes combinés.

La commission de communauté composée des présidents des conseils de surveillance, des présidents de CME et des directeurs, est chargée de suivre l'application de la convention.

Les présidents des conseils de surveillance des EPS peuvent proposer au DG de l'ARS la conclusion d'une convention de CHT.

La convention est également soumise à l'avis du ou des préfet(s) de régions concernées et transmise avant son application aux directeurs généraux des ARS compétentes, qui apprécient la compatibilité avec les schémas régionaux d'organisation des soins.

À noter que peuvent être transférés dans le cadre de la convention de la CHT entre les établissements des autorisations d'activités de soins ou d'équipements matériels lourds selon une procédure simplifiée, des biens meubles ou immeubles ne donnant lieu à perception d'aucune taxe ou indemnité (les actes de transfert de propriété étant authentifiés par le DG de l'ARS).

La convention peut être résiliée soit par décision concordante des conseils de surveillance des établissements membres, soit sur demande motivée des conseils de surveillance à la majorité des établissements membres, soit sur décision prise par le DG de l'ARS, après avis du préfet de Région, en cas de non-application de la convention.

L'ensemble des dispositions relatives aux CHT font l'objet d'un décret en conseil d'État actuellement en cours d'élaboration.

Enfin, afin d'inciter la création des CHT, des crédits sont réservés jusqu'au 31 décembre 2012 sur l'enveloppe «aide à la contractualisation», ainsi que sur les GCS.