L'avènement de la vaccination - Objectif Soins & Management n° 0292 du 17/04/2023 | Espace Infirmier
 

OBJECTIF SOINS n° 0292 du 17/04/2023

 

Edward Jenner

HISTOIRE

Anne Lise Favier

  

Il faut rendre à César ce qui lui appartient. Si Louis Pasteur, scientifique français, est volontiers cité comme le pionnier de la vaccination, il est plus juste d’attribuer cette découverte à Edward Jenner, sujet britannique, près d’une centaine d’années auparavant.

Edward Jenner est un jeune homme qui adore observer la nature. Après avoir appris la médecine, il devient médecin de campagne et entreprend alors de soigner les hommes tout en continuant de regarder l’environnement autour de lui. L’histoire naturelle figure d’ailleurs parmi ses premières amours et le conduit à publier une étude sur la nidification du coucou, qui traduit bien ses talents de fin naturaliste. Il fait même partie de ces scientifiques qui aident James Cook, de retour de son premier tour du monde, à classer les nouvelles espèces rencontrées (lequel invitera Jenner à participer à son second voyage, ce que Jenner déclinera).

De fil en aiguille, les travaux de Jenner lui permettent d’obtenir une bourse de la Royal Society et d’intégrer cette prestigieuse académie, équivalent de l’Académie des sciences en France. Dès lors, il se concentre sur la médecine et s’intéresse à la variole, également appelée petite vérole. À l’époque, la variole est une maladie souvent mortelle qui n’épargne personne : un siècle avant les travaux de Jenner, la reine Marie ii d’Angleterre en est morte, et à l’époque de Jenner, en France, c’est le roi Louis xv qui en est la victime et qui meurt en 1774, au Petit-Trianon à Versailles.

L’audace de Mary Montagu

Pour la combattre, lorsqu’il n’est pas encore trop tard, la variolisation est utilisée : une pratique qui consiste à prélever des « humeurs » (pus ou croûtes) d’une personne présentant une forme peu active de la variole et à les placer sur une incision, dans la peau, ou à souffler les croûtes broyées dans les narines d’une personne qu’on souhaite protéger. La manœuvre n’est pas sans risque, mais semble apporter une certaine protection contre la maladie. Cette pratique est popularisée à partir de 1717 par Lady Mary Montagu, épouse de l’ambassadeur d’Angleterre à Constantinople. Contaminée dans sa jeunesse par la maladie et défigurée, elle veut à tout prix préserver ses enfants et n’hésite pas à les faire varioliser pour leur protection. Lorsqu’elle quitte les rives du Bosphore pour celles de la Tamise, elle tente de convaincre les spécialistes de la cour royale britannique du bien-fondé de cette démarche. Peu convaincus de prime abord, ils finissent par expérimenter cette variolisation sur des prisonniers en échange d’une libération, puis sur des enfants indigents : cette variolisation semble prometteuse, bien que quelques décès soient déplorés.

En Europe, l’inoculation fait tout de même de plus en plus d’adeptes : en France, c’est sous l’impulsion de Voltaire, lui-même victime de la petite vérole à l’âge de 29 ans, vers 1723, et qui a bien failli ne pas en guérir, que la variolisation se diffuse dans toutes les strates de la société, jusqu’au roi Louis xvi qui se fait inoculer avec succès en 1778. Cette pratique n’est qu’un prélude à la vaccination et ne garantit pas une entière protection contre la maladie.

Le sens de l’observation de Jenner

À la même époque, en Grande-Bretagne, Jenner, médecin de campagne au sens le plus strict du terme, connaît bien la maladie : grâce à ses talents naturalistes, il a en effet observé que les trayeuses qui s’occupent des vaches porteuses de la cowpox, une variante bovine de la variole appellée la vaccine, ne contractent pas la variole. Il faut rappeler que cette observation a déjà été faite une trentaine d’années auparavant par le médecin anglais John Fewster, dont personne ne sait vraiment s’il avait publié ses travaux ; il est toutefois possible que le jeune Edward Jenner en ait entendu parler. En 1774, un agriculteur, Benjamin Jesty, a, de son côté, volontairement contaminé sa famille avec une aiguille trempée dans la plaie d’une vache atteinte de vaccine, pour tenter de la protéger contre une épidémie de variole. Si la manœuvre a fonctionné, elle n'a pas pour autant été reproduite, expliquée et démontrée. Jenner sait qu’il faut aller plus loin et mener une véritable expérience scientifique pour prouver que l’inoculation de la vaccine protège de la variole. C’est donc son hypothèse de départ. En mai 1976, il inocule à un jeune garçon de huit ans, James Phipps, du pus prélevé sur la main d’une fermière infectée par la vaccine, et observe : au bout de quelques jours, l’enfant est fiévreux et souffre d’un malaise général, mais ne développe pas de maladie grave. Il en guérit.

Le principe de la vaccination

Trois mois plus tard, Jenner le revoit pour, cette fois-ci, le varioliser, c’est-à-dire le mettre au contact direct de la maladie : chez un jeune enfant, c’est un risque. Mais comme l’intuition de Jenner le présageait, le jeune James Phipps ne développe aucun signe de la maladie, pas même le moindre pustule. Il semble protégé. Edward Jenner publie les résultats d'une étude qu’il a pris soin d’étendre à d’autres personnes, et signe en 1798 « Étude sur les causes et effets de la variole vaccinae, une maladie découverte dans quelques comtés de l’Ouest de l’Angleterre, particulièrement dans le Gloucestershire, connue sous le nom de vaccine ». Avec l’appui du gouvernement britannique, il poursuit ses travaux sur l’inoculation de la vaccine pour combattre la variole – geste que l’on appelle désormais la vaccination – et s’implique dans la création d’une institution dédiée, la Jennerian Institution, qui deviendra quelques années plus tard le National Vaccine Establishment. En moins de deux ans, plusieurs milliers de personnes se font « vacciner » en Grande-Bretagne, puis ailleurs en Europe.

Les travaux de Pasteur

Si Jenner est donc le « père de la vaccination », pourquoi parle-t-on de Pasteur à l’évocation des vaccins ? Parce que comme l’évoque l’institut Pasteur sur son site, Jenner a inventé la vaccination, Louis Pasteur les vaccins. Nuance. Jenner a en effet découvert qu'il était possible de protéger les humains en leur inoculant la maladie habituellement rencontrée chez les bovins. Pasteur, quant à lui, utilisera les agents infectieux eux-mêmes pour obtenir l’immunisation, ce qui présuppose toute la découverte autour des microbes à laquelle il a largement contribué au xixe siècle. Lors de son essai transformé sur la rage, Pasteur a d’abord travaillé chez l’animal, en utilisant des suspensions de microbes à la virulence atténuée (les fioles étaient exposées à l’air, dans une atmosphère privée d’humidité), avant de pratiquer la première inoculation d’un vaccin, avec l’aide du Dr Grancher, chez le jeune Joseph Meister, qu’il sauvera de la rage.

La vaccination aujourd’hui

Il existe aujourd’hui une multitude de vaccins. Selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS), ils permettent de prévenir plus de 20 maladies potentiellement mortelles et d’éviter, chaque année 3,5 à 5 millions de décès. S’ils ont permis d’éradiquer définitivement la variole en 1980, soit près de 200 ans après les travaux de Jenner, ils sont aujourd’hui largement utilisés, en termes de prévention, pour combattre certaines maladies.

La pandémie de Covid-19 a permis de faire évoluer la vaccination, avec l’utilisation des vaccins à ARN, qui utilisent la machinerie cellulaire pour produire l’antigène nécessaire à la réaction du système immunitaire. D’autres vaccins permettent la prévention de certains cancers, c’est notamment le cas du vaccin contre le papillomavirus (HPV), qui prévient la survenue du cancer de l’utérus. Ce dernier va d’ailleurs faire l’objet d’une campagne généralisée chez les jeunes dès la rentrée 2023 : la vaccination contre le HPV sera accessible à tous les collégiens, filles et garçons, dès l’entrée en cinquième, sans obligation.

En France, depuis 2018, onze vaccins sont obligatoires. L’obligation vaccinale existe depuis 1901… avec le vaccin contre la variole. La boucle est bouclée !

Infos

Nom complet :

Edward Jenner

Date de naissance :

17 mai 1749

Lieu de naissance :

Berkeley (Gloucestershire, Angleterre)

Date de décès :

26 janvier 1823

Postérité :

Principe de la vaccination